Chaque jour, Drago voyait Potter faire de son mieux et échouer. Il voyait son sourire bravache se faner, il voyait les cernes se creuser sous ses yeux, il entendait sa voix s'enrouer, il sentait son optimisme faiblir…
Souvent, la simple présence de l'un ou l'autre des Weasley et de Granger suffisait à le requinquer pour quelques heures.
Parfois, ce n'était pas le cas.
Parfois, il disparaissait on ne savait où. Drago savait qu'il ne partait pas en mer prendre des risques inconsidérés. Quand on lui posait la question, il répétait inlassablement qu'il arrivait au Survivant d'aller aux toilettes, de se laver, de dormir, et même parfois de souhaiter ne pas être importuné par des gens qui n'ignoreraient pas où il se trouvait s'il avait pu désirer qu'ils le sachent.
Ce jour-là, Foley se réveilla. Runcorn jaillit sur la plage alors qu'une nouvelle expédition de vérification et réparation du dôme se préparait – Le Détraqueur attaquait désormais la bulle chaque nuit, semblant comprendre qu'il risquait alors moins de répercussions – et se précipita aussitôt vers Drago qui était occupé à prendre en note les derniers évènements survenus dans le corridor 6 avec Brahmar, le Surveillant Brigadier.
« Malfoy ! » s'exclama-t-il joyeusement, puis en voyant son interlocuteur : « Par Merlin, Brahmar ! Il s'en est sorti ! Foley vient de se réveiller ! »
Les yeux de Drago s'écarquillèrent. Foley. Celui qui n'avait pas réussi à invoquer son Patronus, mais qui avait tout de même donné quelques secondes de répit au Major pour faire apparaître le sien. Celui auquel Drago avait volé temporairement sa baguette. Celui qu'il avait désespérément tenté de sauver.
« Monsieur Potter ! reprit le Major en se redressant. Vous avez entendu ? Foley ? Il… »
Ils étaient peu, sur la plage, à connaître l'homme. Les Maléfistiniens et les amis de Potter regardèrent ces démonstrations de joie avec stupeur. Drago avait du mal à comprendre pourquoi le Major semblait si heureux de le mettre au courant, mais Runcorn le serra sur son torse à lui casser les côtes, le soulevant du sol comme s'il ne pesait rien, et le détenu en resta ébahi.
Le Major le traîna jusqu'au chevet du malade qui semblait à peine conscient de là où il se trouvait, et tout juste capable de sourire au Major ou de hocher la tête en écarquillant les yeux quand celui-ci s'adressait à lui.
A un moment de la conversation, Runcorn donna une grande claque dans le dos de Drago et annonça :
« Et c'est Malfoy qui t'a donné les premiers soins ! Tu l'aurais vu, il a couru comme un dératé pour récupérer ta baguette ! On lui doit tous une fière chandelle ! »
Une nouvelle fois, Drago resta pétrifié sur place en observant le Major avec des yeux hagards. Il avait l'impression d'être tombé dans un univers parallèle où plus rien n'avait de sens. Runcorn décrivait la scène comme s'il l'avait compris de travers :
« C'est aussi grâce à lui que Shesh s'en est aussi bien tiré : Il a fait une diversion, et le Détraqueur ne savait plus où donner de la tête ! Entre ce coup-là et celui de la Selkie, je commence à me dire qu'on a bien fait de l'accueillir dans l'équipe !
– Et puisqu'on dit : jamais deux sans trois, énonça Shesh qui avait rejoint l'attroupement, je ne m'éloigne plus de lui ! J'ai pas envie de me faire attaquer par une nouvelle bestiole tant qu'il n'est pas là ! »
Drago rougit et voulut tout de même modérer ces affirmations grotesques :
« La Selkie n'a jamais représenté une véritable menace. Pas pour vous. Elle ne faisait que…
– Les sauvetages conséquentialistes ont-ils une valeur dans le décompte ? intervint Nguyen en plissant malicieusement ses yeux noirs. Il m'a sauvé la vie face à Monsieur Rockwood, et j'ai ensuite soigné Messieurs Foley, Hitchin, Avidan, Delmare…
– Non, ça ne compte pas ! intervint Welbert. Sinon, il faudrait aussi compter toutes les fois depuis le premier combat de Msieur Potter contre le Détraqueur, et on finirait par tous lui en devoir une ! »
Drago ne savait plus où se mettre. Il sentait bien que la moquerie se cachait sous les compliments, mais d'une façon qu'il avait du mal à jauger, et surtout, d'une manière qu'il ne pouvait pas affronter.
« Malfoy est formidable, on est tous d'accord, annonça tranquillement Potter qui assistait à l'échange avec son grand sourire joyeux et satisfait. L'embaucher a été la meilleure décision que j'ai prise depuis mon entrée en fonction. Mais je suis avec Welbert, pour le coup : les sauvetages par ricochet ne comptent pas. C'est mon chouchou. »
Le pauvre Foley semblait ne rien comprendre à ce qui se passait, et Drago eut l'impression qu'il était le seul homme sain d'esprit du rassemblement.
Quand l'euphorie se calma un peu, que Nguyen décréta que le convalescent avait besoin de repos, et que les Surveillants se dispersèrent pour retourner travailler, Drago fut le seul à être retenu par l'infirmier.
« Occupez-vous de nourrir Carrow en premier, indiqua-t-il. Je vais faire préparer un bouillon de légumes pour Foley et vous vous en occuperez ensuite. S'il nous reste du temps, nous pourrons passer à notre séance de thérapie hebdomadaire. »
Drago s'était exécuté en ayant l'impression d'être un parfait imbécile au milieu de crétins plus stupides encore.
Quand il en eut fini, Nguyen lui demanda même de promener Carrow pour éviter que ses jambes ne s'ankylosent ou ne s'affaiblissent. Drago avait ordonné au détenu de se lever, d'avancer le pied gauche, puis le pied droit, puis le gauche, puis le droit… Si le ridicule avait pu tuer, il serait mort cent fois pendant les quelques minutes que durèrent l'exercice.
Fut-ce à cause de ces effusions de joie ? Le Détraqueur ne se montra pas ce jour-là. Quand Drago revint sur la plage, une fois ses tâches de soins effectuées, le vieux Temrah descendait de sa barque sans avoir été attaqué, et en réclamant sa présence :
« Non, non, non, râlait-il tandis qu'un Surveillant lui tendait une tasse. Je veux un thé blanc ! Et qu'il soit préparé par le petit Malfoy ! Où est le petit Malfoy ?! »
Potter en avait les yeux brillants de larmes de rire quand Drago vint prendre le bras du vieux pour le ramener à sa chaise et l'assurer qu'il allait immédiatement préparer le breuvage. Quand il partit effectivement, il entendit Weasley plaisanter :
« Vous êtes surs qu'il ne l'empoisonne pas, son thé ? Je dis ça, je dis rien ! Je rappelle juste qu'il était fort en potions ! »
Les meilleurs pilotes de balai profitèrent de l'accalmie offerte par le Détraqueur pour sortir de la zone incartable d'Azkaban, transplaner à Pré-au-Lard, et récupérer ainsi quelques stocks de provisions et de produits de soin. Pas suffisamment pour endormir la méfiance des détenus, mais assez pour mettre un peu de beurre dans les épinards.
Trois jours passèrent ainsi : La nuit, le Détraqueur tentait de percer la bulle magique qui protégeait l'île. Le jour, les exercices succédaient aux plans audacieux pour l'attirer, ou l'emprisonner, ou, en désespoir de cause, une solution qui faisait étinceler les yeux du Professore Kenaran, pour l'expulser du territoire. C'était là l'un des points où lui et Potter se rejoignaient inexorablement : Hors de question de le laisser s'échapper et d'offrir cette furie au reste du monde. Puisque les deux Sorciers les plus puissants et respectés de la population locale étaient d'accord, cette idée, bien qu'elle soit mentionnée au moins une fois par jour, l'était sans entrain ni insistance.
Le reste du temps, les divergences entre le Survivant et le Grand Élu Malefistinien étaient de plus en plus visibles et acerbes : Il semblait loin le temps de l'accueil sur l'île, quand l'un et l'autre s'étaient aimablement pris dans leurs bras, et qu'ils avaient joyeusement mangé l'un avec l'autre.
La principale de leurs mésententes concernait Drago, et bien qu'ils n'évoquassent jamais le sujet en public, la chose était largement perceptible : Kenaran jetait régulièrement des regards éloquents vers le détenu, ou balançait quelques piques du genre « Il y a bien une carte que nous pourrions jouer, mais j'imagine qu'elle manquerait trop à votre château ? »
Comme Granger l'avait prédit, les trois Aurors furent contraints de repartir vers le ministère. Bill Weasley, également. Fleur Delacour décida de rester, et leur séparation fut éprouvante pour tout le monde, les larmes de la demi-Vélane ayant un pouvoir d'attraction sur toute la population masculine et hétérosexuelle de l'île, ainsi que sur deux ou trois femmes telles que Ginny Weasley, l'une des Jumelles de Kenaran, ou Moïrine NiDaïre, la vieille Surveillante Irlandaise au visage brulé.
Ces départs furent compensés par de nouvelles arrivées : Deux nouveaux Weasley, un homme presque aussi petit que le professeur Flitwick et exubérant qui se présenta sous le nom de Dedalus Diggle, et une grande femme brune aux yeux noisettes qui s'appelait Hestia Jones. Tous les Surveillants qui avaient été absents de l'île lors du début du confinement revinrent également, et aucun de ceux qui étaient là ne prirent de congés. Certains proposèrent de faire venir épouses ou enfants en âge de se battre. La seule qui obtint ce droit fut une vieillarde tremblotante et à moitié sourde qui avait été Auror dans sa jeunesse, et qui semblait vouer un culte à Harry Potter. La mère du Brigadier Johnson, apprit-il plus tard.
Drago fut mis à son service puisqu'il s'occupait déjà de Monsieur Temrah. Il avait désormais la charge de deux séniles, d'un handicapé mental dans la personne de Carrow qu'il pouvait désormais promener sur la plage, et du Surveillant Foley qui avait encore du mal à coordonner ses gestes et ses pensées. Il avait l'impression d'être le Monsieur Loyal d'un cirque des Horreurs, et au vu des regards qu'on lui lançait, il ne semblait pas être le seul à le penser…
Agacé par un énième regard dégouté, il décida de coiffer de nouveau ses cheveux en arrière et d'assumer complètement sa difformité qui n'était de toute façon un secret pour personne.
Quand Potter vit ça, il l'emmena dans un débarras attenant au grand hall où il l'embrassa à en perdre haleine, avant de descendre à nouveau entre ses jambes.
Ça n'avait rien eu à voir avec la fellation précédente, quand il avait pris son temps et l'avait fait languir pendant une éternité : Cette fois-là, il était allé directement au but, et malgré l'espèce de frigidité de Drago, celui-ci avait presque rapidement dû lui ordonner de s'éloigner et le tirer par les cheveux pour ne pas se déverser dans sa gorge. Il avait voulu rendre la pareille à Potter, au moins pouvoir le masturber, mais s'était fait taper sur les doigts :
« Si je n'ai pas droit à ma récompense, toi non plus tu n'auras rien !
– Comme tu veux, Potter ! avait-il râlé, passablement vexé. Je ne pense pas que je serais le plus frustré à la fin de la journée !
– On verra bien, avait susurré Potter en lui caressant la joue.
– Et laisse-moi te dire que si c'est ça qui te fait fantasmer », avait-il ajouté d'un ton encore plus agressif quand les doigts doux s'étaient attardés sur les aspérités répugnantes de son profil gauche, « et bien tu as un sérieux besoin de te faire soigner !
– Rassure toi : Ce n'est pas ton visage qui me fait fantasmer. C'est ton attitude. »
Chaque soir, ou chaque nuit, s'il avait eu une réunion tardive avec Kenaran, Potter faisait irruption dans le lit de Drago pour l'enlacer et l'embrasser. Ils n'allaient jamais plus loin, ayant trop peur de se faire surprendre. Ils parlaient même peu, principalement du travail de Drago, des progrès de Carrow et Foley, ou des histoires étranges qui échappaient à Monsieur Temrah.
Ce soir-là, Drago avait résolument tourné le dos à Potter quand il l'avait rejoint et s'était lové dans son dos. Il avait rapidement senti son érection contre ses reins, et infiniment satisfait, avait demandé :
« Alors ? À quel point es-tu frustré, Potter ?
– Hm. Tu as surement gagné. Je suis très frustré. »
Drago n'avait eu que quelques secondes pour savourer sa victoire avant que Potter, comme à son habitude, ne renverse la situation à son avantage :
« Je suis très… très… très…. vraiment très frustré… » avait-il murmuré à son oreille avec cette voix lente et rauque qui lui faisait perdre ses moyens. « Je suis incroyablement frustré… Tu ne peux pas imaginer à quel point je suis frustré… J'ai l'impression qu'il y a un feu en moi qui… »
Drago n'avait eu d'autre choix que de faire volte-face et de le faire taire.
Une autre nuit, Potter l'avait rejoint alors qu'il était endormi, et s'était simplement allongé en face de lui. C'est en se retournant à cause d'une vague de chaleur dans son visage que Drago lui avait donné un coup dans le ventre, et qu'ils s'étaient réveillés tous les deux, Potter partagé entre la surprise, la douleur et le fou-rire, et Drago mortifié qui le suppliait de baisser d'un ton…
« Tu sais, plaisanta Potter au bout d'un moment, ça commence à être un peu vexant ta façon de vouloir cacher notre relation au monde.
– Je ne pense pas qu'il soit pertinent d'informer le monde entier que le Directeur d'Azkaban se tape des prisonniers.
– Un seul prisonnier.
– Je ne pense pas, répéta Drago avec le sourire, que ça change grand-chose. »
Potter s'était de nouveau blotti contre lui, et Drago lui caressait tendrement les cheveux. Un geste qu'il appréciait de plus de plus. Les mèches emmêlées s'agrippaient à ses doigts, et il avait la sensation que chaque fibre du corps de Potter cherchait à le retenir.
« Ta psychologue avait peut-être raison sur cette histoire de prénoms, annonça finalement Drago. Ça parait un peu ridicule de nous appeler par nos noms de famille. »
Le visage de Potter se redressa, mais Drago maintint la tête haute et hors de portée. Il regrettait déjà d'avoir abordé le sujet.
« Mais j'aime ta façon de m'appeler Potter, affirma-t-il en imitant la voix et l'accent de Drago.
– Ne changeons rien, alors », débita Drago, un peu rassuré.
« Non, non, je suis un homme ouvert d'esprit. Dis mon prénom, pour voir ? »
Drago se mordilla les lèvres, et Potter grimpa en haut de son torse pour l'observer de ses yeux brillants de malice malgré la pénombre.
« Harry, marmonna-t-il en se sentant parfaitement ridicule.
– Hum. Je pourrais m'y faire. Drago. »
Drago gloussa. Son prénom avait l'air totalement déplacé dans cette bouche-là.
« Ou sinon, suggéra Potter en ricanant lui aussi, est-ce qu'on ne pourrait pas directement passer à l'étape des petit surnoms affectueux, genre Mon Cœur, Chaton, Chéri, Mon Petit Sucre d'Orge ?
– Ne brûlons pas les étapes, s'il te plait… Harry. » Il prononça le prénom avec une seconde de retard, incommodé par l'exercice.
« Drago. » Potter prononça le sien en ayant l'air d'en savourer la consonnance.
Leurs lèvres continuèrent de s'activer longtemps, mais la conversation s'arrêta là.
Le quatrième jour, les choses revinrent à la normale dans le sens où elles empirèrent d'un coup.
Le Détraqueur n'était plus seul.
