XIX Le jeu

1999 (Rafael)

Je pars pour l'Andalousie, le vendredi après-midi. Je n'ai dit à personne où je compte réellement passer le week-end. Même pas au principal intéressé. À tous, même à Dikkie, je parle d'amis à voir et d'envie de plage et de chaleur pour oublier l'humidité anglaise. Et ça semble crédible. Mes potentiels futurs collègues, qui restent assez prudents dans leur fraternisation, sont facilement convaincus que je suis en manque de soleil et de bains de mer après près de deux années à Londres. Dikkie aussi.

Je déconnecte mon tout nouveau miroir après lui avoir passé un dernier appel pour lui dire qu'elle me manque et que nous retournerons ensemble vers ces lieux si exotiques pour elle. Je ne serai pas joignable, mais je l'assume. Je ne serai pas traçable — un des inconvénients majeurs de cette nouvelle méthode de communication selon moi. Et c'est le plus important.

Tout le trajet, je suis sur mes gardes comme si je montais à l'assaut. On peut dire que je n'ai pas envie de revivre ce qui s'est passé à Grenade. Mais, c'est un peu court. La vérité est que j'ai profondément hésité à entreprendre ce voyage, à me l'autoriser. En fait, quand j'étais encore à Londres, je me disais que je ne pouvais pas, que c'était juste un fantasme irresponsable. Puis, à Madrid, je me suis lentement convaincu que c'était une occasion qui ne se représenterait peut-être pas si vite. Surtout si je décidais de devenir un Auror britannique de manière prolongée. Et que, d'ailleurs, je serais plus libre de choisir une fois que j'aurais fait ce que j'avais si profondément envie de faire.

Restait à ne pas le regretter. Restait à planifier ça comme une opération. Et, après tout, je suis censé avoir appris à faire ça ces dernières années.

Le domaine de Piedra Fuerte est dans les montagnes au-dessus de Grenade. Moins haut que le village où j'ai grandi, mais plus haut que la zone où poussent les orangers. J'y arrive à pied, ayant d'abord transplané, puis pris un bus rapide moldu pour mesurer si j'étais suivi. Le domaine est à l'écart des hameaux et villages environnants. Décrépi, mais sans être en ruines. Solide. Peut-être le dernier endroit que je peux revendiquer comme "ma maison" dans toute la péninsule, je rumine quand je pousse les grilles forgées. Je sais que mon approche sera détectée et je ne suis donc pas surpris quand Don Curro ouvre la porte, la baguette mal cachée derrière son dos.

"Ra... Rafael ?"

"Bonsoir, Don Curro", je commence. Comme je n'entends pas me faire supplier, je continue : "Je suis en stage à Madrid. Pour préparer mon éventuel retour. J'ai mon week-end."

"Et tu... Rafael... entre vite", il referme la porte derrière moi, non sans avoir jeté un regard circulaire, comme si je pouvais avoir été suivi. Ça me fait plaisir qu'il soit sur ses gardes.

"Vous avez quelles protections, Don Curro ? Toujours les mêmes ?", j'enchaîne en posant mon sac sur une chaise. Une collection de chats de diverses races, couleurs et taille, m'observe avec un air supérieur. Comme dans mes souvenirs.

"À peu près", il admet. Clairement, il ne s'attendait pas plus à cette introduction qu'à mon arrivée.

"Alors, pendant qu'il fait encore jour, on va remédier à ça", j'annonce. "Je dormirai mieux si je sais qu'on aura toujours au moins un temps d'avance..."

"Tu te penses... en danger, Rafael ?"

"J'ai été attaqué à Grenade... j'étais avec mes jeunes collègues britanniques — mais je suis certain que vous êtes au courant, Don Curro", je pose. On s'observe tous les deux et il finit par admettre d'un coup de menton. "La naïveté n'est pas de mise, Don Curro. Que je sois là ou non, j'ai besoin de vous savoir protégé."

"Je suis capable de me défendre", il prétend.

"De savoir mon grand-père protégé", je continue. Cette fois, il ne trouve pas de réplique. "S'il vous plaît, Don Curro. Ne m'obligez pas à insister. Prenez ça comme un cadeau de votre têtu de petit-fils. J'ai après tout de qui tenir."

Les deux heures qui suivent, on passe en revue son système que je connaissais déjà dans les grandes lignes. J'imagine que mes collègues londoniens le qualifieraient d'archaïque bien que potentiellement létal. Je ne fais aucun commentaire. On rafraîchit ce qui doit l'être et, surtout, on le complète par des sortilèges et des charmes plus modernes et plus puissants. Détection des mouvements et des voix, des chaleurs corporelles. Défense anti-intrusion des portes et fenêtres. Retardateur d'incendie. Renforcement des murs... Tout ce qui me vient à l'esprit. Don Curro m'assiste à chaque étape, avec des questions pertinentes et beaucoup moins de doute affiché que j'en avais anticipé. On pourrait dire qu'il me laisse faire avec curiosité.

"Je vais avoir l'impression de vivre dans une place forte", il commente quand je dis que c'est fini.

"C'est exactement l'idée, Don Curro."

On est revenus dans la grande pièce qui lui sert aussi de bureau. Une pièce où j'ai passé des journées entières. La décoration est toujours aussi sobre et austère. Reposante aussi. Sur un recoin de meuble, pas spécialement en évidence, je remarque un cadre avec une photo sorcière. Le seul cadre de toute la pièce. Je ne l'ai jamais vu, mais je reconnais le contenu. Ma grand-mère, ma mère et un grand bébé dans les bras de cette dernière, sans doute moi. Don Curro ne manque pas mon regard.

"Je n'ai été que de peu d'utilité pour elles", il regrette. "Un compagnon... peu courageux, j'imagine, de ton point de vue... Un père... inexistant... Un grand-père... finalement un peu plus présent, mais sans offrir l'engagement dont tu aurais peut-être eu besoin... Ta grand-mère, qui a toujours eu plus de compréhension pour moi que j'en méritais, prétendait que non..."

"Il est toujours temps de me parler d'elles", je décide après de longues secondes où j'hésite entre dire toute ma colère ou exploser d'un rire cynique.

Il hésite, se balançant physiquement d'avant en arrière sur ses pieds, avant d'accepter.

oo

L'alarme retentit dans la nuit comme un coup de tonnerre. Je suis debout avant de savoir pourquoi. La baguette à la main, les sens en alerte, mais le cœur finalement assez calme. J'enfile un pantalon et je sors de la chambre que Don Curro m'a prêtée pour me retrouver face à lui. En pyjama. Il a l'air inquiet.

"Tu dois partir, Rafael !"

"Certainement pas", je réponds en gagnant le bureau dans lequel nous avons installé des récepteurs de nos capteurs extérieurs. Plusieurs personnes — aucune créature — sont en train de faire le tour des clôtures.

"Rafael, je ne suis pas important", il souffle.

Je ravale qu'il voudrait me priver de défendre, au moins une fois dans ma vie, une personne de ma famille.

"Ils ne sont pas si nombreux", je réponds plutôt en m'approchant de la fenêtre. Rien dehors ne semble inhabituel. Ils ne s'éclairent pas. Ils ne font pas de bruit. On va dire que ce ne sont pas des débutants, je décide.

"Rafael... Ils seront toujours assez nombreux pour... Qu'est-ce que tu fais ?", il interrompt sa plaidoirie quand il me voit sortir mon miroir, l'activer et articuler le nom de Fervi dedans. Quand le lieutenant émissaire de la confrérie a vu que j'avais un miroir, il m'a donné son contact. Après tout, c'était pour que je m'en serve.

"Je cherche à voir si le jeu en vaut la chandelle", je réponds et je lève une main pour arrêter les protestations de Don Curro quand je vois que mon correspondant prend l'appel. "Je vous réveille, Alcides ?"

"Oui", répond Fervi, effectivement en pyjama et les cheveux en bataille. "J'avoue que j'espère que ça vaut le coup, Soportújar..."

"Il y a une dizaine de sorciers autour de la maison de Don Curro. Ils viennent de transplaner en trois groupes et font maintenant le tour du mur d'enceinte, sans doute pour évaluer les défenses... "

"Je... Vous êtes sur place ? Vous aviez parlé de plage et de fête..."

"Soit vous ne m'avez pas cru... et vous connaissez qui est dehors..."

"Soportújar, ne m'insult..."

"... soit d'autres m'ont suivi... soit ils auraient agi ainsi même si je n'étais pas là... Mais la question que j'ai pour vous est : allez-vous trouver le moyen de les faire arrêter ? Je n'ai pas dit tuer, j'ai dit : arrêter, inculper, juger", je précise.

Il y a un flash dehors qui indique qu'ils ont testé les murs et remarqué mes renforcements. Un chat proteste quelque part. Don Curro sursaute clairement apeuré. Fervi dans son miroir a l'air de mesurer lentement ce que je propose.

"C'est votre prix", il suppose.

"Si vous ne pouvez pas m'offrir ça d'une manière ou d'une autre, Fervi, je vais raccrocher et nous défendre. Sans me limiter dans ma réponse comme à Grenade", je souligne. Pour le bien que ça m'a fait de chercher à protéger les civils. "Après, ne vous étonnez pas si j'accepte l'offre du Commandant Shacklebolt et que je ne mets plus jamais un pied dans ce pays."

Il y a un deuxième flash et un arbre du parc se brise. Don Curro essaie de rester calme, mais il a envie de s'enfuir. Tout son corps le crie. Moi, j'ai l'impression de m'observer de l'extérieur et de voir un homme en pleine possession de ses moyens. Un homme qui a appris à se battre pour ce en quoi il croit. Un homme dont Jeffita serait fière.

"Un quart d'heure", est la réponse de Fervi avant de mettre fin à la discussion.

"Rafael !", lâche Don Curro avec un geste vers la fenêtre.

"Ça va tenir, Don Curro", je promets. "Et s'ils ne sont pas là dans quinze minutes, je promets de nous sortir d'ici. Habillez-vous, Don Curro. Préparez quelques affaires. Il se peut que nous partions à Londres dans la foulée."

2021 (Iris)

Alors qu'on vient de finir d'activer un énième dispositif censé déranger les flux telluriques magiques, j'entends Eolynn soupirer avec un agacement qui fait que je la regarde. Prendre le pouls de l'équipe, c'est mon taf. Comme de leur dire de boire ou de prendre des potions pour tenir. Comme écarter celui qui tremble ou écouter celle qui a une bonne idée.

"Rien de grave, Iris", elle s'empresse de m'expliquer. "C'est juste, qu'après tout ce silence, Dikkie m'envoie la copie de tous leurs messages à Finnigan. Qu'est-ce que je fais de tous les points de localisation des dispositifs anti-rituel ? Je ne vais pas les cartographier non plus !"

Je sens plus que je ne vois Sopo se tendre, alors je le regarde à son tour et il est clair qu'il sait que j'ai remarqué. Je choisis la transparence.

"Elle se souvient de toi, elle aussi - Dikkie."

"Vraiment ?" est sa réponse tendue, presque bravache.

"Pas un bon souvenir ?", je tente la camaraderie, alors que toute mon équipe essaie de se faire discrète, preuve qu'elle a envie d'en savoir plus.

"C'est juste que je me suis cru, un moment, tellement vieux que toute ma génération avait disparu", il répond. Je sais reconnaître une déflexion quand j'en reçois une, mais est-ce que c'est ma place ou ma priorité d'enquêter sur ses relations antérieures avec Dikkie Forrest ?

"On verra ça au pub", je conclus donc pour passer à autre chose.

"Tu crois qu'on ira au pub, toi ?", j'entends Bellchant souffler pour Mark. Il a voulu être discret, mais on est plusieurs à avoir entendu.

"Ça va, Andrew ?", je lui demande en me tournant vers lui, avant qu'Oscar l'engueule, qu'Aidan professe une nouvelle fois que je suis la meilleure ou que Mark se moque, ou quoi que ce soit du même style.

"Bien sûr, Auror Lupin", il prétend assez mal.

"Tu flippes", je pose. "C'est normal, Andrew. Y a de quoi flipper. On avance et on suit le plan, mais on peut flipper. Comme ça ne fera de mal à personne, je rappelle que le plan A est d'arriver au cœur du rituel et de l'arrêter vraiment, par tous les moyens, force létale comprise." Il y a un bref et sobre hochement de tête général. "Le plan B est de se protéger avec les moyens prévus par nos amis de la Nouvelle-Atlantide... C'est d'ailleurs l'occasion de te demander, Sopo : des idées sur leurs préparatifs ?"

L'ancien aspirant de ma mère ne se fait pas particulièrement prier pour expliquer : "Ils ont prévu une sorte de... vaisseau — je pense que c'est le meilleur mot, avec suffisamment d'or pour les protéger des forces magiques telluriques... et qui leur permettrait de sortir à l'air libre sur leur île, sans bobo…"

"Un vaisseau en or ?", je répète, alors que Mark souffle un quelque chose comme 'ça me rappelle un truc' assez malvenu de mon point de vue, mais il faut bien tenir compte de notre stress général.

"Je pense que l'image leur plaît" est toute la confirmation de Sopo.

"Bon, donc il y a ce vaisseau", je conclus pour mon équipe, qui n'a pas l'air totalement rassurée par la perspective. "Et si on en arrive au plan C, qui se souvient... ? "

"Le prochain nœud qu'on va créer doit être assez large et solide pour nous protéger", répond Oscar Tuggle, le binôme d'Eolynn, avec un empressement qui ne trompe pas. Il doit se répéter ça à chaque pas, mais je suis convaincue que les autres aussi.

"Et quand on voit celui-ci", commente Bruce qui n'est pas seulement un Tireur d'élite, mais un bon spécialiste en dispositif offensif ou défensif, "ça va être quelque chose." J'apprécie son intervention positive, qui sera prise en compte, je le sais, par Andrew Bellchant, voire par l'ensemble de mes collègues.

"Enfin souvent, dans la vraie vie, les plans ne sont pas la manière dont les choses se passent", remarque Aidan. Comme il doit bien sentir que je n'adore pas son intervention, il s'empresse de développer : "Et c'est pour ça que je compte sur toi, Iris. T'es capable d'improviser le truc qui fera qu'on s'en sortira avec les éléments des plans qui auront survécu. J'ai aucun doute."

"Merci Aidan, mais ne traînons pas, on voit bien qu'il faut qu'on avance", je conclus, et tout le monde m'obéit avec, me semble-t-il, moins de stress. C'est toujours ça de pris.

"On est à dix minutes du lieu du prochain nœud", annonce Eolynn.

"On entre de fait dans la zone... qui va être surveillée", ajoute alors Sopo. Je ne me cache pas pour le dévisager. "Des capteurs de mouvement et de chaleur", il précise.

"Pas de riposte automatique ?"

"Pas que je sache."

"Mais si l'alarme est donnée ?"

"Ils viendront à notre rencontre. Je pense. Il reste encore trop de temps pour qu'ils comptent sur les forces telluriques pour nous... supprimer."

"Bruce, Shannen, devant", j'ordonne. "Mark et Andrew en protection. Camden..."

"J'informe Finnigan, cheffe".

Notre avancée ralentit parce que nous inspectons chaque centimètre carré de corridor avant d'aller de l'avant. Et nous faisons bien. Nous détruisons un nombre certain de capteurs de tout poil.

"L'alarme doit quand même avoir été donnée", estime Mark - pas que sa sortie plaise à Andrew.

"On avisera", je réponds parce que je ne vois pas quoi répondre d'autre.

Quelques mètres plus tard, à l'entrée d'une sorte de croisement, nous subissons les premiers sorts offensifs. Sopo, désarmé, recule en dernière ligne sans que j'aie besoin de lui dire. Il a l'air de ne pas spécialement bien le vivre. Je me glisse jusqu'à lui dès que je suis certaine que mon avant-garde a la situation en main.

"Faut faire le nœud ici. Rien ne prouve qu'on pourra encore avancer", je lui indique en lui tendant ma musette.

"Rien de mieux à faire… Jeffita", il accepte avec facilité et un vague demi-sourire que je ne m'explique pas totalement.

De fait, la situation s'enlise. On ne recule pas. On n'a pas de blessé, mais on n'avance plus. Et le temps passe. On est plus nombreux a priori, mais on n'a aucun moyen d'utiliser cette supériorité numérique. On ne peut pas creuser un nouveau couloir et les contourner par exemple. Je vous jure que j'y ai sérieusement réfléchi. D'abord, je n'ai pas assez d'informations géologiques. Ensuite, on prend le risque de bousiller le pentacle. Pas une bonne idée, les experts de Finnigan ont confirmé.

"Eolynn et Oscar, aidez donc Sopo", je décide. On a suffisamment de force de frappe pour tenir tête à ceux d'en face. D'ailleurs, plus ça dure, et plus je me dis qu'ils ne sont pas très nombreux. Trois - quatre au plus.

"Je déclare ce nœud, Iris ?", veut savoir Camden en reculant à mes côtés.

"Tant qu'à faire", j'abonde.

"Tu crois qu'on n'ira pas plus loin ?", elle questionne encore. Oscar a commencé à aider Sopo, mais il nous écoute. J'écouterais à sa place. On est vite arrivé au plan C, finalement.

"Pour l'instant, je ne vois pas comment. Que disent nos amis écossais ?"

"Qu'ils avancent. Ils arrivent à la zone protégée — ils ont détruit leur premier capteur."

"Il va falloir que la Nouvelle-Atlantide décide ou non de s'opposer à eux", je réfléchis à haute voix. "Sopo, ils ont assez de main d'œuvre ?"

"Ils ont volontairement réduit au maximum l'équipe... pour éviter les fuites", il souligne avec une pointe d'ironie. "Donc, non, pas réellement. Surtout que j'étais un de ceux qui devaient assurer la sécurité des autres. Les plus... âgés et importants - Leales, Fervi et Allodia - ont chacun un garde du corps... En dehors d'eux, seul Nauzet et, dans une moindre mesure Siofra, ont de réelles capacités offensives."

Je sens le regard d'Eolynn sur moi. J'imagine qu'elle doute de la valeur des informations. Moi-même, je garde une méfiance méthodologique. Quelle est la véritable mission de ce type ? À quoi fonctionne-t-il ? Pourquoi Forrest perd toute mesure pour le rejoindre ou pour arriver avant lui ? Et en même temps, Sopo est mon joker. Je sais bien qu'il peut avoir décidé depuis longtemps que sa vie n'est pas un prix trop élevé à donner, mais il a quand même plus d'informations que moi.

"Pronostic, Sopo ?, je tente.

Pour la première fois, il arrête d'installer ses minichaudrons anti-rituel pour me regarder.

"Il reste combien de temps ?"

"Eolynn ?"

"Finnigan dit qu'on...", elle ravale la mention de la zone dangereuse ou du point de non-retour, j'imagine. "Deux heures maximum."

"Aller à la rencontre de nouveaux ennemis ne vaut pas le coup, de leur point de vue ?", je vérifie en regardant Sopo.

"Ils pourraient penser comme ça", il admet.

Juste à ce moment-là, les gars d'en face choisissent plutôt de faire s'écrouler la salle sur elle-même, nous coupant efficacement de la zone centrale du pentacle dans un magnifique soulèvement de poussière qui nous fait tousser et pleurer.

"On se replie, cheffe ?", veut savoir Mark, il a de la terre collée partout.

"Ça va s'effondrer davantage ?"

Sans attendre, Bruce et Shannen se mettent de conserve à renforcer les arches. Mark et Bellchant les soutiennent. Je transmets moi-même cette dernière évolution à ma hiérarchie, non que j'espère un conseil éclairé, mais l'écrire me permet de calmer mon cerveau, de dominer ma peur animale de l'ensevelissement et de la mort.

"Eolynn, remplace Bruce, je veux son évaluation de notre nœud", j'indique sans relever la tête de mon jeton.

"Il est plutôt solide", juge Sopo, mais ce n'est pas son avis que je veux entendre.

"Plutôt" confirme Bruce Wind quelques secondes plus tard.

"Mais ?"

Bruce met du temps à formuler sa réponse. "Attendre ici... Sans préjuger de ta décision, bien sûr, Iris... Moi, je pense qu'on peut se tailler un passage. Attendre ici, c'est prendre le même risque pour nous-même... sans avoir une vraie chance de... réussir le plan A."

"Un tunnel dans un éboulis meuble ?", j'objecte. Mes yeux sont sur le jeton sur lequel Finnigan dit qu'à partir de maintenant, la priorité est la sécurité de l'équipe. J'imagine bien ce qui se passe dans la tête de mon équipe, tiens...

"Un tunnel de secours... on pourra le rouvrir pour revenir... On ne construit pas pour les générations futures", argumente encore Wind.

C'est une blague de gars qui veut maintenir la peur au loin, mais parler d'avenir me fait penser à mes filles, et c'est ce que je ne dois pas faire. Un nouveau message de Finnigan s'affiche : "Équipe Écosse engagée combat." Je lui écris qu'on pense à un tunnel de secours à travers l'éboulis et que Wind y croit. En attendant la réponse, je relève les yeux. Tous me regardent. Il y a de la tension, de la peur, de la fatigue, mais pas de défiance. Suivre Iris en enfer, a plaisanté Carley ou un autre de mes chefs, il y a si peu de temps. C'est moins grisant qu'ils ne semblent le penser.

"Sopo, tu es déjà allé au cœur du pentacle ?", je demande. Il opine. "Tu penses qu'on peut y arriver ?"

"Ils vont avoir piégé derrière eux", estime Eolynn, sans attendre la réponse.

"Je pense aussi", confirme Sopo.

"Méchant ?"

Sopo hausse les épaules, hésite puis me demande : "Est-ce que tes ordres sont de les arrêter à tout prix ? Le contre rituel tel qu'on l'a développé va déjà leur donner du fil à retordre..."

Il voit mon jeton briller et s'arrête.

"Temps compté. Informations insuffisantes. La décision t'appartient, Iris" est le message de Finnigan que je lis à haute voix à mes camarades qui profitent de l'arrêt pour boire une gorgée d'eau ou avaler une potion. "Vous en pensez quoi ? Qui veut se replier ?"

"Mais il n'y a pas de nœuds plus solides que celui-là, si ?", objecte Shannen.

"Tu veux rester ici ?"

"Je me dis... comme Bruce que... on a tout le plan A et plan B derrière cet éboulis... "

"Les autres ?"

"Carrément", dit Aidan d'un ton résolu. Mark met la main sur son cœur et acquiesce. Bellchant balbutie qu'il suivra.

"On ne va pas s'arrêter là", lâche Eolynn.

"Oscar ?"

Tuggle est pâle, mais il arrive à me répondre avec une certaine sincérité : "Je flippe mais... on a toutes les chances si on reste ensemble... et... Wind, toi, Eolynn... je vous fais confiance..."

Je compte vingt secondes pour laisser retomber l'euphorie collective. Mais aucun d'eux ne semble changer d'avis. Sopo, à qui je ne compte pas demander son avis, ouvre la bouche, croise mon regard et la referme. Je me lève donc pour me placer aux côtés de Bruce.

"Tu veux le faire où, ton joli tunnel, Wind ?"

ooo

Des grands pas de chaque côté, non ? Bravo à .s ceux qui arrivent à reviewer malgré tous les problèmes techniques. Pronostiques bienvenus !