CHAPITRE 24 : Dans la tempête
La surface agitée de la mer éclata dans une grande gerbe d'eau, où le boulet de canon tomba. La coque du Sunny l'évita de justesse, mais d'autres arrivèrent très vite derrière, comme s'il en pleuvait. Ceux qui menaçaient l'intégrité du navire furent interceptés par Luffy qui gonfla son ventre afin de les faire rebondir dessus pour les renvoyer. Dès que Zoro avait posé le pied sur le pont, l'équipage avait aussitôt levé l'ancre, car après s'être battu un peu partout en ville avec des chasseurs de primes, certains habitants avaient dû prévenir la Marine. Celle-ci avait mi peu de temps à intervenir et désormais voilà qu'ils étaient pourchassés par trois de leurs vaisseaux, qui les canardaient sans relâche depuis lors.
Dans leur fuite précipitée, l'épéiste des Chapeaux de paille n'avait même pas eu le temps de se rendre auprès de sa compagne pour prendre de ses nouvelles. Il ignorait totalement comment cela se passait à l'intérieur de l'infirmerie. Tout ce qu'il savait c'était que Chopper et Robin s'y étaient enfermés, et que d'après le cuisto, Nami était entre de bonnes mains, mais qu'il ne fallait surtout pas les déranger. Ce que la Marine semblait ignorer. Son rôle, comme celui des autres, était de tout faire pour protéger le navire. Heureusement, Jinbe était à la barre et dirigeait le bateau à la perfection dans tout ce chaos. Le coup de burst était inenvisageable car beaucoup trop risqué avec Nami et le bébé. Le plus dur était de l'entendre crier de douleur sans pouvoir être présent, non pas qu'il aurait été d'une grande aide, mais il se sentait responsable de sa souffrance. Et la Marine qui ne voulait pas leur lâcher le train !
Pour compenser sa frustration, Zoro découpait les projectiles à tour de bras. Quel dommage que les bâtiments de la Marine soient si loin, sinon il aurait sauté sur l'un de leurs ponts pour affronter des ennemis un peu plus résistants que des boulets de canon.
- Tempête droit devant ! Accrochez-vous tout le monde ! s'écria leur timonier.
Comme si ce n'était pas suffisant ! De gros nuages noirs menaçants se profilaient droit devant eux et quelques éclairs zébraient le ciel obscurci. Pourquoi fallait-il que ça tombe quand Nami était dans l'impossibilité de les guider ?! Pas question de faire demi-tour. Ils allaient devoir s'en remettre aux talents de Jinbe. Une fois dedans, ils auraient peut-être l'occasion de les semer.
Les voiles ne tardèrent pas à se gonfler à cause des vents furieux qui venaient se piéger dedans. Le mieux aurait été de les ferler, mais cela leur aurait fait perdre de la vitesse, et pour l'instant, la vitesse était leur seule chance d'échapper à la flotte de l'armée mondiale. L'obscurité tomba soudainement comme un voile sur le navire et la pluie drue se mit à les fouetter. En quelques seconde, la tempête fit rage au-dessus de leurs têtes. Les vagues déchainées venaient s'écraser contre la coque du Sunny, le faisant tanguer dangereusement. Derrière eux, les navires n'étaient guère en meilleure posture, mais ils continuaient de les talonner.
Le bruit des canons se fondait dans le hurlement du vent et il devenait plus difficile distinguer les boulets avec la pluie qui battait contre leur visage, mais également de répliquer sans pour autant passer par-dessus bord. Avec la confusion que provoquait tous ces éléments, les membres de l'équipage en arrivaient à se gêner dans leurs attaques. Une des billes explosives d'Ussop avait manqué de faire sauter Brook qui s'était interposé sans le vouloir pour geler une série de boulets. Zoro bondit pour trancher ceux qui arrivaient dans sa direction, mais au même moment, Sanji avait décidé d'en faire autant, et les deux se bousculèrent. Le genou du blond tapa dans ses côtes et réveilla la douleur de sa blessure encore fraiche. Bien évidemment, l'un comme l'autre s'insultèrent pour s'être gêné mutuellement, et à cause de cette distraction, ils loupèrent les projectiles qui leurs étaient destinés. Franky rattrapa le coup avec son radical beam, mais l'un des boulets passa au travers des mailles de leur défense désordonnée et sectionna une corde qui retenait la grand-voile. La réaction en chaîne ne se fit pas attendre. Avec la force du vent, d'autres cordes cédèrent, arrachant une partie de la voile à sa structure. Déséquilibré dans sa course, le Sunny vira brusquement à bâbord malgré les efforts de Jinbe pour retenir la barre. Le changement de cap brutal obligea les Chapeaux de paille présents sur le pont, à s'accrocher à ce qu'ils pouvaient pour ne pas chavirer. Du coin de l'œil, Zoro vit Luffy enrouler ses bras élastiques autour du mât de taille-vent après avoir bondi pour dévier des tirs ennemis. Ce n'était vraiment pas le moment pour qu'il tombe à l'eau celui-là !
- Ferlez les voiles ! hurla l'homme-poisson pour couvrir le bruit de la tempête.
Ce dernier prenait toutes les peines du monde à maintenir la barre, et si rien n'était fait, elle risquait de casser, si ce n'était pas la voile qui cédait avant.
- Mais ils vont nous rattraper ! s'exclama Ussop qui s'accrochait comme une moule à son rocher à la rambarde.
- Zoro, Sanji, Ussop ! Occupez-vous des tirs. Brook, Luffy, aidez-moi à ferler les voiles ! Ordonna Franky.
Tout le monde se mit en action sans discuter… enfin presque.
- Hey Marimo, cette fois essaye d'être à ta place, lança Sanji avec mépris.
De prime abord, on aurait pu croire qu'il faisait référence à leur carambolage de tout à l'heure, mais Zoro avait le sentiment que sa pique était plutôt destinée à son absence lors de l'attaque de Nami. Depuis qu'il était sorti de l'infirmerie, le cuisinier était tendu comme un arc, il se maitrisait mais la colère transparaissait dans sa démarche. Il n'avait quasiment pas adressé la parole à l'épéiste, par manque de temps, hormis quelques insultes lancées à la volée. Cependant, Zoro sentait très bien l'animosité qui émanait du blond, et elle lui était destinée. Certainement qu'il considérait que ce qui était arrivé à Nami était de la faute du bretteur, et par cette remarque acerbe, ce dernier en était désormais convaincu. Sauf qu'il commençait à lui taper sur le système, car depuis que la jeune femme était enceinte, Sanji ne lui pardonnait rien. Bien qu'il ne leur ait jamais dit, il savait pertinemment que cela le dérangeait qu'elle attende un enfant de lui. Il faisait bonne figure devant Nami et les autres pour assurer la bonne entente dans l'équipage, mais Zoro n'était pas dupe, il le connaissait bien.
Toutefois, si les autres jours, il avait supporté ses enfantillages, là ce n'était clairement pas le moment.
- Si t'as un truc à me dire, vas-y ! s'énerva le vice-capitaine.
Avec lui, il ne connaissait qu'une méthode pour communiquer et c'était par la violence. En général, se foutre sur la gueule leur réussissait bien, et dans ce cas présent, il mourrait d'envie de lui coller un pain dans la gueule pour leur faire perdre du temps. Et d'après ce qu'il vit, le blond avait envie d'en découdre lui aussi. Il s'approcha de lui, les mains dans les poches mais la jambe prête à faire feu.
Comme si la tension entre eux n'était pas assez électrique, le cri déchirant de Nami perça à travers la tempête. Un cri qui tordit les tripes de Zoro, et qui enflamma le regard de Sanji, avec pour seule signification : « tu es responsable ! ». Trop c'était trop !
- Hey ! Vous deux ! Ce n'est pas le moment de se chamailler ! Vous réglerez vos comptes plus tard ! les sermonna Franky qui courrait pour aller d'un mât à l'autre.
Dans cette montée de testostérone, le charpentier apparut comme la voix de la raison, et les ramena à la réalité. Ils avaient leur devoir à accomplir, il en allait de la sécurité de tout le monde, au moins ils étaient d'accord sur ce point. Chacun partit de son côté, plein de colère refoulée.
Plus ils s'enfonçaient dans la tempête et plus celle-ci semblait empirer. Même avec les voiles repliées, Jinbe avait bien du mal à manœuvrer le Sunny, et l'obscurité n'arrangeait rien. L'ambiance à bord était tendue, les visages fermés, y compris celui de Luffy. Leur course contre la Marine était rythmée par les hurlements de leur navigatrice, et plus le temps s'éternisait et plus l'inquiétude pour leur nakama grandissait. Les nerfs de chacun commençaient à être mis à rude épreuve car tous voulaient savoir ce qui se passait dans l'infirmerie mais cela leur était impossible car ils devaient défendre le navire. Tous souffraient avec elle et luttaient plus ardemment pour compenser leur frustration de ne pas pouvoir l'aider.
Les soldats de la Marine avaient sacrément la niaque. Ils ne les lâchaient pas d'une semelle, et même pire, ils gagnaient du terrain sur eux malgré les conditions climatiques désastreuses. Les minutes se transformèrent en heures, sans que rien ne change. Puis vint le moment où ils atteignirent leur point de rupture. Du moins pour Zoro.
Un clone de l'archéologue jaillit du sol, s'arrêtant à ses hanches.
- Ussop ! Il faut que tu viennes à l'infirmerie, tout de suite !
Robin faisait de son mieux pour garder ses émotions, mais à l'instant où elle appela le sniper en renfort, tous ceux qui étaient à côté entendirent la détresse dans sa voix.
- Pourquoi ce doit être Ussop ?! s'écria Sanji pour couvrir le bruit de la tempête.
La jolie brune mit une seconde de trop à répondre.
- Il est le seul à avoir le même groupe sanguin que Nami.
Soudain, ce fut comme si une chappe de plomb était tombée sur le Thousand Sunny. Tous comprirent ce que cela impliquait. Il y avait eu des complications pendant l'accouchement. Ussop abandonna son poste d'artilleur, avec un regard désolé pour Zoro, mais ce dernier l'ignora. Dès qu'il avait entendu pourquoi ils avaient besoin de lui, l'épéiste avait eu cette même sensation que lorsque Maya l'avait provoqué. La situation trainait trop en longueur, sa patience était arrivée à terme et il avait besoin de relarguer ce trop plein d'émotion qui bouillonnait en lui. Il n'en pouvait plus de se sentir impuissant.
- Jinbe ! Laisse-les se rapprocher !
Le timonier fut étonné par sa requête avant de comprendre les raisons qui le motivaient.
- Je sais ce que tu ressens, mais c'est trop risqué de…
- Je ne te demande pas ton avis ! Ralenti ce fichu bateau ! Ragea l'épéiste avec ses deux sabres à la main.
Il s'en voulut quelque peu de s'adresser à lui de cette façon. Après tout, Jinbe avait de l'expérience et la sagesse de l'âge, il était normal qu'il prenne son rôle d'aîné pour tenter de le raisonner. Cependant, en cet instant, Zoro était totalement hermétique à la raison. Il fit un pas de plus vers le timonier et commença à lever son sabre.
- Zoro ! Tonna Luffy.
A contrecœur, il détourna le regard de Jinbe pour le poser sur son capitaine, sans cacher son énervement. Il n'était pas du genre à désobéir, si son capitaine lui ordonnait de retourner couper des boulets, il s'exécuterait, mais avec le sentiment d'avoir été trahi. Sa requête n'était pas raisonnable, ça il en avait pleinement conscience, elle pouvait les mettre en danger, mais il ne supportait plus les hurlements de Nami. Ça le rendait fou. Les deux amis échangèrent une brève conversation silencieuse, où Luffy le jaugea avec détermination.
- Jinbe, fais ce qu'il te demande, coupa Luffy d'un ton sérieux tout en continuant de le fixer droit dans les yeux.
Zoro ne le montra pas, mais il lui en était très reconnaissant, et aussi soulager que son capitaine lui fasse confiance.
- A tes ordres, capitaine, capitula l'homme-poisson.
Le fait que Luffy abonde dans son sens aurait dû suffire, mais le bretteur n'était pas entièrement satisfait.
- Laisse-moi m'en occuper seul, demanda Zoro.
A vrai dire cela sonnait plus comme un ordre que comme suggestion, et pendant une seconde, il crut qu'il allait refuser.
- Et puis quoi encore ?! intervint Sanji qui les rejoignit après avoir donner un coup de pied dans un projectile. T'arrives déjà à te perdre sur le Sunny, alors sur un navire ennemi, n'en parlons pas. Et tu crois franchement que t'es le seul à vouloir les dérouiller ?
Ses mains se resserrèrent sur ses katanas. Pourquoi est-ce qu'il se mêlait toujours de ce qui ne le regardait pas, celui-là ?! Tant pis, il lui casserait la gueule avant d'aller s'occuper des soldats de la Marine. Depuis le temps que ça le démangeait.
- C'est d'accord.
Était-ce parce qu'il le comprenait ou bien parce qu'il voyait le tourbillon de noirceur en lui, mais le Chapeau de paille acquiesça.
- Attend, quoi ?! T'es pas sérieux, Luffy ?!
- Si. Zoro a dit qu'il s'en occupait, alors je lui fais confiance.
Sanji grimaça. Lui aussi aurait aimé aller à la castagne, lui aussi les cris de souffrance de Nami le rendaient dingue, et il y avait fort à parier qu'il en allait de même pour leur capitaine. Cependant, ce dernier acceptait sans discuter que l'ex-chasseur de pirates s'en charge personnellement. Zoro prit la direction de la vigie et escalada les cordages agités par les bourrasques infernales.
De sa hauteur, il vit les navires ennemis les rattraper rapidement, puis quand le premier fut assez près, il courut sur la vergue de la grand-voile avant de sauter à l'abordage. Plusieurs soldats terrifiés braquèrent leurs fusils dans sa direction alors qu'il se trouvait encore dans les airs. L'épéiste croisa ses sabres devant lui, prêt à envoyer une attaque. Un éclair zébra le ciel tourmenté au-dessus de lui, et assombrit sa silhouette. Seul son œil solitaire scintilla d'une lueur rougeoyante dans l'obscurité. L'enfer allait s'abattre sur ce vaisseau et rien ni personne ne pourrait l'empêcher de se déchainer.
…
Un peu plus tôt à l'infirmerie
La porte s'ouvrit en trombe, poussée par un violent coup de pied. La jambe de Sanji retomba au sol alors que celui-ci se dépêcha d'entrer, avec Nami dans les bras. Il fonça vers le lit où il déposa la jeune femme qui se pliait de douleur, les yeux fermés et les dents serrer afin de contenir ses cris. Son visage si gracieux était couvert de sueur, ses cheveux se collaient sur son front plissé par un froncement soucieux. Même dans cette situation, elle restait toujours aussi magnifique, mais cette pensée fut aussitôt reléguée dans un coin de sa tête quand son regard capta la longe tache rouge qui maculait le bas de sa robe et qui continuait de s'agrandir. Sanji le cachait du mieux qu'il pouvait, mais l'inquiétude lui oppressait la cage thoracique. Que faisait Chopper ?! Il n'y avait toujours personne dans l'encadrure de la porte, pourtant il était certain que le petit renne lui suivait de près. Pendant une seconde, le cuisinier envisagea d'aller le chercher, mais une main se posa sur son avant-bras et s'y ancra fermement.
Son attention revint sur Nami qui le fixait de ses grands yeux brillants. Elle était morte d'inquiétude, cela se lisait sur son visage, bien qu'elle essayait d'être forte. Sanji enveloppa sa main dans les siennes et la serra pour lui témoigner son soutien.
- Je suis là, Nami-Chérie. Je ne vais nulle-part. Tu peux m'écraser la main, me la broyer, si cela te fait du bien.
Ces mots destinés à la réconforter, auraient dû être prononcé par quelqu'un d'autre. Comme à chaque fois, il était là à rattraper les boulettes de son rival, à servir de remplaçant. Pourquoi Nami avait-elle choisi de donner son cœur à un abrutit pareil ? Zoro ne la méritait pas, il ne méritait pas son amour, et cela ne faisait que se confirmer en cet instant. Il était incapable d'être présent pour elle, alors qu'il était responsable de son état. Pourquoi Nami ne l'avait pas choisi, lui ? Pourtant il n'avait de cesse de lui montrer ce dont il était capable, et il aurait pu faire tellement plus si elle lui avait laissé une chance. Malheureusement, le cactus flétri possédait quelque chose qu'il n'avait pas (il ignorait bien quoi), et c'était peut-être cela le pire. Une chose était sûre, jamais il n'abandonnerait Nami, quoi qu'il arrive, il serrait toujours présent pour elle.
Le bruit des sabots annonça l'arrivée de leur médecin, et celui-ci ne tarda pas à apparaitre dans l'encadrure, un peu essoufflé. Robin se matérialisa juste derrière lui et quand son regard se posa sur la jeune femme, Sanji ne loupa pas la fêlure dans son expression imperturbable. Voir leur navigatrice dans un tel état de souffrance ne laissait personne indifférent.
- Robin, va me chercher de l'eau chaude, des serviettes et des couvertures.
Elle disparut aussitôt, pendant que Chopper courrait partout dans l'infirmerie pour rassembler tout ce dont il avait besoin. Des clamps, des ciseaux, du désinfectant, du fils de suture, des compresses, mais aussi deux espèces de longues cuillères dont Sanji redoutait de savoir leur utilité. Puis, le médecin approcha un appareil relié à deux objets ronds, ainsi que deux sangles.
- Sanji, je vais avoir besoin de ton aide. Il va falloir que tu remontes sa robe et que tu soulèves Nami pour que je puisse attacher ces sangles autour de son ventre.
Son cœur loupa un battement. Il allait devoir dévêtir, de ses mains, sa douce Nami-chérie ! Rien que d'y penser, il en avait des palpitations. Voilà un de ses rêves qui se réalisait, seulement cela n'avait absolument rien à voir avec les conditions qu'il s'était imaginé. Bien que ce soit Chopper qui le lui ait demandé, Sanji questionna la jeune femme du regard pour savoir si elle voulait bien l'y autoriser. Le consentement était ce qu'il y avait de plus important.
- Vas-y Sanji !
Pour se faire, elle lui libéra les mains pour se cramponner aux bords du lit. Le cuisinier attrapa le bas de son jupon, puis commença à le relever doucement, dévoilant ses mollets ciselets, et ses mains se mirent à trembler. Plus il remontait vers son ventre, plus la chair tendre à la couleur d'albâtre apparaissait et lui donnait des sueurs. Pourquoi fallait-il que ça se passe dans ce moment-là ?! Lorsque le triangle de coton bleu clair se dessina, se fut plus fort que lui, il sentit un fin filet de sang couler de sa narine.
- Sanji ! Dépêche-toi ! Ce n'est pas le moment de fantasmer ! s'écria Nami.
La voix courroucée de la jolie rousse lui fit l'effet d'une gifle et il se reconcentra sur sa tâche pour enfin dégager son ventre rebondi. Comme le médecin le lui avait demandé, il la souleva de quelques centimètres, le temps que Chopper fasse passer les sangles, puis la reposa délicatement. Le temps que le petit renne place une sonde sur le haut de son ventre et l'autre au niveau de l'aine, le blond reprit la main de la jeune femme, qu'elle serra immédiatement. Tout à coup, il y eu un ronronnement, un bruit sourd, régulier qui battait de façon assez rapide, puis Sanji comprit qu'il s'agissait des battements de cœur du bébé. C'était la première fois qu'il les entendait. Contrairement aux autres, il n'avait jamais cherché à poser la main sur le ventre de Nami pour sentir le petit bouger, en fait, pour ainsi dire, il avait tout fait pour ignorer l'existence de cet enfant. Mais ces battements étaient un dur rappel à la réalité. Il était bien là et il allait arriver.
Chopper déposa un grand morceau de papier bleu sur les jambes de la rouquine et se plaça entre ses jambes. Il lui demanda s'il pouvait enlever son sous-vêtement, ce qu'elle n'hésita pas à accepter. Sanji observa la scène, figé sur place. La savoir nue sous ce ridicule bout de papier aurait dû le chambouler, mais il avait l'impression d'être déconnecté de son corps. Il voyait ce qu'il se passait, comme à travers une fenêtre, mais cela ne l'atteignait pas. La tête de Chopper disparut sous le voile bleu, entre les jambes repliées de Nami, puis ressortie quelques secondes plus tard.
- Ton col est presque entièrement ouvert, ce qui veut dire que tu ne vas pas tarder à pouvoir pousser.
- Non, pas déjà ! souffla-t-elle. Zoro n'est pas là ! Il ne peut pas ne pas être là ! Il m'avait dit qu'il voulait être présent ! On doit l'attendre !
- Je sais, Nami, mais j'ignore dans combien de temps il sera de retour.
Le martellement du bois indiqua que quelqu'un courait dans leur direction, et l'espoir illumina le visage de la navigatrice le temps d'une seconde. Cependant, il s'effaça bien vite lorsque Robin entra dans l'infirmerie, les bras chargés.
- Tout le monde est presque là. En revanche, on doit lever l'ancre, car il y a trois vaisseaux de la Marine qui s'approchent du port.
- Est-ce que Zoro est revenu ? demanda la rousse.
- Je l'ai aperçu avec Zeus, ils n'étaient plus très loin.
L'archéologue s'approcha de Sanji qui était toujours sans réaction, le regard perdu dans le vague. Elle posa une main sur son épaule et il sembla revenir à lui.
- Tu devrais aller aider les autres, lui suggéra-t-elle doucement.
Son œil à découvert papillonna puis il fronça ses sourcils bouclés. Les fioles en verre disséminé un peu partout dans l'infirmerie se mirent à tinter et les roulis du bateau se firent sentir, signe qu'ils avaient largué les amarres.
- J'ai promis à Nami-chérie que je resterais avec elle, répondit-il d'une petite voix, encore troublée.
- Ça va aller Sanji-kun. Si on est attaqué, je préfère te savoir dehors à défendre le Sunny, l'encouragea Nami.
- Mais… Nami-chérie… je ne veux pas t'abandonner comme…
Comme l'autre cresson qui n'en n'a rien à faire de toi ! La jeune femme avait bien saisi à quoi, ou à qui, il faisait référence, et son visage se ferma. A regret, il la sentit retirer sa main pour se détacher aussi bien émotionnellement que physiquement de lui. Un rappel de plus que tu n'es pas celui qu'elle attend.
Sanji laissa alors sa place à Robin, et se dirigea, la tête basse, vers la porte, derrière laquelle il pouvait entendre l'agitation provoquée par ses camarades. Dans son dos, Robin encouragea son amie et la rassura, pendant que Chopper se préparait à la faire accoucher. Le blond tendit la main pour actionner la poignée mais se figea un instant. Une grosse auréole rougeâtre s'étalait sur la manche de sa veste de costume. Il portait le sang de Nami. Le sang de sa précieuse et tendre Nami-chérie…
Tout ça, c'était de la faute de ce gros ficus décérébré. L'expression de Sanji s'assombrit. Il retira sa veste et la plia méticuleusement sur son avant-bras avant d'enclencher la poignée.
…
La lumière vacillait à cause du balancement du plafonnier. Les meubles tremblaient et les ustensiles carillonnaient à chaque explosion qui se faisait entendre. La structure en bois de la charpente grinçait bruyamment, sollicitée par les conditions climatiques extrêmes qui se déferlaient à l'extérieur.
- Encore un petit effort Nami ! Tu vas y arriver !
- Aaaahhh !
Assise sur le lit de l'infirmerie, le visage humide, froissé par l'effort et les yeux clos, la jeune femme poussa de toutes ses forces. A ses côtés, Robin lui tenait la main et la soutenait par les épaules. La contraction se dissipa sans que le bébé ne soit encore sorti. Nami retomba en arrière contre le dossier incliné, haletant péniblement. Elle ignorait depuis combien de temps elle avait commencé à pousser, mais cela semblait faire des heures. Le bébé descendait lentement et elle n'arrivait toujours pas à l'expulser. La machine retransmettait les battements de son cœur, qui palpitait parfaitement. Chopper émergea d'entre ses jambes.
- Je vois la tête, on y est presque !
Voilà qui était une bonne nouvelle. Cependant, ses forces commençaient à diminuer. La douleur l'épuisait autant que de devoir pousser. Des étoiles dansaient dans ses yeux et sa tête virait dangereusement.
- Prend de grandes inspirations, l'encouragea Robin.
Cette dernière lui épongea le front avec un linge humide et frais. Cela lui fit du bien même si ce n'était que de courte durée. Où était Zoro ? Qu'est-ce qu'il se passait dehors pour qu'il ne soit pas là avec elle ? Sa présence rassurante lui manquait, mais il devait avoir une bonne raison pour être absent. Une tempête faisait rage dehors, elle pouvait le sentir dans sa chair malgré la douleur des contractions, et cela la perturbait. On aurait dit que le temps faisait échos à la souffrance qui animait son corps. C'était parfaitement impossible, elle le savait, mais elle ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter pour ses amis. Comment s'en sortaient-ils avec cette tempête ? La seule chose qui la rassurait un peu, c'était la présence de Jinbe à bord. Avec lui à la barre, ils avaient une chance de s'en sortir. Une nouvelle contraction arriva.
- Aller Nami !
- Aaahhh !
- Vas-y continu ! Encore ! Encore !
Elle força, encore et toujours un peu plus. Le bébé glissa lentement vers la sortie et étira un peu plus sa chair, mais la contraction s'effaça.
- Une dernière poussée comme celle-ci et c'est bon ! lui indiqua Chopper.
Sa voix lui parut soudainement lointaine. Tout vacilla autour d'elle, comme prit dans un tourbillon infernal, où les visages de ses nakamas se déformèrent, puis des points noirs mangèrent son champ de vision.
- Chopper ! Elle va s'évanouir !
- Nami !
On l'appela mais tout tournait trop vite. Ses paupières se fermaient d'elles-mêmes. La douleur revint, vive et foudroyante, l'obligeant à se contracter. Un pauvre gémissement plaintif lui échappa.
- Tu dois pousser, Nami ! Ton bébé est presque là !
Elle n'y arriverait pas… elle n'y arriverait pas… Si ! elle devait y arriver ! Il le fallait ! Nami puisa dans ses ultimes forces pour contraindre son corps à expulser son bébé. Sous les encouragements de ses deux amis, elle donna tout ce qu'elle avait, pendant de longues secondes, sachant qu'elle n'aurait pas d'autre essai. Finalement, la pression entre ses jambes s'estompa et elle se sentit libérée.
- Bravo Nami ! Tu as réussi !
La jeune femme esquissa un bref sourire, soulagée et heureuse de l'avoir fait, puis l'obscurité l'emporta. Sa tête partie en arrière, ses yeux se fermèrent, et ses membres retombèrent. Elle l'avait fait !
A suivre...
