Bonjour ! On se retrouve aujourd'hui pour un nouveau chapitre de la Geste. Et on rajoute quelques ennuis à une situation épineuse.
Je veux aussi offrir mes remerciements à WizPeppy pour avoir laissé sur le Discord la musique du jour (que j'ai traduite, chose rare, je l'admets, et je l'ai aussi adapté pour le personnage).
Et donc, pour rendre à Cléopâtre ce qu'on ne doit pas à César, je veux beaucoup de love pour "Black Vultures" (version accoustique) de Halestrom.
Sur ce, bonne lecture !
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Geralt suivit la route qui longeait la rivière, cherchant Alvin. Vu la magie que dégageait naturellement l'enfant, il se doutait que son médaillon se manifesterait dès qu'il se rapprocherait de lui, sans compter que ça faisait aussi un bon entraînement pour son Haki naissant. Finalement, il l'aperçut, au loin, à genoux auprès d'un chien. Un sentiment intense de danger saisit Geralt, le faisant accélérer. Avec raison, parce qu'une créature vaguement humaine venait de sortir d'il ne savait où pour se jeter sur Alvin. Le mutant réussit à s'interposer juste à temps avec son glaive d'argent, repoussant le monstre de toutes ses forces pour s'assurer que le gamin était bien en sécurité derrière lui, avant de rapporter son attention sur son adversaire.
Une Dévoreuse.
Il connaissait les légendes sur Baba Yaga, dérivées du monstre. Mais aucune ne faisait justice à l'horreur et à la dangerosité de la créature. On aurait dit une vieille femme obèse à la peau luisante et grisâtre, avec une bouche vicieuse et des crocs faits pour arracher la chair humaine encore vivante, sans parler de la langue qui pendait hors de la mâchoire.
La trouver aussi proche d'habitations humaines n'était pas ce qui était choquant.
C'était plus qu'il était tout juste midi et que le monstre attaquait, alors qu'elles chassaient la nuit en groupe.
La Dévoreuse passa à l'attaque, avec des mouvements lourds et puissants, utilisant toute sa masse corporelle pour tenter de renverser Geralt. Mais il était hors de question que le Loup Blanc se laisse ainsi mettre à terre, surtout quand il devait protéger l'enfant dans son dos.
Pendant un instant, la lame d'argent vira au noir durant l'affrontement de colosse entre les deux belligérants. Le tranchant passa aisément au travers la chair du monstre, lui découpant le bras et une partie du torse, avant que le sorceleur ne pivote dans l'autre sens pour donner plus d'élan à sa lame et faire sauter la tête du monstre, mettant fin au combat.
Il resta là, immobile, à observer la créature morte à ses pieds, avant de secouer son arme et de la ranger dans le fourreau dans son dos.
- Tu m'as sauvé ! souffla Alvin. J'ai eu si peur…
- Tout va bien, maintenant, rassura le Loup Blanc.
- Je le sais.
- Pourquoi tu jouais près de la rivière ?
Le garçon se tourna vers le chien qui était avec lui. L'animal avait une patte recroquevillée sous son ventre, se tenant bravement sur ses trois autres, tout en adressant un regard méfiant au mutant.
- J'ai trouvé un chien blessé, expliqua le gamin. Shani dit qu'il faut toujours prendre soin de ceux qui souffrent.
Le mutant soupira et regarda Alvin, le chien, puis le monstre qu'il venait de tuer.
Mais à quoi diable avait-il songé ?
Participer à des jeux d'enfants ? S'installer ensemble et fonder une famille ? Misère… Quelle erreur. Heureusement qu'il n'avait pas fait sa demande. Shani méritait quelqu'un de normal. Quelqu'un qui prenne soin d'elle, pas un vagabond qui parcourt le monde en risquant sa peau pour une poignée d'orins.
Il n'avait pas le droit de faire ça à Alvin et elle.
Il était un Sorceleur. Un Witcher.
Et parfois, il le regrettait sincèrement.
Elles lui manquaient… elles ? non, elle au singulier. Pourquoi avait-il songé au pluriel ? Peu importe.
Il ouvrit sa besace pour en sortir le collier en dimeritium, ce métal si puissant qu'il pouvait annuler et couper la magie.
- J'ai un cadeau pour toi, qu'est-ce que tu penses de ce collier en dimeritium ? demanda le sorceleur en tendant le bijou à l'enfant.
Le gamin eut une grimace en fronçant les sourcils.
- Les colliers, c'est pour les filles.
- Mais celui-ci repoussera les cauchemars. Et j'en porte un, moi aussi, tu vois ?
Certes, son amulette n'était pas en dimeritium, mais il portait techniquement parlant un collier. Il souleva la tête de loup en métal de son col et le laissa retomber sur sa poitrine.
- Une amulette comme la tienne !? s'exclama l'enfant.
- Que dirais-tu de vivre avec Alina et Julian ? continua le sorceleur.
Le visage du garçon se fit triste.
- J'ai rêvé d'Alina. Je la vois dans les champs, dansant dans la lumière du soleil, cherchant quelque chose. Elle me demande de l'aider, mais je sais qu'on ne trouvera rien. Quand je me réveille, j'arrive plus à respirer et je me sens mal.
- Ce ne sont que des cauchemars, Alvin, lui assura Geralt.
La voix du gamin se dédoubla, prit un écho plus aigu, surnaturel, qui envoyait des frissons de peur dans le dos, pendant que ses yeux se mettaient à luire d'une lueur bleutée dû à la magie sauvage. Il commençait à entrer en transe, le mutant devait l'arrêter.
- Veux-tu vivre avec des gens ordinaires ? Les Sorceleurs protègent les gens comme eux : simples ; sans défenses ; normaux…
- Mets ce collier, Alvin.
- Dh'oine ! Regarde dans mes yeux et vois ta mort !
L'aura magique commençait à se répandre tout autour de l'enfant, l'entourant d'un halo azuré.
- Je n'ai pas besoin d'entendre ça ! Tu n'es même pas humain !
- Alvin…
- Maintenant, tu vois la nécessité de cet acte, quel qu'en soit le prix ?! Geralt, ouvre les yeux !
Geralt n'ouvrit pas ses yeux ou quoique ce soit d'autres. Il passa de force l'amulette au cou de l'enfant. La transe s'arrêta là. La magie reflua et Alvin tomba sur les fesses par terre, la respiration haletante.
- Est-ce que ça va, Alvin ? s'enquit le sorceleur.
Le garçon hocha faiblement la tête.
- Je vais te ramener chez Alina, tu vas te reposer, d'accord ?
L'enfant ne pipa mot. Facilement, le mutant hissa le gamin dans ses bras pour le porter sur sa hanche, avant de donner un bon coup de pied dans la dépouille sanglante du monstre qu'il avait tué, laissant la mémé obèse à la poitrine et au ventre flasque rouler le long de la pente pour tomber dans un bruit d'eau dans la rivière. En s'en rapprochant, il remarqua un semblant de caverne à moitié immergé dans l'eau. Maintenant, il savait d'où était sorti le monstre. Il tourna les talons et se dirigea vers le village, Alvin somnolant contre son épaule.
C'est là qu'ils entendirent la musique.
Pendant un instant, Geralt songea qu'il s'agissait de Jaskier, puis il réalisa que cela ne ressemblait que de loin à un luth. C'était plus grave, avec une plus forte résonance, mais il n'en était pas certain, puisqu'il n'était pas un expert musical. Il était en tout cas persuadé que ce n'était pas l'instrument du barde.
- Alvin, tu te sens la force de rentrer seul ? demanda le mutant.
L'enfant hocha faiblement la tête.
- Alors, va te coucher. Je vais voir ce que c'est.
Alvin fut reposé à terre et après un dernier regard à l'adulte, il s'éloigna. Une main sur sa lame d'argent au cas où, Geralt traversa les collines pour trouver l'origine de la musique. Entre temps, la mélodie changea et en se rapprochant, il parvint à entendre une voix familière qui lui fit ranger son arme.
Ann.
Il la trouva sur ce qui était un pont brisé en deux en son centre. Le matériel à proximité disait que quelqu'un devait le réparer normalement, mais il n'y avait pas âme qui vive outre la sorceleuse qui tournait le dos au sentier.
Le Loup Blanc s'arrêta et essaya de comprendre ce qu'elle chantait.
On dirait la fin du monde,
Mais ce n'est que le commencement !
Oublie tout ce que tu as appris !
Je survis depuis que j'ai commencé à ramper !
Joyeux concept musical. Entre Jaskier qui faisait des balades romantiques à tour de bras, et le répertoire apparemment déprimant de la sorceleuse, le Loup Blanc était servi.
Je me suis effondré mais je ne suis pas hors-jeu !
Le Diable est à ma porte…
Il devait néanmoins admettre que ce type de musique était assez étrange à entendre par rapport à ce qu'il avait rencontré jusqu'à présent. C'était plus sombre, certes, mais aussi plus sauvage et sans les codifications qu'il connaissait des chansons et musiques qu'il avait entendues durant son voyage sans fin. En tout cas, il n'avait jamais vu des gens crier dans des chansons comme le fit Ann à cet instant :
Je ne m'rends pas ! J'n'abandonne pas !
Je ne laisserai rien me briser !
Je suis en feu ! Je suis un guerrier !
Je serai toujours la dernière personne debout !
Des vautours noirs tournent dans le ciel…
Ils ramassent les morceaux !
Les charognards attendent ma mort…
Mais je ne suis pas vaincu !
Le texte n'était peut-être pas joyeux, mais il avait une note d'encouragement et de détermination, loin de ce qu'il connaissait de la Portgas blasée. Quoiqu'ait donné la réunion avec la Dame du Lac, cela avait réveillé un désir de survie enfoui au fond des tripes de sa camarade de l'Ecole du Chat.
Je suis au bord de la guerre !
Je m'accroche et je suis suspendu à un fil !
Je suis l'œil de la tempête !
Et tu n'as pas encore fini d'entendre parler de moi !
Je me suis effondré mais je ne suis pas hors-jeu !
Je reviens pour un autre service !
Lentement, en essayant de ne pas trop déranger, Geralt se rapprocha de sa camarade, s'arrêtant au pied du pont de pierre en réparation. Ann lui tournait toujours le dos, assise sur la brèche. Il remarqua une étrange et longue boite recouverte de cuir à côté d'elle. Elle était ouverte mais son contenu n'était pas visible, outre un chapeau noir posé sur le dessus, d'un type assez rare, typique du sud.
Je suis toujours vivant !
Je suis toujours vivant !
Geralt se dit qu'il aurait mieux fait d'aller chercher Jaskier. Il aurait certainement plus apprécié que lui cette forme inédite de musique. Surtout que ça n'éclairait pas le mutant sur ce qu'avait dit la Dame du Lac à sa camarade pour la survolter ainsi.
Des vautours noirs tournent dans le ciel…
Vous ne pouvez pas attendre ma mort !
Lassé, le Loup Blanc appela sa camarade qui sursauta, ne l'ayant apparemment pas remarqué. Elle se retourna à moitié sur son perchoir, dévoilant l'instrument qui avait tant intrigué Geralt. Cela ressemblait bel et bien à un luth, mais avec moins de corde, un manche clairement plus long, et un corps moins rebondi reprenant vaguement la forme d'un huit.
- De Riv ? T'es là depuis longtemps ?
- Assez pour savoir que tu as la voix cassée quand tu chantes et que ton souffle siffle tout autant que durant un combat. Qu'est-ce que c'est ?
Ann regarda l'instrument dans ses mains avec une étrange expression, avant de le ranger dans la boite qu'elle referma dessus.
- Une guitare. Je l'ai reçue d'une amie pour mes dix-neuf ans.
- Jamais vu un instrument pareil.
- C'est le futur, De Riv.
Elle prit le chapeau noir et le fit tourner entre ses doigts, dévoilant des perles rouges autour de la calotte et des visages grimaçants bleus sur le devant. Le Loup Blanc vint la rejoindre et s'assit sur une pierre de la maçonnerie, mettant ses armes en travers ses jambes pour être plus à l'aise.
- Tu as changé la plume ?
Il se pencha vers l'avant et souleva un dread qui tombait sur l'épaule de sa camarade, dévoilant une plume de feu azurée accrochée tout au bout. Ann reprit sa mèche de cheveux et la remit sur son épaule, faisant pianoter ses doigts sur la plume d'un geste absent.
- Tu veux discuter avec moi de ce qui t'as touché à ce point dans le discours de la Dame du Lac ? proposa le Loup Blanc pour la tirer de son silence pensif.
La femme hésita, puis rouvrit l'étui de sa guitare pour soulever l'instrument et prendre des papiers en dessous. L'un avait tout l'air d'une lettre parcouru de caractères ne ressemblant à rien de connu, l'autre il n'aurait su le dire puisqu'il était plié en quatre. Une fois les documents dans ses mains, elle referma la caisse et inspira profondément.
- Tu… tu te souviens de mon histoire, du moins, ce que je t'ai raconté dessus ?
- Tu as dit que Vesemir était la seule personne à qui tu l'avais remplacée dans sa totalité et tu m'as servi les grandes lignes, oui. Eh bien ? C'est à ce sujet que la Dame du Lac te parlait ?
Ann hocha la tête.
- Tu connais la théorie de la Conjonction des Sphères ?
- Tout les sorceleurs la connaissent. C'est le cataclysme qui a eu lieu il y a quinze siècles en arrière. Plusieurs mondes connus et inconnus sont entrés en collision en dépit de leur existence en parallèle au nôtre. Les monstres que l'on combat tous les jours, pour gagner notre pain, se sont retrouvés prisonniers dans notre monde durant cet incident. C'est aussi à cet instant que les Humains sont arrivés pour échapper à la destruction de leur monde. Certains plans se sont mélangés suite à ça, quand d'autres ont été détruits.
- Tu sais qu'il était possible, avant le cataclysme, de traverser les mondes ?
- Oui, et que ce n'est plus possible depuis. Où veux-tu en venir ?
- C'est pas totalement vrai. Il existe encore un moyen de traverser les mondes. Certains ont le talent pour. La Chasse Sauvage notamment.
Geralt se redressa en entendant parler de la Chasse.
- J'ai juste des flashs sans parole de ma capture par la Chasse, sans parler de mon temps parmi eux. Mais je peux t'assurer que je ne suis pas originaire de ce monde. Donc, quand je dis que pour rentrer chez moi, j'ai besoin d'une nouvelle Conjonction des Sphères, je déconne pas.
- Je ne sais pas ce qui me surprend le plus. Que tu me dises que tu n'es pas originaire de notre monde ou que tu sois une victime de la Chasse Sauvage. La Dame du Lac n'a rien dit à ce sujet, donc, ce n'est pas ce qui te préoccupe. Elle a mentionné le nom que tu as abandonné. Ace, si je me souviens bien.
- Répète ce nom, Geralt, et regarde-moi. Dis-moi ce qui te marque le plus.
- Outre qu'il est clairement étrange ?
Ann lui jeta un regard pas du tout amusé.
- Il sonne masculin, finit par dire le Loup Blanc après avoir répété une ou deux fois le prénom dans son crâne.
Entre deux doigts, la mutante lui présenta le papier plié en quatre. Le Loup s'en saisit et le déplia pour tomber sur un avis de recherche bien plus fidèle que les esquisses presque caricaturales qu'il avait vues de temps à autres sur les tableaux d'affichages. Il était en couleur, en plus de ça. Il ne connaissait pas la devise, mais le montant lui semblait faramineux. Le nom lui sauta à la figure.
Portgas D. Ace.
Il remonta les yeux sur le portrait, s'attendant à voir l'image de sa collègue, pour rester pantois. C'était un homme qui le défiait du regard sous un chapeau d'un horrible orange. Un homme jeune, tout juste la vingtaine, qui tendait une main enflammée vers le mutant avec un sourire provocateur et moqueur. Dans l'ombre du chapeau, il parvint néanmoins à reconnaître des tâches de rousseurs familières et remarqua des yeux grisés soulignés d'un anneau couleur onyx. Puis, vint le tatouage sur le bras qu'il avait déjà vu.
- C'est toi ?
- C'était moi, ouais. C'est Eilhart qui m'a métamorphosé. Elle m'a volé ma virilité et mes flammes, puisque j'étais l'équivalent d'un pyrokinésiste sauvage. Ce qui faisait de moi Ace.
- Je compatis.
Facile de comprendre sa haine tenace pour la sorcière Redanienne. Et cette illustration explicitait énormément du comportement si peu féminin de la mutante. Puis il fronça les sourcils.
- On t'a laissé épouser un autre homme alors que tu en étais un ? Pas que je reproche tes goûts, c'est l'ouverture d'esprit qui me surprend.
- Mon monde a un bras de mer particulier qu'on nomme la Grand Line. Sur cette tranche, on a tout un tas de petites îles plus ou moins indépendantes les unes des autres à cause de leur champ magnétique qui rend les échanges plus compliqués. Il est donc normal d'avoir des îles plus avancées et d'autres en retard, que ce soit dans les sciences, l'armement, la médecine ou l'ouverture d'esprit. Je me suis marié sur le pont d'un navire et il a suffi de trouver la bonne île pour légaliser l'union.
- Tu as du courage d'avoir vécu aussi longtemps dans un corps qui n'est pas le tien.
- Si m'ouvrir les veines n'était pas cracher sur les sacrifices qu'on a fait pour que je continue de vivre et sur de vieilles promesses que j'ai faîtes, je me serais tué il y a longtemps. Mais c'est bientôt derrière moi tout ça. La Dame du Lac ne peut peut-être pas m'aider à rentrer chez moi, ni à retrouver mes flammes, mais elle peut m'aider à redevenir Ace. Il faudra que je reste loin de tout ce qui est magie noire si je veux pas réduire à néant son travail, mais c'est énorme en soit.
- Si tu es content… contente ?
- Tu peux rester au masculin désormais, y'a pas de soucis.
- Donc, si tu es content, pourquoi tu tires une telle tête ?
D'un geste de la main, la mutante montra la prime puis sa guitare.
- La Dame du Lac ne passe pas d'un monde à l'autre, dis-moi comment elle a pu réussir à obtenir ces objets si spécifiques qui me concerne ?
Contrairement à ce qu'on pouvait penser, les sorceleurs n'étaient pas que des machines à tuer. Ils savaient réfléchir. Et surtout, même si les seules images de phénix, il les avait vues dans un livre, il savait reconnaître leurs plumes si particulières.
- Ton époux a réussi à changer de monde pour te retrouver.
- Bingo. La Dame du Lac lui a dit qu'elle ne savait pas quand, mais qu'elle était certaine que je passerai par ici. Il lui a donc laissé un message pour qu'on puisse se retrouver.
Elle se prit le nez entre ses mains, comme pour s'aider à conserver son calme.
- Ce con a remué ciel et terre pour partir à ma poursuite, sans même s'assurer un chemin pour rentrer ! Il… il…
Dans un geste maladroit, Geralt changea sa position pour soutenir sa camarade qui venait de craquer. Il savait déjà que l'amour était une magie puissante, capable de miracle et, avec assez de force, de déplacer des montagnes. Et là, il en avait une nouvelle preuve. Il frotta doucement le dos de son amie alors qu'elle sanglotait contre son épaule.
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Ann continuait de renifler en suivant Geralt jusqu'à l'auberge. Puisque pour remplir sa part du marché avec la Dame du Lac, elle allait devoir reprendre le contrat de Berengar, elle ne pouvait pas continuer de s'encombrer avec sa guitare.
Sauf qu'en passant les portes de l'auberge, il s'avéra qu'il y avait un problème. Tout le monde était réuni autour du maire du village et de Julian, parlant d'un air afféré et inquiet.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Geralt alors que la D. allait poser la caisse de sa guitare avec le reste de son paquetage.
Jaskier se détourna pour regarder son ami.
- Alina a disparu. On l'a vue pour la dernière fois se rendant aux champs, mais ça commence à faire un petit bout de temps.
- Et Alvin ?
- Il dort sagement.
- Des gens ont cherché dans les champs après elle ?
- Des monstres sortent aux heures les plus chaudes de la journée, alors, ils n'osent pas s'y aventurer.
- Allons-y, marmonna la D. en les rejoignant. On devrait pouvoir s'en sortir face à quelques spectres de midi.
- Tu veux pas qu'on aille trouver Berengar d'abord pour ton arrangement avec la Dame du Lac ? s'étonna son comparse.
- J'ai enduré ça pendant quarante ans, je peux bien patienter quelques heures de plus et aller sortir une idiote des griffes des spectres des champs.
- Faîtes attention, leur recommanda le barde.
Geralt avait une mission pour son ami barde.
- Je devais apporter du pain à Toruviel. Tu sais comment sont les elfes et leur fierté. Prends lui cinq miches, peu importe que tu doives avancer la monnaie, mais ne lui dit pas le prix, sinon, ils vont mourir de faim. Ils sont dans une caverne sur la gauche, quand tu vas vers le lac.
- J'y vais.
Il reçut la maigre bourse de l'elfe.
Le Loup Blanc sortit dehors dans la chaleur montante avec la sorceleuse. A grand pas, ils traversèrent le chemin qui serpentait dans le village, longeant les fleurs et l'herbe bien verte, pour finir par laisser la civilisation derrière.
Sous leurs pieds, la terre devenait de plus en plus dure et l'herbe jaunissait. Des touffes plus hautes et plus sauvages s'élevaient çà et là dans les environs, plus nombreuses et plus importantes. Puis, l'herbe devint blé. Du blé haut et doré par le soleil avec quelques coquelicots faisant des tâches rouges dans cet océan couleur or.
- Alvin ? appela Ann en se figeant brusquement.
Les plans de blés s'écartèrent sur le passage de l'enfant.
- Salut ! lança-t-il aux mutants avec un grand sourire malicieux.
- Comment es-tu arrivé ici ? On m'a dit que tu étais au lit, s'enquit Geralt en le voyant.
- J'vous l'dirai pas. Je peux venir avec vous ?
Les deux mutants se regardèrent. Avec le dimeritium, la magie sauvage de l'enfant était suffisamment sous contrôle pour ne pas faire réagir les médaillons des sorceleurs. Ils baissèrent de nouveau les yeux vers l'enfant et soupirèrent.
- D'accord, mais tu restes entre nous et tu nous obéis. Si un monstre s'approche, tu recules et si on te dit de fuir, tu le fais.
- D'accord !
Et il suivit les deux sorceleurs alors qu'ils se remettaient en marche. Ann refit son chignon pour avoir moins chaud sous la chaleur montante pendant que Geralt avait une main sur l'épaule de Alvin afin de le tirer hors du danger en cas de besoin. Le pauvre gosse faisait la taille des tiges de blés, il avait donc tout intérêt à ne pas s'éloigner pour ne pas se perdre.
- Ces champs sont super pour jouer à cache-cache, commenta le gamin entre les deux adultes.
- Oui, surtout si y'a des monstres autour, ils doivent adorer jouer à cache-cache, grommela la D. qui fauchait plus ou moins les herbes autour pour y voir plus clair.
- Tu as toujours l'amulette ? se fit confirmer Geralt en regardant l'enfant.
- Je l'ai pas retiré. Pendant ma sieste, je n'ai pas eu de cauchemars… mais j'ai peur que ça ne m'empêche pas d'avoir des rêves étranges cette nuit.
- Si ça ne va pas, tu peux toujours venir nous voir, d'accord ? lui dit la sorceleuse.
- Hmhm.
Ils arrivèrent jusqu'à une petite colline où poussaient des framboises aux pieds d'un arbre mort. De là, ils pourraient avoir déjà une première idée pour trouver Alina. Mais plus ils se rapprochaient des arbustes fruitiers, plus il faisait chaud. Une chaleur lourde, épuisante, qui faisait couler de la sueur le long de leur nuque et leur donnait envie de s'allonger à l'ombre pour se reposer.
L'explication leur vint quand le soleil fut juste à la verticale au-dessus de l'arbre mort.
Une lueur orangée s'éleva du sol et cinq femmes apparurent de nulle part autour de l'arbre dans une pluie de pétales de coquelicots d'aspect spectrales. Immédiatement, les mutants se mirent en garde et reculèrent avec prudence pour s'éloigner du tronc, observant le spectacle à moitié aveuglant. Les femmes portaient toutes des robes blanches déchirées et salies à divers endroits, ne cachant en rien leur peau brûlée par le soleil au point de leur donner un aspect parcheminé et calciné, voir momifié. Les femmes tournaient sur elle-même avec énergie, dansant une étrange chorégraphie sous le soleil, comme une invitation pour tous à se joindre à leur ronde.
Au centre, Alina dansait avec les apparitions. Et son regard sans vie et son aspect parcheminé disaient clairement qu'elle ne faisait plus partie des vivants.
Un Spectre de Midi.
Une future mariée desséchée, reconnaissable grâce à ses deux tresses blondes et sa couronne de fleurs sauvages sur la tête.
Elle dut les remarquer puisqu'elle s'avança vers eux avec un visage sans expression, éternellement figé dans la mort et deux grands yeux qui ne se fermaient plus.
- Je portais un châle plein de juteuses framboises gorgées de soleil pour mon amour. L'avez-vous vu, voyageurs ? Je l'ai perdu, leur dit le spectre.
Pourtant, sa bouche ne s'ouvrit pas, malgré la voix avec l'étrange écho qui leur parlait.
Les deux mutants se regardèrent alors qu'ils conservaient précautionneusement Alvin derrière eux. La transformation devait être récente pour qu'elle n'ait pas encore perdu les souvenirs de sa vie.
- Je dois me marier bientôt, mais je dois voir mon amoureux une dernière fois. Il sera si triste si je ne lui apporte pas des douces framboises… L'amour est une souffrance, une douleur qui transperce mon âme comme une lance… Où est mon amoureux ? Venez donc vous reposez au soleil…
Les souvenirs des derniers instants étaient toujours là, mais plus pour longtemps. Bientôt, elle chercherait à embarquer les voyageurs perdus dans la ronde des spectres.
- Ah, ma chère sœur, je pleurais sur ton épaule… pourquoi ? Pourquoi est-ce que j'ai si froid ?
- Parce que vous êtes morte, Alina, lui répondit Geralt alors qu'Ann resserrait sa prise sur son glaive d'argent pour agir si le spectre se montrait agressif.
En attendant, on pouvait féliciter le Loup Blanc pour son approche… directe de la situation.
Parce que cela enragea l'esprit.
- Vous mentez ! Je vous arracherai les yeux !
Avant qu'elle ne bouge, elle se retrouva avec un glaive dans la poitrine qui continua de s'enfoncer profondément en elle. Le Loup donna un coup de pied sous la lame de sa collègue, la faisant remonter vers le haut, découpant presque en deux l'esprit.
Elle explosa dans une forte lueur orange aveuglante, laissant la lame d'argent retomber vers le sol avant que sa manieuse ne le ramène à elle.
Le reste de la ronde avait disparu, laissant le champ de framboises vide.
- Elle est… ? demanda Alvin.
- Non. Les spectres de ce genre ont besoin d'un tout autre genre d'exorcisme. Il faut comprendre ce qu'il s'est passé pour la libérer de son état et lui permettre de trouver le repos, expliqua Geralt.
- Allons avertir son père et Julian, recommanda Ann.
Restant sur leurs gardes, ils s'éloignèrent de l'arbre mort et commencèrent à reprendre la route du village.
Jusqu'à ce que des cris leur parviennent.
Plus loin, ils virent une poursuite dans les champs.
Un homme coursant une femme.
Sans se consulter, les deux mutants se mirent à courir pour rejoindre la scène, reconnaissant Adam, l'amoureux transi de la défunte Alina, et Celina, la sœur jalouse. L'homme avait un poignard en main et hurlait contre la brunette qui trébucha sur sa robe et tomba au milieu des herbes.
- Tu as tué ma chère Alina ! s'exclama l'homme en se rapprochant de la femme à terre.
- Je ne le voulais pas ! se défendit la demoiselle en se relevant difficilement.
- Menteuse ! Tu étais jalouse d'elle ! Meurs, assassin !
Et avant que les deux sorceleurs ne puissent intervenir, Adam poignarda la fille, la faisant tomber dans les herbes en bas de la colline.
- AHOU KA !? rugit Ann en s'arrêtant à côté.
Elle mit une claque monumentale à l'homme et dévala la pente pour rejoindre la femme en bas.
Elle n'eut pas le temps de se rapprocher qu'un spectre s'éleva du champ de blé, faisant reculer tout le monde.
Une apparition pâle, à la peau froide, quelque part entre le blanc et le bleu, avec une robe couleur nuit réduite à l'état de guenilles. Avec elle venait une pluie de plumes de corbeau qui donnèrent l'impression que le soleil n'éclairait plus l'endroit précis de son apparition. Adam prit la fuite en hurlant, laissant les mutants devant la pâle apparition aux cheveux noirs qui se posa au sol dans une froide lueur bleutée.
Lentement, avec une démarche courbée, elle s'avança vers eux alors qu'Alvin les retrouvait enfin. Geralt se plaça devant l'enfant alors qu'ils observaient l'étonnante apparition d'un Spectre de Minuit à midi passée.
- Sorceleurs, m'entendez-vous ? demanda-t-elle avec une voix éthérée sans pour autant ouvrir la bouche ou les yeux. Vous, qui n'êtes ni hommes ni fantômes. Mortels que la mort poursuit.
- Qui êtes-vous ? demanda Geralt.
- Une âme condamnée à errer au travers du monde pour l'éternité.
- Et qui a lancé cette malédiction ? s'enquit Ann.
- Moi-même, en tuant ma sœur Alina, par pure jalousie.
Celina.
Celina était morte et son spectre était là, devant eux, s'étant condamnée seule à cet état d'errance.
- On m'a refusé l'amour, et le soleil me refuse… Ça brûle ! gémit l'âme. Je ne peux que chanter ma plainte la nuit !
Et elle disparut dans un nuage de plumes.
Le silence retomba dans les champs de blé et de fleurs, bientôt brisé par les soupirs blasés des mutants.
Encore plus de travail pour eux.
- Reste avec Alvin, je vais chercher Adam, demanda le Loup Blanc. On se retrouve au village.
- Si je le retrouve, je lui arrache les entrailles à ce con, cracha la D. Allez, viens Alvin.
Elle prit une main de l'enfant et se dirigea vers le village, laissant son camarade partir à la recherche du villageois qui venait de tuer Celina.
Suivre ses traces ne fut pas compliqué, sans même prendre en compte les sens surhumains. Les herbes avaient été piétinées sur son passage et on devait entendre ses hurlements jusqu'en Nilfgaard. Quand Geralt le rattrapa, il le prit fermement par le bras pour lui retirer son arme
Cependant, l'humain n'avait dans le crâne qu'un fait : Celina avait tué Alina, la fille dont il était follement amoureux. Ce qui mena à une scène très embarrassante où le mutant se retrouva avec un homme adulte pleurant comme un bébé sur son épaule.
Heureusement, Adam avait des informations importantes sur ce qu'il s'était passé, qu'il le sache ou pas. Suite à une dispute, Celina avait poussé sa sœur qui était tombée. La tête d'Alina avait frappé une pierre. Un accident, rien de plus, rien de moins. Un accident tragique qui avait viré à un drame encore plus important avec le coup de sang de l'homme qui l'avait mené à tuer la sœur survivante.
Sans le lâcher, le Loup Blanc le ramena avec lui au village où il retrouva Ann discutant avec Julian et le maire devant une des huttes. Vu leur expression, elle avait dû leur apprendre l'horrible nouvelle.
Histoire d'éviter que le père et le fiancé ne commettent eux aussi l'irréparable, deux hommes se chargèrent d'embarquer Adam. Le village était trop paisible pour avoir une prison, mais ils pouvaient le garder sous clef dans une des huttes, en attendant de le conduire dans une ville plus grosse et le juger pour ses crimes.
Il restait le cas des deux sœurs.
On ne pouvait pas les laisser ainsi, il y avait déjà bien assez de danger comme ça dans les champs, ne rien faire ne ferait qu'accroitre le nombre de chance que quelqu'un laisse sa vie là-bas. Les deux hommes étaient d'accord sur un point. Il fallait faire le nécessaire. De préférence, vite et sans douleur.
Heureusement, parmi les deux sorceleurs, il y en avait un qui n'avait pas oublié sa formation.
- Il est possible de les sauver. Je sais qu'il existe une méthode pour s'occuper des Spectres de Minuit, mais il faudra que je consulte les anciens, Abigail certainement, voir la Dame du Lac, pour des conseils. Là où je suis certaine, c'est qu'il est possible de lever la malédiction d'un Spectre de Midi, assura Ann.
- Je vous en conjure, sorceleuse, faîtes tout ce qu'il faut pour les sauver ! supplia Julian avec peine et douleur.
- Je ferai le nécessaire.
- Et tu vas faire comment ? lui demanda Geralt.
- La dernière fois que je l'ai vue, elle regardait dans un miroir. Dîtes-moi si je me trompe, mais elle possède un Miroir de Nehalennia, non ? Un miroir divinatoire utilisé par les oracles et les prophètes.
- Je lui avais offert en cadeau de mariage, elle le consultait souvent, confirma le fiancé en séchant ses larmes.
- Le genre de miroirs qui finissent brisés s'ils n'ont pas la politesse de répondre correctement à l'éternelle « Qui est la plus belle », reconnut le Loup Blanc.
- Il faut le retrouver. La magie de l'objet lui permettra de lui faire réaliser son état et l'aider à avancer sur le chemin du repos. Cela contrecarrera la perte progressive de son identité, informa Ann.
- Tu devrais t'occuper de ton accord avec la Dame du Lac. Je vais me charger de ça. Je te consulterais si j'ai besoin d'aide, lui dit Geralt.
- Comme tu veux.
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.
Pendant que Ann gérait l'affaire avec les Vodyanois, Geralt avait cherché une solution pour libérer les sœurs de leurs malédictions respectives. Parce que s'ils avaient une idée pour Alina, Célina, c'était plus compliqué, surtout quand elle s'était maudite seule. De ce que recommanda Abigail, il fallait un objet bien particulier pour ça, et heureusement pour eux, le vieil ermite qui vivait dans les champs l'avait en sa possession. L'homme veillait sur les sépultures de certains des chevaliers qui avaient servi la Dame. Il était prêt à leur céder l'artéfact si on veillait à gérer le problème des mauvais esprits envoyés par la Chasse Sauvage qui hantaient un cercle druidique qui entourait une statue de la Dame du Lac. Le Roi de la Chasse espérait attirer les esprits des défunts serviteurs de la Dame en envoyant des soldats sur place. Le vieil ermite ne pourrait pas les protéger éternellement, d'où le pourquoi il demanda à Geralt de libérer le cercle des druides. En faisant brûler des racines de mandragores dans la bougie au centre du cercle, Geralt pourrait chasser les serviteurs du Seigneur de la Chasse sans que celui-ci ne vienne mettre son nez dans l'affaire. Y'avait de quoi être sceptique devant l'idée, mais soit.
Puisque les fantômes n'apparaitraient pas avant la nuit, il était retourné vers le village pour retrouver Ann et lui parlait de ça.
Ann avait adressé un regard dubitatif à son camarade.
- Je veux bien que ces chevaliers en armure soient impressionnants mais de là à ce que le Roi de la Chasse veuille les attirer ? Nan, j'y crois pas. Que l'endroit soit hanté, ok, mais je pense pas que ce soit la Chasse. Elle parcourt les mondes pour trouver des esclaves vivants. Ok, j'étais presque mort quand j'ai été enlevé, mais j'étais encore puissant et avec la bonne méthode, on pouvait me sauver. La preuve est que je suis là. Mais pourquoi des âmes des morts, quand ils sont capables de capturer tous les esclaves vivants qu'ils veulent ? Pour moi, ça n'a aucun sens.
Donc, ce n'était pas que lui que ça laissait dubitatif. Il tuerait quelques fantômes, le druide serait content, affaire classée. Si le vieil homme croyait que c'était des envoyés de la Chasse, soit. Vu qu'ils avaient du temps à tuer avant le coucher du soleil, ils pouvaient s'occuper d'une affaire que le Loup Blanc avait sciemment laissée de côté :
Berengar.
Trouver la crypte où l'homme s'était fourré fut facile. Surtout en prenant en compte le fait que le paquetage du mutant était dehors. Alvin sous la surveillance de Jaskier, les deux camarades de routes n'avaient donc rien pour les déranger dans leur confrontation avec l'élusif sorceleur. Une potion de Chat dans le sang pour voir où ils mettaient les pieds, et ils pénétrèrent dans la crypte à la recherche du mutant.
L'homme avait semé des corps de monstres sur son chemin. Principalement des Alpyres et des Goules. Tous tranchés par un glaive.
Ce fut au détour d'un couloir qu'ils virent une silhouette dans l'obscurité qu'ils n'auraient certainement pas vue sans leur élixir. Un homme en armure de cuir. Bien bâti, un glaive à la main et un autre dans le dos. Le front large, caché par un bandeau de cuir. Le visage osseux et deux yeux de chats luisant d'une couleur ambrée. Le médaillon qui vibrait doucement à son cou avait la forme d'une tête de loup.
Pas de doute, c'était bien Berengar.
En les entendant dans son dos, l'homme s'était retourné pour les observer, le visage dur et impassible, une lueur lasse et inamicale dans le regard. Il se détourna du corps du monstre qu'il venait certainement de tuer pour les rejoindre.
- Qu'est-ce que vous voulez, les sorceleurs ? demanda l'homme avec sa voix plate et sans émotion.
Ann croisa ses bras et regarda son camarade avant de reculer de deux pas. C'était une affaire de l'école du Loup, pas du Chat. Dans d'autres circonstances, elle n'aurait pas non plus voulu qu'on la dérange pendant qu'elle confrontait l'un de ses camarades. Les deux hommes lui jetèrent un coup d'œil à son mouvement avant de revenir à leur bataille de regard.
- J'étais à ta recherche, Berengar. J'ai quelques questions à te poser depuis quelques temps déjà.
- Oh ? Donc, ni toi, ni le Chat n'étaient à la recherche de cette légendaire pièce d'amure ? Eh bien quelles que soient tes questions, tu vas devoir attendre, parce que les spectres et les brouxes ne vont pas tarder à arriver. Tu penses pouvoir les gérer ou tu as besoin de l'aide d'un jupon pour ça ?
En réponse à l'insinuation, Ann se mit à siffler comme un chat en colère, les yeux plissés, une main sur son glaive.
- Tu suggères que j'en suis pas capable ? rétorqua Geralt.
Un rire sans joie et sans émotion s'échappa de la gorge de Berangar.
- Très bien, joue les dures. Comme le dit ce vieux croulant de Vesemir, battons-nous et voyons le résultat.
Slchack
Les deux sorceleurs regardèrent Ann qui avait le bras tendu, puis se retournèrent pour voir une Alpyre s'effondrer avec un poignard d'argent profondément enfoncé dans la tête.
- Pendant que vous vous préparez à jouer à celui qui a la plus grosse, vous oubliez l'essentiel. Après, je ne suis qu'un jupon, qu'est-ce que je sais de tout ça, cracha la D. en allant récupérer son arme.
Elle décapita la créature par précaution et se tourna vers les hommes, une main sur la hanche.
- A moins que vous ayez besoin que je vous prenne par la main et que je vous apprenne comment on explore une crypte.
- Ta langue te fera courir à ta perte, le Chat, avertit Berengar.
- Mauvaise réponse. Ils sont là, alors soyez prêts.
Elle se mit en garde avec Geralt.
- Je suis prêt depuis que je suis enfant, gronda le brun. Ces bâtards de Kaer Morhen y ont veillé…
- Arrête de pleurer et mets-toi au boulot, lui dit son camarade d'école.
Un groupe de vampires, des brouxes d'après leurs cheveux noirs, flottèrent vers eux, clairement après leur sang. Les couloirs étaient peut-être larges, mais pas assez pour laisser trois sorceleurs mouliner leurs glaives à tort et à travers. Ainsi, Ann resta en arrière pour regarder ses camarades faire le job, lançant simplement des boules de feu avec le signe Igni de temps à autre, ne sortant sa lame que lorsqu'ils arrivèrent dans une pièce de la crypte un peu plus large, bien que ce ne soit pas le tombeau final de celle-ci. A trois, le ménage n'était qu'une question de secondes, tout juste une maigre minute. Rien d'excitant, rien de dangereux.
Une fois qu'ils eurent la paix, Berengar trouva même que c'était l'occasion de faire des critiques sur les techniques de Geralt :
- Jolie style, mais loin d'être parfait. Durant la demi-pirouette, tu laisses ton entre-jambe sans protection.
- Je pense pas, non, réfuta le Loup Blanc.
- Je suis certain que même le Chat Noir l'a remarqué. Je te le prouverai quand on sortira d'ici.
Dans un sens, Berengar n'avait pas tort en disant que Geralt laissait une belle ouverture pendant cette demi-pirouette. Ann l'avait déjà remarqué, mais elle se doutait que la cause était dû à une ancienne blessure vu la position dans laquelle le Loup Blanc mettait sa jambe à cet instant.
- Je ne suis pas ici pour discuter escrime, pointa le blanc. Qu'est-ce que tu sais de la Salamandre ?
- Hahaha ! Droit au but. Tu sais pourquoi je ris, Geralt de Riv ? se moqua le brun.
- Non.
- Je ris de toi. Tellement sorceleur, rapide, mortel et si sûre de toi. Avec ton incroyable sens de ce qui est juste. Tu crois que tu vaux mieux que moi ?
- C'est pas le sujet, pointa Ann.
- Parce que tu te crois mieux que nous, Anabela ? Parce que tu as réussi à gravir les échelons plus vite que n'importe qui ? Ton arrogance ne te rend que plus ridicule.
- On est pas ici pour se battre, coupa Geralt en s'interposant quand Ann montra l'envie de se jeter sur le brun.
- Ah oui, c'est vrai, le code l'interdit, grommela Berengar.
La conversation fut de nouveau interrompue avec l'arrivée d'une nouvelle vague de monstres alors qu'ils arrivaient au niveau d'un sarcophage à moitié détruit par le temps.
- C'était assez facile, commenta Berengar en fouillant dans le sarcophage.
- Ce ne sont pas quelques brouxes qui auront raison de nous, si c'est ce que tu espérais. Il est temps de parler.
Le brun se redressa avec un morceau de vieille armure dans les mains.
- Qui a dit que j'avais envie de parler ? Tu vas m'y forcer ?
Cela prit un instant Geralt de court. Pourquoi cet homme se montrait-il si hostile ? Ils étaient tous les trois dans le même bateau pourtant.
- Tu pensais que parce que nous étions tous les deux des sorceleurs et de la même école que l'on pourrait s'arranger ? Ou peut-être que la présence d'une femme me délierait la langue ?
Il cracha sur le côté en se dirigeant vers la sortie de la crypte.
- Pour moi, vous n'êtes pas mieux que ce salopard de Professeur. Vous êtes juste de plus gros hypocrites.
- Donc, tu travailles bel et bien pour la Salamandre, conclut Ann.
- Je n'ai jamais dit ça.
- Alors arrête de jouer les anguilles et soit direct.
Berengar s'arrêta pour leur jeter un regard noir, avant de reprendre sa marche.
- Dehors, devant mon feu de camp.
Ils allaient enfin avancer.
Les deux autres suivirent le brun hors de la crypte, plissant des yeux sous l'intensité du soleil avec l'élixir de Chat toujours actif. Bien heureusement, ils avaient du Miel Blanc dans leurs affaires, et il n'y avait rien de plus efficace pour annuler une potion active.
Berengar ramassa son paquetage dans l'entrée de la crypte, puis entraîna le duo un peu plus loin jusqu'à un feu de camp éteint qu'il alluma avec le signe Igni. En silence, il s'assit devant, imité par Geralt alors qu'Ann se perchait sur la barrière de bois à proximité qui bordait la route au bord de laquelle ses camarades masculins s'étaient installés.
- Bon, qu'est-ce que vous me voulez au final ? demanda Berengar.
- Ta connexion avec la Salamandre, répéta Geralt.
- Hmumph… c'est simple. Ils sont tombés sur moi y'a quelques temps et le Professeur m'a fait une offre que je ne pouvais pas refuser. Vous connaissez le genre : « Aide-nous ou on te fait bouffer tes propres couilles ». J'ai fait ce que je devais faire.
Avec une branche, il arrangea un peu de bois dans son feu de camp.
- C'est drôle, mais ils me rappelaient les sorceleurs. Jamais eu le choix, que ce soit avec le Professeur ou Kaer Morhen. Les sorceleurs ont fait de moi un mutant, le Professeur, un criminel. Un proscrit par deux fois.
Ann se mordit une lèvre pour ne pas faire une remarque acerbe. Il en connaissait beaucoup des sorceleurs qui avaient demandé à l'être ? Qu'il arrête de chialer en se croyant le seul dans son cas, ils étaient tous les trois passés par-là. On leur avait imposé cette vie, ils n'avaient rien demandé. Alors qu'il cesse de râler sur son sort de mutant et qu'il fasse quelque chose de constructif. Lambert était lui aussi assez amer sur son sort, mais ce n'était pas pour autant qu'il passait son temps à chialer pour tout et rien. Il faisait avec, même si ça faisait de lui un salaud.
- J'ai fui dès que j'en ai eu l'opportunité. Ils n'ont rien obtenu de moi. Je n'ai vendu personne. Je suis venu me réfugier ici.
La façon dont il jeta un regard au loin disait pourtant qu'il n'avait pas la conscience tranquille. Ann regarda Geralt mais celui-ci ne montrait aucun indice sur le fond de sa pensée.
- J'ai comme l'impression que tu ne dis pas tout, finit par commenter le Loup Blanc.
- Quelle perspicacité, se moqua Berengar. Il y a bien quelque chose en plus. La Salamandre veut ce gosse, cet Alvin. J'ignore pourquoi, mais il est important pour eux. Ils m'ont envoyé ici pour le récupérer mais je n'en ai pas l'intention. Je veux juste gagner quelques orins et disparaître définitivement.
- Je peux t'aider pour ça ! railla Ann en portant une main à son glaive d'acier.
- Retourne à ta couture, femme.
- Je ne suis pas une femme !
Geralt se leva et intercepta Ann avant qu'elle ne se jette sur Berengar et l'achève.
- Calme-toi, Portgas, qu'on puisse en finir sans effusion de sang, siffla Geralt entre ses dents.
Il n'avait pas la moindre idée de ce qu'elle crachait au brun indifférent près du feu, mais ça ne devait pas être très flatteur vu la haine dans sa voix et sur son visage. Le Loup Blanc usa de toutes ses forces pour la garder assise sur la barrière, jusqu'à ce qu'elle se calme un minimum, avant de la relâcher et de se retourner vers son camarade de l'Ecole du Loup.
- Tu ne sais donc rien au sujet de l'attaque de Kaer Morhen ou sur le vol des formules des mutations de sorceleurs ?
- Rien du tout, lui répondit Berengar.
- Eh bien, j'ai qu'une chose à te demander. Reste loin de Alvin.
Le Loup Blanc se tourna vers sa camarade.
- Le soleil ne devrait pas tarder à se coucher. On devrait retourner dans les champs et gérer l'affaire de l'Ermite.
- Juste un instant.
Ann ouvrit sa besace à élixir et en tira une bourse rebondie avec ses économies qu'elle jeta à Berengar. L'homme la rattrapa au vol en fronçant légèrement des sourcils.
- Tu as dit que tu voulais gagner quelques orins avant de foutre le camp, eh bien en voici deux milles cinq cent. En échange, je veux récupérer ton contrat du conflit vodyanoi.
- Pourquoi ?
- C'est entre la Dame du Lac et moi.
- Comme tu veux, le contrat est à toi. J'ai plus de raison de rester ici, pour le coup.
Il ramassa son paquetage et le remit à son épaule.
- A jamais.
Et il tourna les talons.
- Tu le laisses partir ? s'étonna Ann en voyant que Geralt ne réagissait pas.
- J'ai mes réponses.
Ann sauta de son perchoir, regarda la silhouette de Berengar disparaître vers le lac, avant de revenir vers le Loup Blanc.
- Tu sais, il a pas tort au sujet de ta défense. T'as tout l'entre-jambe d'ouvert durant la demi-pirouette. Tu as dû avoir une jambe de blessée, certainement brisée ou écrasée à une époque. Certes, dans la vie de tous les jours, ça se sent pas, mais tu es obligé de compenser en combat, d'où l'ouverture durant la parade
- Possible.
- Aux champs, à présent ?
- Hm. Aux champs.
.
.
Dos à dos, ils étaient revenus dans les champs au crépuscule et avaient fait brûler des pousses de mandragores dans le cercle druidiques, continuant leur tâche jusqu'aux aux premières lueurs de la lune et l'apparition des spectres.
Là avait commencé le combat.
Par vagues successives, des esprits étaient apparus dans le cercle, réclamant leur sang et leur mort, pour goûter au métal des glaives d'argents. Les spectres en eux-mêmes n'étaient pas des adversaires si redoutables, mais leur nombre les rendait dangereux. Une fois la lune haute dans le ciel, le dernier fantôme fut exorcisé, leur permettant de revenir vers la demeure de l'ermite et réclamer leur récompense. Et pas n'importe laquelle, celle qui pourrait sauver Celina : La Couronne des Immortels. En apparence, rien de bien extraordinaire, ressemblant à une couronne de fleurs, comme portait les mariées dans les villages. Mais les médaillons savaient sentir la magie et l'objet en avait énormément.
Avec cette couronne de fleur, les deux sœurs pourraient être sauvées.
Et par on ne savait quel tour, alors qu'ils repartaient, Alvin apparut derrière eux, gambadant dans leurs pas.
- J'ai rêvé que j'étais un sorceleur et que je chassais les montres ! Et je n'avais pas peur du tout !
- Il n'y a que les idiots qui ne connaissent pas la peur, lui dit Geralt.
Inutile de savoir comment l'enfant avait réussi à semer Jaskier ou d'où il sortait. Sans parler que le barde préférait très certainement courtiser une fille que faire du gardiennage d'enfant.
- La peur est nécessaire à l'évolution et à la survie de nombreuses races. C'est quand tu perçois un danger que tu as peur et que tu travailles justement pour le surmonter. Les humains avaient peur du noir et de la nuit, ils ont donc appris à faire de la lumière pour lutter contre l'obscurité. C'est parce qu'on avait peur des maladies qu'on a étudié la médecine. Les grandes avancées ont pour beaucoup étaient motivées par la peur, Alvin, expliqua Ann.
- Mais les villageois disent que Berengar a peur d'une sorte de poisson géant alors qu'Ann le craint pas et c'est une femme pourtant ! Je veux être un sorceleur !
- Moi, je suis stupide justement. Et parce que j'ai difficilement peur je me fais très facilement blesser et je serais pas surprise si ce contrat me conduit à ma mort.
- Tu crois que c'est marrant d'être un sorceleur, Alvin ? demanda Geralt à l'enfant.
- Oh oui ! s'exclama le gamin. Quelqu'un comme toi ou Ann ! Pas comme Berengar ! Les sorceleurs sont si courageux ! Et en plus, ils ne tombent jamais malades !
Pire argument. Ever.
- Tu n'as pas entendu Ace, justement…
Ann se figea et regarda son camarade.
- Quoi ? demanda Geralt.
- Non, rien, ça fait juste tellement bizarre d'entendre de nouveau ce nom !
Et elle se remit à marcher en humant de bonne humeur. Le Loup Blanc roula des yeux et reprit sa leçon pour Alvin :
- C'est faux de dire que les sorceleurs ne connaissent pas la peur. On la cache juste mieux. De plus, il ne reste plus personne pour accomplir les mutations de l'école du Loup. Je ne sais pas pour les autres, en tout cas.
Vu qu'elle avait volé une copie des formules des Chats pour essayer de redécouvrir celle des Loups, Ann pouvait confirmer que les mutations des Chats n'étaient pas perdues. Mais vu leur instabilité psychique et émotionnelle, ne valait mieux pas les recommander.
- C'est dommage, ça aurait été cool… bougonna l'enfant.
- Désolé Alvin, s'excusa Geralt.
- C'est nul…
- Soit un chevalier, ça, c'est cool, lui recommanda Ann. Ah et Geralt ? Tu n'aurais pas une armure en plus ?
- Vu que j'utilise celle que m'a trouvée Triss, j'ai toujours l'ancienne dans mon sac au cas où, pourquoi ?
- Y'a moyen que je puisse la récupérer ?
.
.
Un nouveau jour se levait et Ann informa tous les partis concernés qu'elle reprenait le contrat de Berengar. Cela voulait donc dire le Prêtre Vodyanoi et Julian. Julian était à l'auberge, donc, facile à trouver.
- Bon, j'ai récupéré le contrat de Berengar concernant les Vodyanois.
- Vous êtes certaine que vous en serez capable ? s'enquit Julian en lui jetant un regard sceptique des pieds à la tête.
- Ce n'est pas parce que j'ai rien qui pendouille entre les jambes que je suis incapable pour autant. Alors, parlez avant que je ne vous laisse seul vous débrouiller.
L'homme soupira et lui expliqua les faits :
- On a un sérieux soucis avec eux. La Cité Engloutie est la source principale de richesse de ce village. Il y a quelques temps, un groupe de plongeurs a disparu. Plus tard, on a trouvé leur navire à l'abandon. Dedans… c'était un vrai massacre, sorceleuse. Quelqu'un les avait découpés en morceaux. Puis, nous avons appris que les Vodyanois venèrent un monstre qui est assoiffé de sang humain. Ils lui font des sacrifices sanglants sur l'île. Si vous éliminez ce monstre…
- Et le dialogue ? C'est une option ? Vous savez que sur l'autel de la Dame, il y a un Vodyanoi qui parle plus ou moins le langage humain et qui est pacifique ?
- A quoi ça servirait ! Sans compter que les ruines sont les restes d'une citée humaine ! Cela nous appartient !
- Ah ? Donc, si les elfes se mettent à piller une cité comme Wyzima parce que c'est sur les ruines d'une de leurs villes, vous diriez la même chose ?
- C'est totalement différent.
- Du tout. Ces ruines sont chez eux aujourd'hui et ce que vous faîtes, ça revient à du vol. Vous voulez les richesses engloutis ? Ok, mais songez à la négociation. Je vais me charger de ce monstre, mais le problème ne partira pas comme ça si vous ne changez pas de méthode.
Et sans un mot de plus, elle tourna les talons et rejoignit la sortie à l'instant où Geralt partait.
- Les négociations se déroulent mal ? devina le Loup Blanc.
- Disons que j'aurai préféré un autre genre de remake du Cauchemar d'Innsmouth. C'est un livre de chez moi fait par l'un des maîtres de l'effroi et de l'horreur. Et ça tourne autour de Dagon et de créatures qui ressemblent aux Vodyanois.
Elle agita sa main pour lui dire de ne pas s'y attarder et s'en alla de son côté pour aller à la rencontre du Prêtre Vodyanoi qui lui donna son opinion sur la chose :
- Nous vivre sous l'eau, profond. Nous, la Dame, aimer. Cependant pas tous. Beaucoup Dagon aimer. Dame partir. Eux tuer humains. Je supplie votre glaive Dagon désaimer. Moi donner récompense.
- Donc, les Vodyanois hostiles que j'ai rencontrés… compris Ann en montrant la berge derrière elle du pouce.
Le Prêtre hocha la tête.
- Eux méchant Dagonloalbltol, désaimer autel de la Dame. Moi avoir dû fuir. Maintenant eux dans l'eau et moi garder encore autel.
- Je vois.
- Grosse belle vache dans village, Dagon venir pour elle. Désaimer Dagon, moi donner récompense, quelque chose tranchant, quelque chose exceptionnel.
Les sourcils de la brune sautèrent sur son front.
- Vous voulez que je vole la vache pour l'utiliser en appât pour attirer Dagon ?
Ce n'était pas le meilleur moyen pour faire la paix entre les deux camps.
- Désaimer grosse belle vache sur autel Dagon. Dagon venir des profondeurs.
- Un sacrifice en plus ?
- Préfère sacrifice humain ? Uurarolaolool !
- Euuuh, je vais voir ce que pense la Dame du Lac de tout ça, mec, avant de voler cette vache.
Elle tourna les talons en se massant le nez. Entre Julian qui ne faisait aucune distinction entre les Vodyanois et une bête sauvage, et ce Prêtre qui pensait que voler la vache des villageois soit une solution… elle espérait vraiment que la Dame ait une meilleure option.
Elle ne s'emmerda pas à aller chercher la barque. Elle confia juste ses armes au Roi Pêcheur, ne conservant que ses poignards, avant d'aller piquer une tête dans le lac et de le traverser à la nage pour rejoindre l'île de la Dame, mettant au défi les Vodyanois de venir la chercher.
Oh, ils répondirent à la provocation.
Mais la D. n'avait pas l'intention de se rendre sans lutter, surtout avec le Haki dans son camp. Quand elle perçut qu'elle allait être entraînée sous l'eau, elle prit sa respiration et se laissa faire, économisant oxygène et force à attendre que son agresseur se rapproche. Là, quand il fut trop prêt pour se défendre, elle le saisit au bras et lui planta une lame dans la gorge, avant de remonter à la surface. Le corps qu'elle laissait derrière elle était un avertissement.
Enfin, quand elle émergea sur la rive de l'île, la Dame du Lac la regardait avec un certain amusement alors que la brune s'ébrouait comme un chien mouillé.
- /Es-tu ici pour notre accord ?/
Ann cessa de se débarrasser de l'eau et regarda la divinité qui esquissa un sourire.
- /Je ne peux changer de monde, mais je parle bien des langues. La tienne, enfant de Davy Jones, ne m'est certainement pas étrangère. Dis-moi ce que tu as appris./
- /De la chiasse en boite semble plus intéressante à côté. Pour les humains, les Vodyanois sont des bêtes qui ne valent pas mieux l'une que l'autre. Pour ton prêtre, lui, il n'en a rien à foutre de la paix ou des humains, lui, il veut qu'on détruise Dagon, point barre. En bref, aucun ne veut la paix. Ils veulent une solution rapide au problème sans chercher à réaliser que à court terme, ça sera la pire chose à faire. J'espère pour toi que t'as une autre solution à ce problème./
- /Ton franc-parler et ton manque de révérence sont rafraîchissants ! Il y a longtemps que quelqu'un ne m'a pas regardée dans les yeux en me parlant. Tout le monde courbe l'échine alors que tu restes équitable dans ton traitement !/ rit la divinité.
Ann haussa les épaules en essorant ses rastas. La Dame du Lac montra l'intérieur des terres dans une invitation silencieuse et la sorceleuse lui emboita le pas dans la promenade au milieu du sable, des fleurs et des rochers. Sous les pieds de la Dame du Lac, des petites fleurs blanches faisaient leur apparition à chacun de ses pas, marquant de façon éphémère le passage qu'elle empruntait avant que les pétales ne s'envolent dans la brise.
- /Comme tu t'en doutes, j'apprécie bien peu que la paix de ma terre soit ainsi troublée. Comme tu l'as vu, les humains et les Vodyanois se battent par cupidité, peur et quiproquo. Tu as déjà consulté les deux chefs de chaque faction, si on peut dire, et tu as vu qu'aucun ne voulait faire un pas vers l'autre. D'après toi, qui a raison ?/
- /Aucun. Ils ont tous les deux un point de vue égoïste de l'affaire. Si on veut pas que la chose dégénère, il faut qu'ils se réconcilient./
- /Pour cela, il faut que tu détruises Dagon. Geralt pourra t'aider dans cette tâche, ce ne sera pas un combat facile, et même un D. comme toi pourrait y laisser la vie. Mais pour la réconciliation, il faut qu'on écoute la voix de la raison. Leur rappeler l'époque où ils étaient en paix. Un objet qui symbolise l'harmonie des deux civilisations, appartenant aux deux communautés. La tablette sur l'autel de ma statue pourra t'aider dans cette tâche./
La pirate s'arrêta et regarda sérieusement la divinité à côté de qui elle marchait.
- /Et notre accord ?/
Délicatement, la Dame du Lac lui prit ses mains en souriant.
- /Je ne suis pas Eilhart qui prend sans rien donner en retour et aime jouer avec ceux sans défenses…/
Elle porta une main à la bouche de la femme pour l'empêcher de protester.
-/A cet instant, tu n'avais pas les moyens de lutter contre la magie. Pendant tout ce temps où elle a profité de toi, tu étais à sa complète merci, tes flammes incapables de te défendre. Ce qui a fait que tu n'es pas devenu un jouet pour les Chats, c'est qu'en relâchant le joug qu'elle avait sur toi, Eilhart t'a permis de te libérer de tout ce qui te rongeait, tout ce qui te faisait mal, tout ce que tu aurais voulu lui faire subir. C'est pour ça que Schrödinger t'a aidée. Parce qu'il a vu en toi tellement de force, de vie et de haine qu'il a décidé que ça serait bête de ne pas en profiter pour rendre un semblant de gloire et réputation à leur groupe./
La Dame reprit le poignet de la D. après lui avoir enfoncé affectueusement son chapeau noir sur le crâne pour lui masquer les yeux.
- /Je veux ton aide, mais je ne veux pas te forcer. Ce que nous faisons, c'est un accord. Tu as la possibilité de me détruire, tout comme je pourrais le faire. Mais aucune de ces options ne m'intéresse. Et je sais que pour obtenir quelque chose des gens, il faut leur rendre quelque chose d'équivalent en importance en retour. Je requiers ton aide et celle de ton camarade pour sauver ma terre de la haine qui la déchire lentement. En échange, je te propose une solution pour retrouver ton identité, ce que tu as été. C'est dans mes pouvoirs, le reste dépendra de toi. Veille seulement à rester loin de tout ce qui génère un très fort niveau de magie noir./
Elle lâcha les poignets de la D. et lui tendit une main.
- /Je te propose un accord et j'ai bien l'intention de le respecter./
Ann regarda la main en silence, avant de prendre un de ses poignards. Elle s'ouvrit la paume, cracha sur la plaie et la tendit à la Dame du Lac. Sans battre des paupières ou poser la moindre question, la déesse passa un doigt sur sa propre main, formant une plaie nette et précise de laquelle s'échappa de l'eau. Elle cracha dessus à son tour et serra la main de la brune, scellant leur accord.
- /Alors je vais me mettre au travail./
La poignée de main cessa et Ann se détourna pour s'en aller, avant de s'arrêter pour se retourner vers la Dame qui la regarda faire en silence.
- /Ano… comment…/
- /Comment se porte le Phénix ? Il est le meilleur médecin que le Nord n'ait jamais connu. Il a plus de cheveux sur la tête et de poils au menton que dans tes souvenirs, certainement, mais il reste le même homme que tu as épousé. Tu n'as pas à t'en faire/.
En rougissant, Ann remit en place son chapeau pour masquer son visage et s'en alla.
De retour sur la rive, elle retourna voir le Prêtre pour lui rapporter les mots de la Dame. Cela en fit perdre la voix au Vodyanoi. Il ne voyait pas la logique. Ils devaient détruire Dagon, mais sans la vache, il ne voyait pas comment faire.
- La Dame est d'accord sur ce point, mais pas sur la méthode, lui dit Ann. Ce qu'elle veut, c'est une preuve de bonne foi, quelque chose qui dise que les Vodyanois sont prêts à faire la paix avec les humains. En preuve, il faut quelque chose qui symbolise l'harmonie entre les deux civilisations.
Le Prêtre était vexé que son idée soit ainsi rejetée, mais il était un fidèle de la Dame et se pliait donc à elle.
Ann pointa la tablette aux pieds de la femme dans la pierre.
- J'ai lu la tablette. Le bracelet en or qui avait été offert par les humains aux Vodyanois quand vous avez fait la paix pour la première fois. Trouvez-le. Vous devrez l'offrir à la Dame.
Elle lui jeta un regard qui disait clairement ce qu'il se passerait s'il ne le faisait pas et se détourna pour partir. Maintenant, Julian, et ensuite, voir où en était Geralt.
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Geralt avait fait des choses bien plus intéressante dans sa vie que de ramasser des morceaux de miroirs au milieu d'un champ d'herbe et de blé. Mais s'il voulait lever la malédiction du Spectre de Midi, il se le devait.
Il crapahuta dans tous les coins des champs, retrouvant à plusieurs endroits le spectre agressif d'Alina qui l'attaquait à vue, le forçant à se défendre. Mais comme il le découvrit, ces spectres n'étaient que des morceaux de l'âme damnée qu'était devenue la future mariée. Morceaux liés à des fragments de miroir.
Aux quatre foutus coins des champs !
C'est en ramassant le cinquième et dernier fragment à proximité du cercle des druides qu'Alvin se manifesta, sortant littéralement de nulle part comme à son habitude.
- Je t'ai dit de rester caché si ça devient dangereux, lui rappela le mutant.
L'enfant était pâle, effrayé.
- J'entends leurs voix…. Celles de toutes les femmes qui vivent ici, dans les champs.
La voix des Spectres ? Parce qu'il n'y avait personne ici...
- Elles sont mortes, Alvin, lui dit doucement le sorceleur.
- Elles me craignent tellement ! Quand elles pensent que je ne les entends pas, elles m'appellent l'Enfant du Démon !
L'enfant devait faire un effort pour ne pas laisser sa peur et sa tristesse prendre le dessus sur lui. En soupirant, Geralt posa un genou à terre et prit les épaules d'Alvin entre ses mains.
- Ces gens… ils sont juste effrayés par ce qu'ils ne comprennent pas.
- Mais je veux qu'ils m'apprécient ! Je veux pas leur mort ! Qu'est-ce que je dois faire ?
Qu'est-ce qu'il pouvait bien répondre à l'enfant à ce propos pour le rassurer et l'encourager ? Que devait-il lui dire ? Il avait un don si lourd, si puissant et il n'était pas doué avec les enfants en général.
- Le… Le Destin ne fait pas tout, finit par dire Geralt. Nous sommes les maîtres de notre propre destinée.
Ce devait être la bonne chose à dire puisque le gamin hocha la tête avec détermination et sourit.
- Merci Geralt. Je me sens toujours mieux après avoir parlé avec toi.
S'il avait réussi à rassurer l'enfant, c'était l'essentiel.
- Allons-y, nous devons faire réparer ce miroir.
Vu que c'était un objet magique, il le confierait aux elfes pour voir s'ils pouvaient faire quelque chose pour le réparer.
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Ann passa la porte et attrapa Jaskier qui faisait un tour de charme à une paysanne, l'attirant avec elle.
- Hey ! Qu'est-ce qu'il se passe ?! s'étonna le barde.
- J'ai besoin de toi parce que Geralt n'est pas là et que Julian ne me prendra pas au sérieux parce que je suis une femme, lui dit froidement Ann en l'embarquant au milieu de la salle de l'auberge. J'ai donc besoin que tu lui parles pour moi.
Le barde n'avait pas l'air convaincu.
- Je suis un musicien, je vois mal comment je pourrais aider.
- C'est simple comme un plus un. Tu vas le voir, et tu lui dis que la Dame du Lac veut la paix entre humains et Vodyanois. Pour ça, il doit faire une offrande. Quelque chose qui symbolise la dévotion qu'il a pour la Dame du Lac et son désir de faire la paix. Si on en croit l'autel sur la rive, il faut que ce soit une statue d'albâtre. Il devra l'apporter là-bas. Tu vois ? Simple comme bonjour !
- Et tu crois qu'il va me prendre au sérieux ? demanda le brun d'un air dubitatif.
- Fais-le ou j'te pète les genoux.
C'était une motivation très efficace.
- Inutile d'être violente. J'y vais.
Le barde tourna les talons et alla voir Julian, laissant la mutante s'asseoir au bord d'une table, les yeux sur ses bottes de cuir, l'oreille surveillant ce que racontait Jaskier. Le scepticisme de Julian se sentait à mille lieux, mais il voulait bien donner une chance. Il trouverait la statue et irait à l'autel de la Dame avec.
Une bonne chose de faîte.
D'après la description, ce qui ressemblait le plus à la demande était une petite statue d'albâtre représentant un jeune vodyanoi capturant un élémentaire d'eau.
Jaskier se tourna vers Ann comme pour savoir si c'était bon et la brune hocha la tête.
Si extérieurement, elle resta impassible, dedans, elle faisait la danse de la joie. Elle allait pouvoir redevenir Ace.
