Bonjour à tous, navrée pour le retard.
On se retrouve aujourd'hui pour un nouveau chapitre dans les aventures de Flotsam de nos deux mutants favoris. Entre fantôme et politique, il y a de quoi faire. J'espère que le chapitre sera à votre goût, surtout quand on découvre un petit truc intéressant qui aura son importance à plus d'une reprise dans le futur de cette histoire pour Ace.
Sur ce, j'attends vos reviews avec impatience. N'hésitez pas à vous dire ce que vous pensez, même les points négatifs, c'est toujours constructif pour améliorer mon écriture.
Je vous dis donc à la rentrée pour la suite !
Bises
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La marche dans la forêt était une étrange expérience. C'était une très vieille forêt, avec une atmosphère très lourde, des arbres plus gros que deux humains, dont les racines étaient des pièges masqués par un fin manteau de brume pour les pieds d'explorateurs inattentifs. Cela cachait aussi les nids de nekkers, idéal pour l'embuscade de ces saloperies.
En temps normal, dans ce genre d'endroit, on ne devrait rien entendre. Peut-être le vent et le craquement des feuilles et des branches. Voire quelques bêtes assez folles ou puissantes pour survivre dans cet environnement.
Mais là, Geralt était en train de découvrir le répertoire musical de Portgas qui gueulait dans sa langue natale pour attirer l'attention de son camarade qui jouait aux écureuils dans les bois, s'obligeant à faire des pauses régulières quand ses poumons abîmés l'y forçait. Le Loup Blanc se demandait néanmoins comment le Chat Noir avait fait pour ignorer pendant tant de temps que son meilleur ami, apparemment, était un vampire. Même si l'homme avait une apparence très humaine, il conservait des capacités et des caractéristiques qui auraient dû le trahir.
- Tu l'as côtoyé combien de temps, ton ami ? demanda finalement Geralt.
Ace referma la bouche, pour le plus grand plaisir du Loup Blanc qui commençait à avoir la migraine et mal aux oreilles. Merci l'influence des mutations sur les sens, c'est toujours un plaisir les environnements bruyants. Le D. sembla réfléchir, avant d'offrir sa réponse :
- Deux ans et demi sur le même navire… plus ou moins…
- Et malgré ça, tu n'as jamais eu l'idée qu'il était un vampire ?
- Qui ne se met pas le doigt dans la bouche pour éviter de saigner partout quand il se fait mal ? Dois-je te rappeler de l'image de la culture populaire des vampires ? Genre, l'horreur du soleil, de l'ail, des objets saints, la nécessité de consommer du sang pour survivre et leur goût prononcé pour les vierges ? De tout ça, la seule chose qui correspondait à Thatch, c'était son intérêt pour les vierges. Personne n'a jamais su comment il faisait, mais il arrivait toujours à trouver une vierge quand il était de sortie et ce, sans s'attaquer aux gosses.
Ace s'arrêta dans leur marche et se retourna dans un craquement de branchages et de feuilles pour faire face à son camarade mutant.
- Je suis marié à un homme-phénix. Avant qu'Eilhart me vole mon pouvoir, j'étais un homme-feu. Mon capitaine, bien qu'humain, faisait pas moins de six mètres de haut, soit plus de trois fois ta propre taille. J'avais un homme-diamant parmi mes camarades, et un homme-poisson, ce qui n'a rien à voir avec les vodyanois ou tout ce qui est noyeur et compagnie. Ma meilleure amie est la réincarnation d'une divinité. Et je parle pas de mon familier qui est une panthère capable de changer de couleur et de mon petit-frère qui peut étirer tous ses membres sur plusieurs mètres sans la moindre difficulté. Je suis habitué à l'étrange, peut-être même plus que toi ! J'ai vu des hommes avec deux coudes dans chaque bras. Et tu veux que je songe au vampirisme parce qu'un de mes meilleurs potes est un charmeur et qu'il a plus de facilité à survivre et à se rétablir que la majorité des gens ?
Ils interrompirent leur conversation et levèrent la tête vers un lopin de terre qui les surplombait. Ils entendaient du bruit. Un homme d'âge mûr, certainement un ancien soldat, si on en jugeait par sa façon de se mouvoir, les battements de cœur et son souffle. Il était inquiet, effrayé même. Par précaution, Geralt porta une main à son glaive alors qu'Ace saisissait le bisentô à deux mains. Juste en suivant, l'homme qu'ils avaient entendu glissa de la pente et se rattrapa de justesse devant les sorceleurs. Il les regarda avec soulagement :
- De l'aide ! Enfin ! J'ai bien cru que c'en était fini de moi !
Un regard à la tenue de l'individu qui restait d'une bonne qualité même si elle était déchirée et sale, , annonçait qu'il n'était plus dans l'armée et qu'il avait réussi à se reconvertir dans une branche qui, à défaut de le payer énormément, donnait un bon revenu et un certain prestige.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Geralt.
- C'est mon ami ! Il est toujours dans cet horrible endroit !
- Quel endroit ? s'enquit Ace en fronçant les sourcils.
- Cet hôpital !
Il pointa du doigt le haut de la pente qu'il avait descendue. Les deux sorceleurs reculèrent pour mieux voir, apercevant des vestiges de murs en brique.
- Vous êtes les deux hommes dont Cédric m'a parlé, ceux qui voulaient voir le manoir qui avait brûlé il y a longtemps ? se fit confirmer Geralt.
- Je suis Rupert Brandhuber, un médecin d'Aedirn. Je suis venu ici avec un ami à la recherche d'herbes très rares.
L'herbe la plus rare qu'ils connaissent, c'était la faenweed, mais à leur connaissance, on n'en trouvait pas dans les parages. Ils n'y croyaient pas à son histoire.
- Ces bois ne sont pas le meilleur endroit pour ramasser des fleurs, pointa Geralt. Il y a les monstres et les Scoia'tael.
- On nous a avertis, mais la tentation était trop forte ! On a réussi à rejoindre le site de l'incendie… mais pas la moindre trace de cette herbe. Cependant… il y avait quelque chose en bas… quelque chose…
Un aboiement les alerta. Un chien. Et il avait peur. Il avait mal. Très mal. En réponse, les rares oiseaux des environs s'envolèrent sous la panique.
- C'est le chien de Gridley ! reconnut le médecin.
- Quelque chose vient, nota Geralt.
- Nekkers, reconnut Ace.
Et juste à cet instant, comme une marée couleur boue, des nekkers dévalèrent la pente.
- IGNI !
Le jet de flammes jaillit de la paume du Loup Blanc, grillant les premiers rangs d'ogroïdes, avant de laisser sa place à Ace qui se mit à découper aussi vite et efficacement que possible les monstres avec son glaive d'argent. Geralt en profita pour prendre l'humain par le bras pour l'attirer derrière lui, afin de le protéger. Il remit une couche d'huile contre les ogroïdes sur sa lame. C'était de l'acier, pas ce qu'il y avait de plus efficace, mais ça ferait l'affaire. Il devait tenir et protéger l'homme, cramant et repoussant avec ses signes magiques les monstres passant la garde de son camarade. Ace tournoyait sur lui-même, fauchant autant que possible les monstres et remontant vers le goulot de la pente par où ils se déversaient, finissant par disparaître au-dessus de leurs têtes. Seul le Haki et l'oreille de Geralt lui permettaient de savoir qu'il était toujours vivant. Il entendait le cœur s'accélérer sous l'effort, les cris des nekkers que l'argent tranchait et surtout le sifflement caractéristique de la respiration du D.
Bientôt, moins de monstres parvinrent à passer la garde du Chat Noir. Puis plus aucun. Et enfin, le silence. Ace réapparut en haut, la respiration sifflante, avant de disparaître de nouveau, mais c'était assez pour savoir que la situation était sous contrôle.
- On va chercher votre ami. Restez caché.
Et sans un mot de plus, Geralt rejoignit l'autre sorceleur. Il contourna les ruines qui ne lui inspiraient rien qui vaille. L'incendie avait fait des ravages considérables, et le temps n'avait laissé que des morceaux de murs de brique grisâtre encore debout. On ne parlait plus de mauvaises herbes pour ce qui aurait dû être le jardin, mais de la forêt qui avait repris son territoire, avec des jeunes arbres poussant entre les failles et les herbes rases humides se nouant autour des chevilles des promeneurs. Ace était à peine plus loin, au bord d'une fissure dans le sol montrant une cave au-dessous. Geralt le rejoignit et constata que son camarade était penché sur le corps d'un chien qui avait été massacré par les nekkers. Le D. pointa quelque chose du doigt et Geralt regarda dans cette direction. Oui, il y avait bien une cave sous leurs pieds, puisqu'un escalier de pierre leur faisait face, récemment dégagé des herbes qui avaient dû le masquer avec le temps. Et il s'enfonçait dans les profondeurs des ruines et de la terre. Leur Haki disait que quelqu'un était là, dedans, dans les profondeurs.
- On va chercher votre pote et on revient, lança Ace au médecin qui venait de regrimper la pente.
Geralt laissa son camarade passer en premier, puisqu'il avait le glaive d'argent. Lentement, ils descendirent les marches légèrement glissantes à cause de la mousse et de l'humidité. Les couloirs étaient étroits, éclairés de temps à autre par des trous dans le plafond laissant entrer la lumière incertaine de la forêt.
Il y avait quelque chose dans le bâtiment… comme… comme une atmosphère lourde, un mauvais pressentiment…
- J'aime pas cet endroit, j'le sens vraiment pas… y'a tellement… tellement… murmura Ace avec une voix blanche.
Puis ce fut l'éruption, coupant la parole au brun.
Des flammes jaillirent bruyamment de partout, comme s'ils étaient au cœur d'un incendie, bloquant certains accès des ruines.
Une voix déformée venait d'un peu plus loin. Une forme noire traversa le couloir devant eux, passant brièvement sous l'ouverture dans le plafond.
-~Ils n'auraient pas dû faire ça ! Plus fous que ceux d'ici… Oh quelle avarice…~
C'était une sorte de Langage Ancien déformé, bien familier à quiconque vivant sur le continent. C'était la langue des Nilfgaardien.
La fumée s'éclaircit et Ace se laissa glisser au sol, lentement, contre un mur, les flammes se reflétant sur son visage étrangement pâle. Son arme tomba de sa main, comme s'il avait perdu toute force. Inquiet, Geralt le rejoignit, s'accroupissant à son niveau, une main sur son épaule.
- T'as vu ce…
- L'endroit est hanté, Ace, reprends-toi. C'est pas ta première fois, t'es un sorceleur, t'es plus un novice.
- C'est… c'est réel ? Je… j'hallucine pas ?
Vu que le Loup Blanc arrivait à sentir la chaleur des flammes, oui, c'était bien réel.
- Ace, reprends-toi. Tu fais comment quand tu es en solo sur un cas comme ça ?
- J'abandonne le contrat !
Geralt leva les sourcils.
- Tu as peur des fantômes ?
- Les spectres classiques, non, mais… mais quand y'a…
Comme un enfant effrayé, Ace se recroquevilla sur lui-même en essayant de respirer. Clairement, le D. était plus sensible aux émotions résiduelles de l'endroit qui était clairement hanté.
- Mutation ? se renseigna le Loup Blanc.
- En partie. Y'a le traitement… et le Haki… les émotions sont si fortes et si mauvaises…
Prenant la décision la plus intelligente qu'il voyait dans l'état des choses, Geralt hissa son camarade sur pied qui se débattit.
- Viens, on s'éloigne, lui dit Geralt.
Il tira difficilement son ami vers la sortie et l'assit sur l'escalier.
- Calme-toi, d'accord.
- Je suis parfaitement calme ! aboya Ace.
S'il le disait.
- Je reviens vite, se contenta de lui dire le Loup.
Et il s'éloigna, retournant dans le couloir en flamme. Il ramassa au passage le glaive d'argent de son camarade. Il en aurait bien besoin en bas.
L'homme emprunta le seul passage ouvert qui lui était accessible, longeant les diverses ouvertures engorgées de flammes. On voulait qu'il aille dans un endroit bien particulier, et il le ferait. Il descendit dans une pièce assez grande du sous-sol, avec, en son centre, une partie du sol de pierre remplacée par du plancher. Son médaillon se mit à vibrer. Il enduisit la lame d'argent d'huile contre les spectres en s'avançant un peu plus dans la pièce.
Il sentait les énergies condensées ici, plus fortes et plus mauvaises qu'ailleurs. Du coin de l'œil, il remarqua un coffre plus ou moins intact contre un mur, pas loin de l'autre sortie de la pièce qui était, elle, coupée par les flammes. Avec prudence, le sorceleur s'approcha du coffre et en souleva le couvercle. Il y avait des dossiers dedans, préservés de l'humidité et du temps. Il se pencha pour les récupérer quand son instinct l'avertit et il se retourna d'un bond, parant l'attaque d'un spectre qui venait de surgir du sol avec un de ses potes, une faucille à la main. Le Loup Blanc roula hors de la portée des fantômes et revint ensuite à l'assaut pour les prendre par derrière, le glaive d'argent faisant hurler l'esprit qu'il venait d'attaquer. Pendant un temps, il roula dans la pièce et se protégea avec Quen au maximum pour finir rapidement l'affrontement sans pour autant se faire tuer. Une fois son exorcisme terminé, il revint vers les dossiers et les ouvrit.
C'était des notes du vieil hôpital psychiatrique.
Il en lut quelques-unes par curiosité, avant de s'intéresser à une page au sujet d'un patient numéro soixante et onze. L'une des dernières entrées à son sujet. L'homme avait la dysenterie, il était donc vu comme condamné. Il avait été mis en isolation pour ne pas perturber les autres patients et le médecin en charge de son cas avait réclamé à ce qu'on prie pour lui. Mais il parlait aussi de dosage et d'herbes. Des herbes médicinales capables de délier des langues.
Intéressant.
Il entendit nettement le feu s'éteindre et se retourna.
La sortie auparavant bloquée venait de s'ouvrir.
Et avec, des lamentations, des cris lointains et fantomatiques. Il voyait même dans le lointain un homme, certainement le fantôme d'un fou, se cognant contre un mur sans s'intéresser le moins du monde à Geralt. Ce devait être une forme résiduelle et pas un spectre comme ceux qu'il venait de combattre.
Avec précaution, il grimpa les petites marches et continua dans le couloir, s'enfonçant de plus en plus dans les entrailles de l'ancien asile.
L'esprit noir revint, traversant des flammes qui étaient droit devant Geralt. Et s'il était noir, c'était tout simplement parce qu'il portait une armure. Une armure noire avec de la peinture dorée et un heaume doté de deux ailes décoratives sur les côtés. L'armure des soldats Nilfgaardien.
- ~Ils n'avaient pas besoin de faire ça… c'étaient des innocents… et moi donc ?!~
Les flammes que l'esprit avait traversées s'éteignirent, laissant la voie libre pour Geralt.
Clairement, c'était une invitation à le suivre.
Prenant garde à ne pas se brûler au passage, le glaive d'argent entre deux mains fermes, le Loup Blanc s'avança dans les couloirs. La luminosité prenait parfois une teinte mauve entre les flammes et le semblant d'obscurité ambiante. Cela faisait froid dans le dos. Parce qu'outre les résidus de ce qui devaient avoir été les anciens patients, il y avait les hurlements qui se répercutaient en écho dans les couloirs. Des cris de douleur, des rires maniaques, des marmonnements délirants.
Essayant de ne pas se laisser toucher par l'ambiance sombre qui filtrait sous sa peau, il continua sa route, descendant de plus en plus bas dans les entrailles de l'ancien hôpital, luttant contre les spectres qu'il rencontrait. Là où les résidus pacifiques devaient être l'empreinte physique des patients, les spectres agressifs devaient être la condensation de toute cette mauvaise énergie, toutes les émotions négatives de ceux qui avaient vécu et péri ici.
Il trouva d'ailleurs un autre fichier de patient, égaré dans un coin. La patiente quatorze, internée pour schizophrénie. Dans sa bonté, le médecin avait décidé de ne pas lui appliquer le traitement habituel pour ce genre de trouble, autrement dit, le cercle de tête en fer chauffé à blanc. Soi-disant pour ne pas endommager sa beauté. Geralt n'était pas un expert en psychologie et psychiatrie, mais il doutait que ce traitement ait une quelconque efficacité. Donc, au lieu du traitement barbare, le médecin avait décidé de lui administrer une dose supérieure d'herbes. Le reste parlait de l'agressivité de la patiente et du fait qu'elle avait fait des dessins sur les murs desservant une analyse.
Qu'était donc cette herbe si importante à laquelle on faisait appel pour les patients à l'époque ? Est-ce que c'était la même herbe dont avait parlé cet Aedirnien ?
Au détour du couloir, le spectre du soldat Nilfgaardien réapparut, incitant Geralt à le suivre toujours plus loin dans les boyaux de l'asile.
Plus il descendait, plus il comprenait pourquoi Ace n'avait pas pu s'aventurer plus loin. Parce que peu importe ce qu'il s'était passé ici, cela avait laissé un grave impact sur les malades. Il ne savait pas si c'était un effet de la hantise ou si c'était resté dans les murs, mais les pierres du couloir étaient décorées de dessins étranges, dérangeants pour les plus supportables, faits dans ce qui ressemblait à du vieux sang.
Il tomba par hasard sur un autre dossier de patient qui le fit s'asseoir et réfléchir. Le patient quinze disait avoir été enlevé par la Chasse Sauvage. Il avait parlé de mondes fantaisistes et étranges sujets à des génocides, où les licornes se baladaient entre les tombes des humains, avec parfois, la présence de jardins elfiques. De plus, il disait que bien qu'il ait passé une année en captivité, cependant, tellement de temps était passé sur leur monde qu'il avait trouvé la tombe de ses enfants.
Il y avait quelque chose dans cette histoire de très familier, mais il n'arrivait pas à savoir quoi. Ce fut la raison pour laquelle il conserva le fichier du patient et le roula pour le ranger dans sa besace à ingrédients.
C'est là qu'il trouva un homme recroquevillé sur lui-même au beau milieu du couloir, pleurant de peur. Dans sa peur, il tenait un discours décousu intéressant :
- C'est pas ma faute… ! C'était pas moi ! J'le jure !
- Qu'est-ce qui n'était pas votre faute ? demanda Geralt.
- Du feu ! Du feu partout ! C'était pas supposé arriver ! Je le voulais pas ! J'le jure !
En soupirant, le sorceleur chercha dans ses herbes une plante qu'il fit respirer au pauvre homme, le calmant peu à peu.
- Où… où suis-je ? Qui êtes-vous ? demanda l'homme en revenant finalement plus ou moins à ses sens.
- Votre ami Rupert m'a demandé de vous retrouver.
- Rupert ? Il est en vie ?
- Ecoutez, vous et votre ami, je ne comprends pas encore pourquoi, mais c'est certain que vous ne dites pas la vérité, c'est pleinement visible. Cet endroit à une histoire très sombre et je suis certain que vous n'y êtes pas inconnus. Est-ce que vous comprenez de quoi je parle ?
- Ou-oui…
- Parfait. Donc, maintenant, vous allez me dire toute l'histoire et ne loupez aucun détail.
- L'histoire ?
- Il y a toujours une histoire, Gridley. Alors, crachez-la.
Alors, l'homme accepta de parler.
- Nous sommes d'anciens soldats, nous nous sommes battus pour Aedirn pendant la dernière guerre contre Nilfgaard. Mais c'était il y a longtemps. J'étais l'adjugeant de Rupert dans l'hôpital de campagne que notre unité avait monté dans ce vieux manoir. Ça ne nous dérangeait pas trop de vivre ici. Les patients étaient assez amicaux… pour la plupart. Un jour, une de nos équipes d'éclaireurs a capturé un Nilfgaardien. Il désespérait de retrouver sa liberté, alors, il a dit qu'il faisait partie d'un détachement qui avait caché un gros butin d'Aedirn. On n'arrivait pas à croire à quel point on avait de la chance ! On pensait que les dieux nous souriaient ! On avait entendu des histoires incroyables sur ce butin, on avait interrogé tous les Escadrons Noirs qu'on avait capturés par le passé, à ce sujet. Et là, notre travail allait enfin payer. Donc, on s'est décidé à le faire parler…
- La torture ? devina Geralt.
- Notre commandant voulait qu'on le brise sur la roue, mais Rupert disait avoir une meilleure solution. Il était question d'une herbe locale. Si on la préparait correctement et qu'on la faisait boire, elle forçait à dire la vérité.
Ah, donc, il était question de la même herbe qui était utilisée sur les fous d'après les vieux rapports.
- Le commandant a interrogé le prisonnier et il a dessiné une carte en même temps. Et on a fait la fête en prévision de notre fortune, discutant de comment on se partagerait le trésor, mais pour le coup, on a pris quelques libertés avec les patients. Le prêtre qui s'occupait d'eux a protesté et un de nos gars… lui a fracassé le crâne.
Le sourcil de Geralt se souleva d'un demi centimètre.
- Continuez de parler, Gridley et il se pourrait bien que je vous aide à sortir d'ici en un seul morceau et en vie. Qu'est-ce qu'il s'est passé ensuite ?
- Une fois que notre prisonnier eut fini de parler, le commandant l'a fait écarteler devant les timbrés… Ils avaient déjà montré qu'ils étaient bien dérangés, auparavant, mais quand ils ont vu et senti le sang, eh bien, on ne pouvait plus les contrôler. On a dû en découper beaucoup… je ne sais même pas comment le feu a commencé !
- Est-ce que l'un des patients a survécu ?
- Deux femmes. Une gamine qui a disparu avec notre carte et une jeune femme, une zerrikanienne d'après sa peau, mais avec de drôles de yeux. On aurait dit deux améthystes. Une fille sauvage, silencieuse et… farouche. Elle avait arraché avec ses ongles l'œil d'un des gars qui avait voulu la tringler, et quand elle mordait, on mourrait toujours dans les instants suivants. Suite à l'incendie, elle a tranché la gorge de notre commandant et d'une bonne moitié des survivants. Vu que la guerre faisait rage, les mouvements au front nous ont forcés à abandonner les recherches.
- Et vous revoilà, après tout ce temps. Vous pensez vraiment que vous pouvez les retrouver après toutes ces années ?
- Certainement pas ! La zerrikanienne a réussi à nous décimer sans problème, on veut pas tenter le diable ! C'est plutôt qu'on n'a pas eu beaucoup de chance depuis, dans nos vies, et Rupert, c'est encore pire. C'était notre occasion de renverser la machine. La chance nous avait souri une fois, peut-être qu'elle pouvait se remanifester si on revenait ici.
Le Loup Blanc soupira.
- Je ne compterais pas dessus. J'ai bien l'impression qu'on a affaire à une malédiction puissante. Peut-être même lancée par quelqu'un qui savait ce qu'il faisait. Un bon point de départ serait de trouver ce qu'il pourrait rester de la dépouille du Nilfgaardien.
Et comme si on l'avait invoqué, l'incendie en bout de couloir disparut, laissant apparaître de nouveau le fantôme en armure noir et or avec l'emblème du soleil. Il regarda Geralt un instant, avant de tourner les talons et disparaître à l'angle du couloir.
Le sorceleur se releva de là où il était accroupi devant Rupert et partit à la poursuite de l'esprit. En fait, ce n'était pas dans un couloir qu'il avait tourné. Il était entré dans une large pièce avec quatre piliers en son centre, soutenant une grande planche de bois. Et au centre, menant à cette planche, une échelle tenait miraculeusement debout, insensible aux flammes qui couraient sur son bois. Le spectre était accroupi devant une vieille armure brûlée et abîmée par le temps. En entendant Geralt, le soldat se releva, sans pour autant faire face au mutant.
- Je t'attendais, Loup Blanc, dit l'esprit dans la langue commune du nord.
- Que veux-tu, le spectre ? Leur mort ? demanda Geralt.
- Comme le Serpent à Plumes l'avait dit, deux des vingt sont revenus là où plus personne ne reste. Cependant, un seul les jugera. S'il a pitié, il les offrira à la mort. S'il est cruel, il leur donnera ce pourquoi ils sont venus. Tels furent les mots du Grand Serpent à Plumes.
- Merveilleux, une prophétie. J'aurais dû m'y attendre, soupira le mutant.
- Apporte-moi leur cœur, que je festoie sur la couardise… apporte-moi leurs yeux, que je leur crache dedans avant qu'ils ne s'éteignent à jamais.
Et il se retourna, montrant un visage brûlé, noirci, où il ne restait que des os et deux yeux blancs comme la nacre.
- C'est ce que tu veux ? D'accord.
Geralt trouverait un moyen de lever cette malédiction et il avait une petite idée de comment s'y prendre. Il allait faire demi-tour quand il remarqua un coffre à proximité. Il alla le voir et y trouva un nouveau dossier. Ce devait être celui de la femme dont Gridley avait parlé. Il était en effet question d'une femme, issue certainement d'un croisement entre elfe et zerrikanien, qu'on avait dû mettre en isolement à cause de sa violence. Impossible de lui appliquer le moindre traitement. La femme en question disait avoir des visions, ce qui était, sans nul doute, des délires, pour le médecin. Ils avaient tenté de l'affamer pour l'affaiblir, et ainsi, rendre son mal moins coriace pour parvenir à la soigner, mais étrangement, elle n'avait montré aucune différence jusqu'à présent. Le rapport s'arrêtait là. Il le roula et le fourra dans sa besace à ingrédients, avant de quitter la pièce et de retrouver Gridley qui s'était réfugié un peu plus loin, contre un mur.
- Alors ? demanda d'une voix chevrotante l'homme.
- Allons retrouver Rupert.
Il prit l'humain fermement par le bras et l'entraîna avec lui pour sortir de l'hôpital. Une fois dehors, il retrouva Ace qui s'était installé contre un morceau de mur, apparemment en pleine méditation. Bonne initiative, il n'y avait rien de mieux pour calmer son esprit et se recentrer sur soi-même. Geralt se décida de ne pas le déranger. Il en aurait vite fini, de toute façon.
- Gridley ! Merci mon dieu, tu es en vie ! soupira de soulagement Rupert en les voyant arriver. Qu'est-ce qu'il s'est passé en bas ?
- Vous avez été maudits. Par le soldat de l'empereur que vous avez tué, avec certainement l'aide de la zerrikanienne. Le spectre du soldat hante le coin.
- Vous êtes un sorceleur ! Occupez-vous de lui ! s'exclama Rupert alors que Gridley continuait de trembler de tous ces membres.
Honnêtement, non, Geralt n'avait pas envie de le faire. Ils avaient déclenché tout ça, il était temps qu'ils payent pour leur erreur. Et puis, ils étaient dans les bois, personne ne le saurait jamais. On pourrait supposer que ces deux hommes s'étaient retrouvés nez à nez avec des Scoia'tael. Ou que les nekkers avaient eu raison d'eux.
- C'est déjà fait, mentit le Loup Blanc. Cependant, j'ai vu quelque chose qui vaut le détour et qui vous intéressera grandement. Venez, ne traînons pas.
Il tourna les talons et les incita à le suivre dans les ruines de l'ancien hôpital. Et sur le chemin, il n'y avait rien. Comme si la malédiction comprenait le piège que Geralt tendait et l'aidait dans ce sens. Les deux anciens soldats n'étaient pas des plus rassurés et ils ne cessaient de poser des questions au mutant pour avoir des explications, mais le sorceleur restait silencieux. Enfin, à quelques pas de la pièce où attendait le spectre, il s'arrêta.
- C'est dedans. Vous ne serez pas déçus.
Les deux hommes échangèrent un regard, hésitèrent, puis franchirent le seuil. Ils poussèrent un hurlement quand le fantôme se matérialisa. Ils voulurent fuir mais Geralt leur coupait la route.
- Qui vois-je ? Vous vous rappelez de moi ? Vous vous rappelez comment vous m'avez découpé en morceaux, petit bout par petit bout ? Vous vous rappelez de ce que vous avez fait aux gens de cet endroit ? L'avatar de Quetzalcóatl vous avait mis en garde, mais vous avez ignoré les paroles de la Devineresse ! Il faut en payer le prix !
- Vous nous avez trahi ! rugit Rupert à l'adresse de Geralt.
Le Loup Blanc se contenta de hausser des épaules.
- Les crimes méritent châtiment et c'est la seule réparation qui peut lever cette malédiction. Je te les laisse.
- Je n'ai plus besoin de toi. Que le festin commence, mes amis…
Geralt tourna les talons et quitta la pièce, sourd aux hurlements d'agonie des deux anciens soldats qu'il venait d'abandonner à leur sort.
Il quitta l'hôpital et constata qu'à la sortie, son camarade l'attendait de pied ferme.
- J'ai entendu les hurlements, se justifia le D.
- Une vieille malédiction. Un soldat Nilfgaardien a eu l'aide d'une sorcière qui avait été internée pour jeter une malédiction en vengeance pour ce qu'il s'était passé. La malédiction est levée, ce n'est plus un problème.
- Une sorcière ?
- Très certainement, et une zerrikanienne en plus de ça.
- Ouch. Ce devait pas être beau à voir les corps qu'elle laissait derrière elle.
- Allons-y, Triss doit nous attendre.
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Ils continuèrent de s'aventurer dans la forêt, tombant un peu par hasard sur un autel d'une divinité grimaçante qu'était Vaiopatis, un dieu primal, païen, étrangement à quelques dizaines de mètres des vestiges d'un possible aqueduc elfique qui n'était plus que l'ombre de leur gloire passée à présent. Est-ce que les elfes avaient vénéré, eux aussi, à une époque, Vaiopatis était une question qui ne trouverait jamais de réponse, parce que les elfes n'étaient pas prêts de partager le fonctionnement de leur propre foi avec des êtres aussi brutaux et peu raffinés que des humains. Ils finirent par arriver au lieu qu'on leur avait indiqué, après avoir rencontré quelques bandits au passage.
Ils trouvèrent ainsi Triss, en haut de la pente, qui avait l'air de les attendre depuis un petit moment au vu de la façon dont elle tapait du pied en les voyant approcher.
- Vous avez pris votre temps. /Et toi, on t'entend à des lieues à la ronde./
Elle venait d'adresser ce dernier commentaire à Ace dans sa langue natale.
- Omae, se contenta de répondre Ace. La magie t'a peut-être aidée à apprendre immédiatement ma langue natale, mais tu connais pas pour autant les nuances. Tu pourrais dire anata à une autre magicienne, à une personne que tu respectes, qui t'es peut-être supérieure. Ce n'est certainement pas le cas pour moi. A l'extrême limite, ça aurait été kimi, j'aurais compris, mais franchement, anata…
Ace secoua la tête avec amusement.
- /La magie n'est pas synonyme de science infuse,/ finit par conclure le D. avec un sourire moqueur dans sa langue natale.
- En attendant, on est ici pour gérer un kayran, rappela Geralt qui n'avait rien compris.
- Je me demande ce qu'il reste de l'épave dont a parlé Cedric, pointa Triss.
- Si le kayran a attaqué le navire, il ne doit pas y rester grand-chose, marmonna Ace.
- Conclusion, on cherche des traces de la bête, pas un navire, pointa le Loup Blanc.
- Venez voir, leur dit Triss.
Elle les entraina vers le bord d'un immense pont elfique en ruine qui aurait dû continuer à s'étirer plus loin. Et ainsi, ils avaient une vue imparable sur la carcasse d'un navire qu'on voyait tout juste à cause de la brume. Seul le mât dépassait au pied d'un fragment du pont. Ils devaient donc trouver un moyen de descendre à son pied. Ils suivirent un petit chemin jonché de rochers qu'ils descendirent avec prudence pour ne pas se casser la pipe, traversant des ouvertures de la roche. Enfin, ils arrivèrent au niveau de la berge. Geralt s'arrêta le premier et s'accroupit sur la terre boueuse, l'observant attentivement. Ace se pencha par-dessus son épaule, sans rien dire.
- Tu vois ces traces de pas, Triss ? demanda Geralt en écartant quelques brins d'herbes.
La rousse se pencha à son tour pour mieux voir.
- Exact. C'est un drôle d'endroit pour une balade du soir, pointa la magicienne.
- Sauf si tu es à la recherche de frissons ou si tu as des envies de suicide, proposa Ace.
Les deux mutants se redressèrent et se dirigèrent vers le marécage.
De vieux amis jaillirent de l'eau pour les accueillir. Des noyeurs. Geralt tira le glaive d'argent d'Ace qu'il ne lui avait pas encore rendu. Le D se contenta donc de ses signes pour se défendre et laissa le gros du travail à Triss et Geralt.
- J'ai presque la larme à l'œil de revoir de si vieux amis, nota froidement le Loup Blanc.
- Moi pas, c'est chiant de remonter le Pontar sur une barque quand tu en croises tous les cent mètres, grommela Ace. D'ailleurs, je peux récupérer mon arme ?
Sans se faire prier, la lame d'argent retourna dans le fourreau du Chat Noir.
- Occupons-nous de voir les traces du kayran, demanda Geralt.
Ils regardèrent autour pour voir un trou dans la falaise, embourbé par des filets de mucus formant presque une toile d'araignée. Et dedans, des œufs ternes, clairement morts depuis longtemps. Alors que les deux mutants allaient s'approcher, Triss leur demanda de patienter un instant et lança un sort de diagnostic sur les traces. Elle leva ses mains pour amasser sa magie, avant de la jeter sur le mucus.
Le résultat ne se fit pas attendre.
- Cette bête est malade, messieurs. Il se meurt, informa Triss.
- Il lui reste combien de temps ? s'enquit Geralt.
- Quelques années, peut-être une décennie au grand maximum.
- Bien trop long pour nous, soupira Ace. Qu'est-ce qui ne va pas avec lui ? Quelque chose d'exploitable ?
- Le sort de diagnostic montre que les cellules de son corps ont muté.
- On est des mutants, Triss, on n'est pas mourant pour autant, pointa logiquement le Loup Blanc.
- Les cellules de son mucus sont semblables à celles d'un cancer. D'une certaine façon, elles se reproduisent plus rapidement que des cellules en bonne santé. Elles sont hors de contrôle.
- Ce sont elles qui font ces tissus rouges, là ? se renseigna Ace en montrant ce qui enveloppait les œufs avec la pointe du bisentô.
- Exactement.
- Pauvre petite chose, dit froidement Geralt.
- Cependant, cette comparaison mène à un point intéressant. Vous connaissez la différence entre les humains et les mutants ?
- On la connaît, Triss, lui dit Ace avec ennui. Les mutations nous ont dotés artificiellement de caractéristiques que l'être humain pourrait mettre des centaines d'années à atteindre par le biais de la sélection naturelle. Pour qu'aujourd'hui, elles arrivent naturellement, il faudrait que ce soit une erreur de codage durant le développement de l'embryon. Une erreur qui rencontre une nouvelle erreur et qui survit au temps là où les autres s'éteignent.
Triss et Geralt le regardèrent avec interrogation.
- Je suis marié au meilleur médecin que ce monde ait porté, sourit le brun avec fierté.
- Tu as d'autres nouvelles intéressantes ? demanda Geralt à Triss.
- Il est hautement vénéneux. Votre métabolisme pourrait neutraliser ces toxines en petites doses. Mais si j'étais vous, je ne me reposerais pas totalement dessus. Une potion d'osmorose pourrait faire ça.
Ace grimaça. Il n'aimait pas les potions. Ou plutôt, elles ne l'aimaient pas lui.
- Je sais quelle herbe il faut utiliser, mais je n'ai pas la moindre idée d'où je peux la trouver. Il faut que je réfléchisse à tout ça, à comment l'affronter, réfléchit le Loup Blanc. Peut-être que je n'aurais pas besoin de la potion.
- Fais ce que tu veux, lui dit Triss. Mais je t'avertis. Sheala est peut-être pressée d'en finir, mais demande de l'aide aux locaux. Comme Cedric. Et puis, le frère de Portgas est un Scoia'tael qui traîne ici depuis un moment. Il doit en savoir un tas de choses.
- Encore faut-il que je puisse entrer en contact avec lui et qu'il est fort probable qu'il ne se souvienne pas de moi, rappela Ace.
- Vous êtes de grands garçons, faites ce que vous voulez. J'ai deux trois affaires à régler, je suis certaine que vous pouvez vous débrouiller sans moi.
Elle ouvrit un portail magique et disparut dedans, laissant les deux mutants seul à seul.
- On fait quoi ? demanda Ace.
- Retournons en ville.
Et le Loup Blanc se dirigea vers la pente pour retrouver le sommet. Ace se figea brusquement et se retourna, observant le sommet de la falaise en plissant les yeux.
- Ace ? appela Geralt.
- Je pensais… je suis certain…
Il fronça un peu plus les sourcils, avant de soupirer et secouer la tête.
- Mon imagination.
Il se détourna et suivit son camarade pour remonter.
Sur le haut de la falaise, Thatch apparut, levant son invisibilité pour observer de nouveau les deux mutants. Il se releva et tira de sa chemise une lettre intéressante que Merse aurait dû envoyer à Wyzima. Des mensonges sur la vie de Flotsam qui ne tromperaient personne. Il n'y avait pas de fisstech à Flotsam ? C'est ça... La vérité était que Loredo était à la tête du réseau local. Dimitri ? Il avait offert sa tête au troll puisque l'homme en question avait tout de même tué la femelle du gardien du pont. Mais à côté, l'homme avait reçu le pardon de Loredo. Et les elfes ? Ils croyaient vraiment les garder en respect ? Ces idiots. Iorveth était rusé. On n'échappait pas au massacre de la Paix de Cintra en étant un idiot. Loredo avait la trouille de ce que pouvait faire l'homme.
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En revenant en ville, le soleil était à peine couché. Il était temps d'aller rendre visite à Loredo. Tout, sauf amusant. A reculons, le duo se rendit vers la résidence du commandant. Un coin à part de la ville, bien gardé. D'ailleurs, la paire de soldats de la porte avait l'air ultra motivé dans son job et l'un d'eux devait abuser de la bouteille. Ce fut en leur parlant qu'Ace se félicita une nouvelle fois de se rappeler de la recette du dentifrice maison. Bicarbonate de soude, argile blanche réduite en fine poudre, sel et huiles essentielles. Durée de conservation : un mois. Merci Sabo pour cette découverte qu'il avait ramenée dans le Grey Terminal. Parce qu'aujourd'hui, cela lui était encore plus utile qu'auparavant. Surtout devant les mâchoires pourrissantes de ceux avec qui il parlait généralement.
- Le Commandant voulait nous voir, dit Geralt aux gardes de l'entrée.
- Faudra laisser vos armes ici, dit le garde.
Ace regarda le bisentô, puis l'appuya contre le mur.
- Je vous avertis, cette arme à plus de valeur que la vie de chaque habitant de ce misérable patelin. C'est un meitô. Que je retrouve la moindre éraflure dessus, et je peux vous assurer que Iorveth n'aura pas besoin de vous attaquer parce que Flotsam sera déjà en cendre, siffla le mutant.
- Mais ouais, c'est ça…!
- Ne me tente pas.
- Ace, s'il te plaît… demanda Geralt avec lassitude.
- Attends, Loup ! Je dois parler moi aussi à Loredo !
Les deux mutants se retournèrent pour voir Roche les rejoindre en retirant son épée de sa taille. Il s'arrêta et fixa Ace.
- T'es le gars qui a aidé à arrêter le Grand Maître à Wyzima, non ?
- So da, confirma le D. en hochant la tête. Ace, de l'Ecole du Chat. On me surnomme Poing Ardent. Mais je doute que vous vouliez découvrir pourquoi.
- Bon, vous rentrez ou pas ! s'impatienta le garde.
- Ecoute, mon gars, je suis un officier et tu n'es qu'un bon à rien ! Si je te dis de sauter, non seulement tu le feras, mais aussi…
- Roche, s'il te plaît, apaisa Geralt.
Le trio termina de se désarmer et laissa ses armes au pied de la muraille, avant de passer le portail. Cependant, le chef des Forces Spéciales avait envie de râler.
- Avec une armée pareille, Loredo ne pourrait pas protéger le port d'une bande de marins ivres, alors de Iorveth et de ce putain de vampire…
Après tout, la garde à l'intérieur s'enivrait, pire que des marins n'ayant pas vu la terre depuis des lustres et jouissait des prostituées sans la moindre notion de pudeur. Une écœurante orgie à ciel ouvert. Alors que la ville mourrait de faim, ici, alcool et nourriture étaient légions.
Les commentaires rageux de l'agent spécial valaient le détour, quand ils virent une baliste pointant sur le fleuve dans un coin du jardin privé du commandant, sous la garde d'un homme encore sobre.
- Une baliste ! ragea Roche. Vous connaissez la puissance de cette arme !
- Mhm, confirma Geralt.
- Son bras, s'il est renforcé de plaque de bronze et avec des crins de chevaux, peut lancer des projectiles jusqu'à un mile de distance !
- Oui, et une équipe qui a de l'expérience peut tirer deux traits par minute, mais il est impossible de frapper deux fois le même endroit parce qu'il se renverse à chaque tir. J'ai déjà entendu ça avant.
- Où ça ?
- Tu vas pas me faire croire que c'est le vieux Vesemir qui t'a appris ça, lui dit Ace.
- Non, ce n'est pas lui. J'ai connu quelqu'un qui savait tout ça, répondit vaguement le Loup Blanc.
Inutile de dire qu'il tenait ça de Foltest. Trop de questions. Trop chiant.
- Peu importe, fit Roche. Il va falloir l'endommager si on veut pas être à la merci de Loredo. Vu qu'ils sont tous saouls, dans l'immédiat, je pourrais bien provoquer le garde de la baliste et…
- Brillant, Vernon Roche ! Tout bonnement brillant ! se moqua Ace en applaudissant narquoisement le soldat. Provoque le gars et démerde-toi pour survivre à l'assaut de tout ce beau monde. Laisse-moi faire et contente-toi d'aller boire.
- Tu crois qu'Axii marchera ? demanda Geralt à Ace.
- Si ça ne fonctionne pas, il perdra connaissance. Point. Suffit de savoir où frapper. Ou lui faire se prendre une vague en pleine tête.
Et sans un mot de plus, Ace alla voir le garde qui surveillait le jardin pour que personne ne s'approche de la baliste. Le soldat cligna des yeux et ouvrit la bouche pour parler quand le mutant commença ses signes.
- Laisse-moi approcher de la baliste, demanda à voix basse le mutant.
Ses yeux d'argent s'allumèrent brièvement et l'homme referma la bouche. Il se tourna pour laisser le passage au D. qui grimpa sur la plateforme et s'approcha de l'objet. Il l'observa rapidement avant de choisir deux pièces discrètes qui rendraient l'arme inutilisable sans qu'on ne le remarque. Il se détourna et quitta les lieux en sifflotant innocemment. Roche cligna des yeux alors que Geralt secouait la tête avec lassitude.
- La baliste est hors d'usage, Commandant Vernon Roche. Avec les compliments du Chat, annonça tout bas Ace en donnant les petites pièces qu'il avait volées de l'arme.
- Allons voir Loredo, recommanda Geralt histoire de briser l'air médusé de l'humain.
Les trois hommes se dirigèrent vers la grande bâtisse qui surplombait le jardin sur ces trois voire quatre étages. Ils montèrent un escalier extérieur pour arriver directement au premier et se dirigèrent vers la porte pour rejoindre le bureau (comment tous ceux qui ont de l'égo, les chefs, quels que soient les époques et les mondes, sont toujours au dernier étage pour contempler ce qui est à eux ?). Sauf que voilà, un soldat montait la garde devant la porte et leur interdit le passage.
- Loredo est occupé avec cette magicienne, Sheala, là. Revenez plus tard.
- Nani ?
- Venez, messieurs, attendons dans le jardin,
Les deux mutants regardèrent sans comprendre le Strie Bleu et le suivirent alors qu'il redescendait les marches. Ils remarquèrent que l'homme jeta un regard sur le petit passage, entre la muraille et la maison, qui devait mener à l'arrière de la maison. Un chemin qui était gardé par un homme avec une arbalète. Seulement, Roche continua sa route pour se mettre à l'abri sous l'escalier de bois, à l'écart de la fête.
- Bon, est-ce qu'on attend que l'honorable dame en ait fini avec le vénérable soldat ? demanda Geralt avec un sarcasme à peine perceptible.
- C'est une perte de temps. Sans parler qu'il y a un bon nombre de la garde de Flotsam ici, et ne parlons pas des mercenaires, grommela Roche. On devrait plutôt fouiller. Vous avez vu l'arbalétrier à côté de la maison ?
- Faudrait être aveugle pour ne pas le voir, lui dit Ace.
- Je vais attirer son attention, l'occuper un moment. Pourquoi l'un de vous deux n'irait pas voir ce qu'il surveille aussi précieusement ?
Avant que les mutants ne puissent dire ce qu'ils pensaient à Roche, un homme, un marchand, vint à leur rencontre. Comme quoi, ils n'étaient pas aussi discrets que ça. Ou alors, c'était surtout parce qu'il était encore sobre par rapport aux autres.
- Mes excuses, messieurs, je n'ai pas pu m'en empêcher, mais j'ai entendu votre conversation.
- Et qu'est-ce que tu veux ? demanda Roche en fronçant les sourcils sous son chaperon.
- En fait, je voudrais plus m'adresser aux sorceleurs. Il se pourrait que j'aie une offre.
Le pirate retint un grognement de lassitude, sentant venir une histoire fumeuse et mauvaise pour ses fesses.
- Une offre ? Intéressant, remarqua Geralt vaguement intéressé.
- Je suspecte que vous n'êtes pas venu à Flotsam simplement pour le plaisir…
- C'est un soupçon correct, accorda le Loup Blanc.
- Êtes-vous au courant du monstre qui vit dans la rivière ?
- Plutôt deux fois qu'une, maugréa le D.
- Il faut donc s'attendre à ce que quelqu'un vous embauche, vous et votre camarade, pour s'en occuper à un moment ou un autre. Je présume donc…
- Arrêtez de présumer, de suspecter et de conclure. Allez droit au but, lui demanda Geralt en lui coupant la parole.
- Notre honorable hôte est en possession d'un morceau de piège qui a été construit spécifiquement pour cette bête.
- Et… ?
- Eh bien, derrière la maison, c'est une aire de stockage où Loredo garde les trésors qu'il confisque des marchands et voyageurs. Il y a des tas de choses intéressantes là-bas…
Le mot trésor alluma une lueur d'intérêt dans le regard d'Ace. Avant qu'il ne fronce les sourcils. Si Thatch était au courant pour la zone, il ne devait pas y rester grand-chose. Sans compter que les vampires supérieurs avaient la vitesse, la force et l'invisibilité. Donc, il avait pu se servir avec plaisir et facilité.
- Et laisse-moi deviner, tu sais exactement où on doit chercher ?
- Précisément. J'ai vu des hommes de Loredo transporter l'objet dans une caisse, au travers le jardin. Ils l'ont mis sur une plateforme près du mur du côté du quartier des artisans.
- Question : pourquoi tu nous dis ça ? demanda Ace.
- Pourquoi ? Parce que l'on doit se débarrasser rapidement de la bête ! Je vous souhaite donc bonne chance !
Et il s'en alla.
Les deux mutants se regardèrent et regardèrent ensuite Roche.
- Je fais la diversion. Mais si vous disparaissez tous les deux, ça va être suspicieux, même si tout le monde est dans la vinasse, leur dit le soldat.
- Je vais t'apprendre un jeu très simple de chez moi qui s'appelle le Janken, annonça Ace à son camarade.
- C'est pas le moment, lui dit Geralt.
- Tu vas voir, c'est très amusant. Et ça aidera à savoir qui s'y colle.
- J'y vais, pas la peine de perdre notre temps avec ça. Et ça me fera un bon entraînement pour le Haki.
Et il hocha la tête à l'adresse de Roche en ignorant la moue que lui adressa le D.
- Très bien, je me charge de la diversion, toi, tu te faufiles derrière la maison.
- Très astucieux.
Les deux hommes s'éloignèrent. Geralt alla s'adosser à la muraille et Roche marcha droit vers le garde.
- SOLDAT ! Au rapport, immédiatement !
- Moi, m'sieur ?
- Tu vois quelqu'un d'autre peut-être !
Et d'un doigt autoritaire, Roche lui montra l'endroit où se tenait encore Ace. En déglutissant, le garde obtempéra, passant devant Geralt sans lui adresser le moindre regard. Le Loup Blanc s'assura que personne ne le regardait et se dirigea vers l'arrière en marchant courbé. Remarquant un homme, un peu plus loin, qui faisait sa ronde avec une torche, le mutant se colla un peu plus au mur et se faufila derrière un gros rocher au centre. Il se cacha derrière, attendant que l'homme passe de l'autre côté dans le sens de l'avant de la maison, avant de reprendre sa route dans la discrétion. Il passa l'angle de la maison et remarqua un seau juste à l'angle qu'il évita de justesse. Un peu plus et il shootait dedans, ce qui aurait alerté l'homme qui faisait ses besoins juste un peu plus loin, contre un mur qui coupait le jardin de la zone de stockage. A pas de loup, il s'approcha de lui et l'attrapa par le crâne pour le projeter contre la muraille, l'assommant proprement. Il prit appui sur le mur d'enceinte qui coupait la villa du monde sauvage et se projeta vers le haut pour attendre la petite muraille qui lui barrait la route vers l'arrière, s'accrochant au bord. De là, il se laissa glisser de l'autre côté et continua sa route en silence. Ici, il y avait plus de gardes, plus de rondes, faisant des tâches orangées dans la nuit avec les torches qui étaient brandies. Il continua sa route pour arriver à l'angle menant à l'arrière de la maison. Un bruit le fit lever les yeux vers une fenêtre à l'arrière, juste à proximité de caisses entassées là. C'était Sheala qui observait la nuit au dehors et qui avait décidé de se retirer de la fenêtre.
Geralt escalada les caisses qui montaient parfaitement jusqu'à la fenêtre d'où venait de se retirer Sheala. Apparemment, le bureau de Loredo n'était pas au tout dernier étage, finalement, mais juste à l'avant dernier. Le Loup Blanc se rapprocha de la fenêtre grande ouverte, et jeta un œil dedans.
La magicienne était assise devant un bureau, les bras croisés avec un air hautain. En face, Louis Merse avait plus ou moins la même posture, quand Loredo faisait les cent pas en allant de l'un à l'autre. Sa façon de marcher disait qu'il n'était pas de bonne humeur.
- Vous oubliez à qui vous avez affaire, Commandant.
- Vous pensez certainement que je suis un idiot ! accusa Loredo en se tournant vers la magicienne une fois dans le dos de celle-ci.
Sheala ne prit même pas la peine de le regarder.
- Difficile de s'en empêcher. Vous retirez la moitié des gardes des rues pour qu'ils surveillent des tapis, des étoffes et des épices que vous avez dérobés aux marchands. Vous avez une idée de la responsabilité qui vous incombe ?
- Vous n'allez pas apprendre à un vieillard comme moi comment pisser, sorcière ! Je dirige Flotsam depuis des années !
- Flotsam est dirigé par la peur de Iorveth et de Thatch. C'est aussi cette peur qui vous dirige. Doit-on reparler de ces pendaisons ratées qui s'enchaînent quand vous décidez de vous débarrasser d'un elfe ou d'un nain ?
- Je pense que ma demande est parfaitement claire !
- Tout autant que celle d'un bambin qui chouine quand il est effrayé. Avec le temps, Commandant, vous allez finir pendu par le cou à un arbre au bord de la route comme un vulgaire bandit. Et cela ne sera que justice parce que vous ne valez pas mieux qu'eux.
- Votre temps viendra aussi, sorcière. On vous mettra au bûcher un jour prochain.
- Assez ! coupa Sheala en élevant un tout petit peu la voix. La peur vous obscurcit l'esprit. Réfléchissez et donnez-moi votre réponse avant qu'il ne soit trop tard.
Sentant qu'il avait perdu assez de temps, Geralt redescendit de son perchoir et reprit son exploration de la zone de stockage à la recherche de l'objet dont avait parlé le marchand.
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Ace se redressa quand Geralt revint vers eux d'une zone reculée du jardin. Roche cessa de s'appuyer contre un des poteaux soutenant l'escalier, sa pipe toujours au bec.
- J'ai laissé le morceau de piège dans la rue, de l'autre côté, il aurait été trop encombrant pour qu'on puisse rencontrer Loredo avec, sans qu'il ne réalise ce qu'on avait fait, expliqua le Loup Blanc.
- Tu as appris quelque chose d'intéressant ? demanda Roche en vidant sa pipe.
- Outre que c'est un magouilleur ? s'enquit Geralt.
- Je ne l'ai jamais aimé de toute façon.
- Loredo entrepose derrière des cadeaux précieux que lui ont faits des marchands. C'est comme s'il s'attendait à ce que Iorveth attaque. Sauf qu'on a quelqu'un qui fait son marché. J'ai remarqué que la majorité des coffres avait été forcée. C'est discret, comme si on ne voulait pas qu'on le réalise.
- Oh le con, putain, ça, c'est bien pensé ! ricana Ace.
- Comment ça ? s'enquit Roche en le regardant.
- De base, je suis un gamin des rues, donc, je visualise parfaitement le but de la manœuvre. Si on retire deux trois trucs discrètement, par-ci par-là, il y a peu de chance qu'on se fasse repérer ou qu'on remarque l'absence, surtout s'il y a beaucoup de richesses au départ. Il y a donc très peu de chances qu'on renforce la sécurité ou qu'on déplace tout ça. On peut donc tranquillement s'assurer d'une source régulière de revenu sans trop de risque. C'est long, mais moins dangereux.
- Ce doit être une idée de ce putain de vampire de merde. Il paraît qu'il a fait ses armes, avant la dernière guerre avec Nilfgaard, sur le pont d'un équipage pirate de Skellige ! cracha Roche.
- C'est pas tout, coupa Geralt en jetant un œil à Ace qui essayait tant bien que mal de ne pas mourir de rire. J'ai entendu le Commandant parler à la magicienne du Kovir. Je n'ai pas réussi à percevoir le sujet de leur conversation, mais il semblerait qu'il attendait quelque chose d'elle.
- Eh bien, on va voir ce qu'il a à dire.
Le trio remonta de nouveau l'escalier, Ace luttant tant bien que mal pour retirer le sourire hilare de son visage. Apparemment, la situation avait évolué pendant qu'ils discutaient et que Geralt faisait son tour du propriétaire, parce que le garde à la porte accepta de les laisser passer.
- Vous pouvez entrer, ils vous attendent, annonça le garde.
- Et où va-t-on ? Parce que ce n'est pas vraiment une hutte, pointa Roche.
- Toi, je veux dire, pardon, vous monsieur, vous ne pouvez pas entrer. Nous avons reçu l'ordre explicite de ne laisser entrer que les sorceleurs et personne d'autre.
- Fils de chienne ! ragea immédiatement le Commandant. D'accord, il veut la jouer comme ça, eh bien on va se la jouer à la dure !
- Je ne veux aucun problème ! paniqua le pauvre soldat. Je vais appeler des renforts, attention !
Il aurait eu l'air moins pathétique s'il ne tremblait pas en plus sur ses jambes.
- Ce ne sera pas nécessaire. Dis à Loredo que j'ai eu son message.
- On se voit plus tard, Roche, salua Geralt.
Avec un vague geste du bras, Roche tourna les talons et redescendit d'un pas rageur l'escalier. Les deux mutants échangèrent un regard et entrèrent dans l'immense demeure de pierre. Ils se retrouvèrent dans un couloir. A gauche, un escalier descendait vers le rez-de-chaussée, mais un garde qui dormait à moitié sur sa hallebarde leur coupait la route. A droite, le couloir continuait pas très loin avant qu'ils ne doivent passer une porte sur un nouveau couloir, en bois cette fois, qui conduisait vers un escalier qui montait au second. Ils s'arrêtèrent à ses pieds en voyant Sheala sortir d'une porte à gauche dans sa longue, majestueuse et très ouverte robe sombre qui mettait parfaitement en relief le cercle de runes qu'elle avait tatoué au-dessus de sa poitrine très bien mise en valeur.
- Vous êtes ici pour voir le Commandant ? demanda-t-elle avec un ton toujours aussi froid.
- Il a apparemment des affaires pour deux sorceleurs, répondit Geralt.
- Bon courage, il est de mauvaise humeur.
- Pourquoi ? se renseigna Ace.
- Si nous devons en discuter, ce sera un autre moment et surtout, un tout autre endroit.
Et elle contourna les deux mutants.
- C'est pas la Misanthrope du Kovir pour rien, marmonna Ace. Même Lambert est moins mal embouché qu'elle.
- Dans un sens, Lambert n'est pas mieux.
Le D. eut une moue disant qu'il en doutait. Lambert pouvait avoir ses moments.
Ils reprirent leur route en passant donc la porte qu'avait franchie la magicienne. La première chose que remarqua Ace fut un petit coffre en acier, caché par un meuble du reste de la pièce. C'était la poste royale. Le D. porta un doigt à ses lèvres et tendit le bras sans ouvrir plus la porte. Il manipula doucement le coffret et dans un discret bruit, celui-ci s'ouvrit. Il n'y avait qu'une lettre à l'intérieur. Ace s'en empara et la cacha dans son armure avant de refermer le coffret comme si de rien n'était. Geralt lui adressa un regard noir et ouvrit un peu plus la porte, signalant leur présence aux deux hommes dans la pièce qui se tenaient debout à côté du bureau.
- Enfin ! s'exclama Loredo en les voyant arriver.
- Ils ne voulaient pas nous laisser entrer pendant que vous étiez occupé avec la magicienne, expliqua Geralt.
- Vous l'avez vue ? Elle est fringuée comme une putain un jour de fête ! Elles croient qu'elles ont tous les pouvoirs, ces satanés sorcières !
- Ce n'est pas pour parler d'elles que vous avez invité dans votre humble demeure deux sorceleurs, pointa Ace d'une voix froide.
Loredo le regarda, le jaugeant du regard avec un sourire que le pirate n'aimait guère.
- Tu dois être le second sorceleur qui est arrivé en ville ! Bienvenu à Flotsam !
- Merci.
- Et c'est quoi ton nom ?
- Ace. On me surnomme Hiken.
- Jamais entendu parler de toi, mon gars.
- C'est normal. Je suis bien minable par rapport au légendaire Loup Blanc.
Geralt adressa un regarda noir à son camarade qu'il trouvait un peu trop moqueur à son goût.
- J'ai appris ce qu'il s'est passé en Temeria. Tu sais que ton nom est sur un avis de recherche ? dit Loredo en revenant à Geralt. C'est malheureux… mais rien qui ne puisse entraver notre arrangement. Un arrangement que je t'offre aussi, mon gars, parce que tous les sorceleurs avec des médaillons de chats sont recherchés.
- J'aurais dû le ranger dans mon col, maugréa le D.
Cependant, c'était intéressant comme remarque. C'était Henselt qui avait mis la tête des Chats à prix et Roche n'avait fait aucun commentaire, donc, la Téméria n'était pas encore concerné. Comment Loredo le savait-il ?
- Cela ne posera aucun problème ici, assura le Commandant. Vous voyez, je suis la Loi ici. Et la Loi a besoin de savoir ce que deux sorceleurs font dans ce trou à rat.
Ace avait bien envie de lui dire qu'il avait été envoyé en mission pour lui offrir un peu de dentifrice ou une nouvelle chemise, mais il n'allait pas s'y risquer. Surtout qu'il était certain, au vu du léger tremblement des mains de l'homme, qu'il était un junkie en plus d'un gros porc lubrique et alcoolique. Qui pouvait dire, malgré l'apparente lucidité de l'homme, ce qu'il serait capable de faire.
- Je ne suis que de passage, j'ai à faire en Aedirn. Je poursuis les rumeurs de phénix, se justifia le D. Le Pontar était le chemin le plus court jusqu'à ce que le Kayran me coupe la route.
- Je l'accompagne. C'est pas courant de rencontrer des phénix hostiles, dit sérieusement Geralt. Et celui présent durant le siège du château La Valette l'était clairement.
Apparemment, Loredo n'avalait pas leur excuse.
- Ecoutez, tous les deux, ici, à Flotsam, tout est ma putain d'affaire. Laissez-moi vous aider, messieurs. Surtout toi, mon gars, tu m'as l'air d'un petit nouveau dans le métier.
- J'étais déjà en activité que ta mère ne s'était pas encore faite ramoner par ton daron, Loredo. Une apparence jeune ne veut rien dire quand on est un sorceleur, lui dit Ace, pas impressionné pour un sou.
- On se débrouille très bien à nous deux, on fait des miracles quand on bosse ensemble, assura Geralt.
- Je suppose qu'on a tous nos secrets, accorda Loredo. J'espère seulement que cela ne reviendra pas à remettre de nouveau en question mon autorité en public.
- Sinon, pourquoi vous avez laissé Vernon Roche à la porte ? demanda Ace.
- Roche ?
Loredo se mit à faire lentement les cent pas tout en parlant :
- Il a une aura qui l'entoure. Les gens comme lui agissent d'abord et réfléchissent ensuite. Et quand ils agissent, du sang innocent coule inévitablement. J'espère donc que vous êtes de notre côté.
- J'étais pas au courant qu'on devait choisir un camp, s'étonna le D. en levant les sourcils.
- Le côté de qui ? se renseigna Geralt.
- Celui des habitants de Flotsam, bien entendu. Ceux qui sont terrorisés par les bandits elfiques depuis des années.
Le reniflement narquois d'Ace disait que sur ce sujet, les deux mutants pensaient la même chose.
- Il fut un temps, cette forêt était la leur, rappela Geralt. Pour les elfes, ce sont les humains les bandits.
- Epargne-moi tes bons sentiments ! Race ancienne, langue ancienne ! Des conneries tout ça ! Aujourd'hui, ils incendient des villages humains, ils empoisonnent nos puits et ils nous assassinent sur les routes ! Tu saisis pas le point…
Ace croisa les bras et recula, laissant Geralt s'exprimer, prenant le même rôle de spectateur que Louis Merse.
- C'est vous qui ne comprenez pas Loredo. Je vous rappelle au passage que vous parlez à deux non-humains.
- Z'êtes des elfes ? Des nains ? Conneries, tout ça. Je chie que ces conneries de monstres pour des cheveux blancs et des yeux brillants. Vous êtes des humains comme les autres. On est en guerre, et vous, mes amis, ne pouvez pas garder un pied dans les deux camps.
La dernière fois qu'on leur avait sorti un truc pareil, c'était dans les sous-sols de la banque de Wyzima et c'était Yaevinn qui leur parlait. Ironique.
- Et pour les elfes et nains qui sont dans les murs de Flotsam ? demanda Ace. Les chasseurs, les cueilleurs, le forgeron, et tutti quanti comme on dit chez moi ? Ils mangent, dorment et chient comme les humains. Vous leur avez demandé leur camp à eux aussi ?
- Qu'est-ce que j'en sais. Et c'est là mon point, sorceleurs. Quand vous luttez pour la survie, vous devez être certains de qui sont vos amis. Les non-humains de Flotsam… oui, comme tu l'as dit, Ace, ils mangent, chient et baisent parmi nous, mais quand Iorveth lancera les hostilités, qui peut savoir ce qu'ils feront ?
- Entre deux maux, il faut choisir le moindre, soyez le moindre mal. Mais si on vous compare à Iorveth, vous ne faites pas le poids. Changez et vous aurez des surprises.
- Ace a raison, appuya Geralt. Et honnêtement, c'est surprenant qu'ils ne se soient pas encore révoltés.
- Comment ça ? s'étonna le Commandant en frottant son menton graisseux.
- Eh bien, les gardes de la ville les traitent comme de la merde, et je pense que le coup du vampire durant la pendaison n'est pas un acte isolé. Honnêtement, je ne vois pas trop ce qui les retient ici.
- Eh bien je vais vous le dire, moi, grogna l'homme en se penchant vers l'avant dans un geste presque menaçant. C'est la faim qui les attend dans la forêt. Mais je vous l'accorde, ces actes de… insubordination, doivent cesser.
Pourquoi Ace avait l'impression que c'étaient des mots creux ?
- Mais les soldats ne sont que de simples hommes. Quand tu vois ton pote mourir avec une flèche de Scoia'tael dans la gorge, c'est un peu dur de ne pas regarder d'un mauvais œil l'elfe qui vend des jolis mouchoirs à sa femme. Vous êtes des sorceleurs, votre job, c'est de protéger les gens des monstres. Moi, je les protège du danger qui réside dans les bois.
- Durant les guerres, il n'est pas rare que des humains tuent d'autres humains, pourtant, je vous vois pas jeter la pierre à ceux qui vous fournissent en alcool, pour autant. Et je suis certain que vos fournisseurs sont humains, pointa Ace.
- La vérité est que vous détestez les non-humains, dit clairement Geralt.
- Je déteste Iorveth et Thatch, ces couards qui s'attaquent aux innocents au lieu d'affronter les soldats. Je déteste ces fils de putains qui assassinent les femmes et les enfants en clamant qu'ils se battent pour la liberté !
Et encore une fois, il envahit l'espace vitale des deux mutants.
Ace serra les dents et les poings pour se retenir de frapper ce salopard. Son nakama n'était pas un couard. Et il n'attaquait pas sans raison.
- Ce sont des monstres, messieurs. Ils sont le mal duquel je protège les gens. Et quiconque aide ces monstres devient un monstre similaire dans mon esprit, continua Loredo.
- Oh, vraiment ?
- Thatch, c'est un vampire, cette sangsue, c'est donc votre affaire. Mais pour Iorveth, je ne souhaite pas sa mort. Même à deux, vous n'avez aucune chance face à son escouade entière. J'ai un plan, mais je préfère ne pas m'attarder dessus pour le moment. Les Ecureuils préparent quelque chose. Je sais que chaque nuit, ce putain de vampire vient fouiner ici, j'en suis certain. Et à côté, les éclaireurs gagnent du terrain. Je pense qu'ils visent la barge amarrée dans le port.
- Je l'ai remarquée, dit froidement Ace.
- Elle contient quoi ? s'enquit Geralt.
- Qui, plutôt. Des bandits, des assassins, des violeurs, qui ont un aller simple pour les prisons de Drakenborg, dès que…
- Leur infâme leader les aura rejoints. La cerise sur le gâteau, la couronne de récompense pour la tête de Bernard Loredo, conclut le Loup Blanc.
- Je ne l'aurais pas dit mieux moi-même, dit Loredo avec un petit sourire satisfait. Tant que Iorveth sera libre, humains, elfes et nains vivront côte à côte dans la méfiance la plus totale. J'ai besoin de savoir ce que mijotent ces oreilles pointues avec la sangsue.
- Et vous espérez qu'on l'apprenne comment ? demanda Geralt.
- Eh ! Vous me sous-estimez, sorceleurs. Il est vrai que j'ai des préjugés, mais ils ne m'aveuglent pas.
Le sourcil qu'Ace leva voulait tout dire.
- Prenons l'exemple de votre ami Zoltan, par exemple. Il est en contact avec Iorveth.
- Comment Zoltan peut-il être utile à quoi que ce soit s'il ne peut pas sortir ?
- Hah ! Doucement, Geralt, c'est comme ça qu'on construit la confiance. Pour commencer, vous pouvez vous occuper de notre problème de kayran qui bloque tous les navires au port et empêche le trafic. Je perds mes droits de passage et donc, le comptoir des revenus. Tuez le kayran et je déclarerai vos amis innocents de tout crime ! Et ensuite, Zoltan peut vous conduire à Iorveth.
- Vous savez, la propagande n'est pas quelque chose que vous avez inventé, pointa Ace. Le sacrifice des bébés, le viol des femmes, le poison dans les puits… pas très elfique. Surtout que sur toutes les humaines qui se font violer, elles se font majoritairement agresser par des humains. Les elfes nous trouvent trop repoussants et ont trop de haine pour nous pour le faire, outre de très rares exceptions. Assassins et voleurs, d'accord, mais le reste…
Le D. gonfla sa joue et appuya son doigt dedans pour produire un bruit semblable à un pet.
- Nous sommes venus et nous vous avons écouté, conclut Geralt. Et je pense qu'on en a assez entendu.
- Donc, vous refusez d'aider ? demanda Loredo en plissant les yeux d'un air menaçant.
- Vous êtes répugnant, et pas que physique parlant. J'espère que Iorveth et Thatch vous feront face un jour et que le meilleur rat gagne.
- Vous regretterez ces mots, sorceleurs ! Je vous le promets. Maintenant, cassez-vous !
Ace lui fit un petit geste de la tête et tourna les talons.
Il avait une raison de plus de vite retrouver Thatch. Mais pas ce soir. Ils quittèrent la pièce, puis la maison et enfin retrouvèrent la ville. Ils reprirent leurs armes et Geralt conduisit son camarade jusqu'au morceau de piège qu'il avait caché.
En chemin, Ace reprit la lettre qu'il avait volée.
- « A son Excellence Detmold de Ban Ard ». Pourquoi Loredo, en charge du comptoir de Flotsam pour sa défunte majesté le roi Foltest de Temeria, envoie-t-il un message au magicien de la cour de Henselt de Kaedwen ?
- Aucune idée, mais c'est peut-être pour ça qu'il sait que les Chats sont tous recherchés. Cache ton médaillon, recommanda Geralt.
Le D. glissa la tête de chat dans son armure de cuir et retourna à la lecture.
- Qu'est-ce que ça raconte ? s'enquit le Loup Blanc en laissant parler sa curiosité.
- Apparemment, le magicien a rencontré la mère de Loredo qui n'a pas toute sa tête, même s'il lui doit la baraque et son poste à Flotsam. Wow, elle a vraiment un grain, elle a essayé de faire porter au magicien une couronne chauffée à rouge et il fait passer ça pour une blague. Ohoh…
- Quoi encore ?
- Loredo est un traître. Roche va beaucoup aimer ça. Cette lettre laisse clairement présager qu'il bosse plus pour Henselt que pour Foltest.
Ace offrit la lettre à Geralt qui la lut à son tour.
- Cadeau à Roche ? demanda le D.
- Cadeau à Roche.
