Bonne année, bonne santé ! Meilleurs vœux pour cette nouvelle année.
Je vous remercie d'être au rendez-vous, surtout qu'on retrouve enfin la fine équipe. Et pour fêter ça, rien de mieux qu'un petit changement de couverture que l'on doit à miss Shadow of Samhain. On se revoit en février pour la suite.
Bises !
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Ils y étaient. Ils faisaient voile vers Vergen. Et Geralt n'était pas certain d'avoir fait le bon choix. Il avait fait confiance à la vision d'un elfe mourant qui avait passé le plus clair de son temps dans l'alcool, mais il doutait toujours.
La situation était critique. Après tout, Letho avait l'avantage sur eux, surtout après avoir enlevé Triss, presque comme si la mort de Foltest ne lui avait pas suffi et qu'il souhaitait la vie de sa dernière conseillère. Et pour la retrouver, il fallait s'enfoncer dans la vallée du Pontar, plus en amont de la rivière.
Jaskier était assis dans la cale, devant un bureau de fortune sur lequel il prenait des notes sur ce qu'il apprenait en discutant avec les elfes qui acceptaient de lui parler (demander des nouvelles de Toruviel avait, semble-t-il, aidé à réduire la méfiance et l'hostilité). Si on en croyait leur discours, Vergen était une ville presque utopique où les peuples libres des alentours s'étaient réunis afin de résister à l'armée du souverain Henselt. Le barde leva le nez vers le plafond, entendant la musique presque assourdie à la tournure nostalgique que jouait Ace sur sa guitare. Il l'interrogerait plus tard dessus. Il baissa de nouveau la tête et regarda autour de lui. Habituellement, il était nerveux autour des Scoia'tael. À quelques exceptions, pour lui, ce n'était rien de plus qu'un groupe de bandits et d'assassins. Et il se serait bien passé de leur présence. Pourtant, en les voyant, ainsi, conversant tranquillement dans la langue ancienne, offrant des soins aux anciens prisonniers qu'on pouvait encore sauver ou s'apprêtant à dormir… Il voulait bien admettre qu'il était content que Geralt ait choisi de les suivre après avoir aidé Vernon. Iorveth et son infâme commando pourraient bien se montrer utiles.
Geralt vint s'asseoir sur le pont à côté d'Ace qui continua de jouer sur sa guitare.
- Chanson populaire ? s'enquit le Loup Blanc.
- Non. Du moins, pas que je sache.
Et il pinça une corde, la faisant résonner longuement, avant de jouer une série de notes rapides dans le grave.
- Capricho árabe. Caprice arabe.
Il enchaîna sur un rythme plus tranquille avec quelques emballées de notes.
- J'ai toujours eu cette chanson dans le crâne et c'est un de mes camarades des Shirohige qui m'a permis de mettre un nom dessus.
Pendant qu'en fond musical, il conservait un air plutôt grave, par-dessus, il rajoutait des tonalités plus légères et exotiques, laissant ses doigts de sa main gauche jouer le long du manche.
- Tu as appris quoi que ce soit te concernant, de la part de la Vipère ? demanda le D. en commençant un mouvement plus animé de son morceau.
- Pas grand-chose. Il me connaissait clairement d'avant. Je lui aurais sauvé la vie à lui et à d'autres. Il m'a déjà vu me battre avant, puisque, en dépit du Haki, il juge que j'étais plus doué avant. Il sait aussi que j'ai été un captif de la Chasse Sauvage.
- Le comment reste à comprendre.
- Hm.
Le brun joua les dernières notes pour enchaîner sur un autre morceau avec un rythme bien plus rapide et sombre dès le début. Ses doigts bougeaient assez vite pour qu'on ait une crampe juste en le regardant jouer.
- Asturias, présenta le brun. Je peux te poser une question ?
- Hm ?
- Comment tu as su que c'était de moi qu'il était question quand Cedric a parlé du Prince des Pirates ?
- Tu es un pirate et tu as la Marque des Rois, ou Haoshoku comme tu dis. J'ai fait l'addition.
Un furtif sourire aigre apparut sur le visage du brun alors qu'il rapportait sa totale concentration sur sa guitare.
Le Loup Blanc le laissa faire, se contentant de regarder le fleuve. Il espérait que ses réponses seraient à Vergen.
Dans la cale, Thatch était appuyé contre une des cages désormais vides, la tête penchée vers l'arrière, les yeux fermés, ses mains reposant sur le bisentô qu'il avait en travers des jambes. Plus le temps passait, plus il avait vraiment le sentiment de connaître cet Ace. Ce devait donc être la personne qu'ils cherchaient. Il aurait la confirmation à Vergen de toute façon.
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Deux jours plus tard
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Une femme et deux hommes arpentaient les champs de blé. Bientôt, ces plaines dorées seraient des charniers d'une bataille qu'ils voulaient éviter. La femme, une blonde en armure se retourna pour regarder ses camarades. Si le prêtre dans sa bure mauve sombre avec des broderies d'or avait le mérite de ne pas cacher sa haine à son égard, le second, dans son armure d'or portant un écusson aux armes d'Aedirn, était impassible, mais la femme avait assez d'expérience pour reconnaître le mépris et le calcul dans le regard. Mais ils avaient besoin de lui pour leur projet.
Elle soupira et se remit en marche vers le sommet en abandonnant les champs pour pénétrer dans les reliefs et rochers, témoins de la dernière guerre.
- Trois milles hommes… réduits en cendre en quelques minutes, souffla la femme.
- Je m'en rappelle parfaitement, Saskia, répondit le jeune homme en armure dorée. Le choc que cela a causé à tous quand cet événement est arrivé à Vengerberg... Le palais, les rues, les maisons… l'entière capitale avait été plongée dans le silence.
Ils passèrent devant un groupe de nains qui se dépêchèrent sur leurs petites jambes pour prendre la tête de peloton et leur servir d'avant-garde. C'était triste, dans un sens, mais elle savait qu'ils seraient prêts à mourir pour elle. Parce qu'elle représentait l'espoir d'un monde meilleur.
- J'ai entendu les cris de chaque homme mort ici, continua la femme dans son armure de fer et de tissu. J'étais quelque part, par-delà cette colline… au milieu de tout ce massacre.
Son gantelet se resserra sur la garde de l'épée à sa taille.
- Quelles sont vos intentions, Saskia ? demanda le jeune homme.
- J'ai l'intention d'empêcher la vente d'Aedirn, répondit la guerrière.
- Mais nous ne pouvons nous permettre une guerre contre Henselt. Nous allons devoir négocier.
Il était encore jeune et la mort de son père était bien trop récente. Il n'avait pas assez temps pour affermir son autorité nouvelle. Les hommes iraient au combat en rechignant. Les désertions seraient nombreuses. Et il savait très bien ce qu'il se préparait au sommet de cette colline.
La femme adressa un sourire rassurant au jeune homme par-dessus son épaule avant de se reconcentrer sur le chemin de terre sauvage.
- Laissez-moi m'occuper de cette guerre, Prince Stennis. Concentrez-vous sur le roi Henselt. Yarpen Zigrin dit qu'il est impulsif. Provoquez-le pour qu'il frappe et nous négocierons une fois la bataille remportée. Nous avons des alliés de taille et de valeur dans nos rangs, suivez leurs conseils et tout se passera bien. Nous le savons déjà.
- Je n'arrive simplement pas à comprendre pourquoi les nobles ont décidé de nous trahir…
Le prince avait quelques idées, mais elles l'enrageaient. Parce qu'il n'avait pas l'option de se passer de l'appui des personnes dont la présence avait poussé les nobles à vouloir vendre le royaume d'Aedirn à l'ennemi.
- Peu importe les nobles, Prince, lui dit clairement Saskia. Ils ne sont plus rien depuis le jour où mon armée de paysans les a éparpillés sur les rives du Dyphne.
- Puisse le tout puissant dieu Kreve nous venir en aide ! siffla le prêtre en joignant ses mains. Cette femme est le démon incarné !
- Premièrement, la femme a un nom. Deuxièmement, elle est le meilleur commandant que j'ai, parce que les autres m'ont trahi et que l'autre qu'il me reste ne pourra pas commander l'armée et s'occuper des blessés. Il pourra combattre seulement si nous sommes assiégés.
Et troisièmement, sans elle, il n'aurait pas la devineresse aux prédictions si justes et effrayantes, ni le meilleur médecin du nord dans les murs de Vergen. C'était pour Saskia qu'ils étaient venus. Certes, ils étaient plus ou moins affiliés aux Scoia'tael et ils avaient émis des conditions très claires quant au prix à payer pour leur aide… mais il avait besoin d'eux, aussi écœurant que cela lui semble.
- Mais elle est un monstre, tout autant que cette elfe à la peau noire ou ce blond à moitié chauve ! Kreve m'a parlé dans un rêve ! J'ai vu deux démones aux apparences de serpent dévorer votre héritage dans un incendie de flammes spectrales !
- Silence, Olcan, nous sommes bientôt au lieu de rendez-vous.
Ils arrivaient au camp de Kaedwen. Le long du chemin menant au sommet de la colline était parsemé de petits groupes de soldats prêts pour la bataille, qui commentaient sur leur passage. Et comme partout, c'était Saskia et sa légende qui attiraient les regards. Parce qu'elle était une femme, et pourtant, elle se battait, elle dirigeait. Elle était une femme qu'on laissait parler. Une vierge charismatique qui endossait les droits et devoirs d'un homme. Quand l'un des soldats commenta qu'elle n'avait pas l'air si vierge que ça, il serra les dents. Si cette femme et ses camarades ne lui faisaient pas si peur que ça, il aurait déjà fait valoir son droit de cuissage sur elle depuis longtemps, histoire de la faire taire et de lui rappeler sa place. Mais à chaque fois qu'il avait cette idée…
Un frisson lui remonta l'échine.
C'était presque comme si un dragon le gardait à l'œil et qu'une divinité épiait ses pensées.
Plus ils se rapprochaient du sommet, plus la sécurité était élevée.
Saskia porta une main à sa poitrine. Sous son armure, elle sentait la plume chaude de son camarade. Elle ne voulait pas les mettre en danger ou même griller aussi vite leur atout, mais savoir qu'au besoin, elle aurait du soutien…
Pensivement, sa langue passa sur la cicatrice dans son palais alors que la table de négociation apparaissait enfin dans leur champ de vision. Et déjà, ils entendaient les nobles qui les avaient trahis. Ils cherchaient absolument à finaliser les accords avec le souverain avant le début de la bataille.
Le roi Henselt était là, dans une tenue riche et grandiose, certainement pas coupée pour le combat, encadré par la magicienne Sheala de Tancarville et l'homme le plus hideux que ce monde ait porté : le magicien Detmold, qui ressemblait littéralement à une liche. Une maigre, pustuleuse et répugnante liche affamée. Et autour, la garde personnelle du roi ainsi que les nobles traîtres d'Aedirn.
- Bienvenu Stennis, fils de Demavend, salua le souverain. Je t'en prie, joins-toi à nous.
Le groupe de Saskia et Stennis s'arrêta d'un côté de la table avec la carte représentant le Haut Aedirn, alors qu'en face, Henselt les regardait avec le sourire mauvais de quelqu'un qui est en position de force et qui le sait.
- Salutation, Henselt. Tu sembles t'être mis à l'aise en Aedirn, ce qui est étrange, parce que je ne me souviens pas de t'avoir invité, salua froidement le prince.
Il se retint de jeter un regard nerveux au vieux mage en bleu délavé. Il sentait le regard de celui-ci sur lui. Un regard affamé qui le faisait se sentir sale sous son armure.
- Felart l'a fait pour toi. Je suis ici sur son invitation. Je n'ai brisé aucun traité ou accord de paix…. Du moins, pas encore.
Le prince jeta un regard dégouté au noble en question.
- Je vois. Monsieur Broghan, s'il vous plaît, escortez le Comte Felart dans un lieu reculé et séparez-le de sa tête dérangeante.
Le Comte en question sursauta et écarquilla les yeux alors que pendant tout ce temps, il avait fait tout ce qu'il fallait pour éviter le regard de Stennis. Saskia les ignora, ses yeux noirs perçants fixant sans le moindre répit le souverain Henselt.
- N'essaye même pas, mon garçon ! menaça le Comte. Tu n'es point roi ! Ton père…
- Mon père est mort, rappela à l'ordre Stennis. Le peuple est encore endeuillé pendant que tu trahis son souvenir et sa nation !
- Votre Majesté ! Je réclame votre protection ! Cet enfant a perdu l'esprit !
- Emmenez-le, réclama le prince avec un geste à l'intention de l'escorte naine.
Henselt regarda cela avec amusement, sans rien dire.
- Votre Majesté ! Qu'est-ce qu'il en est de notre accord ?! réclama le Comte.
Avec un geste désinvolte de la main, Henselt lui fit comprendre qu'il l'embêtait.
- Je n'ai plus besoin de vous, Felart, maintenant que Stennis est ici.
Deux nains s'avancèrent avec des sourires mauvais et chacun saisit un bras du Comte pour l'embarquer avec eux malgré ses tentatives d'évasion.
- Quelqu'un d'autre à un commentaire à faire ? s'enquit Stennis en regardant le groupe de nobles restant.
Ceux-ci reculèrent en baissant la tête.
- Parfait ! A présent, nous pouvons traiter le problème du moment.
- Et quel problème ! se moqua Henselt. J'ai plus de deux cents soldats armés dans un camp tout proche. Bien assez pour vous occuper pendant plusieurs heures. Et j'ai cinq mille hommes impatients de combattre qui attendent sur l'autre rive. Que dis-tu à cela ?
Saskia regarda Stennis. Il n'avait pas besoin de lâcher Henselt du regard pour sentir le poids de ses yeux noirs sur lui. Il savait qu'ils n'avaient pas assez d'hommes pour les vaincre. Mais il se devait de faire bonne figure. Il ne pouvait pas plier, pas maintenant. C'était son premier test.
- Ce seront cinq milles morts si tu les envoies contre Vergen, lui pointa le prince.
- Prends le temps de réfléchir, mon garçon. Ce sont les limites de ton royaume, un maigre morceau de terre. Cède-moi ce morceau et tu gardes ta couronne. Oppose-toi à moi, et je t'écraserai sans pitié.
Il n'était pas un gosse. Radovid était plus jeune que lui, mais ce n'était pas pour autant que Henselt lui parlait comme ça, à sa connaissance.
- Donne-moi Lormark et retourne à Vengerberg, insista Henselt.
- Ce maigre morceau de terre génère plus de revenus à l'année que toutes les forêts combinées du grand pays qu'est Kaedwen. Le Haut Aedrin est ce qui fait la richesse de mon royaume, pointa Stennis. Est-ce que je peux vraiment me permettre de céder ce territoire ? A moins que tu veuilles l'acheter ? Et avec quoi me paieras-tu ? Des baies ? Des peaux de bêtes ? Ou alors, enverras-tu tes armées dans les bois de Kaedwen pour ramasser des champignons ?
- Tu as raison. Je ferai meilleur usage de mon armée en l'envoyant voler ta mine d'or, siffla Henselt en se penchant par-dessus la table d'un air menaçant.
- Je ne me laisserai pas intimider, Henselt.
Surtout qu'il avait déjà vu plus intimidant que ce vieux monarque stupide, cupide et lubrique.
Un sourire moqueur et supérieur apparut sur les lèvres de Henselt alors qu'il se mettait à marcher lentement le long de la table.
- Ou alors, se pourrait-il que tu joues les héros courageux alors que la peur dévore ton cœur ? Peut-être qu'en appuyant, j'arriverais à te renverser. Ou alors, devrais-je peut-être m'y prendre à deux fois ?
- Essaie donc, répondit Stennis en levant fièrement le menton.
- Cette discussion me fatigue. Je suis en position de force et aucune palabre ne le changera. Et nous savons tous les deux que je ne repartirai pas les mains vides. Le tout est de savoir ce que tu proposes…
Il serait tenté de lui dire de prendre la Tueuse de Dragon, ou l'effroyable elfe qu'il se coltinait à Vergen, mais cela serait se faire un ennemi de ceux dont il avait le plus besoin. Il se devait de rester brave. C'était l'une des conditions pour qu'ils l'aident à résoudre la crise du pays dont il avait hérité.
- Retire tes troupes de l'autre côté du Pontar, exigea Stennis. Et renonce de façon permanente à toutes tes revendications sur le Haut Aedirn.
- Doucement, mon garçon ! réclama le vieux souverain en levant son gros gantelet. Je pense que tu as mal compris ma demande. Qu'est-ce que je gagne dans tout ça ?
- Un message de quelqu'un qui en sait beaucoup. Si tu te retires, tu auras le temps de renforcer tes frontières avant que Radovid ne vienne poser ses pieds dans tes forêts. Obstine-toi, et sache que tu seras mort par ta propre faute, à cause des conséquences de tes actes et de ceux de ta lignée. Alors, accepte mon offre de paix et rentre chez toi à Ard Carraigh.
- Tu oses me menacer ? gronda le souverain. Pour qui te prends-tu ? C'est une déclaration de guerre, petite merde !
- Tu n'as pas à me menacer quand je ne fais que rapporter les mots d'une prophétesse ! Nous sommes venus ici pour parler !
- Et j'en ai assez de ces bavardages ! Dégaine ton arme !
Très bien. Phase deux.
- Saskia.
La femme hocha la tête.
- Je suis prête.
Elle s'inclina, sans quitter des yeux Henselt en apparence, même si son regard était en fait concentré sur l'énorme disque de pierre sculpté et fendu derrière le souverain. On ne devait surtout pas mettre de sang dessus, on le lui avait dit. Sa camarade n'avait pas la force de désenchanter le lieu, il fallait donc éviter de réveiller le malheur enfoui sous le sol.
- M'accorderez-vous cette danse, Votre Majesté ?
- A l'attaque ! hurla Henselt.
Et la discussion pour la paix devint un carnage. Ils étaient en sous nombre, mais les nains ne se laissaient pas pour autant marcher sur les pieds (et personne ne voulait se retrouver avec un coup de tête dans les bijoux de famille). Saskia sauta directement par-dessus la table et se concentra sur Henselt, attaquant et parant avec fluidité, sentant à l'avance le moindre mouvement du roi devant elle. Peu importe son sang, devant elle, il n'était qu'un humain éphémère. Elle s'esquiva au dernier moment, évitant une boule de feu de la part d'un des mages, avant de revenir à l'assaut.
Jusqu'à ce qu'il change de cible. Elle ne comprit pas comment, ni pourquoi. Mais elle perdit de vue le roi dans la mêlée. Pas pour longtemps, puisqu'il s'avéra qu'il avait décidé de choisir un autre adversaire : Stennis. Malgré les cours intensifs d'escrime qu'il avait reçus suite à la mort de son père et l'épuisement de Henselt, il se laissait dominer. Et en plus de ça, il se rapprochait du bord de la colline. Et du disque de pierre.
Le prince s'appuya contre la pierre.
Non… il ne fallait pas…
Dans un sursaut d'énergie, Stennis parvint à lever son épée, entaillant le front du monarque qui recula en se tenant le visage avec son gantelet de métal. L'héritier d'Aedirn, quant à lui, se laissa tomber à genoux, une main sur son plastron. Henselt avait eu de la chance de trouver un défaut de son armure.
Ce fut à cet instant que le geste le plus idiot fut accompli.
Le prêtre s'avança, hurlant aux deux belligérants de s'arrêter. Il s'approcha trop de Henselt. Et en paya le prix fort parce que le roi était trop loin dans sa rage. Malgré son visage couvert de sang, il se saisit du prêtre de Kreve et l'envoya percuter le disque de pierre fendu. Le sang jaillit du nez brisé de l'homme de foi.
- Non… pas ça… souffla Saskia en voyant avec horreur des gouttes de sang tomber sur les runes qui parcouraient la roche.
Henselt ne s'arrêta pas là. Il continua de frapper le visage du vieil homme contre la roche. Encore et encore, repeignant les runes avec du sang. Puis, il recula. Le prêtre tomba sur le côté. Mort. C'est cet instant que choisit le souverain pour réaliser la situation. Le cadavre. Le sang sur la roche. Un rictus tremblant agita ses lèvres alors qu'il essayait de reprendre son souffle après son coup de sang.
- Trop tard, grimaça Saskia.
Une lueur d'un bleu éclatant jaillit des fissures de la pierre, éclairant la terre et le ciel. De son mieux, Stennis chercha à s'en éloigner en rampant, pendant qu'une étrange brume commençait à monter du sol tout autour d'eux.
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Geralt, Jaskier, Zoltan et Ace marchaient sur la terre meuble en observant les ravages d'un village qui avait été brûlé jusqu'aux fondations.
A peine plus loin, au bout du chemin, une troupe de nains discutait avec animation. Si trois d'entre eux étaient parés pour la guerre, ce n'était clairement pas le cas pour le quatrième, même s'il avait une hache dangereuse à sa ceinture. L'un des nains aperçut la troupe par-dessus l'épaule de ses camarades et se pencha sur le côté pour mieux voir, avant de tendre son gantelet dans leur direction. Et les créatures curieuses que sont ces adorables petits bons hommes se retournèrent. Et le nain qui était encore en civil eut un immense sourire en écartant les bras comme pour enlacer les nouveaux venus.
- Par le lait de la poitrine de la Mère Creatrix ! Geralt de Riv !
- Quelle célébrité… marmonna Ace derrière son poing qui masquait son sourire.
Geralt lui adressa un regard noir mais le brun fit semblant de s'intéresser à une trace sous les feuilles mortes de l'automne.
- Et avec la meilleure compagnie du monde, en plus ! renchérit le nain en remarquant Jaskier et Zoltan. Quoique le gamin, là-bas, j'le connais pas ! C'est quoi ton p'tit nom, mon gars ?!
- Ace, répondit le D. Enchanté l'ami !
Et le D. offrit une poignée de main au nain qui se tourna de nouveau vers Geralt et le reste. Jaskier passa devant, tout sourire et les bras grands ouverts.
- Yarpen Zigrin ! salua-t-il.
Yarpen alla à sa rencontre et quand Jaskier posa deux mains fermes sur les épaules du nain, celui-ci le saisit au niveau des côtes. Il avait des mains tellement larges que ses doigts arrivaient presque à se rejoindre au milieu de la poitrine. Puis ce fut l'heure des câlins virils avec Zoltan.
- Ça fait depuis longtemps, vieux bougre ! s'exclama joyeusement Zoltan. C'est bon de te retrouver en bonne santé !
Puis, Yarpen se tourna vers Geralt, agitant ses bras ouverts, alors que le Loup Blanc le regardait d'un air impassible, immobile.
- Beh alors, Geralt ! On dirait que t'as vu un fantôme ! Viens donc faire un câlin à ton vieux copain !
Ace lutta un instant, avant d'échouer et de devoir s'appuyer sur une ruine pour ne pas s'effondrer de rire. Il sentait sur son dos le regard de glace de son camarade mutant, mais c'était plus fort que lui. Parce que les secondes s'étiraient, Yarpen avait toujours le sourire et les bras ouverts, mais Geralt ne bougeait pas. Lentement, l'air heureux et amical du nain vacilla pour devenir une moue d'incompréhension. Ce fut Zoltan qui prit en pitié son ami nain :
- La tête de Geralt ne va pas très bien en ce moment.
Autant dire qu'il avait perdu la boule, ça revenait au même et c'était loin de la réalité. Il allait très bien, merci beaucoup. Il était juste amnésique.
- Ahah ! Ça veut donc dire qu'il a vraiment embroché Foltest c'est ça !? s'exclama Yarpen.
Où était le rapport ?
- C'est pas important, c'était un gros enculé et enculeur ! T'as fait quelque chose de bien, Geralt.
Ace tomba littéralement à genoux en se tenant les côtes, des larmes de rire lui échappant tellement il était à bout.
- Ace, tu n'aides pas, rouspéta Jaskier. Et ce n'est pas ce que voulait dire Zoltan, Yarpen. Geralt a perdu la mémoire.
- Et je n'ai pas tué Foltest, rajouta le sorceleur blanc en prenant enfin la parole.
- D'accord, d'accord… accorda Yarpen. Mais qu'est-ce que ça change, quelqu'un l'a fait, après tout. Et de toute façon, on a un plus gros problème.
Des craquements de feuilles mortes attirèrent l'attention de tout le monde vers le chemin derrière eux. Ace se releva en hoquetant de rire et essuya ses larmes d'hilarité. Thatch et Iorveth venaient de les rejoindre. Iorveth, impassible, presque hautain dans sa façon de regarder autour de lui. Et Thatch, avec sa bouille amicale, saluant chaleureusement les nains.
- Où est Saskia ? demanda l'elfe sans bonjour ni merde.
Entre nains et elfes, ce n'était toujours pas ça.
- Hey, mec, pourquoi t'as ramené ce boucher ici ? demanda Yarpen en s'adressant à Thatch.
- Pour les deux pires raisons du monde. Politique et amitié, répondit le vampire. Sans compter qu'il n'est pas tout seul.
- Je suis venu avec une centaine d'archers. Les meilleurs de ce monde, informa froidement le borgne. On est ici pour vous donner un coup de main.
- Ouais bah va falloir attendre, leur dit le nain. Saskia et le Prince Penis…
Jaskier se racla la gorge.
- Ouais, désolé, Stennis, rectifia le nain chauve sans avoir l'air désolé. Eh bien, ils sont partis tous les deux voir Henselt. Et on a la diseuse de bonne aventure qui a donné plein de conseils avant le départ. J'ai parié avec le doc' ce qu'il se passerait dans les prochaines heures. 'Suis certain que le prince va céder et vendre Vergen.
- Et l'emplumé a dit quoi ? s'enquit Thatch.
- Que Henselt allait réveiller la colère de Sabrina, l'ancienne magicienne de Kaedwen.
Ace fronça les sourcils, en prenant une mine pensive.
- Sabrina de Glevissig, c'est ça ? Vu qu'elle est allée jusqu'à Kaer Morhen chercher des poux aux sorceleurs, ça va être coton de se défaire avec ce qu'elle a laissé derrière après sa mort, marmonna le D. en se mordillant la couture de son gant au niveau du pouce.
- Tu parles comme si c'était lui qui avait raison, nota Yarpen.
- On ne parie pas contre lui, dirent en cœur Thatch et Ace d'un air blasé.
- Surtout si la voyante lui a soufflé plusieurs solutions, rajouta le vampire.
- Stop. Je me fiche de ça, je veux savoir cette histoire avec une magicienne qui a trouvé Kaer Morhen, coupa Geralt.
- Automne 1232, un cortège de Caingorn voyage avec Sabrina de Glevissig sous la protection d'un décret royal signé par Henselt, raconta Ace. Leur cible, l'enfant surprise de notre cher Eskel, miss Deidre de la maison Ademeyn, aujourd'hui partageant le pouvoir avec son jeune frère Merwin. Problème pour madame, elle a eu le manque de chance de naître sous un Soleil Noir. Je pense que c'est pour éviter de blesser plus Eskel que vous n'en parlez plus depuis tout ce temps. Tu me diras, vu comment elle l'a défiguré, c'est compréhensible…
Geralt se massa le nez. Il voyait deux femmes, assez floues dans son esprit. Une blonde aux cheveux courts avec deux loups à ses côtés. Et une brune dans une tenue très révélatrice.
- J'ai déjà vu Sabrina à l'œuvre. Et si j'ai bien étudié mon histoire… continua le D. en se retournant vers le reste du paysage.
Il fit un large mouvement de main en direction du reste de la vallée rocailleuse.
- Cette terre porte encore des traces de ce qu'elle a fait.
- C'était l'enfer sur terre, ouais, approuva un des nains.
- Et qu'est-ce que vous fichez ici, si Saskia est là-haut ? demanda Thatch.
- Elle nous a dit d'attendre, alors, on attend ici, au cas où quelque chose n'irait pas.
Et comme un affreux sens du timing, le Haki des deux sorceleurs, de Iorveth et de Thatch se mit en alerte. Puis les médaillons se mirent à vibrer avec intensité. A l'agitation de l'outil des sorcleurs, un étrange sifflement cristallin suivi. Geralt regarda partout avant de lever les yeux vers l'endroit que Yarpen avait montré de la main comme le lieu de rendez-vous pour les négociations. Tout le monde se retourna pour voir que le soleil avait commencé à virer au noir.
Une éclipse ? Pour les superstitieux, c'était mauvais signe.
- Appelez la magicienne ! hurla Yarpen à ses camarades.
Iorveth se mit en marche, suivi par Thatch.
- Amenez-vous, les sorceleurs, appela l'elfe.
Ace regarda le lieu où ils se rendaient. Il avait un mauvais pressentiment. Un très mauvais pressentiment.
- Ace ? appela Thatch en s'arrêtant pour voir ce que faisait le brun.
Le D. inspira profondément et tira de son dos son glaive d'argent.
- J'arrive.
Qu'est-ce qu'il pourrait bien lui arriver, n'est-ce pas ? Il avait vu pire après tout.
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Saskia courut vers Stennis et se pencha à son chevet pour l'aider à se relever. Elle aurait dû se rappeler que parier contre Marco revenait à provoquer le destin pour qu'il vous fasse tomber la fin du monde sur le crâne. Elle entendait des murmures avec une voix de femme venant de la terre. Une voix menaçante et fantomatique qui lui aurait fait dresser les cheveux sur le crâne si elle ne les avait pas attachés en une queue de cheval lâche. Un peu plus loin, Henselt regardait sans comprendre ce qu'il se passait, avant de se faire attraper par Detmold. Sheala avait déjà invoqué un Portail par lequel ils prirent tous les trois la fuite.
Le Portail venait tout juste de se refermer quand le quatuor arriva sur les lieux. Saskia se retourna d'un bond, les observa en plissant les yeux et un soulagement évident apparut sur son visage en reconnaissant Thatch et Iorveth. Avant d'entrer en état de panique quand des filaments de brume commencèrent un peu partout à virer au noir puis à se condenser, formant des armures hantées qui se levèrent de terre avec lourdeur.
Et comme un problème n'arrive jamais seul, il fallut rajouter un niveau de difficulté à leur affaire. Certes, ils avaient Stennis de blessé, mais à côté, ils étaient quatre hommes et une femme, valides et aptes au combat. Et en face, c'était un cortège de morts sans fin…
Jusqu'à ce qu'Ace décide de se faire remarquer.
Son glaive tomba dans un tintement sur les cailloux alors qu'il se prenait la tête, ses dreads gagnant en longueur à une vitesse accélérée. Des sanglots s'échappèrent de sa gorge alors qu'il titubait. Sa voix devenait à chaque seconde plus fine et aiguë. Finalement, il tomba à genoux en hurlant de douleur, lâchant son Haki par instinct.
Au moins, la vague de puissance eut le mérite de faire un brin de ménage, puisque les spectres les plus proches furent tout bonnement soufflés. Mais derrière, d'autres venaient. Le D. se cabra de douleur, montrant pleinement que quelque chose dans l'air ou le sol, ou peut-être dans la sombre magie des environs, avait mis fin au cadeau de la Dame du Lac, changeant de nouveau le mutant en l'infâme Chat Noir. Thatch poussa un juron bien sonnant et se précipita vers son camarade qui s'était de nouveau recroquevillé sur lui-même.
- /Désolé d'avance, mais là, y'a urgence…/ s'excusa le vampire.
Et avec le tranchant de sa main, il l'assomma proprement. Il hissa le Chat Noir sur son dos en s'aidant du bisentô.
- Qu'est-ce qu'il vient de se passer ? demanda Iorveth.
- Ace avait la vingtaine quand il est tombé sur Philippa Eilhart qui a décidé de le changer en gamine de sept ans, puis de refourguer la fillette à l'école du Chat. C'est comme ça qu'il est devenu Deith Ichaer, résuma Geralt en passant sous silence les détails qui ne regardaient pas l'elfe.
- Il faut partir d'ici, pressa Saskia. Vous pouvez nous couvrir, tous les deux ?
- On est encore vivant ! annonça un nain en débarquant au pas de course, la hache levée, suivi par deux de ses semblables.
Des restes des spectres qu'Ace avait dispersés de son Haki, un monstre jaillit. Une sorte de créature en armure de la taille d'un géant. Puis un second suivit.
Des draugrs.
Geralt se jeta sur le glaive en argent à l'abandon de son camarade et le lança à Iorveth.
- Il te sera plus utile que ton épée en acier !
L'elfe réceptionna l'arme, la soupesa dans sa poigne en rangeant sa lame habituelle, puis passa à l'assaut. C'était un long combat perdu d'avance qui s'annonçait. Ils devaient traverser tout le champ de bataille à la recherche d'une sortie de ce brouillard magique sans se faire tuer par les spectres et draugrs qui venaient vers eux comme des mouches vers le miel. Lentement, malheureusement, ils reculaient vers le bord de la colline et la pierre couverte de runes.
- Tu ne peux pas te transformer et voler ? demanda Geralt au vampire.
- Non, pas sans laisser Ace derrière. Sans compter qu'il y a des arbalétriers et des archers dans les revenants. Si je me prends un carreau ou une flèche en plein vol, avec lui sur le dos, il risquerait une chute mortelle, gronda le vampire.
Ses traits étaient crispés et ses crocs avaient commencé à pointer le bout de leur nez.
- En haut ! cria Saskia.
Tout le monde leva le nez pour voir une chouette blanche, enveloppée d'un halo magique jaunâtre, voler vers eux. Elle se mit à voler au-dessus d'eux et un bouclier magique de la même couleur que son aura les enveloppa tous. Ils étaient dans un dôme qui les protégeait des spectres au dehors. Combien de temps il durerait, c'était une bonne question et ils n'avaient pas envie de le découvrir.
- On parlait de vous à l'instant, justement, Philippa. Auriez-vous les oreilles qui sifflent ? demanda Saskia. Peu importe, montrez-nous la route.
Et la chouette se mit à voler aussi lentement que possible à leur niveau, les guidant hors de ce puits mortel.
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Plus d'une fois, leur protection les avait lâchés, parce que ce qui avait arraché à la mort ces spectres avait décidé que non, Philippa ne pouvait pas sauver tout le monde en faisant un voyage agréable et sympathique. Et comment ? Eh bien, en faisant apparaître des spectres dotés d'un semblant de magie qui emprisonnèrent la chouette et l'empêchèrent donc de protéger tout le monde, jusqu'à ce que Iorveth et Geralt ne les renvoient dans l'autre monde avec les glaives d'acier. Sur le dos du vampire, Ace délirait et sanglotait, sans qu'on sache s'il avait repris connaissance ou pas. Mais finalement, ils parvinrent à voir la fin du brouillard et débouchèrent sur un ravin au fond duquel ils marchaient. Stennis avait réussi à retrouver assez de force pour pouvoir marcher seul, soulageant Saskia de son poids qui se proposa de porter Ace pour le coup.
Pour une raison qu'il n'arrivait pas encore à bien comprendre, laisser le sorceleur entre d'autres mains, aussi amicales soient-elles, n'était pas une option envisageable pour Thatch.
- /J'vais bien…/ marmonna d'une voix pataude le sorceleur sur l'épaule du vampire.
- /Mais oui, et moi, je suis un poisson,/ lui rétorqua Thatch.
- /C'est Marco qui dit ça en général…/
Thatch déclina l'offre de Saskia d'un geste de la tête alors qu'ils continuaient d'avancer en suivant la chouette qui finit par rejoindre Yarpen qui venait vers eux.
- Bah alors, qu'est-ce qu'il lui est arrivé à ton pote ? demanda le nain qui ne voyait, pour le coup, que les dreads d'Ace avec les plumes de cocatrix qui accompagnaient celle de Marco.
- Très longue histoire, résuma Geralt avec lassitude.
La chouette se posa un instant sur l'épaule du nain, avant de se renvoler pour se transformer, dans un éclat de lumière dorée. A la place, on avait une belle femme d'un âge indéterminable à la peau cuivrée et avec deux courtes nattes noires qui encadraient sa gorge. Sur le sommet de son crâne, coincées entre deux mèches, elle arborait deux plumes de chouette. Le reste de sa personne était une belle robe marron et cuivre avec un haut col blanc en dentelle vers l'arrière dévoilant sa gorge. La tenue mettait discrètement ses formes en valeur tout en étant sobre et conservatrice. Et nous ne parlons pas des agates qu'elle portait en bijoux.
- Je déteste voler dans le brouillard, siffla Philippa Eilhart. Tout va bien, Saskia ?
- Je vais bien, pour Stennis, je pense qu'une partie de l'armure a été déformée, donc, rien de bien grave. Nous vous devons la vie, à vous, à Iorveth et au sorceleur, répondit la guerrière.
- Je suis ici pour te protéger, lui assura la magicienne. Et vous, sorceleur ?
- Je cherche Triss Merigold. Le Tueur de Roi l'a forcée à se téléporter ici, annonça Geralt.
- Pourquoi ici ?
- Allez savoir. Qu'est-ce que ça peut bien vous faire ?
- Il a des avis de recherche à votre effigie dans toute la Temeria, la Redania et Kaedwen. Et je suis responsable de la sécurité de Saskia.
- Uso…
C'était tout bas. Trop bas pour qu'une oreille humaine puisse l'entendre. Mais ça monta vite en volume, tout comme le retour du Haki. Bientôt, Ace jaillit de par-dessus l'épaule de Thatch, un couteau à la main, hurlant à plein poumon contre Eilhart pendant que le Haoshoku faisait tomber Yarpen et Stennis à genoux tout en fissurant la roche. La magicienne écarquilla les yeux de surprise, ne s'attendant certainement pas à l'attaque, mais elle eut la vie sauve par un incroyable réflexe de Geralt qui ceintura son camarade de son mieux. Le D. était un fauve en colère assoiffé de sang et de vengeance. Philippa Eilhart en était la cible. La surprise passée, voyant que le Chat Noir était sous contrôle, la magicienne observa longuement le fauve que le Loup Blanc cherchait à contenir.
- Tiens donc… Gol Portgas D. Ace… ou devrais-je plutôt dire Anabela… toujours aussi charmante, reconnut-elle avec un sourire. J'espère que tu apprécies mon cadeau, vu tes préférences, je suis certaine que c'est plus facile avec un vagin de trouver quelques hommes à ton goût…
Le sourire de la magicienne gagna un centimètre alors qu'elle déshabillait Ace du regard sans la moindre gêne ou le moindre remord. En réponse, celui-ci se mit à hurler et à se débattre de plus belle. Jusqu'à ce que la pointe du bisentô ne vienne chatouiller la gorge de la magicienne.
- J'apprécie très peu ta façon de regarder mon frère. Détourne les yeux. Maintenant. Je sais que Marco est en colère après toi. Attends-toi à ce qu'il entre dans une rage noire sous peu, menaça Thatch.
- Ton frère, donc ? Intéressant.
- C'est assez, il y a des choses plus urgentes qui nous attendent, intervint Saskia. Je ne veux pas minimiser l'affaire ou la situation, mais on a un problème sur les bras un peu plus important et urgent.
Ace allait protester quand la blonde leva une main pour le couper.
- Pas que je minimise votre état, sorceleur, mais si j'en crois les rumeurs, ça fait plus de vingt trente ans que les histoires sur le Chat Noir circulent au travers le nord. Donc, c'est un problème que vous êtes habitué à surmonter depuis plusieurs décennies. Mais à côté, nous avons une crise récente et inédite à traverser. Entre l'éclipse, les hommes de Iorveth et enfin, le brouillard… Les esprits sont sous tension. Gérons les choses une par une. Et soyons pragmatiques. Si ce brouillard cause notre mort, ce qu'a fait Philippa ne vous suivra certainement pas dans l'autre monde.
Ace lui adressa un sifflement de chat en colère pour toute réponse.
- Ace. Rengaine ton Haki avant que Yarpen ne perde connaissance, demanda Geralt maintenant que son camarade avait cessé de se débattre.
- Philippa, auriez-vous l'obligeance de réunir tous les commandants dans la salle de débat ? Iorveth, si tu veux bien m'accorder un peu de temps, que je puisse les préparer à ton entrée ? En attendant, montre au sorceleur Portgas notre problème de harpies, je pense que ça l'aidera à calmer ses envies de meurtres. Sorceleur de Riv, j'aimerais que vous vous joigniez à nous durant cette réunion, je pense que nous aurons besoin de votre expertise concernant cette anomalie et comment nous en débarrasser.
- Dis aux deux autres que je n'en ai pas pour longtemps, demanda Thatch à Saskia.
Il attrapa Ace et le jeta comme un sac de patates sur son épaule.
- /Lâche-moi cuistot du dimanche ! Elvis wannabe ! Putain de banane ambulante de merde !/ rugit le D. en se débattant dans la prise de son camarde.
Sourd aux coups et aux insultes, le vampire embarqua Ace avec lui, adressant un long regard menaçant à Philippa qui leva un sourcil montrant clairement qu'elle était le moins du monde impressionnée. Iorveth regarda longuement Eilhart, puis Saskia, avant d'emboiter le pas de Thatch, le glaive d'argent d'Ace toujours dans sa main.
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Vergen était une ville construite dans la roche d'un ravin, une architecture typiquement naine à la base. Et ça se voyait aussi dans le fait qu'une bonne moitié de la population était d'origine naine. L'autre partie était humaine, et le reste, quelques elfes et halfelins perdus dans le tas, en claire minorité. Chacun faisait l'effort de rester cordial avec les autres races.
En soit, c'était miraculeux.
Facile de comprendre pourquoi on pouvait penser que Vergen était une cité utopique.
En arrivant devant les portes, Saskia s'adressa à un nain (au vu de sa belle barbe et de ses vêtements de velours, il devait avoir une certaine importance sociale) du nom de Cecil Burdon, à qui elle donna l'ordre de fermer les portes et de ne surtout pas les ouvrir peu importe les circonstances, sauf ordre contraire. Après une discrète question, on apprit qu'il était un membre du conseil municipal de la ville. Le nain annonça que le reste de la troupe était déjà arrivé et qu'ils avaient réservé des chambres à l'auberge (pas ce qu'il y avait de mieux mais ils auraient un toit au-dessus de leur tête et un vrai lit sous leur cul). Geralt se fit une note mentale de remercier Jaskier et Zoltan pour leur aide. Parce que le barda d'un sorceleur, c'était lourd et encombrant. Quoiqu'Ace était pire avec la caisse de sa guitare. Cecil interpella un autre nain (son neveu Skallen) au passage pour lui demander de montrer au mutant là où il logerait.
- Profite-en pour faire un détour par les quartiers du révérant Olcan pour informer tout le monde de… hum… son départ, demanda Cecil.
- En d'autres termes, mort en héros, assassiné par les envahisseurs, traduisit Skallen.
- Parfaitement. Comme vous voyez, maître sorceleur, il est jeune, mais intelligent. Il deviendra un vrai nain, ce gosse ! M'enfin. Le barde a demandé une chambre pour trois autres personnes, mais vous êtes seul.
- Je voyage avec une camarade sorceleuse et un de ses amis proches. Elle a eu un souci en chemin. Quelque chose dans le brouillard a réveillé les mauvaises mutations. Elle arrivera quand elle se sera calmée, baratina le Loup Blanc.
- D'accord, accepta Cecil sans que cela ne lui fasse ni chaud ni froid. Vous lui montrerez où elle loge ?
- Je m'en assurerai.
Cecil fit un signe de tête à Skallen et s'en alla de son côté, laissant le « jeune » nain conduire Geralt jusqu'à l'auberge qui était encore plus bas dans les profondeurs de la montagne. En voyant que la terrasse donnait sur des profondeurs obscures, Geralt se demanda même si cette ville avait un fond. L'auberge était en pierre, large, s'enfonçant dans la roche. Pourtant, il y faisait bon, la température étant maintenue à une parfaite harmonie par une immense cheminée. En passant par la salle, il entendit un commentaire hilarant durant une conversation entre deux nains sur la prolifération des humains. Leur façon de voir le mode de reproduction des humains était dans un sens assez ironique. Geralt et Skallen passèrent un ring de fortune dans un coin de la taverne, avant d'arriver à des escaliers de pierre qui allaient vers le haut, avec des lanternes et des braseros pour éclairer les lieux avec un petit côté chaleureux. Ils s'arrêtèrent au premier étage. Le nain passa devant plusieurs portes, en disant que pour accommoder tout le monde, ils les avaient mis deux par chambres, et qu'ils avaient cru qu'il était question que d'hommes à la base. Ce ne serait pas très grave. Ce ne serait pas la première fois qu'ils partageaient une chambre, Ace et lui, sans parler qu'il pouvait aussi décider de dormir dans celle de son camarade, ou alors, retrouver son mari qui était très certainement en ville.
- Voici votre chambre, présenta le nain. On raconte que Seltkirk de Guletta lui-même a dormi dans ce lit avant la bataille. Ça ne lui a pas porté chance, mais au moins on peut dire qu'il a pu dormir confortablement une dernière fois avant de mourir.
- Merci. Donc, vous êtes le neveu de Cecil ?
- Oui. Il m'a élevé, nourri, appris un métier et comment vivre. Il s'occupe de moi depuis la mort de mes parents.
- Comment sont-ils morts ?
Le haussement d'épaule du nain cachait plus qu'il ne voulait le dire.
- Durant un des massacres contre les non-humains, organisé par Demavend. Je préfère ne pas parler de ça.
- Je comprends. Navré. Peux-tu me conduire jusqu'à la réunion qu'a demandée Saskia ?
Le nain lui fit un signe de la main et Geralt lui emboîta le pas. En sortant de l'auberge, ils montèrent les chemins de pierre en pente. Haut. Très haut, passant parfois sous des tunnels. Le sorceleur fut conduit dans un passage taillé dans la roche qui abritait des logements de hauts fonctionnaires et autres personnes de puissance, dont certainement la famille royale d'Aedirn quand elle était en déplacement.
- C'est ici, je vais vous laisser à présent. Nous nous reverrons certainement.
Et le nain s'en alla.
Geralt resta devant la porte un instant. Il n'était pas encore dans la pièce qu'il ressentait des présences familières, sans pouvoir se l'expliquer. Le Haki était utile en combat, mais le reste du temps, il avait encore du mal à déchiffrer les informations qui lui étaient transmises. Il poussa la porte et se retrouva dans un couloir de pierre menant à une large salle en contrebas. Lentement, il s'avança pour rejoindre l'immense table ronde de pierre qui lui faisait face. Beaucoup de personnes y étaient assises. Nains et humains, mais pas d'elfes.
Ah si, pardon. Il y en avait une. Une elfe à la peau sombre, comme l'ébène, et avec une chevelure noire tellement frisée qu'elle rendrait les moutons jaloux. L'elfe était assise au bord de la table, cachant de l'entrée la personne installée sur une chaise à côté d'elle. Quand Geralt se montra enfin dans la pièce, elle l'observa longuement et en silence, ses étranges yeux améthystes aux pupilles laiteuses de chat le mettant sur ses gardes. Il prit un moment pour détailler sa tenue inédite et loin d'être elfique : elle gardait sa toison hors de son visage grâce à une longue étoffe mauve qui masquait le haut de son front et de sa tête avant de s'enrouler autour de son cou comme un long foulard qui pendait bas sur sa poitrine plate. Celle-ci était recouverte par une simple bande de tissus qui masquait ce qu'il fallait dans un motif complexe, tout en libérant le dos et les bras. Pour le bas, elle portait un pantalon ample et bouffant typique des mercenaires, taillé dans un tissu gris et retenu à sa taille par une ceinture de tissu attachée comme un pagne, duquel pendait des plumes d'oiseaux rouges, blancs, vert et or, et une collection… de têtes réduites. Le sorceleur nota la présence d'un petit et vieux tatouage juste au-dessus du nombril à l'air. Un motif à l'encre noire identique à celui qu'il avait vu sur la nuque du vampire. Sentant que la femme commençait à ne pas apprécier l'attention qu'il lui portait, il la salua de la tête et regarda le reste de la compagnie pendant qu'il cherchait à l'aveuglette le dossier de patient qu'il avait récupéré des ruines de Flotsam et qu'il gardait dans sa pochette à élixir. Il remarqua Zoltan à la table et lui adressa un signe de la tête que son camarade lui rendit.
- Vous avez loupé un beau combat, messieurs, disait Saskia depuis sa place à la table. Et nous sommes nombreux, moi incluse, à avoir contribué à la richesse croissante de notre médecin local. Et à avoir loupé une belle occasion de tuer un roi.
Un maigre rire répondit à la remarque.
Geralt se déplaça pour mieux voir et pu enfin observer l'homme que la brune cachait auparavant. Sa tenue correspondait à ce qu'on attendait de la part d'un pirate de Skellige. En peut-être moins chaud. Robuste et pratique. Le tout pour habiller un homme de très grande taille et mince, avec des épaules bien développées. Sa peau cuivrée était complimentée par un léger collier de barbe qui marquait la mâchoire et les contours de la bouche, et par une coiffure inédite. Son crâne était rasé dans sa quasi-totalité, à l'exception d'une longue et épaisse tresse blonde partant du milieu du front pour descendre jusqu'à la nuque en restant collées au crâne. De là, la tresse se divisait en d'autres plus petites, toutes décorées par des perles orange, bleu turquoise, ors et mauves. Il adressa un regard vaguement amusé à Geralt qui plissa les yeux. Il reconnaissait ces yeux bleus aux paupières tombantes. La dernière fois qu'il les avait vues, c'était entre les ouvertures d'une herse durant le siège du château La Valette. L'homme rapporta néanmoins très vite son attention sur ce qu'il faisait auparavant, c'est-à-dire, noter quelque chose dans un carnet devant lui tout en fumant une pipe très droite et aussi longue qu'un bras, qu'il appuyait sur un de ses genoux levé.
- Comme l'avait prédit notre camarade Shiva, il y a eu un échange de coups qui a mené à une légère blessure pour le prince, continua Saskia en désignant tour à tour l'elfe brune et le prince assis immobile à la table.
Vu la difficulté de respirer de celui-ci même en l'absence d'armure, il devait avoir une côte cassée mais semblait avoir reçu des soins.
- Merci pour l'avertissement, même si ça n'a servi à rien, remercia froidement Philippa à l'adresse de la dénommée Shiva.
- J'ai l'habitude, répondit l'elfe avec une haine notable.
L'accent percuta l'oreille de Geralt. Le même qu'Ace, avec une légère nuance malgré tout.
- Pour ceux qui auraient des doutes concernant le phénomène magique qui a recouvert ce qui aurait dû être le champ de bataille, laissez-moi vous éclaircir, continua la magicienne du Tretogor. Ce n'est certainement pas un brouillard classique, ni une illusion de bas étage. Il est fort probable que nous ayons affaire à une malédiction de sang. Un vieux et puissant sortilège. Et si l'on en croit Shiva ci-présente, cette malédiction a été lancée par une de mes défuntes sœurs magiciennes, ce qui rend la possibilité de la lever quasi impossible.
- /Elle est douée pour jouer son rôle de conseillère sans vendre son jeu. Saskia fricote clairement avec le feu.../ marmonna Shiva.
- /La magicienne avait le fruit du démon d'Ace, alors, on a besoin d'elle pour l'instant. Si tu veux une chouette pour le dîner, il va falloir attendre, yoi,/ répondit le blond sans lever le nez de ce qu'il écrivait après avoir réajusté ses lunettes rectangulaires sur son nez.
La brune émit un sifflement de serpent et se leva de la table. Geralt remercia mentalement Triss pour son sortilège de traduction avant de se reconcentrer sur Philippa derrière qui il se tenait à présent, adossé au mur avec les bras croisés. La magicienne disait ignorer qui était coupable ou pourquoi aux autres…
- Tout ce que j'ai, pour l'instant, c'est une bonne nouvelle et bon nombre de mauvaises nouvelles. La bonne est qu'à cause du brouillard, l'armée de Henselt est arrêtée pour l'instant, continua Eilhart.
- Et les mauvaises ? s'enquit un noble humain à table.
- On va tous mourir parce qu'on est plus ou moins prisonniers des montagnes et que le brouillard va gagner petit à petit du terrain… il est aussi tout à fait possible que des spectres viennent faire leurs courses ici ou nous passe un petit coucou, répondit sérieusement Shiva.
- Je t'ai dit quoi sur l'idée de faire peur au commun des mortels ? demanda avec une lassitude évidente le blond.
- Je trouve de l'amusement où je peux, Commandant Marco.
- Vous n'êtes pas sérieuse ! s'exclama quelqu'un.
- C'est malheureusement ce qu'il va se passer si on ne trouve pas rapidement une solution pour le brouillard, confirma Philippa.
Geralt baissa la tête en sentant une patte lui toucher la cuisse. C'était un immense chat, le genre de chose qu'on ne voyait que dans les livres si on ne vivait pas en Toussaint, une créature totalement noire, avec des yeux ambrés. Elle lui tapotait la cuisse du bout de la patte pour attirer son attention. Le pourquoi était clair, après tout, elle avait dans sa gueule un glaive en argent enroulé dans du tissu. Un glaive familier, puisque c'était le cadeau de la Dame du Lac. Celui qu'il avait perdu dans la gueule du dragon. Il s'agenouilla pour récupérer l'objet et caressa doucement le félin sur le crâne en remerciement. Cependant, l'animal changea de couleur pour prendre une teinte solaire en reniflant son bras et sa main.
- Iro, appela Marco.
La panthère tourna les talons et rejoignit le blond pour sauter sur ses jambes et s'y lover comme un gros chat.
Étrange rencontre…
- Et on peut pas les exorciser avec une hache dans la tête ? demanda Yarpen.
Geralt s'avança et présenta le glaive qu'il avait récupéré.
- La théorie dit que oui, mais je vous recommande d'investir dans des armes en argent, comme ce glaive. Il faut prendre en compte que si la brume donne naissance aux esprits, il est fort probable que plus ils s'en éloignent, plus ils faiblissent. Mais comme l'a dit dame Shiva…
L'elfe manqua de s'étouffer avec sa salive, clairement surprise qu'on l'appelle « dame ».
- … le brouillard va s'étendre, donc, la zone d'attaque des spectres aussi.
- Et on peut pas trouver un moyen de s'en débarrasser définitivement ? Genre, un exorcisme ? demanda Yarpen.
- C'est une question à laquelle moi-même, le Chat Noir, Shiva et Geralt de Riv tâcheront de répondre, annonça Philippa.
- Le Tueur de Roi et l'Incendiaire de Rivia ?! s'étrangla un noble humain.
- Même s'il est vrai que c'est un sorceleur qui a eu raison de Demavend et Foltest, contrairement à la rumeur, c'est quelqu'un d'autre qui est derrière tout ça. Il est question de Letho de Guletta, membre de l'École de la Vipère, informa Thatch en entrant. Désolé pour le retard.
- Heureuse de voir que tu as pu nous rejoindre à temps, sourit Saskia.
- TUER LA BÊTE ! hurla le noble avec l'appui des autres humains.
Le prince resta muet pendant que Philippa se pinçait le nez d'exaspération.
- La bête a fait preuve de plus de civisme que la majorité des humains que j'ai côtoyés dans ma vie, défendit froidement Geralt.
- Sans compter que Shiva et moi avons tout à fait le moyen de quitter Vergen malgré la brume. Si vous souhaitez tant la mort de l'homme que j'appelle mon petit-frère depuis plus de quatre-vingt ans, ne vous attendez pas à ce que l'on reste ici, yoi. Même si je doute qu'en joignant ses forces, la ville entière puisse avoir raison de lui… à l'extrême limite la magicienne, dit froidement Marco en se redressant dans son siège pour foudroyer les humains du regard.
Saskia adressa un air sombre aux nobles qui se rassirent en silence, tout palots.
- Sans compter que contrairement aux rumeurs sur les vampires, on n'est pas de vulgaires bêtes sauvages. Les vétérans de Brenna peuvent en témoigner. Surtout ceux que l'autre emplumé a rafistolés, continua Thatch avec indifférence. Mais pour revenir au sujet, vous avez la mauvaise personne en tant que coupable de régicide.
- Bien évidemment qu'on a le mauvais gars ! défendit Yarpen. Regardez-le, ce vieux Loup Blanc, il ferait pas d'mal à une mouche ! Et regardez-le dans les yeux, on voit tous que c'est quelqu'un de sensible !
Est-ce que le nain était sérieux ou se moquait-il de Geralt ?
- Peu importe ce que vous voyez dans ses yeux, maître Zigrin, il en sait plus sur la méthode pour lever la malédiction que beaucoup à cette table, pointa sèchement Philippa.
- Et pour l'Incendiaire de Rivia ? demanda Cecil.
- C'est connu que le Chat Noir n'apporte que mort, malheur et désolation sur son passage, rappela un humain.
Geralt jeta un œil au trio de pirates qui discutait à voix basse en japonais avant de répondre à l'homme en question :
- La sorceleuse Portgas D. Anabela n'a aucune patience envers la discrimination, que ce soit le racisme ou le sexisme. Mais je doute qu'elle acceptera de travailler avec Philippa sur cette affaire. Sauf pour la tuer.
Le nom attira l'attention de Shiva et Marco qui se regardèrent d'un air interloqué avant de se tourner vers Thatch qui hocha gravement la tête.
- On ne veut pas de ce monstre dans nos murs ! continua le nobliau.
Il n'eut pas l'occasion de dire plus qu'il se retrouva avec un poignard sous la gorge. L'homme avait commis deux erreurs. La première, être assis à la gauche directe du médecin. La seconde, insulter Ace. D'où le pourquoi il se retrouva avec une lame juste sous le menton, tenue par un médecin qui le fixait avec deux yeux de rapace enragé.
- Insulte la personne à qui je dois la vie encore une fois, et je peux t'assurer que tu n'auras pas que Marco à craindre… siffla Shiva en adressant un regard assassin au coupable.
C'est Stennis qui mit fin aux hostilités.
Il montra le noble d'un doigt autoritaire.
- Dehors.
- Mais, votre altesse…
- C'est un ordre du prince de ce royaume. Soit tu sors, soit j'appelle la garde. J'en ai assez de tes remarques. Le Chat Noir n'est que de passage. Et je pense que c'est ce genre de comportement qui provoquera notre chute. Alors, ça en est assez. Quitte cette réunion sur l'instant. C'est un ordre.
Le noble se leva avec la tête basse et quitta la pièce avec un regard empli de haine pour le reste de l'assemblée. C'était triste de se dire qu'il n'avait même pas réalisé que Stennis lui avait sauvé la vie. Quoique les sifflements de serpent que continuait d'émettre Shiva laissaient présager que l'affaire ne s'arrêterait pas là.
- Si nous pouvions revenir au sujet, à présent, qui est la malédiction, réclama Saskia avec lassitude. Les experts ont-ils des recommandations, autre les armes en argent ?
- Même si je n'attends pas, ni n'exige pas de vous que vous compreniez ce phénomène, je demande à ce que vous suiviez certaines règles, reprit Philippa.
- Et nous y voici… soupira Zoltan.
- Personne ne doit approcher le brouillard.
- Why, thank you miss Obvious, ironisa Marco en rangeant sa lame dans sa ceinture de tissu mauve décorée d'une chaîne en or et parsemée de saphirs.
- Ensuite, nous devons en apprendre plus sur cette bataille, continua Philippa. Pour cela, je compte sur vous, Cecil Burdon, et vous Shiva.
- A votre service, assura le nain avec sa voix bourrue.
- Je ne marche pas comme ça, annonça l'elfe noir en secouant la tête.
- Vous refusez de nous aider ? demanda Stennis en fronçant les sourcils.
- Non, ce n'est pas ce que j'ai dit, dh'oine. J'ai dit que je ne fonctionne pas comme ça, sur un claquement de doigt. Première chose, la magicienne. On demande la permission. Donc, on dit : « s'il te plaît, Shiva, peux-tu aider dans cette affaire ?».
- Nous n'avons pas le temps pour chipoter sur ce genre de détail, Kali, rappela à l'ordre la magicienne de Tretogor.
- Kali est au placard jusqu'à nouvel ordre, aujourd'hui, c'est Shiva. Ensuite, sache que nous avons deux mois.
La brune fit lentement le tour de la table avec deux doigts levés, avant de s'arrêter à côté de Saskia.
- Dans le pire des cas, nous aurons deux mois. Et cela mène à mon second point. Mon don ne fonctionne pas tout à fait à la demande. Lorsque vous êtes sur une barque au milieu de rapides, il vous faut beaucoup de force pour aller où vous voulez et ne pas vous faire embarquer, voire vous noyer. Mon don est pareil. Mais il faut rajouter à cela le nombre incalculable de voies qui s'offrent à vous. Des chemins divers sur lesquels vous pouvez vous engager pour voir le futur, sans savoir si ça correspond au futur le plus probable ou pas. Visiter beaucoup de ces voies augmente les chances de chavirer. Le moyen le plus sécuritaire de voir un possible futur est d'attendre une vision. Parce qu'une vague, on peut l'affronter et travailler avec. Je ne peux donc pas chercher dans le futur comme ça, surtout pour quelque chose qui implique une magie aussi nocive et puissante.
Elle croisa les bras dans un geste de défiance, même si le reste du corps était tendu, comme prêt à se défendre.
- Si je m'y aventure, je peux vous assurer que ce brouillard sera le dernier de vos soucis. Ou devrais-je dire, ne sera plus du tout un souci. Pour la magie en elle-même et le savoir, ce que je pratique est aussi différent que l'est le feu de l'eau, par rapport à ce que l'on enseigne à Aretuza. On me dit barbare, amateur, ignare… je dis terre à terre, païenne et animiste. En conclusion…
Un sourire aigre et moqueur apparut sur son visage alors qu'elle revenait vers Marco et Thatch. Un geste qui sembla à Geralt comme une tentative de se mettre à l'abri.
- Donc, en conclusion, je suis aussi utile que des lunettes à un aveugle. Laissons faire les pros.
- Merci pour cette reconnaissance de mes compétences, qui même si inutile, est un brin appréciable, rétorqua Philippa avec froideur.
Elle ferma les yeux un instant, comme pour récupérer son calme, puis se tourna de nouveau vers la table.
- Pour aider avec cette malédiction, je pense que des objets symboliques de la guerre d'il y a trois ans nous seront nécessaires. Des objets ayant appartenu, de préférence, à ceux morts au combat…
- Y'a plus de reliques de ce massacre qui traînent dans la nature que de poux dans la barbe de Cecil ! se moqua Yarpen en montrant le conseiller du pouce.
Le nain en question foudroya l'idiot du regard. Il n'avait pas de poux dans sa barbe, merci bien ! Elle était propre et très bien entretenue, il y veillait !
- Et puis, je croyais que les malédictions…
- Merci de me laisser en charge de la réflexion, maître Zigrin, coupa froidement Philippa sous le regard neutre d'un Geralt silencieux. Et je serais ravie de vous entendre un peu moins dorénavant. Même quelqu'un comme cette païenne peut se douter qu'il est question d'objets chargés d'émotions et de magie qui doivent absolument être liés aux fantômes de ceux tombés au combat. C'est tout ce que j'ai à dire.
- Que nous soyons clairs. Outre Shiva, pour des raisons qu'elle m'a confiées par le passé, nous devons tous assister Philippa et le sorceleur Geralt… conclut Saskia.
- Yarpen, arrête de râler dans ta barbe et parle clairement, s'il te plaît, qu'on puisse avancer, yoi, soupira avec lassitude Marco en refermant son carnet.
Le nain se contenta de racler sa gorge.
- Rien, rien, juste quelque chose coincé dans la gorge.
- Il y a la méthode douce et la radicale pour résoudre ça. Le vin et un bon gros coup dans le dos. Choisis ta médecine en silence.
- Merci Marco, remercia Saskia alors que le nain attrapait son verre de vin devant son nez et buvait une rasade. Passons au sujet suivant… combien sommes-nous… ?
- Saskia, tu le sais très bien, lui rappela Yarpen.
- Combien ?
- Deux cents nains à ne pas juger sur le nombre, parce que c'est connu, plus c'est petit, plus c'est résistant et plus c'est vicieux, yoi, récapitula Marco.
Shiva toussota dans son poing quelque chose ressemblant à « Haruta » qui tira un reniflement narquois de la part du blond.
- Nous avons, environ, plus de cinq cents paysans humains prêts à prendre les armes, mais le chiffre exact n'est pas encore tombé, continua le blond.
- Mon seigneur ? demanda Saskia en regardant Stennis face à elle de l'autre côté de la table.
- Cinquante-trois chevaliers et deux cents hommes armés, répondit un noble avant d'ajouter plus bas et sombrement : pas assez.
- Et deux mercenaires, dont un immortel, plus un doc qui prendra les armes si la situation l'exige, compléta Thatch. Et s'il y a quelqu'un à cette table qui a des doutes sur les capacités de combat de Shiva, je vous mets au défi de tenir une minute. Elle a un dieu dans sa poche.
- /Arrête avec tes conneries, j'ai pas de dieu dans ma poche !/ siffla l'elfe en adressant un regardant noir à Thatch.
- /Tu préfères que je leur dise que tu es un des avatars d'un dieu méconnu ?/
Son commentaire lui valut un genou mécontent dans les parties, ce qui le laissa plier en deux à l'agonie. Marco se contenta de tirer une bouffée de sa pipe. Et vu l'odeur qui en sortait, le mutant comprenait pourquoi. Ce n'était pas du tabac qu'il fumait, mais des herbes connues pour leurs vertus anti-stress et relaxantes.
- Henselt a une armée de cinq mille hommes. Cinq contre un, en notre défaveur. Que pensez-vous de ça ? continua Saskia en cachant de son mieux son amusement.
- Nous sommes peu, et ils sont nombreux, pointa un noble à la droite du prince silencieux et impassible. Mais nous avons des murs, même s'ils sont bas. Si nous avions des archers, ce serait différent.
- Oh, qu'est-ce que je donnerai pour un régiment d'arbalétrier lourd de Lyra ! grogna Yarpen.
- Nous avons bien mieux, et c'est pour ça que l'autre idiot est de retour à Vergen, annonça Saskia. Nous avons les Scoia'tael de Iorveth.
Et pile à cet instant, on entendit quelqu'un remonter le couloir pour se joindre à la réunion. Dans toute sa froideur et sa fierté d'Aen Seidh, Iorveth apparut. Il alla se planter derrière Saskia et croisa les bras, alors que la femme lui jetait un œil par-dessus son épaule.
Un à un, tous les membres de la réunion se levèrent, à l'exception de Marco qui esquissa un sourire.
- Ceádmil Iorveth, salua calmement Shiva en inclinant la tête.
- Ceádmil Yn Toredig [1], répondit avec respect le terroriste en s'inclinant partiellement.
Il se redressa et reprit sa position forte derrière Saskia, affrontant toute la salle qui le fixait avec méfiance pour la grosse majorité. Saskia se leva à son tour avec lenteur et montra l'elfe derrière elle :
- Messieurs dames, je vous présente Iorveth, vétéran de Brenna dans la brigade Vrihedd et commandant de la seconde plus grosse unité de Scoia'tael.
- Que cherches-tu ici, assassin ! attaqua un noble.
- J'ai cru comprendre que mon second était en ville, dit l'elfe.
Et il regarda Marco qui hocha la tête :
- C'est exact. Ciaran a reçu des soins mais il est au repos forcé pour le reste de la semaine. S'il suit mes consignes et ne cherche pas à se surmener, il ne devrait garder que des séquelles minimes. Pour le trauma, par contre, je ne peux rien faire, yoi. Je suis chirurgien, chercheur, médecin secouriste, professeur… tout ce que vous voulez, mais certainement ni psychiatre ni psychologue, yoi.
- En remerciement, il est donc normal que je vienne avec cent des meilleurs archers du Nord, conclut Iorveth. Nous attendons donc les ordres de la Tueuse de Dragon.
Pour une raison inconnue, le trio de pirates échangea un regard comme s'ils partageaient une bonne blague qui leur valut un bref regard d'avertissement de la part de Saskia et Iorveth. Quelque chose disait que c'était au sujet du surnom. Se pourrait-il qu'elle n'ait pas tué ce dragon comme tout le monde le disait ? Il devrait lui poser quelques questions pour le découvrir. Pas le temps de s'y attarder que Zoltan prit la parole :
- On a demandé des archers, les voici.
Yarpen adressa un regard sombre à Iorveth qui baissa à peine son œil unique pour le regarder de l'autre côté de son nez busqué.
- Je n'ai aucun plaisir à fraterniser avec les elfes, mais même un bâton recouvert de merde peut servir d'arme dans une situation comme la nôtre.
- Et il a brûlé trop de villages sur mes terres ! protesta un noble.
- Les paysans libres, c'est une chose, mais un criminel avec une tête mise à prix dans tout le nord… ? C'est trop ! protesta Stennis. Je préfère encore engager l'Incendiaire de Rivia.
Connaissant Ace, il allait lui dire de se le mettre bien profond.
- Tu n'as qu'un mot à dire Saskia, et je m'en vais dès que Ciaran sera en état de voyager, annonça Iorveth en regardant le jeune prince avec haine.
Saskia lui adressa un regard et l'elfe ferma son œil unique en baissant légèrement la tête. La Vierge d'Aedirn se tourna de nouveau vers la table et demanda leur attention :
- Écoutez-moi avant de juger. Iorveth est venu dans l'intention de se battre pour moi. J'ai confiance en lui et je sais qu'il peut nous aider à changer les choses. Comme chacun d'entre vous.
- Comment pouvez-vous en être certaine ! s'exclama un noble. C'est un elfe ! La trahison est dans sa nature !
- /VOS GUEULES !/ rugit Shiva.
Elle grimpa sur la table, la traversa et avec un de ses pieds nus, donna un coup dans l'épaule du noble, le plaquant contre la table où elle le conserva immobile avec une force insoupçonnable malgré sa silhouette. Et toujours avec un seul pied.
- Petite leçon d'histoire pour vous, dh'oines, leur dit l'elfe sombre. Les elfes vous ont appris la magie ! Et en échange, vous les avez chassés de leurs terres ! Vous avez détruit leurs plus belles citées, corrompus celles restantes ! Vous les avez poussés au bord de l'extinction ! Ils ne voulaient pas se battre, mais vous les avez poussés dans leur retranchement des siècles durant ! Parce que, bande de pourceaux, vous êtes une race si fragile qu'elle a besoin de se reproduire aussi vite que des cafards, ce qui fait que même notre longue vie ne peut compenser à votre multiplication digne d'une espèce parasite ! Non, je ne m'arrêterai pas, Marco ! Il n'est pas question que je me taise quand on insulte mes cousins !
- Mais je t'en prie, fais-toi plaisir, encouragea calmement le blond en se laissant aller contre son dossier comme pour assister à un spectacle.
- /Merci !/ Donc, je disais, pendant qu'on entraînait vos enfants à la magie à Loc Muinne, vous, vous nous massacriez avec Raupenneck ! L'erreur a été de vous laisser faire, de vouloir rester en paix, ce qui a mené à voir les Aen Seidhe parquer dans de maigres provinces dont Dol Blathanna est la plus grosse ! Quand on a voulu venger Lara Dorren, qui avait essayé d'améliorer les relations entre nos deux peuples pour tout voir partir en cendre, ça s'est fini par la perte de tout ce qu'il nous restait comme terre !
Ses perturbants yeux mauves regardèrent chacun des participants à la réunion pendant un instant, afin d'être certain d'avoir leur attention, avant de s'agenouiller et de saisir par les cheveux l'homme qu'elle maintenait contre la table.
- Tu dis de mes cousins, les Aen Seidhe, que ce sont des traîtres ? Laisse-moi t'éclaircir sur la situation. Un peuple qui a tout perdu voit une guerre qui se profile et qui entraîne la destruction de ceux qui leur ont tout pris ! Qui aurait laissé passer cette opportunité ? C'est grâce à ça qu'on a pu reprendre Dol Blathanna des griffes de votre si grand royaume qu'est Aedirn ! Ouais, la Brigade Vrihedd a bien servi à l'empereur pendant la guerre ! Peut-être trop bien. Mais Emhyr a compris mieux que vous comment parler aux Anciennes Races ! Comment se servir des elfes ! Après tout, les Nilfgaardiens disent avec fierté descendre des Seidhe Noir, ils n'allaient pas tourner le dos à leur racine en refusant une alliance avec les elfes du nord ! Dis-moi maintenant… Comment la guerre s'est-elle finie ? Peux-tu me réciter les différents points de l'accord de la Paix de Cintra ? Ou peut-être que tu préfères que Iorveth le fasse à ta place, dh'oine !
C'est Saskia qui s'en chargea :
- Dol Blathanna reste indépendante. Sa souveraine, Enid an Gleanna, aussi connue sous le nom de Francesca Findabair, a dû néanmoins jurer fidélité à Aedirn. Égalité en droit et propriété en Dol Blathanna entre elfes et humains… qui dans les faits, mène à chacun vivant de son côté en essayant de prendre un maximum de terrain sur l'autre. Reconnaissance des commandants Scoia'tael en tant que criminels de guerre qui devaient être jugés équitablement.
- Nous étions trente-deux, dit froidement Iorveth. Nous n'avons pas reçu de procès équitable. Il y a eu quelques rares et rapides esquisses de justice qui ont mené à d'encore plus rares relaxes et de bien trop nombreuses exécutions à Dillingen ou Drakenborg. Et mes camarades morts n'ont même pas eu droit à la dignité d'une fosse commune. Où sont les corps ? Je vais vous le dire ! Ils ont été jetés au fond du Gouffre de l'Hydre. Aujourd'hui, nous sommes tout juste cinq à être encore en vie, grâce aux compétences de Marco ci-présent. Isengrim, son frère Faust que personne n'a jamais réussi à arrêter, Yaevinn, Riordain qui ne pourra plus jamais se battre ou marcher malgré qu'il ait été sauvé du Gouffre de l'Hydre et moi-même qui y ait laissé un œil. Alors, mettons une chose au clair. Je ne me bats pas pour les humains. Je n'ai confiance en aucun humain. Je me bats pour Saskia. Parce qu'après Nilfgaard, elle est la seule à avoir réussi à nous parler et nous offrir ce que nous, les elfes, souhaitions.
Shiva appuya une dernière fois sur le dos du noble, avant de le relâcher. Toujours sur la table, elle rejoignit Marco et reprit sa position derrière lui. Le gros chat lui renifla la main comme pour la réconforter, sa fourrure ayant pris entre temps une teinte orageuse.
Le noble se redressa douloureusement, mais le silence dura.
Et dura.
Saskia regarda tout le monde autour de la table, ferma les yeux et reprit la parole :
- J'ai offert à Iorveth une possibilité de concrétiser et donner du sens à son combat. Comme Shiva l'a rappelé, les elfes ne connaissent pas la paix, et encore moins les Scoia'tael. Ils sont morts pour leur peuple, pour Nilfgaard, pour la Vallée des Fleurs… en vain. On les a utilisés. On les a trahis. On les a vendus. En se battant pour la liberté du Haut Aedirn, Iorveth et ses Scoia'tael ont un nouveau but. Celui de faire de la Vallée du Pontar la première province où aucun homme n'aura à craindre les flèches d'un elfe en s'aventurant dans les bois. Une province où elfes, halfelins et nains ne seront pas enfermés dans des ghettos ou des réserves.
Cela expliquait pourquoi Iorveth acceptait de se battre pour Saskia. Voilà pourquoi Vergen était aussi importante. Pourquoi on voyait ça comme une ville utopique. L'égalité. La compréhension. De doux rêves illusoires dans un monde comme le leur, mais Geralt préférait ça aux bien trop nombreux pogroms.
- D'abord, nous devons vaincre dans ce combat. Vous savez contre quoi nous luttons. C'est une armée splendide et bien menée. On ne peut pas la faire fuir ou la dérouter. Nous devons la vaincre. C'est pour cela que je veux que Iorveth s'assoit à la même table que nous. Je veux qu'il détruise l'armée de Kaedwen pour nous. Et je peux vous assurer qu'il le fera avec le sourire si on lui en donne l'occasion.
- Si c'est pour avoir l'occasion de voir un sourire sur ce visage osseux… j'suis pour ! s'exclama Yarpen. Qu'il reste !
- Je dois vraiment donner ma voix au chapitre ? Je pense que mon opinion est claire sur le sujet, yoi, pointa Marco quand on le regarda.
- Celui de votre elfe de compagnie l'a été en tout cas, grommela l'homme que Shiva avait maltraité.
- /Je vais le tuer !/ cracha la femme.
Thatch la ceintura pour qu'elle ne mette pas sa menace à exécution.
- Petit conseil, évite ne serait-ce que d'attraper un rhume, parce que pour le moindre bobo que tu auras, tu devras te tourner vers les bouchers qui vous servent de médecins, avertit froidement le blond alors que ses yeux prenaient une teinte jaune de rapace. Shiva est une de mes camarades, une sœur, une femme libre et indépendante. Elle est mon égale, qu'elle ait quelque chose entre les jambes ou non. Certainement pas ce que tu sous-entends. Elle a sa fierté, son égo, ses valeurs et ses compétences. Elle vaut bien plus que toi. Elle a fait et fera bien plus de bien que toi dans sa vie, aussi. Donc, si tu veux sortir de cette réunion en vie, boucle-la. La simple présence de Eilhart me met en rogne, ne rajoute pas de l'huile sur le feu, tu pourrais provoquer un incendie.
Le regard qu'il lança eut le don de faire fermer la bouche au noble trop bavard qui se rassit en baissant la tête.
- Je te recommanderais bien de t'excuser, mais je sais que tu ne le penserais pas, et que tu ne le mérites pas. Et surtout, qu'elle ne t'accordera pas de pardon. Alors, fais attention à toi, elle pourrait venir après ta tête pour la rajouter à sa collection.
Et le médecin croisa les bras sur sa poitrine, continua de couver le noble de son regard mécontent. Une certaine hésitation agita le camp humain à la table, avant qu'un autre vassal de Stennis prenne la parole :
- Bon sang… Père se retournerait dans sa tombe, mais il faut ce qu'il faut. Je suis pour la présence de cet elfe.
- Je refuse, annonça froidement Stennis. Tu as tué mes hommes, t'en rappelles-tu, elfe ?
- Si je ne les avais pas tués, ils m'auraient tué moi, lui rétorqua le commandant.
Cependant, Stennis resta la seule voix contre dans cette affaire, puisque les autres préféraient avoir recours aux compétences de l'elfe et assurer leur survie. Qui sait, ils songeaient déjà à une méthode pour se débarrasser de lui une fois cette histoire bouclée.
- A mort pour les salauds de Kaedwen ! Santé ! lança Zoltan en brandissant son verre de vin.
- Vessekheal [2] , salua Marco en prenant son propre verre.
Il tapota le félin sur ses genoux pour lui faire signe de descendre avant de se lever.
Un à un, les participants à la réunion se saisirent de leur verre, à l'exception du noble rebelle, de Stennis, de Thatch, Geralt et des deux elfes. Ils portèrent leur toast en silence, avant de sceller la réunion par le vin. Mais à peine les verres eurent-ils retrouver la table que Marco fronça les sourcils.
- Saskia ?
La femme avait du mal à tenir debout et à garder les yeux ouverts. Quand elle s'effondra avec un cri, Iorveth la rattrapa de justesse avant qu'elle ne percute le sol. En moins de deux, Marco et Philippa étaient à son chevet. Des flammes bleutées et dorées illuminèrent les mains du blond qu'il avait posées sur le ventre de la blonde inconsciente. Philippa marmonna un sort avant de se tourner vers le reste de la pièce.
- Elle a été empoisonnée !
Lentement, Shiva se laissa glisser à genoux par terre et se prit la tête dans les mains.
- /Pourquoi… pourquoi est-ce que je n'arrive pas à voir ce genre de chose !? Pourquoi je ne peux pas prévoir la fin de ceux qui me sont proches ?!/ gémit l'elfe en retenant ses larmes.
Thatch s'accroupit pour la prendre par les épaules et essayer de la réconforter. Même dans une ville aussi utopique que celle-ci, la mort rôdait toujours dans les environs.
Note 1 : Plus ou moins inspiré du gallois pour dire « The Broken One ». Vu l'inspiration des langues Gaelliques pour la Langue Ancienne, le choix est réfléchi.
Note 2 : Santé en Zerrikanien
