Bonsoir tout le monde. On retrouve notre mutants favoris sur ce chapitre. Notamment Ace qui explique à Geralt comment fonctionne les akuma no mi.
Et je veux que vous soyez attentif. Y'a des petits trucs importants pour la suite à noter. J'espère que vous les remarquerais. Ou pas.
Vous découvrirez aussi quelque chose d'étonnant sur votre Kuudere favorite.
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Geralt fit presque un arrêt cardiaque quand, sans raison apparente, une des torches de la mine s'embrasa… Pour qu'Ace en jaillisse comme si c'était la chose la plus normale au monde. Le Loup Blanc cligna des yeux, soupira et retourna à son examen des restes puants devant lui.
- Tu vas avoir la mort de Vesemir avec ce pouvoir.
- Il y a une compensation, tu sais. Pour tout, il y en a, répliqua le D.
- Ah ? Et de quoi est-il question ?
- Eh bien, le plus évident, je ne peux plus nager.
Le Loup Blanc lui adressa un regard dubitatif.
- C'est le prix général qu'on doit payer pour les fruits du démon. Tu mords l'un d'eux, et à moins d'avoir fait des recherches, tu ne sauras jamais le pouvoir que tu auras avant. Dans tous les cas, tu ne peux plus nager par la suite. Ce qui est handicapant dans un monde insulaire. Second point, dans mon cas, c'est que je n'ai plus accès aux signes. Presque quarante ans de pratique qui partent aux ordures.
- Au moins, tu ne siffles plus comme une vieille bouilloire.
Ace se contenta de rire en réponse avant de retrouver son sérieux et de s'accroupir à côté de son collègue.
- Qu'est-ce qu'on a qui empeste la charogne comme ça ?
- Putréfacteur. Celui-ci, c'est ton homme qui l'a tué.
Geralt pivota sur un genou et montra quelque chose plus loin, au sol, à quelques pas de la porte en bois.
- Vu la trace de sang, il a dû ramasser un nain et l'aider à fuir, avant de le poser là-bas le temps de gérer ce Putréfacteur, puis reprendre le nain.
- Et qu'est-ce qui te faire dire que c'est le travail de Marco ?
Geralt pointa quelque chose dans une des poutres à proximité.
- Quelque chose a été planté là, comme un couteau de lancer et le bois tout autour est brûlé. Et les phénix ont des plumes de feu.
Ace eut un rire en réponse.
- Arrête de rire, on a du travail.
Le D. cligna des yeux, perplexe, mais son camarade passait déjà à autre chose. Il s'était relevé, avait enduit son glaive d'huile contre les nécrophages, avant de se mettre en marche. Plus ils avançaient dans le couloir, plus il était évident que si ce monstre était mort pour de bon, ce n'était pas le cas de ceux dans les autres sections de la mine.
Ace s'arrêta un instant et regarda sa main gauche.
Il l'avait portée à son glaive.
Il avait vraiment perdu l'habitude de se battre avec ses flammes. C'était… triste et rageant.
Il sortit son arme de son fourreau et enflamma sa main droite.
Il n'y avait que peu de bruits. Une goutte qui tombe quelque part dans le lointain. Les grognements et gémissements des monstres. Le bruit des pas des mutants. Et le léger crépitement qui avait remplacé la respiration sifflante du D.
Leur route les mena jusqu'à une porte en bois. Ils échangèrent un regard et Geralt posa la main sur la clenche, avant de l'ouvrir rapidement. Le pied du brun prit dans le visage la créature qui tenta de se jeter dans l'ouverture de la porte, la repoussant plus loin dans les bras de ses compatriotes. Décrire la créature se résumait à trois mots : chair en décomposition. Ou alors pourriture. Un vague humanoïde avec une étrange grosse tête sans rien pour dire où étaient les yeux, la bouche, le nez ou les oreilles. Le corps était pâle avec des longues griffes, mais il y avait des déchirures pour montrer une chair rouge et purulente dessous. Comme un vieux drap déchiré. Ou plutôt, la peau d'un cadavre rendue blanche par l'arrêt de la circulation du sang avec, dessous, le reste du corps qui se décompose.
Le coup de pied d'Ace laissa une empreinte enflammée qui fit hurler la créature, mais Geralt ne s'en occupa pas. Il y avait une méthode assez simple, et pourtant, très risquée pour en finir rapidement avec un groupe de Putréfacteurs. Les blesser suffisamment pour les mener à l'autodestruction. Et s'ils en endommageaient deux, cela commencerait une chaîne. Parce que ce qui était dangereux, dans le processus, pour les vivants, l'était tout autant pour leur propre espèce. Autre point faible : le feu.
Et du feu, dieu qu'ils en avaient.
En fait, Ace avait littéralement rangé son glaive pour brandir un long bâton de flammes qu'il maniait partout autour de lui avec la même adresse qu'il avait montrée dans l'usage du bisentô. Parfois, il plantait des lances enflammées dans le corps des monstres.
Avec tout ça, c'est un miracle que Vergen ne leur tombe pas sur la tête vu l'intensité de l'explosion.
- C'est du bon nettoyage, commenta le D. en regardant les dépouilles fumantes et réduites en morceaux par l'explosion.
- Au moins, on ne manquera pas de lumière, pointa Geralt avec pragmatisme.
Ce don, c'était littéralement de la triche, pour lui. C'était tout juste si le brun n'avait pas besoin de claquer des doigts pour mettre le feu à quelque chose.
Ils continuèrent leur marche donc. Couloir après couloir. Ils marchaient tellement lentement à la recherche de la source des monstres qu'ils furent rapidement rattrapés par une boule de fourrure.
Iro la panthère leur tenait compagnie.
Elle leur serait utile pour retrouver la sortie, au moins.
Et elle avait donné une pleine démonstration de l'origine de son nom en se fondant littéralement dans le décor, sa fourrure changeant de couleur pour s'adapter l'environnement et à la lumière, la rendant presque indétectable (du moins, si on n'avait pas des sens de sorceleur).
Leur nouvel arrêt les mena devant une portion effondrée de la mine. Les deux mutants s'accroupirent et observèrent la zone.
- On dirait que les nains ont essayé de barrer le passage, nota Geralt.
- Peut-être que derrière, il y a un nid de Putréfacteurs, supposa le brun en penchant la tête sur le côté.
- Tu veux aller voir peut-être ?
- Iro, reste ici.
Et Ace devint un serpent de flammes qui se glissa facilement entre les espaces du mur effondré. De l'autre côté, il dut reprendre sa forme humaine parce que Geralt ne voyait plus la lumière des flammes et, bientôt, il entendit le bruit des pas qui s'éloignaient. Il resta à genoux, le félin assis sur son train arrière juste à côté de lui.
Quelques cris de monstres lui parvinrent, puis une lointaine explosion.
Les pas revinrent, et enfin les flammes firent machine arrière.
- Et un nid de Putréfacteur en moins, et un. Et crois-le ou non, on a un garkain qui a réussi à se perdre ici.
Et ils reprirent leur balade dans la mine. Ils cherchaient une plante, à la base, et rien ici n'avait la tête de végétaux.
- En parlant de garkain, tu as pu avoir le fin mot de l'histoire pour ton frère ? demanda Geralt.
- Thatch ? Oui et non.
Geralt leva brièvement un sourcil.
- Il était déjà amnésique quand Marco l'a retrouvé. Pendant cinq ans, des brouxes se sont occupées de Thatch avant que Marco ne tombe sur lui. De ce que Shiva et lui m'ont dit, les brouxes auraient reconnu en cet abruti de cuistot un vampire supérieur d'un vieux clan qui n'aurait pas suivi le reste de la migration durant la Conjonction des Sphères. Mais ils restent de la même espèce donc…
- Mais ça n'explique pas le fait que personne ne réalise jusqu'à maintenant qu'il était un vampire.
- C'est là où c'est triste. Thatch et Marco se sont rencontrés quand ils étaient gosses. Thatch avait trois ans et Marco cinq. En enfer, comme on dit par chez nous. Les parents de Thatch avaient été assassinés sous ses yeux avant qu'il ne se fasse enlever. Personnellement, je n'ai jamais essayé d'exploser la tête d'un vampire, mais une balle dans le crâne, ça mettra un vampire supérieur hors-jeu seulement pendant quelques minutes, deux heures tout au plus. Et Thatch est un vampire supérieur pur, ce qui laisse entendre que ses deux parents en étaient.
- Il y a donc de fortes chances qu'ils aient préféré jouer les morts plutôt que de sauver leur enfant, c'est ça ?
- Ouais. Même s'il n'a pas vécu longtemps avec eux, il avait conservé de bons souvenirs d'eux. Et se dire qu'ils l'ont probablement abandonné aux mains des /Dragons Célestes/… Je souhaiterais même pas ça à Eilhart, pourtant, elle est dans mon top trois des personnes que je déteste. Juste après Marshall et juste avant Dragon. Et oui, Dragon est le nom de quelqu'un.
- Et qu'est-ce qu'il t'a fait, ce Dragon ?
- Il a craché sa semence et n'a pas assumé les conséquences. C'est très difficile d'élever un garçon naïf comme si c'était son petit-frère, et le protéger de l'image ainsi que de la réputation d'un homme qui, malgré lui avoir donné son sang et être toujours en vie, n'en a jamais rien eu à faire de lui. Pourtant, même lui je ne lui souhaiterais pas un détour par MariGeoise.
Avant que Geralt ne dise quoi que ce soit, il se retrouva à l'autre bout d'un doigt menaçant de son camarade.
- Et ne t'avise même pas d'essayer de poser la question à Marco sur ce que c'est ou pourquoi c'est synonyme de l'enfer.
Le Loup Blanc cligna des yeux un instant.
- Tu es moins impressionnant comme ça qu'avec ton physique d'homme.
Grave erreur, il se retrouva avec un genou dans les parties de la part d'un Ace très mécontent qui le laissa en arrière et continua d'avancer, fumant littéralement de colère.
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Quand Geralt rattrapa enfin son camarade, il avait réussi à forcer la serrure d'une partie de la mine un peu en retrait. Il y avait un nain mort qui s'y était barricadé, avec, tout autour de lui, tout plein de pièges à ours. Le pauvre mineur devait être mort de faim. Ace se trouvait derrière le nain, au bord du vide, regardant en bas. En entendant le Loup Blanc, le Chat Noir lui fit un signe du doigt pour l'inviter à se rapprocher du bord. En silence, le plus vieux du duo le rejoignit et s'accroupit au bord.
- On a quelque chose en bas, tu sens ? souffla le pirate en plissant les yeux pour voir dans l'obscurité.
- Difficilement. C'est gros ?
- Très.
- Plus gros qu'un Putréfacteur ?
- Je pense qu'on doit en avoir trois ou quatre en bas, mais ce truc, ça doit faire facilement trois fois la taille d'un de ces trucs.
- Un Bullvore très certainement. Il va falloir y aller avec de la force.
- Gros, gras, fort, lent et résistant avec la capacité de régénération d'un troll. Capable de cracher une substance à la fois caustique et empoisonnée sur ses adversaires. Ou sur les Putréfacteurs qui l'accompagnent pour les faire exploser.
- Ce qu'il y a d'utile sur son cadavre se résume à sa cervelle, son sang, ses dents, ses yeux et sa peau.
- Descendons.
Geralt se releva et se dirigea vers la mine dans l'intention de trouver un chemin pour descendre, le tout sous le regard curieux de la panthère. Ace se leva, fixant les profondeurs impénétrables du regard.
Et il ricana.
- Ace ?
Le Loup Blanc se tourna vers son camarade, perplexe. Le D. adressa un immense sourire à son partenaire.
- J'ai envie d'me l'faire !
Et sans s'attarder plus, il se jeta littéralement dans le vide, devenant une boule de feu qui perça momentanément les ténèbres sur son passage avant de disparaître dans les profondeurs. Geralt et Iro regardèrent les flammes avec effarement pour le premier et d'un air blasé pour le second.
- Il va se faire tuer, siffla avec colère Geralt.
Et en courant, il quitta l'endroit pour retrouver un chemin vers les profondeurs.
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Marco venait de sortir des quartiers de Saskia quand il tomba nez à nez avec les deux sorceleurs et Iro. Si Ace avait un immense sourire enfantin qui avait énormément manqué au Phénix, Geralt, malgré son impassibilité, laissait s'échapper un profond agacement dans sa posture. Sans compter qu'il tenait son camarade brun par le col, comme si c'était un enfant indiscipliné.
- Je te le rends, moi, j'en peux plus de ses frasques suicidaires, dit froidement le plus vieux.
Et il laissa tomber Ace sur le pavement.
Il tourna les talons et s'en alla. Il devait aller voir Philippa pour lui dire qu'il avait trouvé l'herbe qu'elle lui avait demandée. Le soupir blasé du blond et le rire du brun disaient au Loup Blanc que ce n'était pas la première fois que le D. se comportait comme ça. Pour Geralt, ça ressemblait plus ou moins à une première, mais il ne voulait pas voir cela se répéter. C'était peut-être le retour de ce feu qui rendait son camarade aussi imprudent. Malheureusement, un sorceleur inconscient ne reste pas longtemps dans le métier.
Avec une démarche nerveuse, le Loup parcourut Vergen en jetant un œil au soleil qui déclinait à l'horizon. Il ne fallut pas longtemps pour que ses pas le conduisent jusqu'à la porte de l'habitation de Philippa Eilhart. Il s'arrêta devant et leva son poing pour frapper quand un gémissement parvint jusqu'à son oreille fine.
Ils avaient un problème de spectres et une patiente entre la vie et la mort… et la magicienne… non, elle n'aurait pas eu le culot de faire ça !
L'homme ouvrit la porte et entra dans le grand appartement en pierre et bois de la magicienne. Elle était assise au bord d'un grand lit aux draps de soie, tournant le dos à la porte. Assise derrière elle, une femme blonde aux cheveux courts la massait. Juste avec une chemise de toile descendant assez bas pour masquer ce qu'il fallait. La blonde donnait un massage à Philippa qui poussait des gémissements très trompeurs sur la situation. Ou alors, ce devait être un massage impressionnant. Histoire de se faire remarquer, Geralt attrapa la porte et la referma derrière lui. Sans parler du claquement, les gonds avaient bien besoin d'être huilés. Philippa tourna la tête vers lui et se leva.
En silence, ils marchèrent l'un vers l'autre, Philippa avec un déhanché et une grâce de femme fatale et puissante.
- Qu'est-ce qu'il y a, sorceleur ? demanda froidement la brune en pianotant sur une de ses deux tresses sombres.
Vu son ton, elle appréciait très peu la visite du Loup Blanc.
- Qui est cette femme ? se renseigna Geralt avec neutralité.
- Cynthia. Une magicienne attachée.
- Une expression charmante. Est-ce qu'elle doit aussi porter une muselière ?
- Le terme attaché est utilisé ici pour illustrer une connexion magique entre une magicienne et son assistante. Un terme peu reluisant, je l'admets, mais il explique comment, par exemple, Cynthia peut utiliser ma magie et mes sorts. Cela lui permet d'apprendre un peu plus. C'est utile, et, outre le nom, il n'y a rien de stupide dedans. Mais je doute que tu sois ici pour discuter de Cynthia.
Il y avait tant de questions qui traversèrent l'esprit de Geralt à cet instant. Pourquoi Philippa Eilhart, magicienne de la cour du roi Radovid de Redania et sa conseillère royale, était présente en Aedirn pour s'occuper de ce qui n'était, techniquement parlant, pas ses affaires ?
Il voulait aussi savoir si la rumeur était vraie, si Saskia avait réellement tué un dragon. Il n'arrivait pas à mettre son doigt dessus, mais il y avait quelque chose qui le dérangeait dans cette affaire.
Il aurait voulu lui demander aussi si elle savait quelque chose de Letho.
Mais il avait le sentiment qu'elle ne serait pas honnête pour aucune de ces questions.
- J'ai l'immortel.
Et il brandit un bocal contenant la plante brune qu'avait réclamée la magicienne. Philippa récupéra le bocal sans un mot et le posa sur son bureau. Elle se retourna vers Geralt et croisa les bras, lui demandant silencieusement si ça serait tout. Le Loup Blanc ne la fit pas attendre plus :
- Une magicienne telle que vous doit en savoir énormément sur la Chasse Sauvage, non ?
- Ce n'est pas parce que j'ai ramassé Anabela devant ma porte après sa fuite de la cavalcade que je m'y suis intéressée pour autant, lui dit froidement la magicienne.
Un léger bruit attira l'attention de Geralt vers Cynthia qui avait juste changé sa position sur le lit pour croiser ses jambes et mieux les observer.
- Je m'y intéresse tout autant qu'aux tornades et aux chutes de neige. Cependant, pour des raisons qui semblent à présent évidentes, cette Shiva s'y intéresse. Si vous souhaitez discuter avec ce serpent mutant, faîtes-vous plaisir, moi, je n'ai pas de temps à perdre, que ce soit sur ce sujet, ou avec elle. Autre chose à me faire part qui mérite plus mon attention ?
Il détestait cet air hautain et désintéressé. Cette façon dont la magicienne le prenait de haut. Usant de la patience qu'il lui restait, le Loup continua ses questions.
- Nous avons besoin de Triss pour récupérer une rose de souvenance, et je sais que Letho l'a forcée à se téléporter à proximité de Vergen…
C'était lui ou Cynthia était un peu trop intéressée par la conversation ?
- Et qui est ce Letho ? se renseigna la magicienne du Tretogor.
- Un sorceleur de l'école de la Vipère. L'assassin de Foltest et, si j'en crois ce que Iorveth m'a dit, il est fort probable qu'il ait aussi tué Demavend. Pourrais-tu m'aider à la retrouver ?
- Très certainement. Nous, les magiciennes, nous devons nous serrer les coudes. Nous avons bien trop d'ennemis.
- Je sais que Triss t'a contactée via le mégascope de Sheala de Tancarville, à Flotsam…
- Et je n'ai pas eu de nouvelles de l'une ou de l'autre depuis, pointa la brune en croisant les bras.
- Peux-tu la localiser ?
- Un megascope utilise l'aura des gens. Si j'avais un objet lui appartenant, je pourrais bien la trouver. Vous étiez proche, tous les deux, peut-être possèdes-tu quelque chose.
- Non, je n'ai rien.
- Cela ne nous avance donc pas. Il va falloir garder les oreilles et les yeux ouverts jusqu'à trouver quelque chose. Ce sera tout ?
- J'ai des questions sur les artefacts que tu as mentionnés pour lever la malédiction sur le champ de bataille.
- Exact, et j'ai dit que je ne pouvais pas partir à leur recherche.
- C'est pour ça que je me renseigne. Que sais-tu de ce qu'il s'est passé il y a trois ans ?
- C'est très simple. Henselt a attaqué Aedirn, mais il a trouvé plus fort que lui. Cependant, personne n'a gagné cette guerre. Sabrina de Glevissig s'est disputée avec le commandant en chef des forces Kaedweniennes. Et cela a mené à la déroute des deux armées. Des boules de feu sont tombées sur le champ de bataille, le transformant en un cimetière de flammes. Henselt accusa pour le coup Sabrina d'avoir utilisé une arme interdite…
- Et Sabrina a jeté une malédiction sur Henselt ?
- Je suppose. Et je suppose aussi que les circonstances ont fait que la malédiction a pris plus d'ampleur que prévu.
- Circonstances ? répéta Geralt en levant un sourcil. Les étoiles n'étaient pas bien alignées ? La lune n'était pas dans son bon jour ? C'est facile de trouver des excuses pour ce genre de boulettes.
Philippa plissa ses yeux de façon presque imperceptible et se redressa légèrement, comme si les mots du Loup Blanc était une attaque personnelle contre elle.
- Elle a lancé sa malédiction pendant qu'elle brûlait vive sur un bûcher, les mains et les pieds cloués à une roue de chariot. Je pense que devant ça, on peut dire qu'elle a fait du très beau travail.
- Elle a réussi à mettre en place une malédiction de sang de niveau quatre, connue aussi comme la Malédiction de l'Archi-mage. Si ce n'était pas intentionnel, même dans ces circonstances, elle n'aurait pas pu la mettre en place par erreur. Elle le voulait.
Philippa haussa un sourcil.
- Eh bien, je suis impressionnée, dit-elle d'un ton laconique.
- Seulement, jusqu'à présent, ce n'était qu'un mythe, on pensait qu'on ne pouvait jeter une telle malédiction.
Une étincelle s'alluma dans le regard de la brune qui se tourna vers Cynthia.
- Est-ce qu'il a juste ?
- On a recensé six cas confirmés de l'usage de cette malédiction, répondit la blonde avec une voix douce.
- Et combien de cas confirmés de désenchantement ? se renseigna Geralt.
- Un seul. Le désenchantement a été pratiqué par un groupe de magiciennes mené par l'archi-magicienne Francesca Findabair, d'où le nom qu'on donne à cette malédiction. Et il se trouve que Sabrina était dans cette équipe, répondit Philippa.
- Le monde est bien petit.
- Et ça ne s'arrête pas là. La malédiction, cette fois-là, visait à mettre un terme à la dynastie des Thyssen qui règne sur le Kovir. L'autre était Scarlet Rodalega, un vrai fou, mais très talentueux. Une éclipse et ces spectres ont accompagné sa malédiction.
- Donc, la malédiction de Sabrina est inspirée de celle de Rodalega.
- Exactement.
- Est-ce que l'on peut obtenir de l'aide de la part de Francesca ou de son expérience ?
- C'est grâce à elle que je connais les symboles et le fonctionnement de cette malédiction.
- Je vais être celui qui va mettre sa peau en jeu, donc, j'aimerais quelques explications.
- Bien entendu. Tu vas devoir revivre la bataille et en changer le court au bon moment. J'ignore comment cela se déroulera. Personne ne le sait. Outre peut-être la diseuse de bonne aventure locale…
Sa façon de parler de Shiva montrait un dégoût profond pour l'étrange elfe.
- Je ne sais pas si tu as remarqué, mais pas tous les fantômes étaient agressifs, rappela Geralt.
- Je l'ai remarqué. Certains se contentaient de disparaître dès qu'ils entraient en contact avec l'aura d'une personne vivante. Je pensais à cet instant que c'était un effet secondaire de la Marque des Rois d'Anabela.
- Je pense que la malédiction corrompt les fantômes et les tournent en draugrs.
- Est-ce le terme utilisé par les sorceleurs pour désigner les spectres ? se renseigna Philippa.
Ah, les amateurs…
- Ce sont des démons de la guerre, explicita le mutant. Ils se forment sur les lieux qui ont connu des batailles exceptionnellement vicieuses, brutales et sanglantes. Ils sont un condensé de soif de sang et de haine.
- Est-il possible de les détruire avec des moyens conventionnels ?
- Un glaive d'argent est suffisant pour défaire un draugr, mais tant que la malédiction reste active, de nouveaux se lèveront. Puisque je vais devoir me plonger dans cette bataille, je suppose que je vais avoir l'opportunité de trouver un moyen de changer les choses.
- Pour cela, il faut les quatre symboles représentant ceux qui sont tombés durant la bataille. La Haine, la Mort, le Courage et la Foi. Ces quatre artefacts doivent être actifs d'un point de vue magique et réellement connectés à ceux qui sont tombés, sinon, les fantômes ne seront pas attirés.
La Bannière Brune était une première piste.
- Contente-toi des symboles de la Haine et de la Mort, je me charge des deux autres, lui dit la magicienne.
- J'aurais préféré Courage et Foi.
- Ne fais pas le difficile.
Geralt roula des yeux et prit congé. Il était sur le pas de la porte quand la magicienne l'interpella.
- Remercie ce bon docteur pour sa plaisanterie de mauvais goût. Il comprendra bien vite l'erreur de rendre un don aussi chaotique et destructif à quelqu'un d'aussi instable. Quand on dit que l'amour rend l'aveugle, il en est le premier exemple.
- Je pense au contraire qu'il sait ce qu'il fait. Quant à la plaisanterie, c'est un cadeau d'Anabela et de Shiva.
Et la porte se referma sur lui.
Il descendit les rues de Vergen. Il devrait peut-être aller se coucher. Demain, bien d'autres choses l'attendraient. Comme trouver une piste sur la localisation de Triss. Ou le reste des objets du traitement de Saskia. Ou encore, les reliques que lui réclamait Eilhart pour lever la malédiction.
Il arriva devant l'auberge où il vit Jaskier à une table extérieure, occupé à écrire. Celui-ci releva la tête en entendant le bruit des pas et sourit à son ami.
- Alors, le nettoyage de la mine ?
- Ace aura ma mort.
- Ce n'était pas déjà un fait établi ?
- Si ce n'était pas le cas, aujourd'hui, c'est confirmé. Maintenant qu'il a retrouvé ses dons d'origine, il est plus impatient, désinvolte et imprudent que jamais.
- Ses dons d'origine ?
- Le feu. Il est le feu. Avant, il émettait un léger sifflement quand il respirait, à cause de sa blessure à la poitrine. Maintenant, il émet des crépitements, comme le feu. Je l'ai vu se mettre au milieu d'un nuage de gaz, les bras croisés, et le gaz s'enflammer en réponse. Je l'ai vu sortir de la flamme d'une torche. Devenir une boule de feu…
- Ah oui…c'est assez impressionnant. Et tu me diras, outre si on est un sorceleur et ou un mage, on peut difficilement prétendre pouvoir faire mal au feu.
- Mais on le peut. Il avait ce don quand il s'est fait mortellement blessé. Et comme je l'ai dit, ça le rend imprudent. Et un sorceleur imprudent, ça ne reste pas bien longtemps dans le camp des vivants.
Geralt vint s'asseoir devant son ami barde et montra du menton le texte sur lequel le brun travaillait.
- Tu écris un sonnet pour ta nouvelle muse ? J'espère que tu ne vises pas l'elfe noire, elle n'a pas l'air d'être le genre de femme à apprécier qu'on lui fasse la cour.
Un frisson secoua Jaskier à la mention de la brune.
- Certainement pas. Elle a menacé de me mordre si je m'y essayais, et même si j'aime les femmes farouches, je préfère qu'elles ne soient pas mortelles.
Il se pencha vers Geralt pour lui faire une confidence.
- Elle a des crocs de serpent dégoulinant de venin à la place des canines !
- Les elfes n'ont pas de canines.
- Je sais ! Mais elle, elle avait des crocs ! Et même une langue de serpent !
Geralt haussa les épaules. Au moins, il comprenait les sifflements que la femme avait émis durant la réunion sous la colère ou le fait que ce n'était pas une simple insulte qui avait poussé Philippa à appeler Shiva « serpent mutant ».
- Si tu n'écris pas pour elle, à qui est destiné ce sonnet ? se renseigna le Loup Blanc.
- C'est mieux qu'un sonnet ! annonça avec joie le barde. Un hymne pour Vergen ! Tu veux entendre la première version ?
- Non.
- Écoute attentivement…
- J'ai dit non, Jaskier.
- Mais…
- Non.
- Bon, tant pis.
- C'est mon imagination ou tu es devenu le porte-parole de la propagande de la cour ?
Jaskier se pencha sur la table, un doigt levé et les yeux brillants.
- Tu sais ce que j'aime avec cet endroit ? Il n'y a pas de cour. Les gens sont avec Saskia parce qu'ils le veulent. Pas parce qu'ils le doivent ou y sont obligés.
- Tu as tendance à aller d'un extrême à l'autre.
- Et toi, tu as tendance à cracher sur le moindre idéal, aussi noble soit-il.
- J'essaie juste d'être objectif dans ma vision du monde.
- Eh bien, tu devrais en discuter un peu plus avec ce Marco. Figure-toi qu'il m'a raconté l'histoire d'un grand homme de chez lui, sur lequel je pense écrire une balade. L'homme, un certain Gol D. Roger, était un rêveur, un idéaliste, qui a vu et fait des choses incroyables qui l'ont élevé, non pas par la violence, mais par le respect, au rang de Roi des Pirates. Un homme, qui, le jour de son exécution, est parti avec le sourire après avoir allumé la flamme de la passion, du rêve et de la liberté dans le cœur des gens en une seule phrase ! Cet homme, par ses rêves et ses ambitions, a changé le monde !
Lui dire ou pas qu'il s'agissait du père d'Ace ? Hmmm, non. Mauvaise idée. Connaissant Jaskier, cela attirerait des problèmes au barde. Surtout qu'il savait qu'à chaque fois qu'il voyait cette lueur romantique et passionnée dans le regard de son camarade, il allait devoir sortir le cul du musicien d'un sacré bourbier.
- Quelque chose te tracasse ? Tu m'as l'air d'avoir pas mal à l'esprit, s'enquit Jaskier.
Pendant un instant, Geralt regarda le parchemin de Jaskier sans le voir avant de finalement répondre :
- Ma mémoire et mes sentiments semblent étroitement liés. Et j'ai l'impression de récupérer les deux…
- Et donc ?
- Je crois que Yennefer est vivante et que je vais éventuellement la retrouver.
- Triss… Yennefer… eh bien, c'est une sacrée vie que tu mènes, mon ami ! taquina le barde.
-Tout d'abord, j'ai dit que je pense que Yennefer est vivante, pas que j'étais certain. Ensuite, on ignore si Triss a survécu.
Sans compter qu'entre eux, c'était juste physique, malgré le fait que la rousse voudrait clairement plus.
- Hm. Pas faux. Tu sembles avoir deux femmes, alors que dans les faits, tu n'en as aucune.
- Les magiciennes ne meurent pas facilement, donc, je veux croire qu'on retrouvera Triss. Vivante.
- Et Yennefer ?
Ils étaient liés par le Destin. Mais avec le retour de ses souvenirs, il se rappelait de crises de colère, d'incertitudes, d'amour et de passion. Yennefer était une femme indépendante qui cachait profondément ses insécurités par son comportement distant, secret et autoritaire.
- Je ne saurais pas tant que je ne l'aurais pas vue, finit-il par dire. En attendant, j'ai d'autres fragments de ma mémoire qui me sont revenus… Ce sont que des morceaux jusqu'à présent, mais j'arrive lentement à reconstituer le puzzle.
- Et donc, de quoi te souviens-tu ? s'intéressa le barde en acceptant le changement de sujet.
- Un voyage. Une marche sans fin vers le sud. Je suivais Yennefer et la Chasse Sauvage. J'ignore combien de temps ça a duré. Mais la piste était froide…
Jaskier appuya son menton dans sa main en écoutant attentivement son camarade, sa plume tournant pensivement entre ses doigts.
- Il n'y avait plus que des vieux dans les villages que je traversais. Ils refusaient de dire ce qui était arrivé aux jeunes… à leurs enfants et petits-enfants… j'ai fini par avoir des informations en insistant. Ils parlaient d'une meute de chien ou d'une attaque de noyeurs ou de putréfacteurs… mais personne n'a jamais mentionné la Chasse Sauvage.
- As-tu réussi à rattraper la Chasse ?
- Je l'ignore.
- As-tu une piste ?
- Eh bien, il y a ce vieux poème elfique que tu as mentionné sur la Chasse.
- Et je me rappelle avoir dit qu'il existait peut-être. Et si c'est le cas, ce serait un très vieux texte. J'ignore où il serait s'il existait. Ce n'est qu'une rumeur.
- J'ai une autre piste. Eilhart a mentionné le fait que Shiva s'intéresse à la Chasse Sauvage. Elle acceptera peut-être de m'en parler.
- Tu sais ce à quoi je pense quand je vois cette femme… je pense à Ida Emean aep Sivney, la mystérieuse magicienne elfe. Outre des rumeurs sur son apparence, on n'a qu'une chose d'elle, ce sont quelques mots : « Je suis une Sage. Mon pouvoir réside dans mon savoir. Pas dans son partage. ». Et quand je vois cette Shiva… j'ai ça qui me vient à l'esprit.
- Cela ne coûte rien de demander gentiment.
- Eh bien, elle est dedans, si tu veux tenter ta chance. Je touche du bois pour toi.
- Merci.
Et le mutant se leva pour entrer dans la taverne. Il passa la porte et nota immédiatement qu'il y avait de l'animation du côté des pugilistes. Et avec raison, parce que Shiva était sur le ring. Un bandeau sur les yeux, elle déployait un bel éventail de techniques au corps à corps en usant de sa souplesse et de sa vivacité. Elle n'y mettait pas forcément de la force, mais la vitesse des coups paralysait ses adversaires une fraction de seconde. Juste assez pour être envoyé au tapis ou être reparalysé derrière. Sans compter qu'elle avait aussi un style assez sournois.
Finalement, elle gagna un dernier combat avant de se retirer du ring, laissant les parieurs en pleine crise. Elle récolta son argent et vint s'asseoir à la table où Geralt s'était installé pour boire et l'observer. Maintenant qu'il avait plus le loisir de la voir de près, il remarquait de fines arabesques d'écailles couleur sable sur la peau de l'elfe. Elles se fondaient avec sa peau comme un étrange maquillage discret. La brune fit signe à l'aubergiste pour qu'on lui apporte à boire et se tourna vers le Loup Blanc.
Silence.
Gros silence.
Elle le regarda dans le blanc des yeux.
Sans dire un mot.
Sans la lâcher du regard, le sorceleur avala une gorgée de son alcool alors que l'elfe recevait sa propre boisson.
On aurait presque pu entendre une mouche voler dans le silence entre les deux non-humains. Finalement, un bref sourire étira ses lèvres et elle but une gorgée de sa boisson.
- Les humains qui connaissent le pouvoir du silence se font bien rares, finit-elle par lui dire.
- Je ne suis pas humain.
- Tout autant que je ne suis pas une elfe. Crois-le, Gwynbleidd, je suis bien plus qu'un œil, même aussi fin que le tien, peut voir. Et je ne parle pas des écailles. Comment se porte Lambert ?
Les sourcils de Geralt se soulevèrent d'un chouilla.
- Tu connais Lambert ?
Les étranges yeux mauves de la femme se perdirent dans le vide.
- Le genre de relation que j'ai avec lui tuerait Ace d'un arrêt cardiaque si ça venait à ses oreilles. En quarante ans, les gens changent. Plus lentement pour certains, mais ça arrive.
- J'en apprends tous les jours. L'acariâtre de service a donc trouvé chaussure à son pied ?
- Je pense qu'il a trouvé plus cinglant et cynique que lui. Bien assez pour lui faire admettre sa défaite. Alors ? Comment va-t-il ?
- Je ne l'ai pas vu depuis plus d'un an. Aux dernières nouvelles, Vesemir devait le recontacter avec Eskel pour leur dire qu'ils étaient dans la mauvaise direction dans leur traque de la Salamandre. La suite, je l'ignore.
- L'organisation raciste qui faisait joujou avec les expérimentations biologiques ? Thatch nous a raconté avoir détruit une cellule de leur groupe à Flotsam. Saloperie de dealer de mort blanche.
Un sifflement de serpent en colère lui échappa avant qu'elle ne reprenne une gorgée de sa boisson.
- J'ai beaucoup de questions. Si je les pose, est-ce que j'aurais une chance de réponse ? demanda Geralt.
La brune leva un sourcil.
- Pourquoi tu demandes l'autorisation ?
- Parce que ça m'embêterait d'offenser la meilleure amie d'un camarade.
- Et si je te demande de compléter l'histoire que nous a offert Ace, le feras-tu ?
D'un côté, c'était des amis, la famille, les mieux placés pour soutenir le Chat Noir.
Mais de l'autre, ils étaient des sorceleurs, ils se serraient les coudes. Tout raconter comme ça…
- J'ai eu du mal à obtenir sa confiance. J'ignore ce qu'il a dit sur sa vie jusqu'à aujourd'hui, mais je n'irai pas contre lui. Ce serait trahir ses confidences et briser le semblant d'amitié qu'on a réussi à former.
- Bonne réponse. Et non, je ne suis pas vexée. J'ai servi sous ses ordres, je sais très bien comment il est. Et même si j'ai dit que les gens changeaient, pour ce qui est de la confiance, je doute qu'Ace ait évolué. Au contraire, ça a dû empirer s'il a passé toutes ces années seul sur la route.
- Les mutations n'aident pas à se sociabiliser.
Un rire aigre sortit de la gorge de la brune. Elle regarda un instant le fond de son verre avant de le reposer pour croiser ses bras fins sur la table.
- Par quoi veux-tu commencer ?
- La question qui risque le plus de déplaire ?
- Perfect !
Geralt fronça les sourcils, sans comprendre.
- Vas-y, lance ta question.
- Qu'est-ce que tu es exactement ?
- Outre une elfe ?
- Je m'intéresse surtout à la raison de l'appellation que te donne Iorveth.
- Tu as bien choisi. Tu as pris l'option épineuse et personnelle. Félicitations.
- Navré.
- Pour répondre partiellement à ta question, j'avais le potentiel, de par mon statut d'avatar divin, d'être une Aen Saevherne, mais ma biologie m'empêche de pratiquer de façon trop longue ou intense de la magie, sous peine de devenir un monstre qui pourrait bien avoir raison du sorceleur qu'on embaucherait pour l'abattre. Je n'irai pas plus loin.
Cela ouvrait encore plus de questions que cela n'en refermait pour Geralt, mais il n'allait pas pousser. Si elle avait voulu s'étendre, elle l'aurait fait.
Se rappelant de ce avec quoi il se baladait, le Loup Blanc sortit de sa sacoche le dossier de patient qu'il avait toujours et le fit glisser sur la table jusqu'à la brune. Quelque chose lui disait que c'était le sien.
- Oh, ça remonte. Merci, je vais pouvoir m'en débarrasser.
Elle le ramassa et alla jusqu'à l'immense cheminée de la salle commune pour jeter les papiers dans le feu. Elle resta devant le temps nécessaire pour que ces informations finissent calcinées, avant de retourner s'asseoir.
- Comment se porte Anezka ? demanda la brune en reprenant son verre.
- Assez bien. On a accompli un rituel que tu avais prédit.
- J'ai fait beaucoup de prédictions dans ma vie, surtout que la dernière fois que je l'ai vue, c'était il y a vingt ans.
- Le Cœur de Mélitèle.
- Ah oui, ça. Je me souviens, oui. Tu n'es qu'un transit pour l'amulette, ne t'y attache pas trop.
- Très bien. Et à qui dois-je la confier ?
- Tu le sauras le moment venu.
Et elle recommença à boire, vidant les dernières gouttes de son verre avant de faire signe à l'aubergiste en lui montrant son verre et celui de Geralt. Une fois qu'ils furent resservis, elle se tourna de nouveau vers le mutant.
- Tu sais quelque chose sur la Chasse Sauvage ? demanda le mutant.
Une ombre passa sur le visage de la brune alors qu'elle serrait dans sa poigne sa choppe.
- Oh oui. Ils ont enlevé mon commandant, mon ancien capitaine, la personne à qui je dois cette vie. Forcément, je vais mettre toutes les chances de mon côté pour les abattre. Pour effacer jusqu'au souvenir même de leur existence.
Elle cracha quelques mots dans une langue que le sorceleur ne connaissait pas, avant de respirer pour retrouver son calme.
- Tu as un compte à régler avec eux, toi aussi ? s'enquit la brune.
- Je suis mort, il y a quelques années dans un pogrom, à Rivia. Et il y a bientôt deux ans, mes camarades de l'école du Loup m'ont retrouvé effondré dans les environs de la forteresse. Je fuyais la Chasse Sauvage à cet instant. Je me suis réveillé totalement amnésique.
Shiva hocha la tête.
- L'amnésie est une caractéristique de la rencontre avec la Chasse. C'est pour cette raison que Thatch lutte encore et toujours pour retrouver ses souvenirs. Et j'ai dans l'idée que si Ace a sa mémoire quasi complète, c'est parce qu'il a croisé la route de cette salope en tenue de parade qu'est Eilhart.
- Le problème dans les souvenirs qu'il me manque, c'est la logique. Je sais qu'après Rivia, je me suis retrouvé en Avalon, parmi les pommiers en fleurs, avec ma partenaire.
- Comment diable as-tu fait pour changer de sphère ?
Lui répondre ou pas ? Certes, c'était une inconnue mais elle avait tout de même partagé quelque chose de gros avec lui, et là, elle acceptait de répondre à ses questions. Finalement, il se décida :
- Mon Enfant-Surprise est une descendante de Lara Dorren de par sa mère.
- Ah bah mon con, t'as pas fait les choses à moitié.
- C'est l'histoire de ma vie, je pense.
L'elfe eut un reniflement sarcastique et ils firent une pause pour boire une gorgée. Au moins, elle ne lui demandait aucun nom, ni la localisation de la personne en question. Elle le savait peut-être déjà, si elle voyait le futur.
- Donc, je profitais de la vie avec ma partenaire, quand la Chasse a débarqué et l'a capturée. Pourquoi ? Je l'ignore. Je suis parti à leur poursuite, j'ai cherché à les rattraper. J'ignore encore si j'ai réussi ou pas, mais ça s'est fini avec moi, dans les environs de Kaer Morhen, avec la cavalcade à mes trousses. Et il y a autre chose…
Shiva pencha la tête sur le côté, disant silencieusement qu'elle l'écoutait.
- J'ai affronté plusieurs fois le seigneur de la chasse, l'an dernier, pendant mon escapade à Wyzima. Cependant, dans les souvenirs que j'ai récupérés de ma poursuite de la traque… j'ai des images de sang, de morts. J'affrontais des êtres de chair et de sang. Mais à Wyzima, j'étais contre des spectres.
- La Chasse est composée de vivants. Des elfes. Les Aen Elle. Les Aen Seidhe sont une branche de cette race, si on veut. Si moi, je suis une cousine éloignée, avec un ancêtre commun remontant à très très loin, eux, sont très proches.
Elle avait illustré son commentaire de façon étrange. Pour parler de sa race, elle avait posé une main sur son épaule, avant de descendre vers la main et de présenter les Aen Seidhe et Aen Elle en montrant deux doigts côtes à côtes.
- Là où un des peuples a migré sur ce monde, l'autre ne l'a pas fait. Les Aen Elle n'ont pas connu les guerres pour la survie. Ils ont continué à se développer, surtout dans le domaine militaire et magique. Et gros point d'importance, ils ont gardé longtemps leur possibilité de naviguer de monde en monde. Comment, ça, je ne le sais pas. Que ce soit sur le plan astral, en devenant les spectres des légendes, ou sur le plan physique, ils sont capables de changer de monde. Et généralement, c'est pour en conquérir un nouveau et asservir son peuple. Autre chose importante et que tu as dites... Tu les as affrontés de nouveau à Wyzima, l'an dernier.
- Oui, et ?
- Je mettrais mes ailes à couper que c'est ça qui fait que tu retrouves la mémoire. Si les rencontrer une première fois met un verrou psychique sur les souvenirs, les revoir pourrait faire sauter ce verrou. Il arrive parfois que la médecine pour contrer un mal se trouve dans la source de celui-ci.
Shiva se leva, le surprenant.
- Je dois aller annoncer la bonne nouvelle à Marco.
- La bonne nouvelle ?
- Oui. Que d'ici moins de deux ans, Thatch retrouvera la mémoire. Parce que peu importe la direction dans laquelle je me tourne, je vois la Chasse Sauvage dans les ruines d'un bastion, avec mes camarades et moi prêts pour l'affronter. Et tu es dans cette vision. Bonne nuit à toi.
Et sans un mot de plus, elle s'en alla, dépassant Ace à qui elle serra le bras avant de sortir, surprenant le Chat Noir. Le D. regarda la porte se refermer, puis vint s'asseoir, fermant les yeux pour s'armer de patience quand un idiot le siffla au passage.
- Ce genre de comportement ne m'avait certainement pas manqué, ragea le brun en s'asseyant. Non seulement je dois gérer avec un genre qui n'est pas le mien, mais en plus, je dois faire avec les pourceaux qui se trouvent malin de siffler sur mon passage.
Et le bisentô fut appuyé contre la table.
- Je te paye un verre ? proposa Geralt.
- Je dis pas non. Parce que le verre de saké, je cours encore après.
Geralt fit signe à l'aubergiste et celui-ci vint déposer une belle chope d'hydromel de Mahakam devant chacun des mutants.
- Tu t'es renseigné sur comment tu as réussi à récupérer l'arme ? demanda Geralt en montrant le bisentô avec son verre.
Ace avala cul sec le sien avant de répondre :
- Thatch l'a perdue aux cartes y'a une quinzaine d'années. Devine contre qui ?
- Je l'ignore.
- Jacques d'Aldersberg en personne. Du moins, avant qu'il ne se fasse un nom dans les rangs de la Rose Ardente.
- Cocasse.
- Je peux imaginer la tête de Marco en apprenant la nouvelle. C'est très rare quand il perd son calme, surtout contre Thatch, malgré ses frasques. A ma connaissance, c'est arrivé une fois et ça c'est fini avec la cicatrice qui le défigure. Alors, voir l'autre idiot perdre au gwynt l'arme de notre paternel… Cela reviendrait à jouer et perdre au jeu un objet précieux que nous aurait remis Vesemir.
- Hm.
Et il reprit son verre.
Ace fit tourner sa chope entre ses doigts, les sourcils se fronçant de temps à autre comme si quelque chose le dérangeait, avant que finalement, il ne soupire et se prenne la tête dans les mains, les yeux cachés dans ses paumes.
- Geralt… est-ce que je peux te faire une demande un brin gênante ? demanda doucement le brun sans retirer son visage de ses doigts.
- Dis-moi.
- Est-ce que… est-ce que…. Laisse tomber.
Et le brun se leva.
- Ace ? Qu'est-ce qu'il y a ?
- Non, rien, je me dis au final que ce que je voulais te demander était une mauvaise idée. T'occupe, c'est pas important.
Et sans donner plus d'explication, il attrapa son verre vide et alla voir l'aubergiste. En se concentrant sur son ouïe, Geralt perçut que son camarade réservait une chambre pour la semaine. Étrange. Vu qu'il avait retrouvé son homme, il devrait sauter sur l'occasion. En silence, Geralt les regarda passer devant lui pour rejoindre l'escalier.
