Bonjour à tous et à toutes. On reprend ce qu'il s'est passé le mois dernier. Parce qu'Ace est en train de péter les plombs, on est d'accord ? Bah faut arranger tout ça. Ou pas. Ah et c'est bien beau tout ça, mais faut avancer dans l'intrigue. Ou alors, est-ce que nous avons autre chose dans les environs d'intéressant ? On a plein de personnage dans le coin, après tout.
Eh bien, on va voir ça !
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Ace ouvrit les yeux sur de l'herbe. De l'herbe couleur sang, assez haute pour lui arriver à la taille.
Il avait trop tardé.
En silence, il s'assit au bord du lit et aperçut sa chemise de lin plus loin, celle qu'il portait toujours sous son armure. Tant pis pour le reste, il ne pouvait pas rester plus longtemps. Il s'en empara et l'enfila.
Don't you know I'm no good for you?
Il hésita, craignant ce que son esprit en crise lui montrerait, puis finit par céder. Il tourna la tête pour voir son époux profondément endormi dans le lit, la lueur du petit matin caressant ses muscles dessinés à la serpe.
I've learned to lose, you can't afford to
En silence, le sorceleur se leva et contourna la masse d'herbe sanglante sur laquelle lui et Marco avaient dormi. Il repéra une ouverture dans les touffes rouges qui recouvraient les murs et se glissa par-là.
Des petits bruits de pas l'alertèrent et il se retourna.
Iro le suivait.
- Si je te demande de rester, tu ne le feras pas, n'est-ce pas ? chuchota le mutant avec peine.
En réponse, le félin vint se frotter à ses jambes en ronronnant.
C'était son familier. Ils étaient liés, Shiva lui avait fait une longue leçon sur le sujet pour lui dire l'importance du lien, à l'époque.
Le D. ferma les yeux, laissant l'aube grise le réconforter un peu, avant qu'il ne se mette de nouveau en marche, traversant la cité endormie de Vergen.
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Marco se réveilla seul dans le lit. Ce fut de petits indices qui lui dirent qu'il n'avait pas rêvé la nuit d'avant et qu'elle avait bien été réelle. Après ces jours à garder ses distances, Ace était venu à lui.
Pourtant, ce matin, il n'était plus là.
Tore my shirt to stop you bleedin'
Il comprit que quelque chose n'allait pas en réalisant qu'outre sa chemise de lin, Ace avait tout laissé derrière. Même son médaillon qui s'était détaché durant leurs ébats. Il s'en saisit et s'habilla en quatrième vitesse. Il quitta sa chambre pour voir dans la pièce à vivre, juste devant la cheminée, Shiva profiter d'une tasse de lait chaud, confortablement assise sur sa queue, discutant avec Thatch. Puisqu'elle n'était pas encore sortie, elle n'avait pas son habituel foulard pour masquer les plumes couleur or qui descendaient en pointe sur son front pour ensuite se perdre dans ses cheveux noirs.
- Tiens, monsieur j'ai-pas-de-vie-sexuelle, la nuit a été bonne ? taquina le vampire.
- Je ne veux rien entendre de la part de quelqu'un qui se tape la moindre succube qu'il trouve, yoi. Vous avez vu Ace ?
- Tu es le seul qui l'as vu depuis qu'on a trouvé ton rêve, pointa Shiva.
- Demande à Geralt, recommanda Thatch.
Marco disparut dans sa chambre pour finir de s'habiller totalement. Il passa sa cape sur ses épaules et quitta les quartiers de sa famille au pas de course. Il avait un mauvais pressentiment.
But nothin' ever stops you leavin'
En courant, il traversa la ville qui finissait de se réveiller.
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Ace gardait la tête basse, avançant en titubant.
Il ne savait pas où il était.
Il sentait juste de la peur, de la colère. Partout où il tournait la tête, il voyait du feu et du sang. L'odeur de la chair brûlée envahissait son nez.
Et pas un son.
Il trébucha et resta prostré à terre, la tête dans ses mains, à pleurer.
Il avait peur. Tellement peur d'avoir fait une bêtise. Il aurait dû partir dès les premiers signes montrant que ses médicaments n'étaient plus efficaces.
Et ce silence…
Quiet when I'm coming home and I'm on my own
Il espérait tellement que cela veuille dire qu'il avait perdu le contrôle hors des murs de la ville. Mais d'une façon ou d'une autre, il n'entendait pas le cri de ses victimes.
I could lie, say I like it like that, like it like that
I could lie, say I like it like that, like it like that
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Geralt leva le nez quand Marco débarqua durant sa conversation avec Zoltan, qui devait rejoindre Yarpen dans l'entraînement militaire des paysans. Le blond avait l'air en pleine panique. Et la présence du médaillon à tête de chat dans la main du médecin disait clairement le sujet de cette inquiétude.
Avec un geste de tête pour Zoltan, lui disant qu'ils se retrouveraient plus tard, le Loup Blanc s'écarta du nain et alla à la rencontre du Phénix.
- Il y a un souci avec Ace, devina le sorceleur.
- On a passé la nuit ensemble et il a disparu au petit matin… en laissant quasiment tous ses vêtements derrière.
- Sa crise doit être plus grave qu'il ne veut le dire.
- Crise ? Je croyais que les mutations l'avaient débarrassé de sa narcolepsie ?
Geralt fronça les sourcils.
- Il a parlé des particularités des mutations des Chats ?
- Du tout.
- La majorité devient sociopathe. Les restants, psychotiques. Ace est dans ce dernier cas.
- Psychotique, c'est très large. Je ne suis pas psychiatre, donc, c'est tout ce que je sais...
Il avait l'air tellement perdu, tellement dépassé., tellement inquiet.
Don't you know too much already?
- Je ne sais pas tout non plus. Mais l'autre jour, il a montré des signes d'hallucinations. Il voyait de l'herbe là où il n'y avait que de la pierre. Je l'ai confronté, et en plus d'avoir minimisé le problème, il m'a menti en disant t'en avoir vaguement parlé. Apparemment, lorsqu'il a brûlé Rivia, il était en crise et faisait des hallucinations.
I'll only hurt you if you let me
- Je… il… putain, mais j'aurais dû comprendre que quelque chose n'allait pas ! Iro l'a capté plus vite, et doit être avec lui ! Putain, mais quel con je fais !
Et il se prit la tête dans les mains en grognant.
- Il est peut-être dans sa chambre à l'auberge pour prendre sa médication, supposa Geralt.
Les deux hommes partirent au trot vers l'auberge et grimpèrent quatre à quatre les marches jusqu'aux chambres. Celle d'Ace était entrouverte et obscure. Marco entra le premier, illuminant les environs avec ses plumes bleutées. Les armes du Chat Noir étaient contre son paquetage, dans un coin de la pièce. Et au pied d'un mur, une petite boîte en bois était ouverte et renversée. Les fioles qu'elle avait dû contenir étaient brisées sur le sol. Geralt s'accroupit à côté et retourna la boite.
- C'est sa médication.
Il tira un papier toujours intact du fond de la boite et le déplia avant de le tendre au médecin.
- C'est la recette.
Marco s'en saisit et jura.
- /Putain de bordel de merde ! Ace, tu vas avoir ma mort avec tes conneries !/
Il plia le papier et observa les dégâts, cherchant une fiole toujours intacte, avant d'en trouver enfin une. Il s'en empara, la rangeant précieusement dans sa ceinture, avant de tendre le parchemin à Geralt.
- Je peux te demander un service ?
- Dis-moi.
- Va chez moi et donne ça à Shiva en lui disant qu'on en a besoin d'un gros stock. Ensuite, demande à Thatch les menottes, il comprendra. Enfin, rejoins-moi dans la carrière. Moi, j'ai mon mari à rattraper.
- Tu vas le retrouver ?
- Mes ailes et ma réputation me servent à quelque chose.
Et sans un mot de plus, il s'en alla.
Call me friend, but keep me closer (Call me back)
And I'll call you when the party's over
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Ace n'était pas certain du temps écoulé. Il était juste là, allongé de tout son long avec juste sa chemise.
Pas de bruit.
La même et éternelle lueur.
Les mêmes sentiments étouffants qui rajoutaient une barrière de plus entre lui et la réalité.
Il sentait quelque chose sur ses joues, mais il n'était pas certain que ce soit des larmes. C'était peut-être la pluie. Ou du sang. Ou encore autre chose.
Tout ce qu'il savait, c'est que tant que c'était silencieux et qu'il ne bougeait pas, il ne serait un danger pour personne.
Pourvu qu'Iro aille bien et ne l'ait pas suivi plus loin.
Il ferma les yeux.
Oui, le silence était réconfortant dans cette incompréhension.
Quiet when I'm coming home and I'm on my own
And I could lie, say I like it like that, like it like that
Yeah, I could lie, say I like it like that, like it like that
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Marco atterrit brutalement devant le camp des sentinelles de la Scoia'tael qui gardaient un œil sur la brume. Iro l'avait appelé, ce pourquoi il s'était posé. Immédiatement, le félin se jeta dans ses jambes, sa fourrure bleutée reflétant sa peur.
- Je cherche quelqu'un, dit immédiatement le blond aux elfes.
- Le Chat Noir ? Elle est passée en titubant et en petite tenue, répondit l'un d'eux. Elle est entrée dans la brume. On a essayé de lui parler, mais elle ne nous a pas répondu. L'animal est resté derrière quand la vatt'ghern a disparu dans la brume.
- KUSOU !
Et le blond pénétra dans la brume à son tour.
Il était un Phénix, qu'on essaye de le tuer !
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Cette sensation…
Marco…
Non, il ne pouvait pas.
A l'aveuglette, Ace se remit sur ses pieds et chercha à fuir, ne voyant même pas dans cette masse informe où il mettait les pieds.
Est-ce que c'était son nom qui venait de percer le silence ?
Peu importe, il ne pouvait se permettre de laisser quiconque l'approcher, il était un danger.
But nothin' is better sometimes
Once we've both said our goodbyes
Quelque chose se referma sur son poignet.
Non!
Let's just let it go
Cette fois ce n'était plus son poignet, mais une forte étreinte qui lui prenait tout son torse.
Let me let you go
Mais Marco ne le lâcha pas. Peu importe que le brun se débatte, il continua de le serrer contre lui. Il avait un compte à rebours dans sa tête.
Et pile à zéro, son homme s'effondra comme une poupée de chiffon pour pleurer. Juste pleurer. Ignorant les flammes hors de contrôle qui jaillissaient du mutant, il le serra contre sa poitrine, lui caressant les cheveux et lui embrassant le crâne dans un geste apaisant.
- Je suis là, chaton. Je vais pas te laisser tomber. Ni te laisser partir, yoi.
Il passa sa cape sur les épaules de son époux pour le couvrir un peu plus et lentement, le tenant toujours contre lui, il fit demi-tour dans le champ de bataille maudit, se dirigeant vers la sortie de la brume.
Chaque pas était une épreuve en soi.
Ace avait du mal à marcher, trébuchant sur des obstacles inexistants et recommençant parfois à se débattre. Mais Marco était un homme patient. Il ne le lâchait pas. Il avait voulu le rassurer au début, mais il avait vite réalisé que le son de sa voix n'arrangeait pas les choses, alors, ils avaient avancé sans rien dire au milieu des sons d'explosions et des hurlements des âmes en peine des soldats morts à cause de Glevissig.
Au moins, le logia en Ace se montrait utile, parce que même s'il essayait de brûler les bras de Marco pour le forcer à le lâcher (ce qui ne servait à rien, merci, mais il était un oiseau de feu), l'élément agissait aussi pour les défendre. Quand un fantôme de soldat voulait les prendre pour cible, une langue de feu jaillissait du mutant et réduisait en cendre la menace. Quant aux arbalètes et aux flèches… eh bien, cela leur passait au travers sans leur faire mal.
Il n'empêche que ce fut avec un certain soulagement qu'ils sortirent du brouillard et immédiatement, Marco remonta la capuche de la cape pour masquer le visage d'Ace. Pas la peine d'alimenter les rumeurs.
Les elfes les regardèrent passer sans rien dire et le blond ne leur accorda pas le moindre regard. Iro marcha avec eux, clairement inquiète.
- /On va l'aider, ne t'en fais pas,/ rassura Marco à l'adresse du félin.
Lentement, ils remontèrent la piste rocailleuse jusqu'à arriver à la carrière. Geralt les y attendait déjà, tenant dans sa main une lourde paire de menottes en pierre.
- Il était où ? s'enquit le Loup Blanc.
Le son de la voix provoqua un tremblement chez le D. et les flammes prirent en puissance.
- Dans la brume, répondit tout bas Marco en surveillant le feu.
Il entraîna Ace vers un des nombreux trous de la paroi, au bord du puits, et se tourna vers Geralt.
- Mets-lui un des bracelets au poignet. Ça neutralisera les flammes. Ce n'est que la moitié, mais c'est essentiel si on veut faire marcher son traitement.
- Quelle est cette pierre ? se renseigna le sorceleur en ouvrant l'un des bracelets de la menotte.
- Du granite marin. La pierre dégage la même énergie que la mer, et neutralise donc nos dons, yoi. Elle pompe aussi une partie de notre énergie.
La menotte se referma sur le poignet droit d'Ace qui s'effondra presque dans les bras de son mari.
- Je déteste cette méthode, mais j'ai pas le choix, grommela le Phénix en tirant de sa ceinture la fiole survivante.
- Je vais le tenir, proposa Geralt.
Marco hésita clairement, avant de laisser le blandin soutenir le brun affaibli. Puisqu'il avait désormais les deux mains libres, il put déboucher facilement la fiole et la but. Vu les joues légèrement gonflées, il devait avoir le liquide toujours dans sa bouche. Il attrapa le visage du D. et força les mâchoires pour recracher dans sa gorge la médication, puis la lui refermer afin qu'il ne la recrache pas. Une main sur les lèvres du brun qui se débattait, il lui massa la gorge pour forcer la déglutition qui arriva après un long moment
Maintenant, il fallait attendre.
- Tu penses que ce sont ses flammes qui ont rendu la médication inefficace, devina le sorceleur en laissant le médecin récupérer son compagnon.
- J'en suis certain. A l'époque déjà, on avait renoncé à lui donner des médicaments contre sa narcolepsie à cause de ça. Et c'est logique. Le feu, c'est destructeur, yoi. Ça se nourrit de ce que ça brûle, mais ça ne change pas. Sa médication a dû être brûlée et ce qu'il avait encore dans le sang a subi rapidement le même chemin. Honnêtement, je suis surpris qu'il n'ait pas commencé à halluciner dès qu'il a retrouvé le logia, yoi.
- Je pense qu'il avait déjà commencé. J'avais remarqué qu'il réagissait déjà à des choses que je ne percevais pas, même avec mes sens équivalents.
- Stupide Ace.
Il n'y avait aucun venin, juste de l'inquiétude et de la lassitude.
- Pourquoi l'avoir épousé ? se renseigna Geralt.
- Parce qu'un matin, ma part animale m'a dit qu'il n'y aurait personne d'autre et que j'ai voulu que le monde entier sache que je ne laisserais personne nous séparer, yoi. Parce qu'il a réussi à me sortir de ma torpeur. Parce qu'il m'a montré vraiment ce que c'était d'aimer à en devenir dingue. Pour de multiples raisons. Mais surtout parce que je l'aime.
Et il embrassa tendrement le sommet du crâne de son époux.
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- Alors, qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda Zoltan le lendemain matin alors qu'il profitait du petit-déjeuner dans l'auberge avec Jaskier et Geralt.
- Peu et beaucoup de chose à la fois, résuma le Loup Blanc.
- Tu n'aides pas beaucoup, pointa le barde.
Le sorceleur ne releva pas le commentaire, se contentant d'un "hm" pour toute réponse.
Il devait aller voir comment son camarade se portait après l'épreuve des derniers jours. Il termina son fruit et se leva. Il récupéra ses gants et se dirigea vers la porte.
- Passe-lui nos souhaits de rétablissement ! lança l'humain.
Le Loup Blanc se contenta d'un geste de la main par-dessus son épaule pour dire qu'il l'avait entendu avant d'enfiler les gantelets et de sortir. En le voyant quitter l'auberge, un scoia'tael, Ele'yas s'il se souvenait bien, se leva de la table à laquelle il était assis. Visiblement, il l'avait attendu.
- Bonjour, j'aimerais vous confier un contrat.
- De quoi est-il question ? s'enquit le Loup Blanc.
- Une affaire urgente, je le crains.
- Donc ?
- Eh bien, des hommes de Vergen ont disparu depuis quelques temps et on retrouve depuis récemment leurs corps. Donc, ça n'est pas un cas de désertion.
- Ce n'étaient que des mâles ?
Le sorceleur croisa les bras. Puisqu'on avait du boulot pour lui, il allait devoir repousser sa visite auprès de son camarade.
- De jeunes hommes humains. Et aussi des elfes, répondit l'Écureuil.
- Et où a-t-on trouvé les corps ?
- Ci et là, mais surtout dans les ruines du village brûlé à proximité de la ravine qui mène à Vergen.
- Je dois voir les corps.
- Ils sont tous enterrés.
La réponse avait été un peu trop rapide et pressée.
- Où ?
- Dans le sanctuaire dans la forêt derrière Vergen. Mais vous ne devriez pas aller là-bas.
Quel était le problème avec ces corps pour qu'on ne veuille pas qu'il aille les voir ?
- Pourquoi pas ?
- Désacraliser les corps est un crime très sérieux. Sans parler que les familles seront en colère.
- Et ces corps étaient dans quel état ?
- Horrible. Aucun elfe n'aurait pu faire ça. Ni aucun humain.
- Et mon salaire ? Parce que je rappelle que je ne travaille pas gratuitement.
- Oh, vous aurez une belle récompense. Et suivant le résultat, je pourrais rajouter un bonus. Plus que de l'argent.
Geralt ne sentait pas cette affaire.
- Je vais y réfléchir.
- Réfléchissez vite, parce que nous perdons des combattants.
Finalement, il allait peut-être aller voir son camarade. Et en profiter pour toucher deux mots au médecin.
Il reprit sa route hors de l'auberge et gravit dans les hauteurs. Hier, il avait dû demander son chemin pour trouver le logement, mais aujourd'hui, il avait la route à l'esprit. Surtout que c'était le plus simple à trouver. Mais ce n'était pas le plus facile d'accès. Il fallait monter tout en haut. Tout, tout, tout en haut de la cité.
Lorsqu'il arriva devant, il se retira juste à temps du passage pour esquiver la forme qui fila de la porte en courant ventre à terre, les mains sur la tête.
- /Que je te reprenne pas à jouer avec mon tarot divinatoire !/ rugit la voix de Shiva de l'intérieur de la maison.
Et un tabouret passa par la porte pour frapper Thatch en plein dans l'arrière du crâne, interrompant sa fuite comique par une chute qui l'était tout autant. Le sorceleur jeta un œil au vampire à terre avant de s'approcher de la porte encore ouverte sur une pièce à vivre. Marco était assis par terre, à proximité de la cheminée, écrivant dans un carnet en fumant sa pipe en appui sur un de ses genoux. Une queue de serpent disparut dans une des pièces et une porte de referma en claquant.
- Bonjour, désolé pour l'animation matinale, Shiva n'aime pas qu'on fasse joujou avec son matériel de voyance, yoi.
- Bonjour. Il n'y a pas de mal. Comment va Ace ?
- A part qu'il a encore les oreilles qui sifflent suite à l'engueulade que je lui ai passée ? Ma déduction pour les flammes était bonne. Il doit garder le kairoseki pour s'assurer que sa médication fasse effet, yoi. D'après Shiva, n'importe qui serait mort sous la toxicité de ces fioles. Je ne peux qu'attendre de rentrer chez nous pour essayer de trouver un autre traitement moins nocif.
- Comment es-tu certain que ça s'améliore ?
- Outre qu'il est plus conscient de son environnement ? Je sens la vérité. Ace le sait, c'est pour ça qu'il ne me ment pas. Il évite le sujet, il dit une demi-vérité, mais il ne peut pas me mentir, yoi. Il a encore des soucis, notamment avec l'éclairage, les sons trop forts et de l'herbe là où il ne faut pas, mais c'est moins terrible qu'hier.
- Rassurant.
- Je lui ai dit de rester au lit, tant qu'il verrait l'herbe. Toujours mieux que d'aller le chercher encore une fois dans cette foutue brume. Je suis peut-être immortel, mais je n'apprécie pas pour autant de me faire transpercer de partout, yoi. C'est tout ce pourquoi tu étais venu ?
- Non. Je voulais savoir si tu connaissais le croque-mort ou l'embaumeur de la ville.
- C'est moi. L'autre médecin a déserté quand Henselt a laissé entendre qu'il voulait profiter de la mort de Demavend pour s'emparer du Haut Aedirn, donc, je porte toutes les étiquettes. Pourquoi cette question, yoi ?
- Un des elfes de l'unité de Iroveth, un certain Ele'yas, m'a embauché pour enquêter sur des morts mystérieuses. Je lui ai demandé où étaient les corps et il m'a déconseillé d'aller les voir.
Le blond fronça des sourcils et tira pensivement sur sa pipe.
- Rien vu de mystérieux. Et il a décrit les corps ?
- Je ne vais pas aller bien loin avec sa description.
- Accorde-moi un instant, on va aller procéder à une autopsie.
Il vida sa pipe dans le feu, passa la hampe dans son dos pour la transporter et se leva. Il entra dans une des pièces adjacentes et referma la porte derrière lui. Le son d'une conversation basse parvint au mutant. Le médecin gardait sa voix volontairement calme, tranquille, sereine, basse et douce pendant qu'il parlait à Ace apparemment.
Il ressortit de la pièce avec un sac en bandoulière et sa cape sur une de ses épaules, juste à l'instant où Thatch revenait dans le logement.
- Je vais explorer la crypte mortuaire de Vergen, garde un œil sur Ace, yoi. Iro reste avec lui, mais si ça va pas…
- J'ai ta plume, je te fais rappliquer d'office, promit le vampire en montrant une plume de feu du blond.
Dans un geste ample, Marco passa sa cape autour de ses épaules et quitta l'endroit avec Geralt.
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La crypte était dans le même bois où ils avaient trouvé le rêve de Cecil, juste à un embranchement entre les arbres et les cadavres de nekkers. Et dès leur arrivée, le blond s'était dirigé vers une pierre effondrée pour y déposer une bougie et un bâton d'encens. Il resta là, accroupi, en équilibre sur ses orteils, les mains jointes et les yeux fermés. Puis, il se releva et fit signe au sorceleur qu'ils pouvaient y aller.
- Une prière ?
Marco haussa les épaules.
- Ma conscience et mon éducation. C'est la moindre des choses de rendre hommage et s'excuser pour l'intrusion, yoi. Le respect ne fait pas de mal.
Geralt lui accordait le point.
Les morts, eux, n'étaient pas forcément de cet avis, parce qu'il y avait pas mal d'esprits en peine dans les environs qu'ils devaient affronter. Et en effet, la pipe du blond servait aussi d'arme puisqu'il repoussait les spectres en enduisant d'une bonne grosse couche de Haki le bois de l'objet. Certes, le bois n'était pas très efficace contre les monstres comme les spectres, mais au moins, il occupait bien assez les assaillants pour permettre à Geralt de les gérer un par un sans crainte.
Ils s'aventurèrent dans les couloirs de la crypte, allumant les lanternes sur leur passage. Ils passèrent de multiples couloirs et chambres souterraines qui se perdaient dans l'obscurité.
- C'est dans ces chambres que les hommes de la bannière brune ont été enterrés ? se renseigna Geralt.
Marco pointa quelque chose plus loin du doigt.
- La chambre est plus loin, sur la gauche, si j'en crois Cecil.
- J'y passerai en repartant, afin de récupérer la Bannière Brune.
Et ils continuèrent leur marche.
Ce fut tout au fond qu'ils trouvèrent une chambre taillée un peu plus récemment que les autres. Ils entrèrent dedans, allumant les brasiers sur leur passage et tailladant les spectres qui montraient leur nez. Ils dépassèrent des tas d'alcôves sur le chemin, bien trop vieilles pour les intéresser, avant d'arriver tout au bout de la chambre funéraire en suivant une étrange odeur de chair brûlée et non de putréfaction. L'explication leur apparut rapidement. Des corps avaient été jetés les uns sur les autres, dans un coin de la pièce, et on leur avait mis le feu dans l'espoir de les détruire. Pas très efficace, surtout dans une caverne taillée. Un regard autour disait qu'aucun corps ne manquait de son alcôve, pourtant. Il y avait juste des rectangles gravés dans la pierre pour dire où il faudrait creuser pour le prochain corps, mais sinon, personne ne manquait à l'appel. Marco joignit les mains pour prier alors que Geralt mettait une nouvelle couche d'huile contre les spectres sur son glaive d'argent.
Juste à temps parce qu'ils avaient du monde.
C'était assez déstabilisant de voir quelqu'un se prendre un coup de faucille dans la tête et ne pas réagir alors qu'il avait la moitié du crâne en feu.
Le blond ne s'occupa pas des esprits qui voulaient l'attaquer, laissant au sorceleur son travail. Il se contenta de dégager les corps à moitié calcinés pour tous les étaler sur le sol, les uns à côté des autres. Parfois, il donnait un coup d'aile dans un spectre particulièrement agaçant, mais cela avait autant de menace pour lui que des mouches.
Ce fut un Loup Blanc agacé qui finit d'exorciser la chambre mortuaire à coup de glaive d'argent. Il revint vers le médecin qui avait sorti quelques outils de sa sacoche et les utilisait pour observer les corps tout en prenant des notes sur une page volante.
- Alors ?
- Les corps étaient frais quand on a essayé de les brûler. Ils ne sont pas morts depuis longtemps. Trois jours, grand maximum pour les plus vieux, je dirais, yoi, informa Marco en retournant l'un des corps les moins abîmés. Les vêtements sont déchirés à quelques endroits et ils dégagent une légère odeur de soufre qui n'a rien à voir avec le feu dans lequel on a voulu les faire disparaître.
D'un geste de deux doigts, le blond invita Geralt à le rejoindre auprès d'un des corps dont le visage était encore intact, si ce n'était très pâle. Si pâle, que le contour de ses yeux semblait noir.
- Plusieurs d'entre eux montrent des signes d'anémie. Et regarde, là, sur la gorge, yoi.
D'un de ses doigts gantés, Geralt fit pivoter délicatement la tête du défunt pour voir une morsure. Pas assez puissante pour pénétrer la peau jusqu'au sang, mais suffisamment pour laisser une marque.
- D'autres ont de belles griffures dans le dos.
- Ce sont des cheveux, non ? reconnut le sorceleur en prenant une touffe de cheveux noirs de la main d'un des corps, miraculeusement épargné.
- Hmhm.
- Au moins, ils se sont bien amusés avant de mourir. Je peux voir les griffures ?
Marco fit pivoter l'un des corps pour qu'on puisse bien voir les griffures.
- Succube. Mais ce n'est pas dans leur façon de faire. Et différent des marques sur leur poitrine. C'est quelque chose de féroce qui a essayé d'imiter l'attaque d'un monstre.
- J'ai trouvé ça sur l'un des corps, yoi.
Le pirate tendit un morceau de parchemin partiellement calciné à Geralt qui le lut à mi-voix :
- « Ton corps frissonne sous mes tendres caresses… » On dirait une œuvre de maître Jaskier.
- Dernier point, les avant-bras.
Geralt rangea le parchemin dans sa sacoche et observa les plaies béantes sur la peau du mort que lui montrait le médecin.
- On dirait qu'il a cherché à se défendre. Et… je crois qu'il a quelque chose de coincé dans l'os.
S'armant d'une pince, Marco s'empara du bras en question et retira l'éclat que le mutant avait repéré.
- C'est un morceau de métal, identifia le blond en chaussant un peu mieux ses lunettes.
- Un morceau de lame, je dirais même. Je pense qu'on en a fini ici.
Le sorceleur se releva.
- Il faut faire quelque chose pour les corps, ou les goules vont finir par venir à notre rencontre.
- Je vais m'adresser à Cecil à ce sujet, yoi.
Le pirate nettoya méticuleusement ses instruments avant de les ranger, alors que Geralt partait devant. Le blond ne se pressa pas pour le rejoindre, sachant où allait le sorceleur. Sa pipe derrière la nuque, il marcha tranquillement hors de la chambre et dans le couloir de la crypte jusqu'à la chambre où reposait l'armée Kaedwenienne. Le Loup Blanc était face à face avec un spectre en armure arborant une fantomatique coiffe en peau de castor.
- La bataille de Brenna, disait le spectre avec sa voix caverneuse. Les Nordiens, côte à côte, contre les Escadrons Noirs. Les Redaniens avaient De Ruyter à leur tête et ils occupaient le flanc droit… A gauche, c'était Natalis qui dirigeait les forces de Temeria… c'est une vue splendide, n'est-ce pas ?
Certes, il avait été dans la tente médicale à ce moment, mais Marco était certain que ce n'était pas comme ça qu'avaient été disposées les forces durant la grande bataille.
- Tu fais erreur, lui pointa calmement Geralt. Le régiment Redanien était à gauche, pendant que la Temeria était au centre.
- Correct… peut-être dis-tu la vérité et que tu faisais bien partie de la Bannière Brune.
Oh, donc, Geralt essayait de tromper le fantôme en se faisant passer pour un des siens et obtenir quelque chose sans violence ? C'était agréable de voir qu'il était possible pour les sorceleurs de faire leur travail sans user de leur glaive.
- Essaye encore, lança le mutant.
- Dis-moi, puisque tu sembles tout savoir… Qui était le commandant en chef de l'armée Nilfgaardienne à Brenna ?
- Menno Coehoorn.
- Je commence à te croire. Menno Coehoorn… Cette saleté de chien de chasse à la tête de la meute Nilfgaardienne. Mais il était un grand commandant. Et il fera de nouveau couler le sang des Nordiens, n'est-ce pas ?
Question piège. On n'avait jamais retrouvé le corps. Les nains l'avaient confondu sur le moment comme un membre de la Septième Brigade Daerlanian et avait tiré sur lui pour venger Caleb Stratton, de ce qu'on racontait dans les bars nains (Munro Bruys avait la langue bien pendu). Cependant, le corps de Menno avait sombré dans les eaux de la rivière Chotla. On le disait mort, mais rien n'était certain. Quelques rumeurs disaient qu'il avait survécu et qu'il se cachait sous le déguisement d'un ermite dans les bois de Brokilon.
Apparemment, Geralt s'en tint à la version officielle :
- Ta mémoire a souffert suite à ta mort. Coehoorn est mort. A Brenna, justement.
- Tu es vigilant, je n'ai pas réussi à te piéger.
- Parce que je suis de la Bannière Brune.
- Peut-être as-tu en effet combattu à Brenna… c'était il y a si longtemps… J'ai peut-être oublié. Mais Vergen, c'est une autre histoire.
Vrai. Peu étaient ceux qui avaient survécu à ce massacre. Comment prouver qu'on y avait participé et survécu quand ceux encore capables d'en parler n'étaient pas nombreux. Il y avait Cecil et Yarpen pour raconter l'histoire (Zigrin aimait surtout dire comment l'escadron nain de l'armée d'Aedirn avait, dans son ensemble, baissé son froc pour montrer ses fesses au Visiteur avant la bataille), mais côté humain, il n'y avait pas des masses de témoins.
- Je ne peux pas répondre de l'état de ta mémoire.
- Tu as raison, la mémoire nous fait souvent défaut après la mort. Et j'ai honte d'admettre que j'ai oublié qui commandait les armées durant la bataille de Vergen, qui était peut-être le jour le plus important ma vie… et le dernier… Soit gentil et rappelle-moi.
- Seltkirk de Guletta, qu'on appelait «L'invincible Chevalier Blanc », menait les troupes d'Aedirn. Vandergrift «le Visiteur» était à notre tête.
- Bien joué, approuva l'esprit. Peu le savent. Certains pensent que les rois dirigeaient les armées sur les champs de bataille… ou alors, que c'était le travail des mages.
- Tu me crois maintenant ?
- Pas encore, mais cela sera certain quand tu m'auras dit comment tu as survécu au massacre de Vergen.
La grosse question. Tout se jouait maintenant.
Geralt n'hésita pas pour autant :
- La plupart des hommes de la Bannière sont morts. Les survivants ont fui par le sud. Le feu bloquait notre retraite vers nos lignes et nous sommes tombés dans le piège de Biggerhorn.
- Quel pleutre, je sais comment il est… Tu as prouvé que tu étais de la Bannière Brune !
- Est-ce que je peux prendre l'étendard ?
- Pourquoi le désires-tu ?
- Il m'aidera à lever une malédiction.
- Je n'ai que faire des malédictions.
Oui, c'était un fantôme. Les malédictions… pas si intéressantes que ça.
- Mais celle-ci est importante. Elle empêche le roi Henselt de faire sa conquête de Lormark.
La voix du spectre tomba en murmure révérencieux :
- La Licorne est revenue ?
- Le roi se tient aux portes de Vergen. Avec ton aide, nous vengerons la Bannière Brune.
Le spectre montra de la main un sarcophage.
- L'étendard repose dedans. Prends-le.
- Merci.
- Où as-tu laissé ta monture ?
- Il n'y a pas de chevaux ici.
- C'est vrai. J'aurais bien voulu boire avec un frère de Brenna, mais en tant qu'esprit désincarné, les boissons fortes ne signifient plus rien pour moi. Je ne sens plus leur goût. Je pense que c'est ce qui me manque le plus dans la mort. Prends soin de l'étendard, je m'y suis accroché fermement, même quand ils m'ont tué.
Et dans un nuage sombre, le spectre disparut.
Marco rejoignit en applaudissant le mutant.
- Très beau travail de recherche.
- C'est toujours utile, se contenta de répondre le sorceleur en se tournant vers le sarcophage. Si je peux me passer de mon glaive, alors, j'en profite.
Il força dessus et le couvercle pivota, permettant de voir le tissu brun, troué et vieilli de la bannière qu'ils cherchaient.
- On peut retourner à Vergen et en finir avec ces morts.
- Thatch s'est fait la succube. Il pourra peut-être te fournir des informations, yoi. Moi, je vais m'adresser discrètement à Iorveth.
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Trouver Thatch était facile. L'homme, même s'il était un vampire supérieur connu et reconnu, sans compter d'être un membre de la Scoia'tael, était toujours le centre de l'attention. Il était juste bien trop jovial et charismatique pour qu'on l'ignore. Là où il était, il y avait toujours des rires et de la bonne humeur.
Aussi, quand en passant devant la taverne, Geralt parvint à entendre des rires à travers la pierre et la porte, il eut l'intuition que le vampire était impliqué d'une façon ou d'une autre. Et c'était une bonne déduction. L'homme avait posé sa carrure de deux mètres à une table et une foule de nains avec quelques humains se massaient autour de lui (dont Zoltan et Jaskier) pour écouter ce qu'il racontait en usant de grands gestes et d'expressions presque caricaturales. Et le Loup Blanc lui-même devait se retenir de ne pas sourire face à l'histoire extravagante qu'il racontait. Il rejoignit le groupe et tapota l'épaule du vampire qui lui offrit un sourire un peu trop grand.
- Alors, ça y est, t'es venu pour ma tête ! Aaaah ! Ce fut une belle vie !
Et il éclata de rire avant d'avaler une nouvelle gorgée d'alcool.
- Non. Je viens pour autre chose. Je vous l'emprunte un instant.
- Je reviens !
Et l'Écureuil se leva de son siège avant de suivre le sorceleur dans les escaliers menant aux chambres. Là, le vampire s'adossa à un mur et attendit en souriant de savoir ce que voulait le mutant.
- Marco a mentionné que tu étais un bon ami de la succube local.
- Je vais pas vendre sa localisation. Et si tu insistes, je t'assure que tu finiras avec mes crocs dans la gorge, lui dit froidement le roux.
Ses traits avaient perdu leur bonne humeur et commençaient à se contracter, à se déformer pour dévoiler une rangée de dents pointues. Les oreilles s'étaient allongées elles-aussi pendant que ses ongles prenaient une taille exceptionnellement grande pour un humain au point d'en être mortels si Geralt se les prenait dans la gorge ou les yeux. Cependant, il avait déjà vu des vampires avec des ongles plus longs, ce qui signifiait que par rapport à la majorité des créatures de cette famille, Thatch restait un membre très jeune. Mais ce n'était pas pour autant qu'il n'était pas un danger s'il décidait de passer à l'attaque. Il devait donc le rassurer.
- Je ne compte pas l'attaquer, rassura Geralt. Je veux juste des renseignements. Avec Marco, nous avons trouvé des corps dans la crypte. Les corps de personnes qui, visiblement, ont été ses amants. Mais la façon d'agir ne correspond pas à l'espèce, surtout dans le désir de détruire les corps et les indices. D'accord, elles aspirent l'énergie de leurs amants et ça entraîne quelquefois la mort, mais elles ne cherchent pas à tuer, sauf quand il s'agit de se défendre. Puisque tu sembles la connaître, j'aimerais savoir si tu sais si elle a des ennemies, outre des épouses jalouses ou des amants un peu trop armés et peu tapageurs.
La crispation disparut chez Thatch qui retrouva son apparence humaine dans sa totalité. Il frotta la zone rasée de son crâne en soupirant.
- Elle m'a parlé d'un amant jaloux, sans plus de précision. Elle a peur. Qu'est-ce qui t'a mené à t'occuper de cette affaire ?
- Ele'yas m'a rapporté des disparitions. J'avais le sentiment qu'il ne voulait pas que je trouve les corps. Je vais devoir discuter avec elle.
- Elle a trop peur, elle refusera de te rencontrer, même si je le lui recommande.
- J'utiliserai la ruse. Merci pour ces réponses.
- Ne lui fais pas de mal.
- Ce n'est pas mon intention, je ne veux pas qu'il y ait d'autres morts, c'est tout.
Le vampire hocha la tête, hésita, puis s'en alla pour retourner à la table en se forçant à sourire. Il balaya les questions d'un geste de la main. Geralt dépassa le groupe et tapota l'épaule de Jaskier qui prenait littéralement des notes de ce qu'avait raconté le vampire tout au long de la soirée. Comprenant le message, le barde suivit son camarade à l'autre bout de la salle.
- J'espère que c'est important, parce que cet homme a tellement d'histoires géniales que je pourrais en faire un livre !
Pour toute réponse, Geralt lui donna la feuille qu'il avait récupérée sur le corps d'une des victimes.
- J'ai trouvé une page qui ressemble à ta poésie, lui dit le sorceleur.
Le barde ouvrit la feuille et poussa une exclamation :
- Mais c'est l'un de mes poèmes d'amour ! Un paysan a cru que je ne verrais pas qu'on avait arraché une page de l'un de mes recueils, tout récemment. Il voulait certainement se faire mousser auprès d'une jeune demoiselle qui sent le mouton… Cela m'a fait vraiment mal de voir qu'on avait désacralisé mon ouvrage. Un peu comme être dans un bordel et ne pas avoir de couilles. Je t'en dois une Geralt et je ne sais pas vraiment comment je vais bien pouvoir te rembourser… Quoique non, je sais ! Que penses-tu d'un shot de vodka ? C'est moi qui paye.
- J'ai une meilleure idée.
- De la bière ? Ça me va, répondit le barde en haussant des épaules. C'est du pareil au même pour moi.
- J'ai besoin que tu me rendes service.
- Dis-moi. Pour ce que tu as fait, je serais prêt à t'offrir ma chasteté… si je l'avais encore, bien entendu.
- Ace aurait été bien plus intéressé s'il n'était pas marié. Moi, je n'en aurais pas voulu.
Jaskier fronça les sourcils et demanda avec crainte :
- Tu n'as pas besoin d'un autre poème pour un Spectre de Midi, n'est-ce pas ?
- Pire.
La voix neutre et sans émotion du sorceleur rendait la conversation encore plus savoureuse. Mais pas pour Jaskier qui eut un rictus de peur.
- Pitié, Geralt… ne m'implique pas dans une autre affaire de monstre. Je suis un artiste, pas…
- Et c'est bien pour ça que j'ai besoin de toi pour attirer une succube. Et avant que tu ne me le dises, oui, je sais que Thatch est un amant régulier de celle-ci, mais il refuse de m'assister par crainte que je ne m'en prenne à elle. Je veux la rencontrer pour mettre au clair quelques points.
- Tu as perdu l'esprit ?! Tu veux voir une vieille sorcière à sabot me chevaucher à mort ?!
Le silence du mutant était difficile à interpréter. Jaskier soupira et prit une expression pensive.
- D'un autre côté… on doit tous mourir de quelque chose.
- Retrouve-moi au village brûlé après la tombée de la nuit.
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Le soleil était couché depuis un moment. Geralt était seul au milieu des ruines, faisant les cent pas en attendant le barde qui tardait à se montrer. Finalement, le musicien arriva d'un pas tranquille et s'arrêta à côté de son vieil ami.
- Nous pouvons y aller ? J'ai hâte de rencontrer cette monstrueuse beauté.
- Sa beauté a mené plusieurs hommes à leur mort.
- Et c'est maintenant que tu me dis ça ! s'indigna le musicien.
- Comme le dit si bien mon ami Jaskier « il faut bien mourir de quelque chose ». Je vais garder mes yeux sur toi en permanence.
- Et elle aussi, grommela l'humain en croisant des bras.
- Ne la laisse pas t'embrasser.
Le brun soupira en ajusta son chapeau sur sa tête.
- Je n'ai pas pour habitude de refuser quoi que ce soit à une femme… mais je vais faire de mon mieux.
- En scène, alors.
Et le sorceleur recula pour se masquer un peu plus dans les ombres, laissant l'humain sur scène. Son cœur battait fort, résonnant comme un tambour dans les oreilles affutées du mutant. Le brun inspira profondément et attrapa le luth elfique dans son dos pour commencer à gratter quelques notes.
Si nos corps, un chant pouvaient former
Mon cœur réclamerait vos mains pâles et parfaites
Si elles pouvaient l'éteindre délicatement,
Comme l'on tient une rose
Ou le considérait comme un mets
Que l'on désire dévorer…
Ce n'était certainement pas sa meilleure interprétation. Avec une grimace, le barde s'apprêtait à recommencer quelque chose de mieux quand une voix désincarnée l'interpella :
- Qui es-tu, beau chanteur ?
Malgré l'écho effrayant en fond, la voix était indubitablement féminine.
Avalant la boule dans sa gorge, Jaskier répondit avec une voix qu'il voulait calme :
- Un poète, ma Dame. Je suis venu chanter les louanges de votre beauté divine, si vous me faisiez l'honneur de vous révéler à moi.
- Je vois… je vais me dévoiler dans toute ma splendeur. Prépare plus que tes yeux, je suis un festin pour tous les sens… Viens à moi pour l'aventure de ta vie, charmant poète.
Et une trappe apparut entre les ruines, grande ouverte en une invitation.
Dans la logique, il devrait aller chercher Geralt. Mais d'un autre côté… il n'avait jamais couché avec une succube.
- Je suis siiii frustréééée… gémit la succube avec un ton ressemblant au miaulement d'un chat en chaleur. Des amants qui composent des poèmes pour vanter mes vertus… quel régal. Et si amusant, quand c'est dans la bouche de ce vampire si maladroit avec la poésie… mais un véritable poète qui joue juste pour moi ? aaaaah, quel délice…
On ne vit qu'une fois. Et il faut bien mourir de quelque chose…
Remettant son luth dans son dos, Jaskier marcha à pas résolus vers la trappe. Il descendit dedans et disparut.
- Ce stupide idiot y est allé ! ragea le sorceleur. Je l'ai foutu dans ce merdier, je vais devoir le sortir de là.
Il allait rejoindre Jaskier quand il entendit des pas derrière lui pour voir Ace le rejoindre avec Iro. Le D. avait une bien meilleure mine et il avait son équipement habituel sur le dos. Etrange ajout, il avait toujours les menottes à l'un de ses poignets, la chaîne enroulée autour du membre en une sorte de bracelet. La manche étant trop serrée, on l'avait découpée pour s'assurer que l'objet reste bien en contact avec la peau, sans la moindre interférence. L'absence du léger crépitement du feu et le retour du sifflement presque imperceptible confirmait qu'on avait scellé la nature enflammée du D. afin de s'assurer que sa médication reste active.
- Jaskier a fait une connerie ?
- On t'a laissé sortir ? se renseigna le Loup Blanc.
- L'herbe est redescendue. D'ici un jour ou deux, je devrais cesser d'halluciner. Qu'est-ce qu'il se passe ?
- On a des hommes morts dont on a cherché à faire disparaître les corps. Ils ont tous rencontré la succube. Les marques sur les cadavres laissent dire qu'on a cherché à faire croire que c'était elle qui les avait attaqués, donc, je veux éclaircir tout ça. Vu que ton frère vampire ne veut pas aider, j'ai demandé à Jaskier d'attirer la créature.
Dans un claquement sec, la trappe se referma.
- Et il est allé à sa rencontre, au final, devina le Chat Noir.
- Hmhm.
Le duo marcha à pas rapides vers la trappe et s'en saisit à eux deux, luttant contre la magie qui la maintenait fermée. Pendant de longues minutes, malgré leur force ou l'usage des signes de Geralt, il fut impossible de faire bouger le panneau de bois pourtant si innocent et banal.
Les secondes s'écoulaient dans la pénombre, devenant des minutes tout aussi longues.
Et presque une heure après, Ace termina sur les fesses quand la trappe se rouvrit brutalement. Rapidement, jurant comme jamais, le D. se remit sur ses pieds et sauta dans la trappe à la suite de Geralt. Ils longèrent un couloir aux murs de pierres taillées pour arriver dans une grande chambre recouverte totalement de drapés, de tapis et de coussins. Une odeur rance de sexe flottait dans l'air. Les vêtements de Jaskier étaient soigneusement pliés dans un coin à côté de son luth, et le barde en lui-même était avachi sur des coussins, riant d'un air épuisé, chevauché par une femme brune ravissante et toute aussi nue, si ce n'était ses multiples colliers aux perles en bois et le semblant de pagne translucide qu'elle avait sur les hanches. Elle aurait pu paraître tout à fait humaine sans les cornes recourbées sur sa tête, sa queue et les pattes de bouquetins qui remplaçaient ses mollets et ses pieds.
En les entendant arriver, elle se souleva des hanches du barde pour aller à leur rencontre avec un déhanché séducteur.
- Je ne me souviens pas de vous avoir invité, Geralt de Riv et Portgas D. Anabella, dit-elle avec une voix parfaitement humaine même si très sensuelle.
- On est ici pour récupérer le barde, apprit Ace en caressant du pouce le manche d'une de ses dagues en argent.
- Oooh, donc, vous n'êtes pas ici pour vous joindre à nous ? Bien dommage...
Elle se tourna vers le barde en étoile de mer et nu comme un ver qui continuait de rire alors qu'il semblait à bout de force. Dans d'autres circonstances, Ace aurait dit que le brun était sous fisstech.
- Il n'a pas l'air de souffrir en tout cas. Tout au contraire, il semble très heureux.
- Comme tout ceux avant lui qui sont maintenant morts ? demanda le Loup Blanc pour tester la réaction de la tentatrice.
La colère éclaira les yeux de la créature et elle perdit sa voix sensuelle pour se défendre :
- Je n'ai tué personne ! Tous ceux qui sont venus à moi ont goûté à des plaisirs divins !
- Tu dévores leur énergie comme un cochon gobe des glands.
- J'ai besoin de leur énergie vitale ! se justifia la femme. Je n'ai pas besoin de cadavre !
- Donc, une fois que tu en auras fini avec Jaskier, il va se passer quoi ? se renseigna le Chat Noir.
- Comme toujours. On va s'amuser encore un peu ensemble, avant que je ne le laisse partir une fois qu'il sera en état de marcher. Ce qui pourrait prendre un moment, il n'a pas la vigueur de mon amant régulier.
- Mais quelqu'un tuera Jaskier derrière, comme tous les autres. Si ce n'est pas toi, c'est quelqu'un. Qui donc ?
La femme se mit à faire les cent pas, le bruit de ses sabots étouffés par le tapis du sol. Les bougies des chandeliers muraux projetaient des ombres mouvantes sur ses formes généreuses tatouées de motifs floraux au niveau de hanche et du pelvis.
- Je suis capable de séduire et garder sous mon emprise qui je souhaite, autant que je le souhaite… seulement… seulement… il y en a un qui… qui est tombé follement amoureux de moi.
Avec un soupir frustré, elle passa une main sur une de ses cornes.
- Il n'accepte pas ma nature et tue tous mes autres amants. Ce n'est qu'une question de temps avant qu'il ne trouve un moyen de s'en prendre au plus puissant d'entre eux.
- Je sais pas qui est le /yandere/ que tu as au cul, mais je peux t'assurer qu'il finira entre quatre planches s'il veut se frotter à Thatch, soupira le D.
Deux questions surgirent en même temps :
- Vous connaissez Thatch ?
- Qu'est-ce qu'un yandere ?
Un sourire vaguement amusé apparut sur le visage tacheté du D. avant de disparaître.
- Oui, Thatch est bien connu. C'est comme mon frère. Quant à yandere, ce terme ne peut pas se traduire dans l'état. C'est généralement associé aux femmes, mais qui va très bien aux hommes, qui au-delà de leurs apparences plus que banales, voire timides, changent du tout au tout une fois qu'ils tombent amoureux. Cela vire à l'obsession, jusqu'à ce qu'ils deviennent violents. Tuer des rivaux est généralement une des méthodes qu'on leur associe le plus couramment, mais ils peuvent être très manipulateurs pour garder l'amour de leur vie avec eux. Grossièrement, un jaloux puissance huit mille. Avec une arme.
- Cela pourrait convenir parfaitement à la personne en question, accorda la succube.
- Et son nom ? demanda le Loup Blanc.
La succube ne répondit pas, se contentant de baisser les yeux alors que sa queue s'agitait nerveusement. Iro vint à sa rencontre et se frotta à ses pattes en prenant une couleur douce et réconfortante. Avec un pauvre sourire, la créature magique s'accroupit pour caresser le crâne du félin qui ronronna sous l'affection.
- Si on ne l'arrête pas, il continuera, encore et encore, te laissant seule, bloquée avec lui, dit doucement Ace.
La femme ferma les yeux et finit par offrir la réponse qu'ils cherchaient :
- Un très bel elfe du nom de Ele'yas.
- De toi à moi, je pense que Iorveth, même avec un œil en moins, à bien plus de charme que lui, dit sérieusement le D. Sans parler qu'il a une paire de fesses… si j'étais pas marié et fidèle, je ferais tout et n'importe quoi pour mettre la main dessus !
La succube eut un rire au commentaire.
- Je les ai vues de loin, et oui, elles sont très alléchantes. Si Iorveth n'était pas encore plus méfiant qu'un prêtre, j'aurais bien tenté de le séduire.
- Pour revenir à l'affaire, il se trouve que c'est Ele'yas qui m'a chargé d'enquêter sur les meurtres, pointa Geralt.
- Oh ? Le /yandere/ a perdu son côté /deredere/ ? s'exclama presque naïvement le Chat Noir.
- Ce devait être une tentative de sa part pour s'écarter de la liste des suspects si l'histoire finissait par éclater autrement, soupira tristement la succube en se relevant. Heureusement que vous n'êtes pas des idiots. Je veux que l'on sache que je donne du plaisir aux hommes en échange de leur énergie, non pas de leur vie. Je ne donne pas dans la nécrophilie, malgré toutes les histoires de bonne femme qu'on peut servir sur les vampires. La patience de Thatch avec ces sornettes est vraiment admirable.
Oui, malgré toutes les rumeurs sur les corps réanimés et autres histoires de morts vivants, les vampires étaient vivants. Juste une autre race, bien différente que celle des humains et donc, un métabolisme différent.
- Tu parles à Iorveth et je me charge d'Ele'yas, décida Geralt en regardant Ace. Enfin, dès que Jaskier sera en état de partir.
- Je vais attendre dehors. Il est encore un peu tôt pour que je m'amuse à rendre jaloux Marco sans raison.
- Est-ce que ça t'apporte quelque chose, généralement ?
- Lui qui met toute son énergie au lit pour me prouver que je ne peux pas trouver mieux ailleurs. D'autres questions ?
Et sans laisser le temps à Geralt de répondre, le brun tourna les talons dans un envol de ses longues dreads. Iro regarda son père d'adoption partir avant de recommencer à se frotter aux pattes de la succube qui céda et s'assit par terre pour mieux la papouiller.
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Trouver Ele'yas était une autre paire de manches que de trouver le vampire. Bien heureusement, Iorveth l'attendait à l'entrée de la ville avec Cecil Burdon.
- Le Chat Noir vient de nous dire ce qu'il s'est passé, expliqua le nain. Nous vous remercions d'avoir mené l'enquête et trouvé l'assassin.
- On est certain que c'est Ele'yas ? s'enquit Geralt.
- Oui, même s'il l'a nié, on ne peut mentir à Marco. Il le sent, siffla Iorveth avec colère.
- Acceptez cette récompense pour le service rendu, demanda le conseiller en brandissant une bourse.
Le Loup Blanc ne cracha pas dessus et rangea la bourse. Le nain lui souhaita une bonne nuit, laissant le mutant avec l'elfe.
- Qu'avez-vous fait d'Ele'yas ?
Iorveth jeta un œil à droite et à gauche avant de répondre dans un murmure :
- J'ai cru comprendre que ça remontait à un petit moment la dernière fois que Thatch avait eu le plaisir de boire un peu de sang. Et l'idée a semblé l'enchanter.
- Ah.
- Tu vas aller le chasser pour ça ?
- Ele'yas devait mourir pour ses crimes, d'une façon ou d'une autre. Au moins, il est utile comme ça, dans un certain sens.
- Exactement. Je te souhaite une bonne nuit Gwynbleiid.
- Juste à titre d'information… La succube te trouve à son goût.
L'elfe se raidit et adressa un regard presque paniqué à Geralt, mais le sorceleur avait autre chose à faire. Du genre, s'assurer que Jaskier reste bien dans sa chambre et ne rampe pas pour retourner auprès de la succube.
