Bonjour à tous ! On y est, on commence Wild Hunt, avec des touches de Heart of Stone. Je remercie d'avance Shadow of Samhain pour sa collaboration dans l'écriture de cette histoire et je vous recommande de jeter un oeil à ses propres fics, ça vaut le détour. Surtout qu'ici, vous n'aurez qu'une moitié des aventures. L'autre sera sur son histoire Between the world : Mirror Madness. La lecture de Between the world : The Old Magic est recommandée si vous souhaitez comprendre sa partie. De mon côté, j'essaie de rester aussi claire que précise. Lire la partie de Samy reste facultative, mais elle a du talent et l'histoire n'est que mieux quand on a les deux parties côtes à côtes, alors, franchement, n'hésitez pas et lisez ses histoires.
Merci à Yuwine pour sa review. Si vous avez besoin que je clarifie des points, n'hésitez pas à m'interpeler, je ferai le nécessaire.
Sur ce, je vous laisse entre les mains de la Wild Hunt. Et pour ceux qui se posent la question, la chanson chantait par Ace est l'infâme "Lullaby of Woe" qui sert au trailer du DLC Blood and Wine. Donc, on reste dans le thème Witcher.
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture et à bientôt !
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Il pleuvait en ce début de soirée. C'était un énième village ravagé par la famine et la guerre. Et les habitants cherchaient une sortie, un répit, un espoir, comme dans beaucoup d'autres villages. Un vieillard était, ce soir-là, le centre de l'attention. Des hommes, des femmes et des enfants étaient rassemblés autour de lui pour écouter son sermon, dans l'espoir qu'il leur donne une solution à leur misère. Et ce vieil homme en avait conscience, mais il n'avait pas l'intention de leur servir tout sur un plateau. Cela le faisait rire méchamment.
- Vous vous rassemblez devant moi… affamés, terrifiés, serrant votre marmaille contre vous… dit-il avec sa voix grinçante. Les légions de l'Empereur Emhyr marchent sur nos terres, assiégeant la moindre forteresse d'ici aux Montagnes Bleues. Chaque jour, il ronge un peu plus notre pays.
Il frappa le sol avec son long bâton noueux de marche et harangua la foule :
- Fils du Nord ! Vous êtes au bord du gouffre ! Vos rois ont failli et maintenant, vous vous tournez vers les dieux ! Pourtant, je n'entends nulle supplique… Je ne vois personne à genoux se couvrir la tête de cendres. Au lieu de ça, vous gémissez : « Pourquoi les dieux nous ont-ils abandonnés ? ».
Il eut un nouveau rire mauvais dans le silence de la pluie avant de reprendre :
- La réponse se trouve dans nos échecs passés. Jadis, notre monde se mêla à un autre, lors d'un cataclysme que les érudits appellent la Conjonction des Sphères…
Une silhouette qui passait au large de la foule s'arrêta. Arrangeant le capuchon sur sa tête, elle se rapprocha pour mieux entendre le sermon.
- Les dieux permirent à des forces impies de se déverser dans notre monde. Le résultat de ce cataclysme fut cette force abjecte appelée magie…
Il ne cacha pas son rictus de dégoût.
- Et au lieu de la bannir, nous avons étudié cet arcane maudit ! Pourquoi ? Pour en tirer profit et richesse… Quant aux monstres à nos portes… les vils vestiges de la Conjonction… les trolls, les nécrophages, les loups-garous… avons-nous tiré l'épée à leur encontre ? Ou avons-nous laissé ce fardeau à d'autres ?! Ces fameux sorceleurs…
Encore du dégoût.
- … des enfants perdus, corrompus par une ignoble magie, leur corps déformés par des rituels impies… Envoyés combattre des monstres alors qu'ils ne distinguent même pas le bien du mal ! La flamme de leur humanité est éteinte depuis bien longtemps… C'est vrai, leur nombre a diminué au fil du temps, mais certains rôdent encore sur nos terres et offrent leurs services contre de l'argent. Leur simple existence nous couvre tous de honte !
Il prit une profonde inspiration et cria à la foule muette :
- Le Nord saigne ! Il est brisé par la guerre ! Les combats sont le souhait des dieux, leur châtiment pour nos péchés ! Et n'oublions pas la terreur, le fléau d'outre-monde ! La Chasse Sauvage traverse le ciel à chaque pleine lune ! Ses cavaliers enlèvent nos enfants vers des terres inconnues ! Certains disent que c'est l'annonce d'une deuxième Conjonction… retrouverons-nous le chemin vers la lumière ? Trouverons-nous la force de chasser les mages de nos royaumes ? Nous unirons-nous dans la chaleur du Feu Éternel ?
Deux yeux flamboyants brillèrent sous la capuche, ampli d'un mépris et d'une colère silencieux. Deux yeux aux pupilles de chat, accompagnant un médaillon de métal à tête animal.
- Voici venir le Temps de la Hache et de l'Épée ! Personne ne mènera cette guerre pour nous ! Voici venir le Temps de la Folie et du Mépris ! conclut le vieil homme.
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Geralt s'accroupit et observa le sol, Vesemir à ses côtés tenant la longe des chevaux. Au sol, une tête de cheval, décapitée d'un seul et unique coup d'épée, certainement pendant qu'il était en plein galop. Il se releva et marcha sur la terre gelée de ce qu'il restait du champ de bataille. Pas très loin, un corps de soldat, avec une armure noire avec décorée d'un soleil doré sur le poitrail. Un Nilfgaardien. Quelque chose de gros s'était planté dans son œil, s'enfonçant jusqu'au cerveau pour ressortir à l'arrière du crâne. On avait des plumes à proximité et s'il n'en avait pas vu dans la blessure, le sorceleur aurait douté qu'un corbeau soit capable de cet exploit. Et à partir de là, des traces de pas s'éloignaient. Elles étaient anciennes. C'étaient clairement des marques de talon. La pointure et l'allonge disaient que c'était une personne de petite taille. Pas très lourde. Une femme, très certainement. Mais aussi et surtout, possiblement la femme qu'il cherchait.
Il adressa un geste de la tête à son mentor qui lui fit un signe du menton, l'air de dire « passe devant ». Alors, Geralt ouvrit la route, marchant jusqu'à un bosquet qui avait gelé après un incendie. En suivant les traces de pas, il trouva une branche cassée. Et à peine plus loin, des affaires étaient éparpillées sur le sol. Des livres tombés d'un sac dont la lanière s'était cassée. Et en les regardant de plus près, on voyait parfaitement qu'il s'agissait de livres de magie.
A présent, il en était certain. Yennefer de Vengerberg était passée par ici. Elle avait dû se retrouver au beau milieu de la bataille. Mais ce n'était pas une femme sans défense. Et les membres humains sans vie qui sortaient du sol un peu plus loin en étaient la preuve. Comme si la terre s'était ouverte pour avaler une portion de l'armée qui s'était battue ici, avant de geler. Après son expérience à Sodden, elle avait dû apprendre comment s'en sortir devant une armée. Restait à savoir pourquoi elle n'avait pas ouvert de Portail pour fuir.
Les deux sorceleurs suivirent la piste de la course des talons sur le sol à moitié gelé. Là, des sabots prirent la relève. Elle devait avoir trouvé un cheval à l'abandon. Et à en croire la direction prise, elle rejoignait la grande route. La piste serait impossible à suivre là-bas. Trop de passage. Les traces de la magicienne seraient perdues dans la foule des autres chevaux, que ce soient des montures militaires ou civiles.
- Nous n'avancerons pas plus aujourd'hui. Allumons un feu et reposons-nous pour la nuit, proposa Vesemir.
Geralt regarda les traces et observa la plaine gelée.
Son Haki revenait sans réponse.
- Très bien, fini-t-il par céder.
Et il suivit la crinière grisâtre en demi-queue de son mentor.
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Ace attrapa la serviette et sortit de la baignoire en bois. Il s'assit sur le rebord et commença à se sécher, ignorant le décor sobre autour de lui, arborant régulièrement le soleil doré sur fond noir de Nilfgaard.
- Wolves asleep amidst the trees…
Gardant un morceau du tissu pour couvrir ses parties intimes féminines, il essuya ses jambes.
- Bats all a swaying in the breeze…
Il secoua son bras droit, faisant teinter la chaîne de kairoseki alors qu'il en chassait l'eau. Sur la chaise où il s'était posé, le Phénix le regarda faire, ses plumes bleutées offrant une vue familière et rassurante pour le sorceleur.
- But one soul lies anxious wide awake…
Le D. se leva de son siège improvisé et alla enfiler son caleçon long avant de s'attaquer à la bande de soutien de sa maigre poitrine.
- Fearing all manner of ghouls, hags and wraiths…
Il pencha la tête vers l'avant, juste devant Marco et celui-ci lui passa délicatement au cou son médaillon de sorceleur du bout de ses ergots. Des bruits de pas mirent en alerte le couple et Ace s'enroula immédiatement dans la serviette, affrontant l'homme qui entra sans y être invité dans la pièce. Dans l'opinion du D., quelle que soit l'origine, outre peut-être du côté de Skellige, tous les nobles et leurs serviteurs les plus hauts placés avaient un gros souci : ils avaient tous un balais dans le cul long comme la Grand Line. Et enfoncé bien profond. Cet homme ne faisait pas exception. Outre peut-être qu'il devait avoir les quatre océans en plus dans le fion. L'homme la regarda de haut en bas avec un regard froid, sans émotion si ce n'est un mépris clair.
- Trouver une robe pour cacher ces tatouages et ces marques disgracieuses ne sera pas aisée.
- Si tu ne veux pas que j'arrache ta langue, je te recommande de ne pas faire de remarque sur mes tatouages, d'hoine.
L'homme se contenta de froncer les sourcils sur le ton clairement injurieux du sorceleur. Il était nilfgaardien, donc, il comprenait le Langage Ancien. Il savait que le mot en lui-même n'était pas une insulte, mais le ton, c'était tout autre chose. Cependant, il avait une mission en tête et il marcha jusqu'au D. pour lui tourner autour et passer un doigt sur sa peau comme on le passe sur un meuble pour en juger du niveau de poussière.
- Je m'attendais à pire de la part d'une barbare de nordienne.
- Parce que je ne suis pas une nordienne de base, peut-être ? Recule ou je t'en colle une.
- Les cheveux poseront soucis.
- Ah bah mon con, t'es mal tombé, parce qu'il va falloir faire appel à un mage pour arranger le problème.
A défaut d'avoir une arme, Ace se tourna vers Marco et tendit un de ses dreads pour permettre à l'oiseau de le couper d'un coup de serre. Certes, la mèche tomba au sol, mais immédiatement, elle se changea en poussière et repoussa comme par magie sur le crâne du brun, comme si rien n'avait été fait. Le chambellan eut un claquement de langue contrarié.
- Je sais pas pourquoi votre empereur veut me voir, mais je doute que ma coiffure ou mes tatouages influencent quoi que ce soit à notre conversation. Et soyez content, des dreads, ça demande un putain d'entretien, alors, je peux vous assurer qu'aucun poux ne pourrait survivre dans cette crinière.
- Madame est priée de se référer à Sa Majesté Impériale par son titre complet… ou de s'abstenir, lui dit le chambellan en croisant ses mains dans son dos. Même si je doute de vos propos, nous n'avons pas le temps pour les vérifier. Pourriez-vous signifier à cet… oiseau, que la bergère n'est pas un perchoir, je vous prie ?
Marco regarda Ace qui lui tendit un bras en comprenant la demande silencieuse. L'oiseau passa dessus une patte après l'autre avant de se glisser jusqu'à l'épaule. Le couple regarda le chambellan qui ferma les yeux comme pour faire preuve de patience.
A savoir qui cèderait en premier. Lui ou Ace ?
- On peut prendre ce temps nécessaire pour lui trouver une robe, et en profiter pour avoir des réponses à quelques questions, dit quelqu'un en entrant.
Un homme, pâle, propre, vêtu richement mais de couleur sombre, les cheveux raides rassemblés en une demi-queue. Ace ne l'aimait pas. Il aimait encore moins le fait qu'il n'avait que sa serviette de bain et ses sous-vêtements, et qu'en face, il y avait deux hommes. Oui, bon, il avait la force de se défendre, et en cas de difficulté, Marco avait la clef de ses menottes dans son jabot, mais la situation ne lui plaisait guère.
- Vos questions ne peuvent pas attendre que je sois un peu plus habillé, non ? Ou alors le mot décence a été banni du dictionnaire Nilfgaardien dernièrement ? siffla le sorceleur en se mettant derrière la chaise.
Si l'un de ces hommes faisait un pas de plus dans sa direction, il n'y aurait bientôt plus que les pirates de vivant. Pour se donner un air plus menaçant, Marco gonfla ses plumes et étendit ses ailes.
- Général, j'ai bien peur que ce ne soit pas le moment approprié, annonça le chambellan.
Marco se baissa sur Ace pour le couvrir de ses ailes quand il vit que le nouveau venu reluquait le brun. Cela allait finir dans un bain de sang avant même qu'ils n'aient vu l'empereur.
- Allez chercher une tenue plus adaptée pour la dame, pendant ce temps, je vais lui poser quelques questions.
Le chambellan hésita clairement puis quitta la pièce dans un claquement de talon. Remarquant le paravent en bois dans un coin de la pièce, Ace alla se réfugier derrière, laissant Marco monter la garde depuis le sommet.
- Navré de débarquer à ce mauvais moment, mais j'ai quelques informations à vérifier avant votre audience. Une simple formalité, mais elle est nécessaire. Je suis Morvran Voorhis, commandant de la division Alba, se présenta le Nilfgaardien.
- Sorceleuse Portgas D. Anabela, Ecole du Chat. Je présume que ce n'est pas pour ça que vous êtes venu me voir alors que je sors d'un bain. Pour lequel je vous remercie, d'ailleurs. Après ces mois sur les routes, ça fait un bien fou de se laver dans de l'eau chaude et non plus dans celle gelée d'un lac ou d'une rivière, répondit froidement le pirate de l'autre côté du panneau de bois.
- Allez-vous répondre à mes questions ?
- Allez-y… tant que j'ai pas de quoi m'habiller et que vous restez de votre côté, j'ai rien de mieux à faire.
Et il s'assit par terre pour s'appuyer contre le mur de pierre en fixant le plafond avec ennui.
- Bien. Portgas D. Anabela. Lieu de naissance : inconnu…
« Baterilla, South Blue, » songea le D. en se grattant la nuque avec ennui.
- Parents : inconnus…
« Portgas D. Rouge et Gol D. Roger. »
- Âge…
- Soixante-sept ans. Je vais faire mes soixante-huit durant Yule. Ça fera moins d'inconnus dans votre rapport, coupa le brun.
L'une des choses qui l'avait déstabilisé ici, c'était le calendrier basé sur les lunes et les saisons. Non seulement les mois n'avaient pas le même nom, mais en plus, le calendrier elfique tout comme le calendrier humain était en décalage avec celui qu'il avait connu enfant. Dire qu'il était né le premier jour de la nouvelle année, voulait dire pour un local qu'il s'agissait de la Samhain, l'équivalent d'octobre. Ce qui n'était pas le cas.
- Je prends note, annonça le Nilfgaardien.
D'après le bruit de plume, il prenait vraiment note de ce que disait le Chat Noir.
- Je lis que malgré les rumeurs sur votre virginité, vous valant même le surnom de Vierge Sanglante, que vous êtes mariée.
- Je suis mariée et très heureuse dans mon couple, merci d'avance. Et je sais pas d'où est partie cette stupide rumeur, cependant, mon pucelage, qu'il soit intact ou pas, ne regarde personne et encore moins monsieur l'empereur. Le concept de vie privée, ça parle ou pas ?
- Je ne fais que vérifier des informations que l'on a sur le Chat Noir, la sorceleuse connue pour se faufiler partout et savoir des choses qu'elle ne devrait pas.
Oui, il savait, Triss le lui avait déjà reproché. Mais à vouloir pourrir la vie de Philippa Eilhart, on finissait par tomber sur des morceaux de choix juteux à souhait. Vu les squelettes dans les placards de certaines personnalités, Ace était persuadé que Lady Red aurait été folle de joie à sa place.
- De toute façon, ce sont des détails sans importance. Il y a cependant des points que j'aimerais clarifier et pour lesquels je voudrais pouvoir vous regarder dans les yeux pendant que vous répondez à mes questions.
En grommelant, Ace se releva et sortit la tête du paravent.
- Je vous écoute.
Le général Nilfgaardien releva le nez de son parchemin sur lequel il avait fait ses annotations (vu la proximité avec la chaise, il avait dû l'utiliser comme support pour sa plume et son papier) et fixa d'un air suspicieux les deux yeux d'argents fendus.
- On vous dit proche de Geralt de Riv. Certains vont jusqu'à dire que vous êtes amants.
- On a bossé ensemble sur l'affaire de la Salamandre, il y a quoi… deux ans déjà ? Mais on est pas amants. Le vieux loup lubrique collectionne les conquêtes, certes, mais je fais pas partie du nombre. Je suis un membre honoraire de l'École du Loup. Le seul Chat qui puisse prétendre être le bienvenu dans leur forteresse. Ça s'arrête là.
- Vraiment ? Vous vous connaissez depuis longtemps, je suppose.
- Je suis peut-être acceptée chez eux, mais ce n'est pas ma meute. Je reste de mon côté, eux du leur.
Quelque chose disait à Ace que s'il disait qu'il avait fini par devenir ami avec le Loup Blanc, il aurait des ennuis. Ou alors, ça lui apporterait dans l'immédiat plus de problèmes qu'autre chose.
- Intéressant. On dit pourtant que l'on vous a vu ensemble à Vergen et à Loc Muinne.
Là, ce serait plus difficile de mentir. Il y avait cette Cynthia, qui avait espionné Philippa. Connaissant la dévotion des membres de l'empire envers Emhyr, il y avait de lourdes chances qu'on sache la raison de sa présence là-bas. Il connaissait la manœuvre. Ils avaient certainement déjà des informations. S'il mentait, on remettrait en doute tout ce qu'il avait dit. Et la conversation prendrait un tour moins plaisant. De son poste, Marco jeta un œil à Ace qui finit par répondre :
- Geralt suivait Iorveth puisque la magicienne Merigold avait été catapultée par le Tueur de Roi dans les environs de Vergen. Quant à moi, je n'ai fait que retrouver ceux que je considérais comme ma famille en la personne de la devineresse Shiva, du médecin Marco, qui s'avère être mon mari, et du vampire supérieur Thatch. Pendant mon séjour, outre aider peut-être quelques-uns avec mes compétences de sorceleuse, je suis restée dans mon coin pour comploter ma vengeance sur Eilhart.
- Et comment Henselt est-il mort ?
- Je l'ai tué. Et je ne le regrette pas.
Morvran haussa un sourcil surpris.
- Ce gars a foutu ma tête à prix sous prétexte que j'ai un médaillon de chat autour du cou. De toute façon, ça vous a arrangé, non ? Ou peut-être pas. Peu importe, ce qui est fait est fait, et à moins que Radovid ne vous écrase, votre empereur n'en a rien à branler de savoir que j'ai tué Henselt.
Il espérait qu'on n'ait pas touché à la tête réduite qu'il avait accroché à son glaive. Qui pouvait se vanter d'avoir la tête d'un souverain changé en tsantsa ?
- Et pourquoi être allée à Loc Muinne ?
- Eilhart a foutu la merde avec Saskia. Marco s'était fait une mission de l'aider jusqu'au bout, donc, il fallait qu'on intervienne.
- Je vois.
Le nilfgaardien s'appuya sur la chaise pour prendre note.
- Et il y a aussi votre étrange proximité avec Anaïs La Valette.
- Et ?
- Où est-elle ? Ce n'est pas n'importe quelle petite fille que vous pouvez prendre avec vous pour en faire une sorceleuse. C'est un pion dans un conflit qui vous dépasse. Vous la déplacez sur l'échiquier, vous attisez les flammes du conflit, en la gardant bien au chaud dans sa cachette. Alors, où est l'enfant ?
Ace sortit de derrière le paravent et croisa les bras. Anaïs n'était pas un pion. C'était une fille indépendante avec le caractère bien trempée de son père. Et elle ferait une reine du tonnerre pour la Temeria… si le royaume venait à être reformée.
- Je vais être franche. La politique, je m'en fous comme de mon premier ours. Anaïs est comme une nièce ou une petite-sœur.
Le D. se rapprocha du nilfgaardien qui porta une main à sa lame en se relevant. Le sorceleur l'empêcha de dégainer en posant une main puissante dessus. L'homme écarquilla des yeux quand ses os se mirent à craquer de façon menaçante.
- Anaïs est mon Enfant Surprise. Alors, comme on dit chez moi… fuck off.
Et l'engagement se rompit juste à temps au retour du chambellan avec quelques serviteurs qui portaient des mannequins vêtus de robes noires.
- Nous dérangeons ? demanda le chambellan.
- Non, il était juste sur le point de me dire où je devais signer ma déposition attestant de l'authenticité de ce que j'ai raconté. L'administration, les fonctionnaires, tout ça… sourit Ace avec innocence.
Marco émit une trille qui exprimait parfaitement son hilarité. Le soldat serra les dents et se contenta de pointer les endroits où il voulait une signature.
- Si les formalités sont terminées, je vous prierais de bien vouloir quitter la pièce, général, demanda le chambellan. Nous allons choisir une tenue pour madame, et je doute que vous nous soyez d'une grande aide.
- Je vous souhaite bonne chance pour cette audience, siffla le soldat.
Avec sa main blessée tremblant sur le pommeau de son arme, il quitta la pièce d'un pas raide. Ace eut un sourire. Aucun homme n'aurait le cran de dire qu'il s'était fait avoir par une femme, même une sorceleuse. Il ne risquait rien pour sa peau. La fierté masculine de ce gars garderait sa langue bien au chaud dans sa bouche.
Une fois le soldat parti, le chambellan frappa dans ses mains et les serviteurs s'en allèrent, les laissant seuls avec trois robes noires. Et le D. eut une grimace.
- Je peux pas remettre mon uniforme ?
- Nous l'avons apporté à la blanchisserie.
- Des vêtements d'hommes ?
- Vous n'y songez tout de même pas !
Marco siffla doucement un encouragement.
Il avait raison. Plus vite il s'y mettait, plus vite ils seraient de retour à Blanchefleur. Le D. examina les tenues d'un œil critique. Il n'avait rien contre le noir, il devait seulement trouver la tenue avec le moins de froufrous. Et la plus facile à mettre. Il sélectionna une des tenues et partit se cacher derrière le paravent.
- /Ca sort de ce château et tu peux déjà t'attendre à devoir signer une demande de divorce !/ menaça Ace entre ses dents à l'intention de son homme qui le regardait toujours du haut du paravent.
Le Phénix ne dit pas un mot mais la lueur dans son regard bien amusé valait tout un discours.
Une fois habillée, vint la nouvelle épreuve : la putain de révérence.
Après avoir montré que oui, il savait faire la révérence, le D. fut enfin conduit à l'empereur, avec bien entendu, le foutu chambellan lui disant comment se comporter en présence du glorieux (notez le sarcasme) Emhyr var Emreis et comment lui parler. Sur le chemin, Marco sur l'épaule, Ace regarda autour de lui. Cela ne faisait que quelques mois qu'il avait fui sous le couvert de la nuit avec la petite Anaïs pour s'assurer qu'elle survivrait à la prise de Wyzima. Mais la décoration du château avait déjà grandement changé. Et cela continuait s'il en croyait les coups de burin sur la pierre venant de ce qui avait été la salle du trône. Enfin, ils arrivèrent devant le bureau de L'Empereur… qui avait une petite bande de lèches-culs (alias, la cour) avec lui pendant qu'il faisait ses affaires.
Quand Ace entra, le silence se fit. Impossible de savoir si c'était à cause de ses yeux d'argent aux pupilles de chat ou de Marco sur son épaule. Peut-être les deux. Les nobliaux s'étaient écartés pour laisser une vue directe à l'empereur depuis son bureau.
L'homme devait être à peine plus jeune que lui. Mais contrairement au sorceleur, le temps et les soucis avaient déjà bien imprimé leur marque. Ses cheveux noirs mi-longs, noués en une demi-queue, commençaient à se parsemer de cheveux argentés et les rides avaient déjà formé quelques sillons sur son visage sévère et hautain au nez busqué. En voyant le sorceleur, il se laissa aller dans son siège et attendit. Là où les souverains du Nord étaient amateurs de tenues fastes et riches, Nilfgaard était plus dans le sobre et utilitaire. Outre quelques bagues discrètes, Emhyr n'avait qu'un gros collier en or qui descendait bas sur sa poitrine. Pas de couronne. Pas de gros trucs opulents. Du simple. Du confortable.
Le chambellan s'inclina en présentant l'empereur par son nom prénom et son surnom, pendant que le D. regardait tout autour du bureau pour s'arrêter sur l'immense tableau au-dessus de la cheminée. Un vieux portrait de Ciri, datant du vivant de la reine Calanthe de Cintra. Le sorceleur se retint de sourire. La petite faisait une tête de huit pieds de long sur cette peinture.
Cela fut suivi d'un instant de silence avant que le vieux chambellan ne souffle à Ace de s'incliner.
Et le brun ne bougea pas. Il se contenta d'adresser un bref signe de la tête à Emhyr avant de croiser les bras. Marco leva une aile à son bec pour retenir son envie de rire. Portgas D. Ace était un commandant pirate. Il ne s'inclinait devant personne.
Voyant que le mutant ne bougeait pas, le chambellan chercha à se justifier, mais Emhyr le coupa, ordonnant à tout le monde de partir et de le laisser seul avec le D.
Et quelques secondes plus tard, il n'y avait plus de témoin de l'entretien à venir entre les deux.
- Je veux bien admettre que vous n'avez passé que quelques mois à la cour témérienne, mais vous auriez pu faire l'effort d'apprendre les rudiments de l'étiquette, sorceleuse Portgas, reprocha l'empereur.
- Je n'ai ni maître, ni dieu, ni souverain, ni patrie. Je ne m'incline devant personne, quitte à crever. J'ai reçu votre demande et me voilà. Mais je pense pas que ce soit pour me donner des leçons sur l'étiquette. Alors, dîtes-moi ce que vous me voulez.
- Votre impertinence mériterait que je vous fasse arracher la langue. Malheureusement, pour le travail que je veux vous confier, vous en aurez certainement besoin, sorceleuse.
- Ah ?
Un parchemin fut déposé sur le bord du bureau, à l'intention du D. qui s'en empara. Il lui fallut faire un effort pour ne pas réagir devant le portrait dessus.
- Je veux que vous retrouviez et rameniez cette fille vivante et en un seul morceau, ici.
Dire qu'il connaissait la fille ou pas ? Hmm, nan, d'abord, essayer d'avoir un maximum d'informations sur le sujet.
- Qui est-ce ?
- Cela n'a aucune importance. Pour une fois dans votre vie, occupez-vous de vos affaires et contentez-vous de faire ce pourquoi on vous paie.
- Admettons. Pourquoi moi ? Je suis un Chat et à moins que vos agents vivent dans des grottes, ils devraient savoir que tous les membres connus de mon école ont eu leur tête mise à prix par Henselt, et que Radovid a maintenu les primes. Je me fiche de ce qui pourrait arriver aux autres, je veux juste vous rappeler qu'on peut difficilement interroger des gens quand on est recherchée morte ou vive. Vous avez des tas de personnes à votre disposition qui sont largement plus compétentes que moi dans ce domaine. Pourquoi m'avoir choisie moi, l'Incendiaire de Rivia, le Chat Noir ?
- Parce que vous êtes une chasseuse talentueuse.
- Je ne vois pas le rapport.
- Vous êtes la personne la plus douée de ce côté de la Yaruga pour fouiner et traquer. Que ce soit des informations, des gens ou des créatures. Sans parler de votre capacité à vous fondre dans la masse. Il y a aussi le fait que vous êtes une femme, ce qui devrait vous aider à gagner sa confiance. Cessons de palabrer, je sais que vous allez accepter de toute façon.
- Ah ?
- Ne serait-ce que pour l'or que ça vous rapportera. Ou peut-être pour renforcer l'accord avec Vergen pour lequel votre époux s'est battu. Ou pour aider Vernon Roche des Stries Bleues dans ses négociations pour le statut particulier de la Temeria après cette guerre… qui permettrait à Anaïs La Valette de monter sur le trône laissé vacant suite à la mort de son père.
Voilà où avaient fini les informations que ce général à la noix lui avait demandées.
- Je peux aussi mener à la réouverture des écoles de sorceleurs. Les mages de ma cour m'ont fait part des changements rapides et inexpliqués des monstres les plus communs. C'est la preuve que nous avons encore besoin des vôtres.
- C'est étrange, mais vous aviez promis quelque chose de semblable à Letho de Guletta, il me semble. Pourtant, je n'ai pas ouï-dire que l'Ecole de la Vipère avait revu le jour.
Et toc. Avant qu'Emhyr ne puisse répliquer, le D. enchaîna :
- Cependant, de tous les défauts qu'on peut m'attribuer, la naïveté n'a pas sa place. Ou du moins, pas dans beaucoup de sujets. L'âge fait ça. Le fait est que je sais très bien qu'en parlant de Vergen et d'Anaïs, vous m'avez piégée. Refuser serait courir au risque de voir tous les espoirs, les projets et le travail, partir en poussière. Vous avez une piste, un début, quoi que ce soit ?
Le sourire moqueur de l'empereur donnait fortement envie au D. de lui coller son poing dans son gros nez.
- Surprenez-moi.
Ace eut un claquement de langue et regarda de nouveau le parchemin avant de le plier en deux pour le confier à Marco qui le prit délicatement dans son bec.
- Une dernière chose. Tuez toute personne voyageant avec elle, demanda l'empereur.
Le pirate plissa des yeux mais ne dit rien de plus. L'audience était terminée. Il tourna les talons et s'en alla, sans remarquer l'attention de Marco sur le corbeau perché à l'extérieur de la fenêtre.
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Geralt se réveilla en sursaut en fin de nuit. En l'entendant presque hurler dans son sommeil, des oiseaux s'envolèrent en piaillant, achevant de ramener le sorceleur à la conscience. Il se passa sa main sur son visage en s'asseyant devant le feu à moitié mourant. Enfin, il se leva pour faire quelques pas, sous le regard de Vesemir qui avait monté la garde. Le Loup Blanc se laissa tomber sur un rocher à proximité du feu et y jeta une nouvelle couche de bois.
En silence, il fixa les flammes qui revenaient lentement à la vie.
- Tout va bien ? fini par demander Vesemir.
- Oui… j'ai juste fait un cauchemar.
- A quel sujet ?
- Ce serait trop long à expliquer.
Le mutant ridé regarda l'horizon.
- L'aube est encore loin. Rien ne presse, dit-il avec calme.
Vesemir… toujours aussi calme, peu importe les circonstances. Toujours aussi maître de lui.
Geralt soupira et se massa la nuque, sans détourner son regard des flammes. Son mentor le laissa faire. Pas de brusquerie. C'était une invitation. Une porte ouverte. C'était à son ancien élève de choisir s'il voulait se confier ou pas.
- J'étais dans la chambre d'hôte, à Kaer Morhen. Je prenais un bain et à côté de moi, il y avait…
- Triss ? supposa Vesemir.
- Yennefer. Bizarre, non ? Elle n'a jamais mis les pieds là-bas. Mais dans mon rêve, tout semblait normal.
- Tu veux dire qu'elle te cassait les pieds ?
Geralt acquiesça.
- Pas de doute alors, c'était bien elle.
Aucune réponse du plus jeune.
- Ne t'en fais pas. On va la retrouver, assura-t-il.
- Ça ne s'arrête pas là. Dans mon rêve, je retrouvais Ciri, continua le Loup Blanc. Je m'entraînais avec elle.
- Aaah, ce petit diablotin… C'était le bon temps. Elle avait quelque chose qui me rappelait Ace dans ses jeunes années. J'ai formé des gamins qui étaient soit plus forts, soit plus rapides, mais jamais avec un tel caractère.
C'est vrai qu'au niveau du caractère, Ciri en avait un bon, dans ses souvenirs. Pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. La marque de Calanthe autant que celle de Emhyr.
- Tu disais que ton rêve était un cauchemar ?
- Oui, répondit tout bas le Loup Blanc. La Chasse Sauvage est sortie de nulle part pour se jeter sur Ciri… et moi, j'étais immobile, incapable de bouger un cil.
Il eut un léger blanc, avant que Vesemir ne lui dise d'un ton qu'il voulait rassurant :
- Ce n'était qu'un rêve, Geralt.
- Non, ce n'était pas un simple rêve. Depuis toujours, quand Ciri apparaît dans mes rêves, c'est qu'elle est en danger.
- Nous lui avons appris à se défendre. Elle ne craint personne, pas même les spectres. Ne parlons même pas des bases d'apprentissage du Haki que lui avait transmis Ace avant de s'en aller pour ne pas croiser Triss à Kaer Morhen.
Geralt avait l'impression que cette fois, c'était différent. Sans compter que Ciri était différente dans son rêve. Là où tout Kaer Morhen avait été pris dans la glace, paralysée devant la Chasse Sauvage, la petite diablesse avait été capable de bouger. Elle avait fait face à la Chasse avec détermination, alors que ce rêve lui avait rappelé l'enfant qu'elle avait été. Même gamine, elle n'avait jamais montré autant d'assurance, de force et de détermination. Et surtout, il ne l'avait jamais vu porter de chapeau de paille.
Un rayon de soleil le tira de ses pensées. Il leva le nez pour observer l'horizon qui devenait plus clair à chaque seconde.
- Le soleil se lève. Allons-y.
La discussion était finie. Les deux sorceleurs se levèrent et un geste vers le feu l'éteignit. Ils rejoignirent les chevaux qui broutaient tranquillement sous un arbre et Geralt commença à les préparer. Avant qu'il ne puisse faire plus, Vesemir l'interrompit, demandant à revoir la lettre que Yennefer leur avait fait parvenir.
- Nous avons peut-être négligé un détail.
Geralt soupira profondément et se tourna vers son mentor.
- Tu n'as rien négligé du tout. Sa lettre disait qu'on devait se retrouver à Pont-Saulaie, mais comme entre-temps, le village a été rasé, il ne nous reste plus qu'à retrouver sa piste.
- Tais-toi donc une minute et passe-moi cette lettre.
Le Loup Blanc retira la lettre de sa sacoche à ingrédients et la tendit au vieux sorceleur. Du coin de l'œil, il remarqua un objet brillant dans l'herbe et s'en rapprocha pendant que l'autre examinait le courrier.
- Eh bien, ça par exemple, c'est vrai qu'elle sent le lilas et la groseille à maquereau, commenta Vesemir.
- Je croyais que tu voulais la lire, pas la renifler, rouspéta le plus jeune en se rapprochant de l'objet brillant dans les herbes hautes.
Il s'accroupit pour examiner l'objet et le ramassa. S'il en croyait son médaillon, c'était d'origine magique, à la base. Et ça ressemblait à un crâne d'oiseau, de corbeau possiblement. En cristal noir. Du Yennefer tout craché, il en aurait mis sa main à couper. Elle devait être passer par ici
A côté, Vesemir marmonnait en lisant la lettre à mi-voix. Un rendez-vous simple pour Pont-Saulaie à proximité de Wyzima. Apparemment, ce devait être assez pressé pour que la magicienne ait insisté sur le mot "vite". Il n'y avait pas d'autres pistes. Geralt revint vers son mentor au moment où celui-ci lisait le post-scriptum :
- Ça veut dire quoi, ce post-scriptum ? "J'ai encore la licorne" ?
Geralt lui arracha presque la lettre des mains. Il commençait à avoir les joues qui lui brûlaient.
- C'est personnel. Très personnel.
Pas besoin de faire un dessin à un homme qui avait déjà trois siècles d'existence à son actif.
- Ah. Je vois. Enfin, je crois. A vrai dire, je ne veux pas vraiment savoir.
- Revenons-en à nos moutons. D'après toi, Yennefer a combien de temps d'avance sur nous ?
Vesemir s'écarta des chevaux et regarda l'horizon. Dans le lointain, on voyait le château de Wyzima encore masqué en partie dans la brume du matin.
- Deux ou trois jours. Pas plus, lui dit le vieil homme. La piste est encore fraîche, et j'ai l'impression qu'elle mène à la grande route. Là, on pourrait la perdre.
Leurs réflexions furent troublées par leur Haki. Puis, les chevaux renâclèrent. D'un même mouvement, ils tirèrent leur glaive d'argent. Des goules venaient en visite.
Avant, ils n'auraient eu qu'à regarder à hauteur d'homme pour les apercevoir. Mais les changements inexpliqués, que beaucoup de monstres avaient subi, s'appliquaient aussi aux goules. Sortant des buissons, une meute d'une dizaine d'individus se jeta sur eux. Aujourd'hui, même si toujours vaguement humanoïdes et imberbes, les goules se déplaçaient à quatre pattes. Leurs membres avaient évolué pour faire de ces monstres lourds et lents, des créatures vives, rapides et agiles, attaquant par des brèves escarmouches avant de se rétracter, évitant de prendre le risque de se faire toucher.
Mais ils en avaient vu d'autres dans leur vie pour se faire déstabiliser par ce genre de changements. Leur entraînement leur apprenait à s'adapter à toutes les situations. Et quand on prenait en compte les mages, il était courant qu'on se retrouve avec des choses qui ne sont pas dans les livres.
- C'est logique de trouver des goules, commenta Vesemir en brûlant les corps des monstres morts. Les armées laissent toujours des nécrophages dans leur sillage. Filons avant que d'autres ne surgissent. Cet hiver, on fera un point avec l'expérience des autres sur les nouvelles formes des monstres pour essayer de saisir la cause ou l'origine de ces changements. Mais j'ai bien l'impression qu'il va y avoir plus de travail pour nous dans les temps à venir.
Et il enfourcha sa monture après y avoir raccroché son paquetage. Geralt se tourna vers la sienne, un autre fidèle Ablette et l'enfourcha, puisque ses propres affaires y étaient déjà accrochées. Bientôt, les deux mutants étaient en route vers le village le plus proche.
- Je t'ai déjà parlé de ce mage qui considérait les nécrophages comme des créatures utiles ? s'enquit Geralt.
- Pourquoi ? Parce qu'on peut faire des potions avec leur sang ?
- Non. Soi-disant parce qu'en mangeant les cadavres, ils empêchaient les épidémies de se répandre.
- Hmmm… et tu lui as dit que ces monstres mangent aussi les vivants ?
- Oui. Ce qui ne lui a pas plu parce que sa belle théorie tombait à l'eau.
Et il ne serait pas surprenant qu'il se soit fait boulotter par un des nécrophages qu'il aimait tant.
Au son des sabots de leurs montures, ils parvinrent jusqu'à un carrefour au beau milieu des bosquets d'arbres et des herbes rases qui bordaient ce qui avait été le champ de bataille. Tranquillement, ils prirent un chemin en pente vers l'ouest, qui descendait vers des routes plus fréquentées par le simple fait que des murets de pierre avaient été érigés en bord de chemin.
Avec le brouillard désormais parti, le palais royal de Wyzima se dressait plus loin, à l'est, sur une colline, moins inaccessible qu'il ne l'avait semblé au petit matin. Dans un petit coin de sa tête, Geralt se demanda si les faubourgs extérieurs de la capitale de Temeria avaient retrouvé leur vie, après les incidents avec la Bête et la Salamandre. Et pour le village d'Eaux Troubles, qu'est-ce qu'il s'était passé après l'affrontement entre la Rose Ardent menée par Rayla la Blanche et le groupe de Scoia'tael de Toruviel ? La vie avait-elle reprit son cours ?
En descendant la pente qui longeait un fleuve, ils notèrent qu'on avait sommairement pendu trois hommes et que les corps étaient toujours sur le côté de la route. Des soldats des armées du nord. Des témériens, certainement.
- La guerre tourne mal pour nous, commenta Vesemir alors qu'ils passaient à côté des corps.
- Nous ? répéta Geralt.
- Les Royaumes du Nord.
- Les royaumes de Radovid tu veux dire. Kaedwen et Aedirn n'existent plus. Quant à la Temeria, c'est une question épineuse. Pour ce qui est de Vergen, je me demande encore comment leur démocratie a réussi à tenir.
- Radovid a promis de restaurer les anciennes frontières dès que la guerre sera terminée.
- Et tu y crois vraiment ? demanda Geralt d'un ton sceptique.
- Il faut bien croire en quelque chose, non ? Sinon à quoi bon vivre ?
- J'aurais un peu d'espoir pour la Temeria si Ace me dit qu'il a réussi à sauver la princesse Anaïs de la prise de la capitale. Pas avant.
Ils arrivèrent à proximité d'un village. Avant de voir clairement les bâtiments, on entendait les cris, les pleurs, les lamentations. En se rapprochant, ils virent les maisons abattues, cramées, pillées. Il y avait peu d'hommes, c'étaient surtout des enfants, des femmes ou des infirmes.
Les résultats de la guerre.
Ils continuèrent leur cheminement et finirent par traverser un pont en brique, puis, prolongèrent leur route dans un bosquet d'arbres. Ils s'arrêtèrent en entendant un hurlement. C'était…
- On y va ? proposa Vesemir.
Ni une, ni deux, ils foncèrent vers l'avant pour arriver sur un passage de terre qui était traversé par de légers écoulements d'eau. Ils trouvèrent un chariot cassé et un cheval tué. Le propriétaire se cachait de son mieux derrière des caisses, appelant à l'aide d'une voix apeurée.
Et comment ne pas le comprendre quand un griffon avait décidé de bouffer le cheval qui avait tiré le chariot. Les deux sorceleurs frappèrent la croupe de leur monture pour les faire fuir, puis tirèrent leur glaive d'argent. Geralt fonça à l'attaque et abattit son glaive, ne laissant qu'une estafilade sur l'un des ergots immenses de la créature qui avait déjà commencé à s'envoler en les voyant foncer sur lui. Il revint à l'assaut et les deux sorceleurs se baissèrent pour ne pas se faire avoir par l'attaque aérienne de la créature. Vesemir n'eut pas autant de chance que Geralt. Au deuxième passage, l'hybride esquiva agilement les deux hommes pour embarquer son casse-croûte avec lui dans les airs. Avec frustration, le Loup Blanc rangea son glaive pour se rapprocher de son mentor qui se tenait l'épaule. Les griffes de la bête étaient passées au travers la maille et le cuir de l'armure du vieux sorceleur, tirant le sang.
- Il est parti ?
Les deux mutants se tournèrent vers le conducteur qui sortit avec prudence de derrière ses marchandises. Il se releva en chancelant quand on lui confirma que le danger était passé.
- Par les dieux… C'était moins une ! Je me voyais déjà partager le sort de ma jument… souffla le marchand.
- Avec de la chance, ça aurait été le cas, lui dit Vesemir avec sa voix grave et tranquille.
Sans comprendre, le civil regarda Geralt qui lui explicita ce que sous-entendait le plus vieux :
- Votre jument est morte rapidement, mais il est connu que les griffons aiment jouer avec leur proie. En la mangeant vivante, morceau par morceau par exemple.
- Oh…
L'homme hocha la tête, pâle comme la mort, puis regarda les deux hommes.
- Vous… vous attendez une récompense, j'imagine ?
- Laissez tomber, on ne faisait que passer et on a aidé, c'est normal.
- Et on dit les sorceleurs sans cœur… qu'ils ne lèvent pas le petit doigt sans une prime à la clef…
- On dit aussi que les souris naissent de la paille. Mais entre nous, un bon ami à moi vous aurez parlé de service client et de réputation à refaire.
Vesemir eut un petit souffle hilare, ayant déjà eu droit aux idées et propositions farfelues d'Ace pour améliorer le rapport client/sorceleur. Cependant, son élève le ramena vite sur terre en lui demandant s'il avait une idée de la piste à suivre, laissant le pauvre bougre se lamenter sur son chariot.
- Comme je te disais, elle rejoint la grande route, ensuite, elle disparaît.
- Vous cherchez quelqu'un ? se renseigna le marchand en se détournant de ses marchandises.
- Oui. Une femme. Petite taille, cheveux longs et noirs. Ça vous dit quelque chose ?
Le marchand pointa la route qui continuait devant eux.
- A peine plus loin, il y a une auberge, c'est celle de Blanchefleur. C'est la seule de la région qui est encore debout et qui ne soit pas dans la capitale. Il y a beaucoup de passage, là-bas. On pourra peut-être vous aider. L'aubergiste est ma cousine. Dites-lui que vous venez de la part de Bram et vous serez reçus comme des rois.
- Pourquoi pas ? On en profitera pour nettoyer cette blessure… ou demander à un expert de le faire.
- C'est juste une égratignure, bougonna Vesemir. D'un autre côté, je ne dirais pas non à un petit verre bien frais.
- Nous allons y aller, bonne chance à vous, Bram.
C'est donc ainsi que dans sa quête pour retrouver Yennefer, amie et amour d'antan, Geralt, après avoir récupéré les chevaux avec Vesemir, prit la route vers le village de Blanchefleur. La magicienne semblait toute proche, mais demeurait pourtant introuvable. Il avait le sentiment, cependant, qu'en s'y rendant, il retrouverait une autre tête brune là-bas. Et cela par la présence d'une ombre semblable à un chat bien plus grande qu'un très gros chien, se masquant dans les buissons, que le Loup Blanc le déduisit.
- C'est étrange de trouver un griffon aussi près d'un village, commenta le plus jeune en se rapprochant de la zone où se tapissait la créature qui les espionnait.
- Tu lis dans mes pensées. Dans une forêt ou une montagne, je ne dis pas, mais ici ? Si près d'un lieu de fort passage ?
Geralt laissa son cheval et continua son avancée dans les arbres. L'ombre bougea vite et depuis sol, elle grimpa vers les branches, sautant d'un arbre à l'autre aussi vite que possible. Vesemir le regarda faire avec perplexité, n'ayant pas remarqué l'ombre.
- Il a peut-être été attiré par la guerre. L'odeur des cadavres, du sang, de la chair brûlée… Cela a déjà fait perdre la tête à plus d'un monstre. Ou alors, les griffons ont muté, eux aussi, mais cette fois, c'est leur comportement et non pas leur apparence qui a été touché.
- Plus d'un homme est devenu fou à cause de la guerre, aussi. Une fois que nous serons à Blanchefleur, nous devrons redoubler de prudence. Dès que nous aurons une piste, il serait bon de ne pas s'éterniser. Tu fais quoi ?
Geralt leva une main vers une branche.
- Je dis bonjour à notre comité d'accueil. Je pense qu'Ace est dans les environs.
- Comment ça ?
Dans un léger bruit, la panthère noire se posa avec souplesse et grâce sur la branche pour renifler la main du Loup Blanc.
- Tu te souviens de moi, Iro ? On s'est vu à Vergen.
L'animal baissa le museau et donna des petits coups dans la main du mutant comme pour avoir des caresses. Une fois satisfaite, elle sauta au sol et trottina jusqu'à Vesemir. Les chevaux renâclèrent devant la prédatrice qui les ignora pour renifler les pieds du vieux Loup.
- Ah. Le familier d'Ace. Il m'en a déjà parlé à plus d'une occasion.
Et il s'accroupit pour gratouiller sous la mâchoire du félin.
- Cela me surprendra toujours que tu aies réussi à gagner aussi facilement sa confiance quand Eskel, Lambert et moi, on se faisait toujours envoyer paître à chaque fois qu'on essayait de lui parler. Si on ne se prenait pas un Aard dans la figure. Le nez d'Eskel n'est plus le même depuis.
- La première année qu'il a passée à Kaer Morhen, il n'y avait que nous deux. Un hiver entier en tête à tête, ça tisse quelques liens, sans parler que je l'ai aidé à surmonter ses crises les plus violentes. Quant à vous trois, vous avez débarqué en plein dans son bain l'année suivante. Je pense qu'il avait de bonnes raisons pour vous cataloguer comme des pervers.
Oui, bon, Geralt voulait bien admettre que les présentations ne s'étaient pas bien déroulées ce jour-là. Mais de là à rester reclus, il ne fallait pas pousser. Ou alors, est-ce qu'Ace avait eu peur d'eux ? A cette époque, il avait l'apparence d'une enfant d'une dizaine d'années, alors qu'eux, ils avaient déjà atteint ce stade où leur vieillissement était tellement ralenti qu'ils avaient l'air d'avoir éternellement trente ans (sauf Lambert qui avait l'air d'être un jeune adulte). D'une façon ou d'une autre, le D. avait dû se sentir menacé par les trois élèves de Vesemir, d'où son isolement.
C'était quelque chose à confirmer.
- Nous allons à Blanchefleur. Est-ce là-bas qu'est Ace ? demanda Geralt en s'accroupissant à proximité du félin.
L'animal se frotta à un de ses genoux pour toute réponse.
- Tu nous accompagnes ?
Iro sauta sur la route et les y attendit, sa queue battant joyeusement l'air quand sa fourrure prit une teinte légèrement solaire.
Ainsi, ils reprirent leur route, les montures avançant au trot derrière la panthère noire.
Bien vite, ils arrivèrent aux abords du patelin. Et les armures noires des soldats en patrouilles rappelaient que le nord avait perdu ce morceau de la Temeria et que désormais, c'était une partie de l'empire du Nilfgaard. Ils s'arrêtèrent devant une auberge où on trouvait déjà quatre chevaux en train de boire. Iro ignora les mutants et d'un saut, alla se poster sur le toit de l'édifice en bois et paille. Là, comme un gros chat, elle bailla aux corneilles et s'installa pour faire sa sieste en redevenant noire. Les deux mutants lui jetèrent un regard avant d'entrer dans l'auberge. Ils entrèrent juste à temps pour entendre une conversation assez déprimante entre des clients éméchés et la tavernière :
- Décrochez ça, si vous voulez pas d'histoires.
L'homme avait montré un bouclier bleu marqué des trois lys de la Temeria que la tenancière affichait fièrement sur une poutre à côté de son comptoir.
- C'est le blason de lys de la Temeria ! répliqua un des comparses du client. Il est très bien là où il est !
- La Temeria n'existe plus, vieillard. C'est Nilfgaard maintenant.
Le vieillard en question se leva d'un bond en tapant que la table.
- Mon cul, oui !
Tout le monde le regarda et quelques murmures qui ne présageaient rien de bon commencèrent à circuler. Alors, l'homme se laissa tomber sur son banc en se tenant la tête. Tristement, la tavernière décrocha l'emblème et alla le ranger, avant de regarder les sorceleurs qui venaient de rejoindre son comptoir.
- J'bois pas avec ces saloperies d'mutants. J'préfère encore essayer de sauter la zerrikanienne que siroter ma chope avec eux à proximité, cracha un ivrogne.
Geralt lui adressa un regard indéchiffrable avant de reprendre sa route jusqu'à la femme derrière le comptoir.
Comme toujours, les sorceleurs n'étaient jamais les bienvenus. Des ostracisés même chez les pestiférés.
- Je suis désolée pour cette bande d'abrutis, s'excusa la vieille femme.
- Ne vous en faîtes pas, on a l'habitude, rassura Vesemir.
- Les gens sont nerveux, justifia la tenancière. Avec les armées qui vont et viennent… et pour couronner le tout, on a un griffon qui rôde dans les parages.
- On a croisé sa route, confirma Geralt. Et celle aussi de votre cousin Bram.
- Bram ? Il va bien ?
- Plus de peur que de mal. Il est vivant et il vous passe le bonjour, reprit le mentor.
Cela rassura tellement la femme que les deux sorceleurs eurent une invitation de boire et manger de tout leur soûl sans avoir à déverser le moindre sou.
- Je cherche une femme. Cheveux noirs, les yeux violets…
- Une zerrikanienne ? coupa l'aubergiste. Si c'est le cas, elle et ses compagnons de voyage dorment ici.
- Non, si cette zerrikanienne est celle à qui je pense, alors, la femme que je cherche est d'une, plus petite et de deux, avec la peau pâle. Elle porte toujours des vêtements noirs et blancs. Elle serait venue de Pont-Saulaie.
Le silence de la femme disait qu'elle n'avait vu personne, mais avec espoir, Geralt rajouta un détail :
- Et… hum, ça va vous paraître étrange, mais elle porte très certainement un parfum de lilas et de groseille.
La femme haussa les sourcils.
- Je ne l'ai pas vue et encore moins sentie, votre dame. Je pense que je m'en souviendrais.
- Oui, en général, elle fait forte impression, confirma le vieux loup qu'était Vesemir.
Geralt lui jeta un regard mais la vieille dame continuait déjà :
- Cela dit, vous pouvez toujours demander aux clients. Ou à la zerrikanienne, si elle daigne vous répondre. Elle a l'air d'en savoir beaucoup.
- On y songera. Sinon, vous savez s'il y a un contrat sur le griffon ?
- Aucune idée, leur dit la femme. Autrefois, quand un monstre s'installait dans la région, l'échevin organisait une collecte ou demandait de l'aide au seigneur. Mais aujourd'hui, il n'ose même plus pisser sans demander l'autorisation aux Escadrons Noirs… et le seigneur est mort, donc, pas de contrat.
- Dommage…
- Oui, c'est ce qu'a dit cette femme qui accompagne la zerrikanienne.
- Brune, dreads, yeux d'argent, tâches de rousseur et médaillon de chat ? se fit confirmer Vesemir.
- Exactement. Elle est partie pour Wyzima mais elle compte revenir ici dans la journée, de ce qu'elle m'a dit.
Wyzima ? Pourquoi diable Ace irait-il à Wyzima ? Temeria était tombée. A moins qu'ils retiennent Anaïs dans un cachot, elle n'allait pas rendre visite à Emhyr...
- Merci pour ces informations, remercia Vesemir. C'est un plaisir de savoir que je vais retrouver un chaton abandonné que j'ai recueilli avec mes louveteaux. Merci encore pour les verres. Servez-nous quelque chose de fort et de frais, s'il vous plaît, nous avons fait longue route.
- Asseyez-vous, je vous apporte ça.
Et le duo se tourna vers la salle. Ils échangèrent un regard et se mirent à la table la plus reculée du coin.
- Je t'aide à panser la plaie ? proposa Geralt à son mentor.
- Je t'en prie, je peux encore me débrouiller tout seul, rouspéta le plus vieux en s'asseyant.
- Dans ce cas, je vais me renseigner sur Yennefer.
Il observa les clients. Son regard tomba sur un homme en tenue de marchand dont le jaune était la teinte dominante. Crâne rasé, visage banal… pourtant quelque chose le mettait sur ses gardes devant cet individu.
- N'oublie pas qu'il vaut mieux éviter d'attirer l'attention sur nous. Si Ace est dans les parages, on peut se douter que les esprits seront déjà sur les dents. N'en rajoutons pas plus.
Geralt commença ses questions. Sauf que les locaux n'étaient pas coopératifs, outre quand il s'agissait de faire face à des menaces. Comme toujours, quand on avait deux glaives dans le dos, c'était toujours efficace de faire peur aux autres. Il y avait bien ce professeur d'Oxenfurt qui avait sa vision bien idéalisée de la guerre, mais lui non plus ne savait rien et préférait se consacrer à écrire sur le conflit. Quand Geralt l'encouragea à écrire cette invasion dans toute son horreur avec les viols, la mort, le sang et la cruauté, le gars avait secoué la tête en lui disant que c'étaient des détails sans importance. Le Loup Blanc avait failli lui mettre une droite. Qu'il aille dire ça aux habitants des maisons brûlées.
Il ne restait à présent que ce personnage à proximité de la porte.
Et il n'inspirait pas confiance à Geralt. Pas du tout. Le Loup Blanc se frotta son crâne à moitié rasé sous sa queue de Cintra, puis, prit une inspiration et alla à la rencontre de l'homme. Son Haki lui disait que l'individu n'était pas ce qu'il paraissait être, mais aucune idée de ce qu'il était vraiment. En tout cas, il était puissant. Et dangereux.
L'individu sourit d'un air avenant au Loup Blanc quand il se présenta devant lui.
- Je cherche une femme.
- Comme tout le monde, remarqua tranquillement l'inconnu.
- Oh non, pas comme tout le monde. La femme que je cherche s'habille en noir et blanc, et sent le lilas et la groseille.
L'homme interpella la tenancière :
- Deux schnaps !
Puis, il revint à Geralt et se justifia :
- Pour vous remonter le moral.
Refuser et montrer à l'inconnu qu'il était sur ses gardes ? Accepter au risque de se faire empoisonner ?
Allez, prendre le risque et ne pas dévoiler son jeu.
- Très bien, trinquons. Mais je suis pressé. Est-ce que vous l'avez vue ou pas ?
La tenancière leur laissa les choppes et s'en alla.
- Yennefer de Vengerberg ? se fit confirmer l'homme.
- Je ne vous ai pas donné son nom, pointa Geralt.
- Certes, mais vous l'avez décrite à la perfection. Je n'oublie jamais rien, comme le docteur Marco. Et je suis bien content de ce petit talent.
Cela faisait beaucoup de questions à poser.
- Vous connaissez Yennefer comment ?
- Quelle question ! s'étonna l'inconnu. Les balades de maître Jaskier, bien sûr ! C'est le seul moyen pour un simple marchand d'approcher la grandeur. A moins qu'il soit aussi chanceux que moi…
- Et qu'il rencontre un sorceleur très patient.
- Le célèbre Geralt de Riv, le Boucher de Blaviken en personne. C'est à croire que Blanchefleur est le rendez-vous des célébrités de votre profession, bien que j'ai ouï dire que ce n'est pas la première fois que vous et Portgas D. Anabela travailliez ensemble.
Il en savait beaucoup et ce n'était pas rassurant. Surtout avec sa manière si calme et tranquille de parler.
- Avez-vous vu Yennefer ? répéta Geralt.
Il voulait mettre un terme à cette conversation mais ne pouvait se le permettre tant qu'il n'aurait pas sa réponse.
- Pardonnez-moi de vous poser la question, mais je dois savoir. Faîtes-vous cela par amour ?
Il se foutait de lui ?
- Ça ne vous regarde pas.
- Mmmh, je comprends. Je ne suis qu'un simple vagabond, après tout.
Un vagabond qui en savait bien trop.
- Vous allez parler ?
- C'est amusant, mais avant que vous ne veniez me poser la question, je n'aurais jamais imaginé qu'il puisse s'agir de Yennefer.
Et il détourna la tête, comme s'il s'était perdu dans ses pensées. Et à côté, la patience de Geralt commençait à tourner court.
- Venez-en aux faits.
- Un éclaireur nilfgaardien l'a aperçue, il y a quelques jours.
Cet homme devait sentir que Geralt voulait mettre fin à la conversation parce qu'il faisait tout pour traîner en longueur, donnant des informations au compte-goutte, comme pour le contrarier.
- Où ça ?
- Elle est entrée dans le camp au galop, au plus profond de la nuit, vêtue de noir et de blanc… précédée d'une senteur de lilas et de groseille et…
Le Loup Blanc lui adressa un regard bien noir.
- Oui, je… je m'égare. Donc, elle a parlé avec le commandant, puis elle est repartie.
- Vers où ?
- Je ne suis pas omniscient ! répondit l'homme avec un petit rire. Demandez à la garnison. Ou à Quetzalcóatl.
Encore plus dérangeant. Geralt doutait que Shiva ait laissé traîner ce nom sur le continent. Certes, Anezka avait l'air de le connaître, mais cette herboriste avait été l'élève de l'elfe sombre, donc, dans un sens, celui de la divinité qu'était le Serpent à Plume, s'il avait bien suivi les explications qu'il avait eu sur le sujet. Avant que le Loup Blanc ne puisse demander plus, son interlocuteur se leva.
- Entre voyageurs, il faut se serrer les coudes. Qui sait, un jour peut-être, vous me rendrez la pareille ?
Geralt se retourna pour le voir partir. Il ne l'avait quitté des yeux qu'un instant, mais l'homme avait déjà disparu. Littéralement. Comme s'il n'avait jamais été là.
Clairement, cet individu n'était pas humain.
Des bruits de bagarres et des cris l'interpellèrent, venant du dehors, mais rapidement, le calme revint. La porte s'ouvrit sur deux adultes et une enfant.
- GERALT ! Si c'est pas le vieux loup qu'on aime tous ! salua l'homme du duo.
- Thatch, salua le sorceleur, égal à lui-même.
Cela ne déterra pas le vampire jovial qui vint offrir une accolade solide au mutant, exprimant ainsi toute sa joie de le retrouver. La brune resta en retrait, fixant le blandin avec ses déroutants yeux mauves. Se tenant proche de ses jambes, une fillette familière lui fit un petit signe de la main. Même si on lui avait changé la couleur de ses cheveux pour les rendre noirs, impossible de ne pas reconnaître la petite Anaïs La Valette. Fini les habits riches et royaux de la prétendante au trône de Temeria. La petite avait des vêtements pour le voyage plus solides et confortables que beaux et élégants.
- J'ai croisé Iro sur la route, avec Vesemir, donc, on se doutait qu'on vous trouverait au bout.
Et il s'accroupit au niveau de la demoiselle.
- Bonjour, vous vous souvenez de moi ?
- Hmhm. Je suis heureuse de vous revoir, salua la petite.
- De même. C'est bon de savoir que vous êtes encore en vie.
Le Loup Blanc se releva pour voir que Shiva le fixait toujours avec intensité.
- Qu'est-ce qui t'amène ici ? demanda Thatch. On t'offre quelque chose à boire ?
Le mutant jeta un œil à la chope de schnaps qu'il n'avait pas bu et secoua la tête.
- Ça ira. Je dois aller voir la garnison. Je suis à la recherche de Yennefer et apparemment, elle aurait été vue entrant dans un de leur campement.
- Iro pourra t'y conduire, dit Shiva de son ton froid coutumier. Cependant, j'ignore avec qui tu as discuté récemment, mais je peux t'assurer que c'est une personne dangereuse et je ne saurais que trop te recommander de te méfier d'elle. Cette entité a laissé une trace de son aura sur toi. Et ce n'est pas quelque chose de pacifique.
Confirmation sur la dangerosité de l'individu qu'il avait rencontré.
- J'avais le sentiment que ce vagabond n'était pas quelqu'un de banal, merci de me le confirmer. Restez sur vos gardes, vous aussi. Il m'a parlé brièvement de toi, en mentionnant le nom de la divinité dont tu es l'avatar, puis de votre frère et d'Ace.
Thatch perdit sa mine réjouie pour un air plus sérieux.
- Qui ou quoi que ce soit, il apprendra vite qu'on ne se frotte pas impunément à notre équipage.
- Vous voulez vous asseoir ? Je suis certain que Vesemir serait ravi de vous rencontrer. Au passage, comment se porte ta mémoire, Thatch ?
- Elle revient plus vite qu'auparavant.
- A Vergen, le sceau sur tes souvenirs devait déjà être fragilisé, Gwynbleidd, les spectres n'ont fait qu'achever de le briser. Ce qui n'est pas le cas de l'autre idiot, expliqua Shiva.
Elle offrit sa main à Anaïs et ils suivirent Geralt jusqu'à la table où était toujours assis Vesemir. Les présentations furent rapidement faites et le vieux mentor apprit aux pirates que durant toutes ces décennies, Ace lui avait parlé en long, en large et en travers d'eux. Ce qui poussa Shiva a remercié profondément le vieux guerrier pour avoir pris soin d'Ace (et quand on dit profondément, c'est tout juste si elle ne se mit pas à genoux pour le faire).
- J'ai ouï-dire qu'Ace était parti pour Wyzima, demanda Geralt.
- On se demande si c'est pas une tentative d'Emhyr pour essayer de nous faire un petit par derrière suite à nos accords pour le semblant d'indépendance de Vergen, répondit Thatch. C'est Marco qui a représenté Saskia pour la négociation de l'indépendance de la région de Lormark. Et quand il s'y met, on a pas envie de lui dire non.
- On a surtout envie de le tuer, pointa Shiva. Ce qui est tout aussi compliqué. Dijkstra l'a appris à ses dépens.
Thatch s'étouffa à moitié dans son verre pour ne pas rire ouvertement.
- Et moi qui pensais qu'il faudrait qu'Emhyr ait cette demoiselle en otage pour réussir à obtenir quelque chose d'Ace, nota Vesemir en montrant de son verre la demoiselle qui était assise entre Shiva et Thatch.
- Il y a plein de méthodes pour obtenir quelque chose d'Ace. Après, le résultat derrière ne sera pas forcément joyeux, pointa Thatch.
- Cela ne sert à rien de spéculer, coupa Shiva. On aura le fin mot de l'histoire quand il sera de retour.
- Et Marco ? se renseigna Geralt.
- Il l'accompagne sous sa forme animale.
- Ce n'est pas discret. C'est un grand oiseau, et on le voit de loin avec ses plumes.
- Emhyr a demandé Ace, seul. Tu crois qu'on va laisser notre frère s'aventurer dans l'antre d'un gros monstre affamé quand on sait qu'il a toujours du mal à réfléchir avant de parler ? Même si on parle d'un phénix, on verra qu'une femme avec un oiseau, donc, on sous-estimera l'adversaire. Et plus de chance pour cette tête brûlée de rester vivante, pointa Thatch.
- Il faut espérer qu'il se rappellera que même s'il saute par une fenêtre pour fuir, on parle d'Emhyr var Emreis. Et cet homme a le bras long. Plus long que Philippa Eilhart, soupira Vesemir. Je trouve ça mauvais signe qu'il fasse appel à un Chat. Attention, je n'ai rien contre Ace, c'est un membre de ma meute, quoi qu'il en dise. C'est juste que les gens et les politiciens, surtout, s'arrêtent à son école d'origine pour ce qui est du Chat Noir. Et nous connaissons tous la réputation de cette école.
- J'ai foi en onii-chan, assura Anaïs. Tout se passera bien.
Shiva esquissa un petit sourire et serra délicatement un bras de la fillette.
- Oui, si Marco est là, ça ne peut que bien se passer.
