Le vent dans les pins du Mont Fuji. Le vent dispersant les cendres dans l'air vicié d'une île pacifique et les fleurs miraculeuses poussant à flanc de cratère.

Ikki monta les dernières marches jusqu'à sa halte habituelle, à mi-parcours.

« Phénix… Tu viens plus tôt ce soir. »

« Je dois porter des ordres à Shaina et la seconder », répondit-il, s'avançant dans le jardin paradisiaque, vers le point lumineux autour duquel la magnifique fantasmagorie semblait s'orchestrer.

« Tu n'as perçu rien de particulier aujourd'hui ? » ajouta la voix.

« Non… »

Le Japonais avait atteint la lumière, et ce fut à ce moment qu'elle s'éteignit, et que le Jardin merveilleux disparut. Un jeune homme blond, vêtu d'une tunique blanche et de sandales sembla chuter – de manière contrôlée – de sa lévitation. Ikki ne put s'empêcher d'admirer son visage pur, aux yeux toujours clos, alors qu'il s'approchait de lui encore davantage.

« D'après le Chevalier de la Balance, Hadès sera bientôt de retour, tu le sais », dit le moine.

« Tout dieu de la mort qu'il est, il ne me fait pas peur », répondit l'autre avec morgue. « J'ai grandi sur une île qui fut consacrée à Perséphone, et qui gardait l'oiseau immortel. Quant à ta constellation… »

Il leva le visage vers une korê souriante qui ornait un chapiteau, puis posa sur l'Indien un regard intense.

« Toi et moi, nous avons toujours été liés à la mort », affirma-t-il.

« C'est vrai », répondit Shaka, qui ne pouvait lui rendre son regard.

Ils restèrent silencieux quelques instants, ce qui restait conforme à leurs habitudes. Quand ils se retrouvaient seuls, ils parlaient peu, étant tous les deux de nature taciturne… Ressentir la cosmo-énergie de l'autre leur suffisait et leur plaisait.

Mais ce soir-là, le visage de Shaka était grave.

« Voudrais-tu rester un peu ? » proposa-t-il au chevalier de bronze. « Discuter avec moi, comme nous l'avons fait si souvent ces dernières semaines, depuis que les vagues du Sanctuaire sous-marin ont reflué. As-tu un peu de temps ? »

Ikki acquiesça.

« Il y a quelque chose que je voudrais te montrer », dit Shaka. « Suis-moi. »

Il le mena sur le côté du temple, devant des portes de bois monumentales.

« J'avais pensé avoir atteint le sommet de la sagesse, avant de t'avoir rencontré. Mais tu m'as beaucoup appris. »

Il ouvrit les portes. Ikki ne put retenir un halètement de surprise face au spectacle qui se déploya devant ses yeux.

C'était un champ de fleurs – un véritable champ de fleurs, mauve sous les étoiles. Et au fond de ce jardin bien réel et non illusoire, deux arbres.

« Un chevalier doit être capable de se sacrifier pour faire triompher la cause qu'il défend. Et perdre la vie n'est pas toujours une défaite. C'est une des choses que tu m'as apprises, Ikki. »

Il saisit sa main ; le Japonais sentit son ventre se liquéfier.

« Viens », dit le chevalier de la Vierge en souriant, le faisant entrer avec lui dans le champ.

« J'ignorais l'existence de ce lieu... » murmura Ikki.

« Assieds-toi avec moi un moment. »

Il était rare que le Phénix obéisse à quelqu'un, même lorsqu'il s'agissait d'un ordre d'Athéna. Il obéit néanmoins à l'injonction du jeune homme.

« Tu me fais penser… à quelqu'un », finit-il par avouer. « A quelqu'un que j'ai connu. Un jour, elle m'a montré... »

Mais il ne poursuivit pas plus loin.

« Où se trouve-t-elle, maintenant ? » demanda Shaka, qui s'était assis lui aussi.

« Elle est morte. Il semblerait… que je porte malheur. »

« Ne dis pas cela. Comment s'appelait-elle ? »

« Esméralda. »

« Alors portons un toast à Esméralda. »

A sa grande surprise, le moine sortit du pan de toge qui couvrait sa tunique une flasque d'alcool fort.

« J'ai rarement mené la vie d'un homme ordinaire », expliqua Shaka. « Même si j'en demeure un. Mais ce soir, je voudrais faire comme tous les hommes. Boire un bon coup. »

Ikki eut un petit rire.

« Je ne m'attendais pas à ça... »

« A Esméralda », dit Shaka.

Il but une lampée d'alcool grec directement au goulot, puis passa la flasque à son camarade.

« A Esméralda », répéta Ikki, buvant à son tour. « Et à tous ceux qui sont morts au combat par ma faute. »

Puis il se tourna pour rendre sa bouteille à Shaka, qui se tenait toujours à ses côtés. Leurs doigts s'effleurèrent lors de l'échange, et Ikki en fut une nouvelle fois troublé. Le silence s'installa, uniquement dérangé par le bruit des cigales.

« Parfois », finit par dire Shaka, « j'aimerais savoir ce qu'il serait advenu si je n'avais pas été chevalier, et moine. »

« Si cela avait été le cas », pensa Ikki à voix haute, « nous ne nous serions probablement jamais rencontrés. »

Il le regarda, mais fut étonné de constater que le chevalier de la Vierge avait perdu toute son habituelle prestance. Il semblait à présent un simple jeune homme, très jeune, inquiet, voire tourmenté.

« Shaka... »

Il tendit la main vers lui, et toucha une mèche de ses cheveux blonds. Le visage triste sembla s'apaiser, tout en paraissant étrangement tendu. Phénix regarda autour d'eux. Du jardin, entouré de falaises, on percevait toujours l'horloge du Sanctuaire.

« Il est temps », dit alors le chevalier d'or de la Vierge. « Maintenant, va rejoindre Shaina. »

Ikki se leva, l'air hagard.

« Shaka, je... »

« Nous nous reverrons demain. »

Le Phénix hocha la tête, et Shaka sentit son cosmos s'éloigner petit à petit.

« Oui, peut-être nous reverrons-nous et… » murmura-t-il alors pour lui-même. « Dans une autre vie… Ou un autre univers. »


Le vent dans les pins du Mont Fuji. Le vent dispersant les cendres dans l'air vicié d'une île pacifique et les fleurs miraculeuses poussant à flanc de cratère.

Une brise dans un champ de fleurs.


Ikki avait accouru, en sentant le gigantesque cosmos s'éteindre. Puis il y eut une deuxième extinction, encore plus inattendue que la première, celle du cosmos de Saori.

Il traversa le champ, à la recherche du sixième chevalier d'or. Mais il était trop tard, et il n'y avait aucun corps. Seulement un tas de cendres, là où Shaka avait perdu la vie. Un tas de cendres...

Le jeune homme se baissa pour en recueillir une poignée, mais elle filait entre ses doigts, tout comme chutaient les pétales printaniers des fleurs sous les arbres sals.

Nul ne pouvait voir les larmes qui coulaient sur ses joues. Le poing gauche serré, il jeta les cendres de la main droite.