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La base d'opération du métro souscrivait à quelques règles précises. Pour commencer, il était de bon ton d'éviter d'y ramener n'importe qui. Ensuite, il fallait faire attention à respecter son environnement : éviter de se prendre les pieds dans une pile de livres, par exemple (piles qui répondaient à un système tout à fait précis), ou ne pas marcher sur le jouet préféré de Bear (pouic pouic). On ne laissait pas traîner une arme à feu n'importe et, lorsqu'on égarait l'un des missiles du bazooka, il valait mieux le dire le plus vite possible (1). Et, sans doute la règle la plus importante pour le propriétaire des lieux : on faisait attention aux ordinateurs, et on ne mangeait jamais -jamais!- à proximité des engins. Pour se faire, un petit espace cuisine avait aménagé dans un des recoins du repaire, où les membres de l'équipe Machine prenaient la plupart de leurs repas lorsqu'ils étaient dans les parages.
La petite table était recouverte de pizzas dans leurs cartons, et tout le monde s'était serré tout autour (excepté Raph et Shaw, qui s'étaient lancés dans un concours d'abdos dans l'espace gymnastique : ces deux-là avaient tout de suite su à quoi s'en tenir avec l'autre, et iels préféraient laisser le rester de l'équipe s'occuper de ces histoires de plans quand c'était possible). Harold, assis tout au bout, présidait la curieuse assemblée, qu'il observait d'un regard toujours un peu étonné. Ce n'était pas tous les jours que l'on recevait quatre tortues et une journaliste dans les locaux, il fallait bien l'avouer. Installés l'un en face de l'autre, Leonardo et John se regardaient en silence, comme pour mieux prendre la mesure de l'autre. Root bavardait joyeusement avec Donatello (il était question de high score à « Oregon Trail », et Mikey était présentement occupé à la tâche la plus capitale qui soit : grattouiller Bear derrière les oreilles, sous le regard amusé d'April.
« Merci de nous recevoir. » Leonardo finit par prendre la parole, se tournant cette fois-ci vers Finch. « Je sais ce que c'est que d'accepter des intrus dans son sanctuaire. Je vous donne ma parole que vous n'aurez pas à regretter ce risque. »
« Ce qui est fait est fait. Si mes compagnons ont jugé bon de vous amener ici, je leur fais confiance. Et puis il semblerait que nous ayons un...intérêt commun. »
« Ce qui m'intrigue, c'est comment vous avez pu être courant de notre petit, ah, rendez-vous avec Stockman ! » lança un Donnie intrigué.
« Disons qu'une amie nous a donné le numéro d'April. » Root s'empara d'une part de pizza, sur laquelle elle avait préalablement déposé quelques marshmallows en compagnie de Mikey. Elle y mordit avec enthousiasme, sans quitter Harold du regard, amusée par avance de toutes ses futures réactions.
« Son lien avec Decima, c'est ce qui nous a convaincu de l'importance de la situation. » continua un Finch imperturbable. Il s'était glissé une petite serviette autour du coup, et tenait à la main une part de pizza aux anchois. « Si cette compagnie s'intéresse à celle de monsieur Stockman, cela n'augure rien de bon. Decima est dangereux, je peux vous l'assurer. »
« Est-ce que cela à quelque chose à voir avec ces...robots ? » demanda Leo.
« J'en ai bien peur. Je ne sais pas ce que Decima cherche exactement à réaliser, mais... »
« Oh, ça, c'est facile ! Iels veulent trouver un moyen de faire de ces robots des unités ambulatoires pour Samaritain. Stockman était à l'origine de leur création, il a donc tout naturellement attiré leur intérêt. » Root prit une longue gorgée du milkshake au caramel beurre salé qui accompagnait sa pizza, avant d'afficher son air le plus innocent face aux regards étonnés du reste du groupe. « Oh, je ne vous l'avais pas dit ? J'ai infiltré la société de Stockman il y a deux jours. Je me suis dit que j'allais prendre une longueur d'avance... »
« Et est-ce que vous avez pu accéder... »
« ...au programme principal ? J'avoue que ça m'a pris un peu plus de temps que je ne l'aurais cru, mais au final il a suffi de détourner le code via un programme comme... »
« ...advanced2fire, bien sûr, c'est évident ! Est-ce que vous avez pu vous ménager une porte de sortie... »
« ...en alpha zéro deux, oui ! Ah, je dois dire que ça fait plaisir de parler boutique avec quelqu'un d'autre que Harold, il n'est jamais aussi enthousiaste ! »
Tandis que Root et Donnie se plongeaient dans la suite de leur conversation technique, Harold, Leonard et April s'attaquaient à la planification : « Je pense qu'il serait de bon ton de rendre une petite visite à notre ami Baxter Stockman. Monsieur Reese et mademoiselle Shaw vous seront d'une grande aide, je peux vous l'assurer. »
« Vu ce que j'ai vu de ces deux-là tout à l'heure, je n'en doute pas ! »
« Et si vous trouvez de quoi exposer Stockman, je me ferai un plaisir de faire remonter les infos à ma chaîne. Il faut que les gens sachent de quoi il est capable. Pareil pour Decima, on... »
« Exposer Decima ne mènera à rien, si ce n'est vous ajouter une cible sur la tête. » intervint John.
« Si vous pensez qu'iels me font peur... »
« Iels devraient. »
« Ce que monsieur Reese essaie avant tout de dire, c'est que Decima a les moyens de ne pas s'exposer à tout cela. J'ai tendance à penser qu'une fois que nous en aurons fini avec Stockman, iels auront trouvé le moyen d'effacer la moindre de leurs traces. Non, Decima sera une bataille pour un autre jour. Notre priorité est de mettre fin à leur lien avec Stockman. »
« Vous parlez comme notre père. » fit Leo. « Je suis sûr qu'il vous apprécierait. »
« Un homme sage... »
« Un rat. »
« Un rat sage. » reprit Finch sans se laisser démonter. « Il ne jouerait pas aux échecs, par hasard ? »
« Même Donnie n'arrive pas à le battre ! »
« Et bien voilà une perspective qui me ravit, je suis toujours partant pour découvrir un nouvel adversaire de valeur. Mais cela devra attendre la fin de notre mission, je le crains... Mademoiselle Groves ? »
Root leva la tête : « Je sais ce que vous allez me demander, Harold, et bien sûr que je vais pouvoir vous faire entrer ! »
« Mikey, Raph, il est temps d'y aller ! » Leo se tourna vers Reese : « Vous avez de quoi vous équiper, je suppose ? »
« Vous n'avez pas idée. »
« Je vais chercher Bessie ! » fit Shaw du coin armurerie. « Maintenant, où est-ce qu'on a rangé le dernier missile... »
Root se laissa aller contre le dossier de sa chaise, un grand sourire sur les lèves : « Oh, je crois qu'on va bien s'amuser... »
(1) Histoire d'éviter ce qu'on appelait « l'incident du feu de joie ». Shaw continuait de dire qu'elle n'y était absolument pour rien.
