Playlist
« It's will be okay » Shawn Mendes
« Everywhere » Niall Horan
« Canyon Moon » Harry Styles
« Issues » Imaginary Future
Chapitre numéro six
Point de vue d'Illium
Dormir comme un bébé m'a manqué.
Pas de cauchemars susceptibles de me déranger, pas d'insomnie pour la première fois depuis un mois. Aussi grâce aux somnifères pris la nuit dernière et aux médicaments antidouleurs. Eux m'aident à m'assommer suffisamment pour trouver le sommeil et laisser mes pensées négatives devant la porte de la chambre. Morphée est venue m'accueillir et je n'ai pas refusé l'invitation. Pour une fois, je me suis laissé enveloppé comme un enfant qui a besoin d'aide, de soutien et qui a peur de la suite.
J'ai l'impression que ce dernier mois a duré une éternité. À nos yeux d'anges, ce n'est qu'un simple battement de cils. Il a été intense quand même pour moi et m'a déconcerté. Je me suis retrouvé, depuis mon réveil, à faire fasse à une réalité qui ne me convient plus. Cette nouvelle vision des choses me perturbe et me rend anxieux.
Tourner la page s'impose.
Je ne peux pas rester comme ça.
Je ne peux pas rester ni dans ma mélancolie ni dans mon état de choc.
Je ne veux pas me battre avec des pensées qui me retournent le cerveau et qui me nouent l'estomac. Je suis vivant. Bel et bien vivant. Je peux sentir mes doigts bouger, l'air entrer dans mes poumons puis remplir ma cage thoracique, entendre les battements de mon cœur qui bat dans ma poitrine et le bruissement de mes ailes bleues dans l'air. Sur le papier, je suis en vie, en entier surtout et dans la théorie je me sens en vrac. Là sans être là. Juste vivant, ce qui est déjà énorme vu mon cas. C'est vrai, qui aurait pu prédire ma survie à une ascension surprise et fulgurante ? Personne. Et je suis quand même reconnaissant de l'espoir qui me garde en vie.
J'ai décidé de venir passer quelques jours chez ma mère pour me reposer chez elle. C'est la meilleure décision prise ces derniers jours. Elle m'a manqué. Ma maison est aussi chez elle, au Maroc. Ma mère m'a manqué. Je sais que notre relation est spéciale. En principe, on est proche de ses parents sans être fusionnel quand on quitte le foyer familial. Hormis le fait que mon père soit un connard, qu'il m'a abandonné et je ne peux pas lui pardonner ça car il n'y a aucune justification. Dans d'autres cas, il y a des raisons qui m'échappent. Mon histoire est que j'ai vu ma mère sombrer dans une mélancolie qui ne devrait pas exister. J'ai aussi sombré dans cette mélancolie et elle me rattrape parfois. Pas qu'à cause de mon père, j'ai perdu une femme aimé il y a longtemps à cause d'une connerie de ma part. Quelle idée j'ai eu de céder à sa curiosité déplacée, elle m'a valu des sanctions et par la même occasion sa perte. Par conséquent, ma perte aussi car le deuil de la relation a mis du temps à se faire et au final; il continue de se faire contre mon gré, j'aimerais que ça soit plus simple.
Le soleil brûlant, le ciel bleu, la simplicité du pays, le Maroc est un pays chaleureux et je comprends pourquoi ma mère a décidé de vivre ici.
Ma chambre d'enfant a bien changé. J'ai fait des travaux de peinture depuis. Tout est repeint par mes soins, en bleu nuit. J'ai mis des guirlandes lumineuses étoilées le long des étagères remplies de livres et celles qui so. Une manière de me sentir en sécurité ici. La lumière artificielle de ces guirlandes apaisent mon anxiété. Parfois quand j'ai trop pleuré, je les regarde et mes pensées sont canalisées. Mon esprit est mis sur pause.
Être au calme.
Être dans un cocon.
Sentir le soleil sur ma peau est une sensation que je pensais oublier.
« Je vais bien maman ».
« Tu me l'as déjà dit la semaine dernière ».
Le guérisseur m'a quand même prévenu sur la montée de fièvre, si elle revient je dois retourner le voir dès les premiers symptômes. J'ai fait la promesse de faire plus attention à moi si jamais ça n'allait pas. Depuis ce jour, je ne suis pas retourné le voir, ni l'un de ses collègues. Je ne veux pas revoir les murs blancs de l'hôpital avant un moment. Plus tard sera le mieux. En attendant, je profite du temps qui m'est offert après cette fichue Cascade pour vivre ma vie. Je ne veux pas vivre dans la peur, dans l'angoisse permanente de ce qu'il risque de se passer. Je ne veux pas me contenter des « et si... ». Tant que la pause de la Cascade dure, je vais profiter de la vie comme avant.
Je suis assis sur le rebord de la terrasse aux côtés de ma mère qui lisait un livre. Profiter du soleil est la meilleure idée ce matin. Je vais m'en inspirer aussi. Tout le nécessaire d'un petit déjeuner parfait se trouve devant mes yeux. La faim se fait sentir en voyant tous ça. Et j'ai envie de café, l'odeur est réconfortante car elle me rappelle celle de mes parents le dimanche matin. Ils ont pris l'habitude de faire couler le café et l'odeur embaumait la maison. Je me réveillais avec l'odeur du café.
« Ça n'a pas changé » dis-je en buvant une nouvelle gorgée de café.
« Tu as bien dormi ? ».
« Comme un bébé, être ici me fait du bien » dis-je en la regardant. « Jason est venu me voir si ça peut te rassurer ».
« Jason est venu te voir quand ? ».
« À son retour de mission en Chine, directement chez moi et apparemment la situation reste calme, inchangée du moins et ce n'est pas plus mal. Dmitri l'a prévenu. Je l'ai rassuré et ait répondu à ses questions comme j'ai pu. ».
« Lijuan est capable de tout. Tout le monde est vigilant. Encore plus depuis... Je ne serais pas surprise de la revoir un jour encore plus en colère ».
« Tu crois qu'elle est capable d'agir ? ».
« Bien sûr. Ses faits et gestes sont surveillés. Mais ça ne suffit pas. Et Jason est prévenant. Tu as beaucoup de chance de l'avoir pour ami ».
« Je sais maman » dis-je en souriant. « Je suis désolé de ne pas t'avoir prévenu plus tôt ».
« Que Raphaël me prévienne, que Dmitri m'appelle est une chose mais que mon bébé me le dise en personne en est une autre. Le savoir de ta bouche m'aurait rassuré tout de suite, même si la vérité est difficile à entendre. J'étais...seule. Démunie » me dit-elle les larmes aux yeux.
Ses beaux yeux champagne embrumés par les larmes dès le matin me font de la peine. Mon cœur se serre déjà. La voir triste me rend triste aussi. On est des éponges.
« Même à cinq cent ans ? » dis-je en la prenant dans mes bras.
« Une poussière dans une vie mon chat » dit-elle en faisant des cercles dans mon dos.
Un geste apaisant.
Je souffle aussi pour contenir mes larmes sauf que ça ne sert à rien, elles restent au fond de ma gorge. L'entendre me fait réaliser que je n'ai pas pu la rassurer avant. Elle est dans mes bras, c'est tout ce qui compte.
Son doux contact.
Son odeur qui me rassure.
Je suis chanceux.
Ma mère est mon monde.
Sans elle, je ne serais plus le même ange.
Venir ici quelques jours me fait du bien. Je me sens rassuré et passer du temps avec elle est le meilleur médicament après cette chute. J'ai eu peur, elle aussi. Pas question de l'inquiéter davantage mais je sais aussi qu'en la préservant de tout, je prends le rôle de l'adulte. Ma mère doit être mise au courant, de préférence par moi en personne. Elle a vécu tellement de choses que j'endosse la responsabilité de la protéger comme je peux. Ne pas lui dire certaines choses et un mensonge et plus on ment plus ça fait mal. Les répercussions ne sont pas sans conséquences. J'en sais quelque chose. Ma mère est trop fragile parfois pour entendre certaines choses et elle a besoin de savoir la vérité en même temps. Décision difficile. Je suppose que c'est logique. À sa place, j'aurai aimé savoir. J'aurai aimé être tenu au courant de la situation même si ça fait mal. En tant que mère, c'est logique. Et avec les réseaux sociaux, je suis certain que ma chute doit circuler en boucle partout, sur des sites douteux à la recherche de titres de presses sensationnels. Ça me rend malade. Elle aurait pu l'apprendre par ce biais là.
Mes larmes me font mal. Je ferme les yeux pour les refouler mais ça ne sert à rien du tout. Elles coulent quand même le long de mes joues.
« Je comprends maman. Mes examens n'ont pourtant rien révélé d'anormal. Je ne comprends pas ce qui m'arrive ».
Mes émotions sont à fleurs de peau.
Mes émotions sont à nues.
Je ne les retiens plus.
Je mets mes mains sur mon visage. L'expression encore catastrophée et la peur de l'avenir qui me revient en pleine face.
« Il faut que tu ailles voir Nisia, Keir pour en parler ».
« Je parie que les images tournent en boucle » dis-je la voix tremblante comme un enfant.
« L'ami d'Elena va les effacer, non ? ».
Venir ici m'a pourtant reposé. Je suis au calme.
Profiter de ma mère me fait du bien.
Elle me prend avec la plus grande délicatesse dans ses bras. Son contact m'apaise. Son odeur me rassure. Il n'y a pas à dire, je veux rester dans cette bulle très longtemps. Loin de moi l'idée de l'inquiéter encore plus, je suis vulnérable fois mille. Elle me frotte le dos, effleure mes cheveux et les embrasse pour me rassurer. Je peux sentir son anxiété sans aucun problème. J'essaye de rassembler mes esprits et de lui expliquer brièvement comment je me porte, en essayant de me montrer optimiste. Je n'ai pas lu le rapport de Keir à mon sujet ni celui de l'Archange. Pas eu le courage. Les mots peuvent être plus difficiles que les actes et je ne suis pas prêt. Autant noyer encore le poisson et rester encore quelques minutes dans les bras de ma mère. Loin de tout. Loin du bruit. Loin de mes pensées invasives. Loin de mes pensées négatives. Loin de la Cascade. Je n'ai pas beaucoup volé. J'ai profité du soleil sur sa terrasse pour réfléchir, écrire. J'ai même cuisiné pour elle. Nous avons fait de la pâtisserie ensemble. Comme avant. Enfant, j'adorais faire des gâteaux. Quand mes cookies restaient trop longtemps dans le four et qu'une odeur de fumée s'en échappait, mon père sortait une boîte de cookies du placard et les disposait sur une nouvelle plaque de cuisson. Avec un sourire, il me disait que tous n'avaient pas brûlés. Maman en prenait un, mordait dedans et s'extasiait de la réussite des gâteaux. D'un sourire complice, mon père en rajoutait sur le croquant du gâteau.
« Profitons de cette accalmie » dit-elle en mettant ses lunettes de soleil. « Maman est là mon chou ».
Je ne peux m'empêcher de la regarder en affichant quand même un sourire au visage. Ma mère est très protectrice. Je sais de qui je tiens de ce côté là. Il est vrai que je m'inquiète souvent pour mon entourage. Quand il m'arrive quelque chose, je n'aime pas attirer l'attention, générer de l'inquiétude, de la pitié ou je ne sais quoi d'autre. Dans ces cas là, je suis un peu gêné et je préfère me retirer, rester dans mon coin. Me remettre de mes émotions. Très étrange je sais. C'est pour ça que me mettre un peu à l'écart me permet de trouver les bons mots pour expliquer et rassurer les autres.
« Tu resteras toujours mon bébé » dit-elle en me caressant la joue. « Même à cinq cent ans et ma plus grande fierté ».
« Maman » dis-je en levant les yeux au ciel.
Je ne veux pas que les effets secondaires négatifs de cette Cascade prennent le dessus sur ma personnalité.
Je ne veux pas changer, devenir un autre ange.
On sait tout ce que ça a donné chez un ange déchu assassiné par l'Archange il y a quelques années. Malheureusement, le nom de cet Archange déchu est écrit dans l'Histoire. Personne n'oubliera son cas. Notre Archange a eu du cran. Le problème est que seul Raphaël était autorisé à la tuer puisqu'il se trouvait sur son territoire et non sur un autre. Tout le problème est là. Seulement, Raphaël fait partie du Cadre des Dix et de ce fait, les autres Archanges auraient très bien pu se joindre à lui. Ils auraient voté favorablement, sans hésiter. Ils aurait pu l'aider à trouver un moyen de le réduire en pièce ensemble. Raphaël a pris cette responsabilité énorme et a dû arrêter les folies de son meilleur ami, de son ancien meilleur ami. Mettre ses sentiments de côtés, ses souvenirs de côté a dû être une épreuve atroce. Et je ne veux pas devenir un ennemi, pour moi-même en premier. Cela me déchirait le cœur. Autant me l'arracher directement moi-même s'il le faut et le problème sera réglé. Sauf que plus je pense aux conséquences, plus je me mets à en avoir peur. C'est très mauvais. C'est ce que j'ai noté dans mes carnets. Tout y est écrit noir sur blanc. Je pensais que l'écrire allait apaiser mes peurs, mes doutes et ça a été le cas sur le moment. Je me rends compte que ce n'est plus suffisant. Je me réserve le droit d'aller voir Dmitri pour lui en parler. Il me donnera des conseils. Il est plus adepte à me conseiller. Il me rassurait sur pas mal de points. Cette histoire m'échappe un peu. Quelque chose a changé chez moi. À aucun moment je n'y ai songé et ce qu'on raconte dans les livres sur le sujet a-t-il un sens à mes yeux ? Je n'en ai aucune idée. Maintenant je suis confus. Mais je me torture l'esprit pour des questions auxquelles je n'aurais jamais de réponse. Je crois que c'est le plus difficile à savoir rester sans réponse. Alors que je veux obtenir des réponses. Soyons honnête, même si j'allais voir directement Lijuan, elle me rirait au nez et m'épinglerait sur son mur de trophées. Si je veux avoir des réponses, comprendre la situation, comprendre ce qu'il m'attend à l'avenir, je vais devoir m'armer de patience. Personne ne peut lire l'avenir dans une boule de cristal concernant la fameuse Cascade.
Passer du temps sous le soleil marocain est merveilleux mais je dois rentrer.
Je quitte ma mère au Maroc le cœur serré de partir si tôt mais le cœur rempli de joie d'avoir passé du temps avec elle, d'avoir discuté, pleuré dans ses bras, d'avoir ris par moment. On a un peu refait le monde. Ses paroles me font écho. Que ce n'est pas la fin du monde mais peut-être le début de quelque chose car je lui ai parlé de mes cauchemars et elle en a conclu que ça signifie une sorte de renouveau. C'est aussi ce que m'a dit Internet. Entre les sites d'interprétations des rêves et l'expérience de vie de ma mère, le choix est vite fait. Les informations se regroupent. Mes rêves sont donc le début d'un chapitre. Reste à l'écrire. À le comprendre d'abord car je n'ai pas obtenu toutes les réponses souhaitées, à commencer par celles qui se trouvent dans mon dossier médical. Je ne l'ai pas encore lu. J'attends de rentrer à la Tour pour voir Nisia et discuter avec elle du sujet, un énorme bouquet de fleurs en guise de remerciement dans les mains. Cela va de soit. Elle m'a sauvé la vie. Je lui en suis reconnaissant à vie. Je lui apporterais dans les jours qui viennent, en main propre.
Je recommence à prendre de la vitesse en vol, comme avant. Plus je m'élève dans le ciel plus je me sens bien. Cette sensation m'a vraiment manqué. Pour un être habitué à voler toute la journée, ne plus le faire pendant trois semaines était difficile mais pour mon bien-être, une pause était nécessaire. Il me fallait du temps pour récupérer et faire des examens complémentaires demandés par Dmitri. Il a voulu être sûr que mes organes internes ne brûlent pas à petit feu. Nisia y a veillé avec des médicaments et les images prises lors du premier scanner n'ont rien montré. J'entendais la voix de la guérisseuse qui me rassurait. Ses paroles m'ont aidé. Je me laissais faire comme une marionnette.
Quand je suis rentré de chez ma mère, je me suis concentré sur les entrainements. Je ne faisais pas grand chose mais ça m'a aidé à me remettre dans le bain. Les jeunes anges ont bien travaillé. Ils ont écouté. J'ai manipulé des armes légères et Galen m'a dit que ma dextérité s'est améliorée. Le seul point négatif est que je brille. Je ressemble à une luciole. Je brille quand je suis anxieux. La durée varie de trente secondes à deux minutes. Et deux minutes à briller tout seul dans sa chambre, c'est long.
Quoi de mieux que de jouer au sport national américain pour débuter une nouvelle semaine ?
Deux mois plus tard après ma frayeur, le temps est idéal, pas de vent, le soleil se couche à l'horizon dans cinq minutes, pas de nuages non plus et deux équipes d'anges qui se regardent pour savoir à qui la balle ira. Nous sommes tous sur la même longueur d'onde ce soir.
Je lance la balle à Aodhan qui la rattrape plus vite que les deux anges à proximité. Nous sommes deux équipes qui se disputent une balle et croyez-moi, elle attire l'attention des habitants en dessous ainsi que les regards curieux des gens des immeubles aux alentours. Les regards des autres vont d'une main à une autre pour ne pas la perdre de vue. Nous avons un point d'avance sur l'autre équipe. Strass connaît mes astuces comme sa poche, cela m'oblige à renouveler ma tactique de jeu à chaque fois. Les anges de l'équipe adverse sont attentifs aussi mais je remarque qu'ils commencent à être fatigués. Petits joueurs. L'ange diamanté serait capable de lire dans mes pensées et j'ai envie d'éviter un fou rire, au risque de déstabiliser les autres. Les gens ne comprendraient rien de la situation et nous sommes ici pour jouer au baseball tout de même. Aucun autre ange ne peut rivaliser avec nos équipes. La mienne est déterminée à gagner le match de ce soir.
La balle continue de voler de gauche à droite. Un ange de mon équipe menace de tomber sur un toit pour récupérer la balle de justesse quand un autre s'entremêle autour d'un drap blanc en train de sécher à une fenêtre. Il a manqué la balle contrairement à l'ange qui lève un pouce en l'air. Je n'ose imaginer la réaction du propriétaire du linge en question qui sèche sur le balcon.
La balle blanche vole à nouveau en ma direction, je l'attrape sous les yeux d'un ange blanc aux ailes diamantées près à me la prendre des mains. Il me regarde, un mince sourire au coin des lèvres pour marquer un nouveau point. Rare sont les fois où l'on joue au-dessus du fleuve Hudson au coucher du soleil. On aime bien jouer lorsqu'il y a des orages aussi. On les contourne en évitant de se faire foudroyer une partie des ailes. Les brûlures font très mal. Testé et non approuvé une fois, les douleurs ne sont pas pareilles qu'une autre, c'est incomparable mais on doit assumer les conséquences. Heureusement, on guérit vite. Un des avantages de l'immortalité.
Le temps est moyen pour se lancer dans une telle partie. La nuit est tombée.
Un nouveau point au compteur d'Aodhan. Nous sommes à égalité et hors de question de terminer la partie de sitôt. D'habitude, je ne dit rien au sujet de ma stratégie mais je pense qu'il n'y a rien de pire que de perdre du temps. On me regarde comme si j'avais la réponse à une éventuelle victoire mais non alors je lance la balle à un autre ange de mon équipe qui est juste derrière Strass. Je vais devoir changer de stratégie car il commence à la deviner. Un échange de regard avec l'ange du refuge et il vole jusqu'à ma droite en évitant de laisser tomber la balle sur un des toits qui nous entoure. On continue de regarder tout autour de nous et de surveiller la balle de baseball. La moindre occasion est à saisir pour marquer un point.
Les autres anges finissent par capituler et la partie se termine entre moi et Strass. La balle blanche vole dans toutes les directions. Un jeu d'enfant pour nous. Les anges de nos deux équipes respectives ont capitulé un peu trop vite à mon goût mais les pauvres, il sont encore tout jeunes.
Nos regards se croisent et le dernier point va se jouer d'ici à peine cinq minutes.
« La partie va se jouer entre toi et moi ».
« À nous deux ».
La balle vole au-dessus de ma tête.
Ça y est le jeu commence.
Je la frôle des doigts sans l'attraper du premier coup. Elle se dirige vers l'eau. Pas question de me prendre l'eau en pleine face. Ce n'est pas bon signe si elle tombe sur le toit de la voiture d'un automobiliste qui sera surpris aussi. Le but n'est pas de créer la panique. Comment l'attraper sans causer de problème pour moi et pour les autres ? Je repère la balle qui se dirige vers le fleuve. Si elle rejoint les poissons avant moi, je n'irai pas la chercher. Elle rejoindra les poissons. J'arrive quand même au niveau de la balle et la lance en direction de mon meilleur ami. Satisfait de n'avoir pas manqué la balle, un sourire satisfait aussi sur mon visage et je vois Aodhan l'attraper comme si c'était la suite logique. Une fois en main, je me retourne. Les premiers rayons de la lune sont dans mon angle de vision sachant aussi que les reflets lumineux des ailes de mon meilleur ami ne jouent pas en ma faveur. Il sait bien que cela change la donne. La balle part en ligne droite et il est obligé de faire un plongeon, ce serait dommage qu'il se prenne la tête la première dans l'eau du fleuve. J'aurais droit à son regard noir parce qu'il sera mouillé et ses ailes ne sécheraient pas en une minute. Il éblouira tout le monde. Je pense aussi qu'il serait temps de conclure la partie, non ?
Sentir à nouveau le vent frapper mon visage, sentir mes ailes se faufiler parmi les courants d'air, sentir le soleil réchauffer mon visage. Me sentir libre, sans contraintes, sans pensées négatives, me sentir vivant. C'est un sentiment unique et voler m'a vraiment manqué. Sans ça, je ne suis plus un ange. Je ne suis plus rien. Voler est ma raison de vivre, l'une d'elle en tout cas. Me sentir libre, dehors et non enfermé entre les murs de ma maison et ceux du Médicat est la meilleure chose qui puisse m'arriver ces dernières semaines. Dans les airs, je me sens moi-même. Un ange pas comme d'autres certes mais un ange avant tout, dont la seule manière de se sentir libre est de voler. Je ne suis pas un ange que l'on peut enfermer dans une cage et qu'on prive ainsi de liberté. Je ne serais pas un oiseau que l'on regarde à travers une cage. Je ne serais pas non plus épinglé au mur par Lijuan en guise de trophée. Toutes ces paires d'ailes épinglées à un mur pour le reste de l'éternité me révulse, me révolte aussi. Je suis né avec une paire d'ailes, c'est bien pour me sentir en liberté.
Le soleil qui a réchauffé ma peau ce soir a grandement amélioré mon moral.
« Tu attrapes la balle ou tu déclares forfait ? » rit mon meilleur ami.
Je regarde mon meilleur ami surpris. Il veut jouer. Il est de bonne humeur. Sans moi, que devient-il ? Comme je suis de bonne humeur, je me prête au jeu. Là, il s'agit de sport et dans ce domaine il excelle. Il veut jouer, d'accord. Je lance la balle à Aodhan qui la rattrape. À qui aura le point gagnant de la partie ? Très bonne question. Sur un toit d'un immeuble ancien, les anges qui ont composé nos deux équipes regardent la suite de la partie. Strass me relance la balle. Elle vole à nouveau en ma direction et ainsi de suite. Nous sommes des enfants. D'autres humains s'arrêtent pour regarder la scène d'en bas, je peux les voir d'où je suis. Cela me fait sourire. Ils ont une vue imprenable. Le groupe s'est agrandit. Ce n'est pas pour déplaire à Strass. Ses ailes attirent l'attention de tous. Elles scintillent, il a toujours la faveur des plus jeunes. Les enfants l'admirent.
« Rêve » souriais-je.
La partie ne se terminera pas sur une égalité, il faut un point dans mon camp ou dans le sien. La balle vole à nouveau vers lui. Si ça continue dans cette dynamique, la partie ne se terminera jamais. Il faut une fin. Les yeux des anges de nos équipes respectives sont toujours rivés sur la balle qui continue sa trajectoire. Elle vole un peu partout. Nous continuons à lancer la balle sans prendre en compte les regards des humains en bas. En quatre semaines, je ne me suis jamais senti aussi bien. Mon meilleur ami s'apprête à marquer un nouveau point mais je rattrape la balle à temps. La partie va se finir sur une égalité parfaite. Intérieurement, il ne veut pas lâcher l'affaire. Ça fait déjà cinq points que ça doit être la fin mais la partie est sans fin. Nous continuons ainsi notre ballet aérien pendant au moins une demi heure. Il ne veut pas déclarer forfait alors il me doit une revanche.
« Tu me dois une revanche » jure t-il à mon attention quand il atterrit sur le toit de la Tour.
L'heure de mettre fin à cette partie de baseball est venue. On a joué pendant trois heures dont trente minutes à deux parce que nos deux équipes furent à égalité. On n'a pas réussi à les départager alors je lui dois une revanche. En atterrissant sur le toit de la Tour à ses côtés, je le regarde en souriant. De toute façon, je n'y aurais pas échappé il m'aurait répéter ça jusqu'à ce que je dise oui. On ne peut pas refuser grand chose à Aodhan. J'acquiesce positivement, je capitule à sa demande. La prochaine partie de baseball en plein air, aux yeux des habitants new-yorkais à proximité du fleuve Hudson seront aux premières loges, se déroulera quand il y aura de l'orage histoire d'ajouter de la difficulté. J'espère qu'il est prêt à admettre que la partie ne sera pas facile, je parlerais à mes anges pour une nouvelle tactique de jeu.
« Promis » répondis-je à mon tour.
Aodhan me fait rire. Il pousse la porte qui mène directement à la salle d'entrainement où Venin se trouvé déjà. Concentré, il vise une cible avec les yeux bandés d'un tissu noir. Il n'a aucune chance de louper sa cible. Venin est le meilleur dans le domaine. Je donne un coup de coude à mon meilleur ami pour qu'il cesse de ricaner. Nous reprenons notre sérieux rapidement. Le plus jeune des Sept vise sa première cible du premier coup. Il enlève brièvement son bandeau sur les yeux pour regarder le couteau dans la zone jaune de la cible. Satisfait, il le remet sur les yeux, prend un nouveau couteau et recommence. Il respire doucement et lance le second couteau qui atteint sa cible. Comme pour la première, l'arme se plante dans la zone jaune de la cible. Il a senti notre présence. Ce n'est pas pour autant qu'il cesse ce qu'il fait. Il est concentré. Venin attrape le dernier couteau du lot, respire doucement, lance l'arme sur la cible et elle se plante dans la zone rouge. Bien joué. Aodhan soupire. Il veut applaudir mais le vampire prend la parole à sa place.
« Strass et Campanule » dit-il le sourire aux lèvres.
« En personne » répond mon meilleur ami.
Je n'ai pas le temps de répliquer. Pour une fois, je reste silencieux.
« Que fais-tu ? » demande t-il.
« Je prépare le prochain entrainement d'Elena, celui que les bébés anges apprennent quand ils sont en âge de manipuler une arme blanche ».
« Elle va mal le prendre » rit Aodhan.
« Il y a un début à tout. Si elle se trouve dans une situation délicate, je veux qu'elle sache lancer un couteau les yeux plongés dans le noir. Elle devra se fier aux sons environnants plus qu'aux odeurs puisqu'il ne s'agit pas d'un vampire pour se repérer dans l'espace ».
« Comment veux-tu qu'Ellie apprenne quelque chose que personne ne comprend à part toi, ô vampire expérimenté que tu es ? ».
« L'apprentissage ».
« Il lui faut au moins un siècle, qu'elle n'a pas encore » ajoutais-je.
« Personne n'est aussi rapide que toi chez les anges mon cher Campanule mais sa dextérité s'améliore, ce qui est bon signe ».
« Je suis un ange, un Sept et j'ai quelques siècles de plus qu'Ellie ».
« D'ailleurs en parlant d'elle, j'espère que l'on te verra à sa fête de quartier Campanule » ajoute t-il en riant.
« Vous feriez sérieusement une fête sans moi ? ».
Venin me sourit de toutes ses dents, signe qu'il est de bonne humeur. Je me demande ce qu'il a en tête. Je préfère le voir comme ça que de mauvaise humeur. Croyez-moi, un vampire de mauvaise humeur est détestable. Et un ange aussi mais c'est une autre histoire. Je ne suis pas non plus surpris de constater qu'il n'a pas dénier ne pas me rappeler la fête de quartier organisée par Elena. Elle s'est promise d'en organiser une tous les ans. Je pense que c'est pour permettre la cohésion entre tous les habitants du quartier. Ce sont les vampires et les humains qui ont le plus d'opportunités de se côtoyer dans la vie quotidienne, c'est moins le cas pour les anges. Nous sommes plus dans les aires que sur la terre ferme. Parfois, il est bon de rappeler à tout le monde que nous vivons sur la même planète. Nos mondes sont peut-être différents mais sans eux, il manquerait une pièce du puzzle. C'est niais mais réel. Sans nos coopérations pendant la dernière bataille avec Lijuan, les conséquences auraient été davantage désastreuses. Elles l'ont été mais minimisées par rapport à ce que l'on aurait pu s'attendre.
Le vampire récupère les trois couteaux plantés dans la cible pour les ranger. Sa démonstration est terminée. Aodhan le suit du regard mais reste silencieux. Ses ailes brillent sous les lumières artificielles de la pièce.
« Votre partie de baseball dans les airs est en seconde partie des titres partout dans les médias. Ça contraste avec les bouillonnements inexpliqués du fleuve ».
« On a fait diversion ».
« Ce n'est pas un reproche Strass » intervient Dmitri sans que nous nous soyons rendus compte de sa présence dans la salle. « Les gens ont moins peur, en soit ce n'est pas une mauvaise chose. Les divers événements sont liés à la Cascade. Le problème est que cela signifiera quelque chose dans la durée et ce quelque chose a un lien avec Lijuan ».
« Merci de plomber l'ambiance » intervient Venin en remettant ses lunettes.
Dmitri commence à rire face à la remarque de l'autre vampire. Deux vampires et deux anges dans la même pièce.
« À quoi doit-on s'attendre ? À un tremblement de terre ? ».
« Le fleuve vient de bouillonner. Appelle ça comme tu veux mais un truc se cache forcément sous ce phénomène. Reste à en savoir plus bien sûr ».
« Les images circulent sur la toile je suppose ? ».
« Tu supposes bien. Nos deux anges ont pris le dessus sur ce fait d'actualité ».
« Surtout que Campanule me doit une revanche » répond Aodhan.
« Tu plaisantes ? » ajoute Dmitri. « Quand ? ».
« Au prochaine orage ».
À l'évocation de la réponse de Strass, Dmitri semble voir rouge. Il est très vigilant à mon sujet. Pourtant, il m'a autorisé à entreprendre des vols sur des distances moyennes. Je me rends compte que cela l'inquiète. J'ai pris le temps nécessaire pour parcourir la distance entre New-York et chez ma mère. En vérité, j'ai croisé Naasir sur la route et on a discuté. Je vais devoir m'habituer aux inquiétudes de mon entourage proche. Mon état est stable. J'ai fait tous les examens médicaux demandés sans poser de questions. J'ai l'impression d'être un enfant qui se fait engueuler par son père. Dmitri a toujours été bienveillant avec moi. Il a toujours eu un comportement paternel avec moi, Naasir et parfois Aodhan. Ils nous a connu dès l'enfance. Je conçois qu'il ait des inquiétudes. Moi aussi j'en ai. Ma mère en a aussi bien sûr et je rassure tout le monde sur le fait que je suis vivant et ok. Dmitri me regarde avec un air désespéré. Il remet la main dans ses cheveux avant de reprendre la parole.
« Si tu subies une brûlure, crois-moi c'est moi qui vais arracher les plumes. Tu as tout juste le droit de voler sur des moyennes distances ».
« Faudrait que tu me rattrapes ».
Mon ton est pas vraiment dans l'insolence mais un peu dans la provocation alors que ce n'est vraiment pas approprié. Je me le permets à cause de mon statut de Sept. Sauf qu'à côté du vampire le plus influant du monde, c'est une situation délicate. Si je ne veux pas me prendre un couteau dans les ailes, j'ai intérêt à déguerpir d'ici. Une chance de Dmitri me connaisse bien et ne prenne pas mal ma réponse.
« Campanule sait ce qu'il fait » ajoute Venin.
« Les conséquences peuvent être dramatiques » ajoute t-il en me donnant un regard noir.
Ses mots sont mesurés mais je sais qu'il n'en pense pas moins. Il n'ose pas me parler via le lien mental qui nous unit tous les Sept. Il est énervé. Ce n'est pas le but, je ne veux pas qu'il m'en veuille. Je ne veux pas devenir plus vigilant. Surveiller mes moindres faits et gestes n'est pas une bonne idée. Il se comporte comme une figure paternelle et je ne peux absolument pas le blâmer. Au contraire, c'est gratifiant. Il se soucie de moi. Il est vrai que ces dernières semaines n'ont pas été faciles mais je ne peux pas nier aussi que je ne vais pas m'arrêter de vivre pour autant. Si une épée de Damocles se trouve au-dessus de ma tête, je veux profiter du temps restant. Ne pas m'oublier. Les choses vont probablement prendre une autre ampleur à la prochaine Cascade, si elle se produit dans un mois, six mois, dans un siècle, dans deux siècles, trois ou un millénaire, je ne serais pas tranquille. Jamais. Penser constamment au lendemain en me demandant quel effet secondaire va se propager dans mon corps n'est pas sain. Dmitri le comprend. Je le sais mais il ne peut s'empêcher de s'inquiéter. Cette Cascade m'a fait prendre conscience de la fragilité de la vie.
Entre Dmitri et moi, le silence devient pesant et Venin le ressent en premier. Il me regarde comme pour s'excuser à la place du vampire âgé de mille ans à ses côtés. Il ne doit pas le faire car je ne prends pas mal la réaction de ce dernier. Il a raison. Si nos situations étaient échangées, comment je réagirais ? Dans de telles circonstances, l'inquiétude, les doutes, la peur, l'angoisse, la colère me rongeraient sans hésiter. On ne connait pas toutes les conséquences des effets secondaires qui peuvent causer de nombreux dommages. Un autre ange qui n'a pas le lien que j'ai avec Raphaël n'aurait pas tenu. Et je mesure ma chance de l'avoir eu, comme tous les Sept. Ce n'est pas une simple mesure de protection mais bel et bien un moyen d'avoir la certitude de la loyauté d'un ange. Plus qu'une formalité, une confiance réelle mutuelle basée aussi sur la loyauté. Et les autres Sept pensent sûrement la même chose. Donc je ne m'inquiète pas de l'attitude de Dmitri à mon égard.
Être Archange dans les siècles à venir ou au prochain millénaire n'a jamais figuré dans ma liste d'objectifs à atteindre, loin de là.
Je ne suis pas à ce stade de réflexion.
Au moment venu, j'y penserais. Mais ça m'effraie.
