Playlist (suite)

« Don't blame me » Taylor Swift

« Satisfaction » Zayn Malik

Chapitre numéro dix

partie deux

Point de vue d'Illium

J'ai terminé de m'entrainer avec Galen. Il m'a demandé de travailler des points de stratégie avec un escadron d'anges du Refuge juste après. La séance n'a pas été de tout repos mais c'était intéressant de voir comment mon corps se réadaptait aux efforts physiques. Chacun a rapidement compris l'objectif de cette séance de travail qui je présume ne sera pas la seule, je n'ai pas consulté les autres noms sur le planning. On se relaye pour faire cours aux anges du Refuge et nos méthodes de travail ne sont pas les mêmes, parfois on travaille à deux ou alors on se concerte pour compléter la séance de l'autre. Pendant la séance, Galen est resté silencieux avec moi. Il ne m'a rien dit du tout. Je n'ai pas spécialement envie de parler du sujet non plus. Galen se montre patient. Parfois, je me demande s'il parle avec Aodhan. Après tout, ils s'inquiètent. Je ne peux blâmer personne pour ça. Je suis le premier à être inquiet pour les autres. La séance se déroule bien, je suis assis dans les gradins et analyse l'attitude des anges, certains sont très doués au combat, d'autres sont plus à l'aise dans la stratégie de défense. Galen a voulu travailler sur les armes blanches, les couteaux plus exactement afin de préparer les anges à combattre autant sur la terre ferme avec une arme facile à dissimuler et à utiliser le plus vite possible en cas de besoin. Il a fait une première démonstration et comme toujours, tous les yeux étaient rivés sur lui. Il a été le centre de l'attention, ce qui ne m'a pas empêché d'exclamer un rire discret. Il l'a quand même relevé et m'a lancé un sourire en coin. Il est vrai que cet ange aux ailes grises et noires est très stricte, froid au premier abord. Il a une aura. Elena a eu dû mal au début car il n'a pas d'encouragements directs envers quelqu'un. Il dit ce qu'il pense avec un minium d'interactions. Galen est difficile a cerner mais une fois que ses beaux yeux verts se posent sur vous pour vous confier sa loyauté, c'est indéfectible.

Après l'entrainement, je passe devant la porte du bureau de Dmitri. Celle-ci est à moitié ouverte et je n'entends pas de bruit de papier, d'écriture, de paroles, juste le vent qui s'engouffre dans le bureau, la fenêtre est ouverte. En effet, le vampire à la discipline de fer se trouve sur le balcon sans rambarde de son bureau. Il doit faire une pause en contemplant les grattes ciels de New-York. C'est surprenant parce que la chute risque de lui être fatal. J'ai l'impression que c'est une sorte de défi. La hauteur n'est pas un obstacle à son immortalité. J'hésite à entrer dans la pièce, lui faire une remarque sarcastique en m'appuyant contre l'encadré de la baie vitrée qui mène au balcon. Cela fait en principe partie de mes habitudes. Je garde mes ailes collées à mon dos pour n'éveiller à personne ma présence dans les couloirs, comme pour me cache à cause de la culpabilité. Faire demi tour une nouvelle fois devant la porte de son bureau ne fera pas avancer les choses. Il va bien falloir que j'aille lui parler. De toute façon, je ne peux pas rester indéfiniment en retrait.

« Je savais que tu étais là » dit-il quand j'arrive près du balcon où je m'appuie contre la baie vitrée, la vue de la ville derrière mes ailes.

Pourtant, partir n'est pas l'envie qui me manque. Seulement, devoir affronter son regard ne m'enchante pas. Je ne veux pas qu'il crie. Chose qu'il ne fait jamais avec moi mais cette fois-ci j'appréhende. Raphaël a dû évoquer notre discussion dans les grandes lignes. Si on peut la nommer ainsi, je n'ai fait que pleurer. Je me suis sentie comme un enfant. Sans arme. Sans possibilité de mentir, ce que je fais très mal mais je me suis sentie vulnérable. Raphaël n'a pas cherché à en savoir plus. Il m'a quand même pris dans ses bras d'une manière protectrice que je ne lui connaissais pas avant Elena. C'est ce qui a changé chez lui. Peut-être aussi, je l'admire pour cette raison. Une personne qui intervient dans votre vie va changer le cours des choses même de façon infime. C'est le cas de tous les Sept. Tous ont trouvé la bonne personne avec laquelle passer des siècles de vie. À un moment de ma vie, j'ai cru l'avoir trouvée mais ce fut un échec. Même après des siècles, ce souvenir est encore amer. Je vois bien dans le regard des autres, une once de compassion à mon sujet mais je la refuse. Si je dois donner mon cœur à une autre personne, je veux le faire dans de bonne conditions et que ce soit réciproque. Mais ce n'est pas le sujet du jour.

La nuit commence à tomber. Les building voisins sont illuminés. Le spectacle vaut la peine d'être vu et Dmitri est au première loge.

Le monde continue de tourner et j'ai pourtant l'impression que le mien est mis sur pause.

Son regard jusqu'à présent concentré sur les immeubles aux alentours, il tourne la tête vers moi. Je devine au ton de sa voix que ça lui coûte d'avoir cette discussion avec moi dans le sens où tout est encore récent dans ma mémoire. Les événements ont chamboulé ma vie et je présume que masquer ce qui ne va pas ne m'aidera pas. Depuis deux mois, ma vie a pris un nouveau tournant, ce qui ne me rassure pas, je vais devoir apprendre à l'accepter, à me faire à une autre idée du destin. Je ne suis pas un Archange, cela ne me concerne pas. Mais, la Cascade en a décidé autrement. Elle a décidé de m'octroyer des aptitudes, du pouvoir en plus et je ne comprends pas pour quelle raison. La Cascade le décide, je vais devoir apprendre à accepter quelque chose qui me dépasse et qui nous dépasse tous dans ce monde. Difficile à faire.

« Le bruit de tes ailes » précise t-il.

« Moi qui croyais me faire discret ».

Loupé pour la discrétion aujourd'hui. La journée a été longue et je ne suis pas capable d'intégrer une nouvelle allusion ce soir à ma condition. Mes ailes ne sont pas discrètes, pas comme notre maître espion qui lui ne fait aucun bruit, je lui demanderais des conseils à l'occasion pour passer inaperçu.

Dmitri quitte la plateforme à la vue imprenable et se dirige vers son bureau sans fermer la baie virée. Il reste devant moi, à me regarder de ses yeux sombres.

« La puissance qui grandit en toi ne fera que grandir ».

Moi qui allais faire une remarque sarcastique, il m'a coupé dans mon élan. Alors je reste silencieux, toujours dans la même position, les bras le long de mon corps. J'ai l'impression de revivre le même scénario qu'avec l'Archange. Un enfant qui se fait gronder pour une bêtise qu'il n'a pas commise. Je suis dans une période où mon humeur varie telle des montagnes russes. Écrire dans mes carnets devient ma thérapie depuis deux mois et plus je les remplis, plus mes pensées s'entrechoquent dans ma tête, elles s'organisent comme elles peuvent et j'analyse la situation dans les moindres détails. C'est une sensation horrible que je ne souhaite à personne. Le ton de Dmitri est sérieux. Il nie me faire une leçon de morale mais on dirait qu'il va m'engueuler. Il n'y a rien de plus à dire, il a raison car la situation me dépasse. En voyant mon visage sans expression particulière où dans ce cas précis je me retiens de pleurer pour ne pas laisser mon mal-être paraitre ce soir. Surtout dans la période lunatique dans laquelle je suis et qui ne me plait pas du tout depuis deux mois. L'envie de quitter ce bureau m'attire de plus en plus. Partir pour quoi faire au fond ? Fuir une réalité ? Fuir quelque chose qui me colle à la peau ? Fuir la bienveillance que l'on m'accorde ?

« Crois-tu que je ne suis pas au courant ? » reprend t-il.

« Je… Je ne veux décevoir personne Dmitri, la peur me ronge » finis-je par lâcher.

Le prononcer me fait mal au cœur. À tel point que les larmes me montent aux yeux et dévalent mes joues. Je ne les contrôle pas. Elles me font mal, brûlent ma gorge et me rendent vulnérable aux yeux d'un vampire millénaire qui me connait très bien. Sauf cette vulnérabilité à fleur de peau. Oui j'ai peur. Peur de l'avenir qui m'attend parce que tous mes plans sur la comète sont balayés comme un château de cartes, comme un courant d'air puissant qui fait voler tous les papiers d'un bureau dans l'air. Mes émotions sont en montagne russes. Deux mois après ma chute, je suis encore un ange en détresse. J'ai beau avoir de la résilience, là elle ne m'aide pas du tout j'ai l'impression qu'elle a été éjectée. J'en ai besoin de cette résilience car je ne maîtrise plus grand chose ces derniers temps. Pourtant, je suis soutenu. Et ce soutient est indispensable à ma reconstruction personnelle. Je m'essuie les yeux de mes larmes à l'aide de ma manche. Elles déballent le long de mes joues sans que je ne puisse contrôler l'intensité de ce qui me submerge. Parfois, j'ai envie de respirer. Voilà pourquoi depuis deux mois, je vide la réserve de médicaments prescrits par Keir pour que mes émotions me foutent la paix, que je puisse me reconstruire dans de bonnes conditions. C'est vraiment difficile à ce stade, j'espère que ça ira mieux le mois prochain, sans grande conviction mais soit c'est le cas soit je me perds dans quelque chose qui me dépasse. Sans que je ne comprenne pour quelle raison. Je veux rebondir.

Les yeux sombres de Dmitri ne me dévisagent pas, il n'ont pas de lueur de jugement mais de la compassion. Ressasser les faits déjà existants n'est pas nécessaire. Je ne suis qu'un peu trop conscient des faits. La Cascade m'a touché en plein dans le mille. Résultat, il m'arrive de briller tel une luciole dans le noir pendant une ou deux minutes. Ensuite, j'ai ma vitesse de vol qui a augmenté, une vraie balle aérodynamique et le changement physiologique s'opère doucement. Quand j'en saurais davantage sur eux, j'en informerai les autres. Et quand j'ai senti la forte montée de fièvre m'envahir d'un coup le lendemain de la fête pour la deuxième fois, je n'ai absolument pas réalisé que je faisais une cris d'angoisse. La chaleur interne, l'évanouissement qui a suivi avant de réouvrir les yeux quelques secondes plus tard. Le reconnaitre m'arrache la bouche et me soulève le cœur car ça me fait peur. Après cinq siècles d'existence, il a fallut que je sois confronté à ça. Je ne réalise pas. Alors non, me faire encore la liste des événements n'est pas nécéssaire, autant pour moi que pour les autres qui ont été témoin de ça. Rare sont les fois où j'éprouve un sentiment de colère mais l'exprimer à voix haute n'est pas une bonne idée. Il le remarque. Je sers très fort les poings. Évidemment, je mens très mal et les émotions se lisent facilement sur mon visage. Mais le regard de Dmitri se baisse légèrement et je devine sa gêne. Il ne doit pas l'être. Je ne veux pas lui répondre méchamment, pas rester non plus sur un malentendu involontaire qui peut changer les rapports loyaux que nous avons et encore moins le décevoir. Je m'en veux déjà.

Son odeur me parvient au nez et sans m'en rendre compte, les bras de Dmitri m'entourent. L'odeur de champagne, je hais cette boisson. Le second de l'Archange m'enveloppe comme un enfant, comme un père prend son fils ou sa fille contre lui pour le calmer d'un chagrin. Il ne laisse pas cette partie de lui transparaître souvent. La manière dont il me prend spontanément dans ses bras me touche. Alors je mets mes bras autour de lui, pour le remercier de son initiative et surtout d'être présent. Derrière sa carapace en béton armée, se cache un cœur d'artichaut. Dmitri se soucie des autres. Et je me mets à penser qu'il me connait depuis l'enfance. Comme je fais partie de la garde rapprochée d'un Archange, lui est son second alors c'est comme un second père spirituel. Il s'inquiète. Beaucoup de vampires aussi puissants et influents que lui ne montrent pas ses sentiments.

« Tu ne déçois personne Illium, ne pense pas le contraire » dit-il doucement.

Quand une réalité nous dépasse, on n'est plus capable de la voir sous un autre angle que celui qui nous fait face. Et celui qui me fait face ne me plait pas. Je dois arrêter de me faire du mal. À chaque fois que je pleure devant Raphaël, Dmitri ce soir; mes émotions sont en vracs et tout me ramène à la nuit où… Evidemment, ça me colle à la peau. Je crois avoir besoin de nouveaux médicaments. En rentrant à la maison, je vais vider la boîte qui attend sur ma table de nuit. Dormir. Ne plus penser à la réalité qui m'attend. Au moins avec eux dans le ventre, je plongerais dans les bras de Morphée pour quelques heures avant de recommencer une journée dans la mélancolie qui me colle à la peau depuis deux mois. Et je dois l'accepter, le tolérer est plus adéquat.

« C'est la vérité, je ne sais pas si je mérite » dis-je en essuyant mon visage.

« Campanule, tu ne fais pas partie des Sept pour rien ».

C'est rare que je pleure devant quelqu'un. Je pense qu'une partie de ma charge mentale se décharge à travers mes larmes à chaque fois devant Raphaël et ce soir devant un Dmitri qui ne sait pas comment trouver les mots assez rassurants pour ne pas me voir tomber comme un château de cartes. C'est quelque chose que je ne maîtrise pas du tout. De toute manière, je suis sûr d'être pris en charge si la Cascade se reproduit grâce au lien de sang avec Raphaël. Sans son intervention, mes cinq siècles de vie n'auraient plus de valeur. Faire partie de sa garde est une opportunité unique. Je le sais. Tout le monde le sait. Mais la Cascade évolue tous les jours et elle est si imprévisible que je vis la peur au ventre, c'est elle qui dirige ma vie et non moi. C'est bien le problème et c'est toute la complexité de cette Cascade à la con. On ne connait pas encore les effets secondaires la prochaine fois et si j'ai été touché une première fois, la seconde sera peut-être moins violente et je le souhaite vraiment. Je ne veux pas revivre un nouvel épisode de fièvre intense.

Mon regard se pose que la pile de papiers sur le bureau du vampire. Je devine l'écriture de quelques uns des Archanges de notre monde. Certains trouvent judicieux de me proposer une meilleure place, c'est Venin qui m'a soufflé l'information. Comme si c'était drôle ou intelligent de le faire quand la Cascade décide de me jeter des foudres, pour me récupérer. Nombreux ont pensé pouvoir user de stratagèmes pour que je quitte cette ville, que je mette fin aux cinq siècles d'allégeances à Raphaël. Balayer quatre siècles d'un revers de la main pour autre chose. Non, je le refuse. Je ne suis pas envieux de quoique ce soit, pas après tout ce qui m'est tombé dessus. Tout ce que je veux c'est rester là où je suis et je ne suis pas prêts à partir. Pas à quitter les Sept. C'est inconcevable pour moi. Je ne peux pas imaginer ma vie sans eux. Ils sont ma famille. Et on ne quitte pas sa famille du jour au lendemain pour d'autres ambitions politiques, je ne peux pas accepter cette idée là. Ces lettres écrites à la main d'autres Archanges, d'autres gardes du monde affirment que je mérite mieux. Qu'à partir de mon âge, on envisage autre chose. Si ma puissance augmente, il est évident que je prendrai des décisions qui me seront propres. Là ce sera différent. Mais ce jour m'effraie. Je ne veux pas devenir une autre personne.

Je connais Raphaël et Dmitri depuis l'enfance. Quitter les Sept serait à mes yeux une trahison. J'ai vécu quatre siècles à leur côtés, j'ai fait un serment de sang avec Raphaël. Tout ça pour partir sous prétexte d'une opportunité plus alléchante chez un autre Archange ? Si ces Archanges estiment que c'est du gâchis, hé bien je ne peux plus rien pour eux. Je dois beaucoup trop à Raphaël pour partir. Il a pris soin de moi pendant quatre siècles. Quand j'ai merdé il a été là, quand j'ai eu besoin d'une écoute il a été là, quand j'ai failli exploser tel un feu d'artifice dans le ciel nocturne, il a été là. Il m'a littéralement sauvé la vie ce soir-là. Je le suis reconnaissant à vie. Quitter ce monde serait une trahison. Je ne pourrais pas me le pardonner, c'est pour dire. Et je hais me justifier. Je ne vais pas répondre à ces lettres et je vais demander à ce que personne ne le fasse. Mon cœur est ici. Mon âme est ici aussi. Je n'ai pas besoin d'être second auprès d'un autre Archange.

« Tu n'es pas n'importe quel ange » ajoute t-il.

« Difficile de trouver un ange aussi beau oui je te l'accorde ».

L'humour de Campanule revient.

Dmitri me regarde en pouffant. Mon ton prend une autre tournure. Je suis de meilleure humeur, sans doute pour cacher le désespoir qui m'habite.

« Je pense que les propositions des autres Archanges ne sont pas un hasard. Le fait que tu te sois élevé aussi jeune est significatif. Le plus jeune ange à l'avoir fait était âgé de deux siècles de plus que toi. Deux siècles passent très vite dans nos vies soit disant éternelles et ta place ici nous est indispensable » dit-il en s'asseyant sur son bureau.

« J'en suis conscients. Mais que puis-je apporter de plus à ces anges ? ».

« Tu as une puissance supérieure pour un ange de ton âge et c'est quelque chose de mystérieux. Le mystère attire toujours. La puissance attire toujours aussi ».

Je ne vois pas en quoi mon élévation précoce va apporter quelque chose d'intéressant pour d'autres anges du monde. Mais c'est ainsi que les choses sont faites. Je refuse de devenir un enjeux politique. À ce que je sache, ma mère ne m'a pas élevé depuis cinq siècles pour que je serve un autre Archange que Raphaël. Si je pars, les Sept risquent d'être déstabilisé. Idem si Jason part. Ce serait une grande perte parce que c'est le meilleur espion qui existe. Galen est un tacticien incroyable qui a servit pendant deux siècles et demi aux côtés de Titus. Lui aussi est un ange dont on peut s'arracher les mérites. Aucun de nous trois ne souhaitent partir. Moi encore moins. Pouvoir le dire à voix haute à Dmitri est important pour moi. Je veux qu'il le sache.

« Je ne suis pas prêts à quitter les Sept ».

Cela veut dire renoncer à tous les moments incroyables vécus ici. Renoncer à une famille et il en est hors de question. La place de Sept se mérite. On ne peut pas changer de position, nous ne sommes pas dans un jeu d'échec. Nous sommes dans le monde réel. Un monde divisé en divers territoires par des Archanges âgés de plusieurs millénaires. Tous sont obligés de coopérer ensemble afin que le monde se porte bien. Quelle responsabilité. Honnêtement, si c'est pour discuter autour d'une table avec Michaela en face de moi, autant arrêter mon ascension d'Archange tout de suite. Elle a beau être la plus belle femme au monde, c'est une vipère ailée. Elle n'a aucune âme. Pas étonnant qu'elle et Uram aient été amants. Au fond, ils étaient sur la même longueur d'onde. Cela me fait peur. La regarder pendant des heures m'horripile déjà. Et comment un « Papillon » comme me surnomme Galen peut prétendre à défendre ses opinions, ses idées politiques devant des anges pouvant être mes parents voire une lignée bien plus lointaine au vu des âges respectifs. C'est une façon de voir les choses. Mon cœur se contracte tout seul en y pensant. Et je ne veux pas intervenir dans ce milieu là.

« Je ne veux pas changer » lâchais-je ensuite.

Dmitri a beau me rassurer du mieux possible, me dire que non je ne vais pas changer d'un coup comme un tour de magie est une réalité qui se dessine. Je le refuse. Être un ange dans la garde rapprochée de Raphaël fait partie de mon identité. Ma bonne humeur, mon caractère jovial est ma personnalité font mon caractère, je suis en train de perdre tout ça. Toutes ces choses me complètent et font l'ange aux ailes bleues âgé de cinq siècles que je suis. Et puis, c'est un changement dont je n'ai aucun pouvoir, il se fait tout seul.

Dmitri descend de son bureau sur lequel il s'est assit plus tôt. Il s'avance vers moi, place une main sur mon épaule.

« De toute façon, on tient trop à toi pour te laisser t'envoler de tes propres ailes ».

« Jolie métaphore » souriais-je.

« Je m'améliore en communication. Notre Papillon ne serait pas se débrouiller tout seul dans un monde de brute, entouré d'Archanges prêt à tout ».

C'est le surnom qu'un ange aux ailes grises et noires m'a donné. Il se trouve qu'il a trouvé judicieux de m'appeler comme ça parce que je lui rappelle un papillon. Je n'ai rien dit. Voler plus vite que les autres est un avantage. Personne ne peut me rattraper. Parfois, je m'en vante un peu. Je fais un effort pour ne pas relever le pique qu'il m'envoie.

« Merci de ta confiance ô Sombre Suzerain ».

« Ta bonne humeur contagieuse est ta signature cher Campanule ».

Trop de compliments en une seule fois, je commence à me poser des questions. D'habitude, ce n'est pas le cas mais je ne veux pas paraitre arrogant. C'est rare qu'il soit si calme, il aurait dû se montrer plus ferme en ma présence. Me dire que rien n'est encore joué et que j'ai merdé en allant dehors un soir d'orage. Il ne m'a rien dit. Si j'aborde le sujet, il va me dire ô combien c'était inconscient. Je reconnais n'avoir pas fait attention et j'en assume les conséquences.

Son regard se pose sur mon bras. Je dois le garder quelques jours supplémentaires.

« C'est une façon polie de me dire d'aller me coucher ? ».

« Intelligent en plus » dit-il d'un sourire en coin.

« Est-ce que je te manquerai si je partais de la garde ? ».

Dmitri tourne la tête vers son bureau, plus précisément sur la pile de papiers. D'ailleurs, ils les jettent tous à la poubelle. Je suis surpris de son geste mais je ne peux m'empêcher d'afficher un sourire sur le visage. Ce geste parait facile mais venant de sa part, il n'est pas obligé de tout jeter, il pourrait me les envoyer directement dans ma boite aux lettres mais il a évité de le faire. M'en parler est une bonne chose. Je me rends compte non seulement du nombre de contrats proposés à mon égard et je refuse de servir un autre Archange que Raphaël.

« Plus que tu ne l'imagines ».

Je me dis qu'à cet instant précis, je suis heureux d'avoir franchi la porte de ce bureau et non faire demi tour parce que la peur de ses représailles aurait pris le dessus. Il a pensé que j'ai suffisamment de soucis à me faire avec moi-même et les effets secondaires de cette Cascade qui hante l'esprit de tout le monde. Si les vampires y sont immunisés, il ne peut s'empêcher de s'inquiéter pour les anges qui composent son entourage. Une garde composée de vampires et d'anges forment des liens d'amitié uniques. Les deux espèces sont différentes mais cela n'empêche pas une bonne entente sauf qu'au fil des siècles. Difficile de ne pas se souvenir de la première fois que nos regards se sont croisés officiellement en tant que Sept. Tous ont éprouvé de la fierté à faire partie de la garde d'un Archange, tous ne se connaissaient pas. Les liens ont mis du temps à se créer. Nous avons passé une semaine ensemble pour tisser des liens plus ou moins solides qui le sont sans le moindre doute des siècles plus tard. C'est une fierté partagée. Si Dmitri me connait depuis l'enfance, travailler avec lui est une autre expérience et se retrouver dans la même garde est étonnant. Il a une personnalité unique. Sans lui, je pense que ce monde serait un peu ennuyeux.

Je quitte son bureau sans rien dire, un sourire se dessine sur mon visage. Je ne garantis pas que les prochaines semaines seront simples mais avec un entourage pareil, je sais que l'avenir sera plus doux.

En atterrissant devant la porte d'entrée de ma maison, je me sens enfin chez moi. Le vent s'est levé entre temps. Un papier vient se coller à mon visage, ce qui me bouche la vue. Soit il s'agit d'un prospectus qu'on a laissé tomber, un papier qui a atterrit devant chez moi à cause du vent soit d'une technique de dissuasion. Pourtant rien ne m'a interpelé sur le chemin du retour depuis la Tour. Quand je regarde de plus près le papier, c'est un dessin. De moi. Quelqu'un a dû y passer du temps sachant que ce n'est pas facile de dessiner un modèle et encore moins quand c'est un ange. Les détails sont saisissants, on dirait une photo. C'est bien la première fois que l'on me dessine. Quoique non, Aodhan l'a déjà fait suite à un pari et il m'a offert le dessin. Il est encadré dans le couloir qui mène au premier étage de ma maison. Déjà que la précision m'a interpelé à l'époque, je dois dire que le dessin que je regarde est très réaliste. Le travail est très bon mais je ne vois personne capable de réaliser cette photographie tellement les traits sont fins. Demain, je vais demander à mon meilleur ami angélique parce que je ne connais que lui qui a un talent de dessinateur. J'ai beau avoir suivi des cours auprès de ma mère, dessiner aussi bien est impossible pour moi. C'est mon meilleur ami l'artiste. Il a essayé de m'expliquer en plus des cours de ma mère mais je n'ai pas leur talent.

Je rentre chez moi en me posant une nouvelle question en tête: qui m'a dessiné ?

Je lève la tête pour regarder autour de moi et personne a l'horizon.

Curieux.

En réfléchissant encore une seconde, je n'ai pas la moindre idée de qui est à l'origine de ce dessin. Et je ne remarque pas de signature sur le dessin. D'habitude les artistes signent leur œuvres, sauf s'ils veulent l'anonymat. En tout cas, les traits sont fins. Quelqu'un m'a regardé longuement pour dessiner en plein vol et je crois reconnaitre cette scène, c'était l'autre nuit pendant le match de base ball dans les airs. Quelqu'un a soit une vue directe sur la Tour soit un bon appareil photo et un zoom de qualité.

Je rentre chez moi en ayant pour objectif de connaitre la personne derrière ce dessin. Je doute que je doive consulter les images des caméras de surveillances, de plus l'alarme ne s'est même pas déclenchée. Personne n'est officiellement entré chez moi, techniquement je doute que le vent sache envoyer des messages. L'intention est sympa, le dessin est beau et je ne sais pas quoi penser dont la manière dont il a atterri chez moi. En attendant de trouver une réponse, je vaque à mes occupations quotidiennes. Une bonne douche chaude plus tard, des vêtements confortables enfilés plus tard, je me prépare une assiette de pâtes au pesto vert dans ma cuisine, suivie d'un monticule de parmesan. L'idée de faire face à mes problèmes ne m'intéresse pas ce soir. Je veux me sortir de cette sphère qui me tord l'estomac. Que la Cascade se tienne loin de moi et je me porterais mieux. Je ne sais même pas s'il y a une sorte de conclusion à tirer de tout ça.

Le destin me met une nouvelle épreuve sous le nez. Et celle-ci est de taille. Si je me laisse submerger, j'avale tous les médicaments prescris, je falsifie les ordonnances et… Ce que je veux éviter, mes émotions sont en montagnes russes, c'est ce que je dois surmonter. Ce sera difficile, ça demandera du temps et j'aimerai vraiment y arriver, même s'il y aura des rechutes, elles font parties de la guérison. J'ai parlé à Nisia de ça et j'attends sa réponse. Plus qu'un suivi psychologique, il faut que je me réapproprie mon corps, ma santé mentale sinon c'est simple, je me plonge dans un monde qui me verra faible et démuni. Pas question.

Une nouvelle notification de mon téléphone me sort de ma rêverie, une application de rencontre, va falloir que je l'efface. L'idée d'utiliser ces outils comme d'un pansement de temps en temps a été mon hobby pendant longtemps après ma perte sentimentale mais comme j'estime avoir besoin de pansement en ce moment, je nie le fait d'être raisonnable. À quoi bon partager un moment intime sans sentiments, sans connaitre son prénom et dans le noir complet. Quelle image je renvoie bonjour, je ne suis pas le seul à y avoir goûté soyons honnête. Si je dois donner une partie de mon cœur, je veux que ça soit fait dans les règles de l'art. Le problème est que ça n'est pas prêt d'arriver. Mon cœur est perdu et mon esprit est complètement ailleurs. Autant me noyer moi-même dans la mélancolie d'un amour qui n'existe plus depuis des siècles et qui me reste encore en mémoire de temps en temps. De toute manière je ne suis pas fait pour ça. Les applications, certes la technologie est mon hobby mais pas ça, consommer me rend insensible. Je regarde l'écran qui s'illumine, consulte la page en question, éteints et retourne mon téléphone sur la table de la cuisine pour ne plus en entendre parler ce soir.