Playlist
« Written in the stars » The Girl and the Dreamcatcher
« Hesitate » Jonas Brothers
« Good years » Zayn Malik
« Better » SYML
Chapitre numéro quatorze
Point de vue d'Illium
M'installer sur le toit, seul, dans le silence de la nuit est un moment presque agréable.
Le vent frais me caresse le visage, m'effleure les cheveux et le bruit de la circulation est la seule source de bruit avec moi. Autant être à l'aise ici, sur ce toit pour méditer.
Une image un peu triste vu de l'extérieur mais en réalité pas tant que ça car ces derniers mois, je ne suis plus le même ange. Mon évolution personnelle joue. La chute fait de moi un ange plus puissant, plus vulnérable. Je n'ose pas dire le mot convoité pour ne pas me faire mal. Dans mon corps, tout change. Je sens l'énergie se déverser, se répandre dans mes veines. Me voir changer, devenir distant et moins joyeux me fiche la trouille. Ce n'est pas quelque chose qui m'a traversé l'esprit quand je suis arrivé dans cette ville. Le destin décide. La Cascade décide. Je me demande quel était son message de vouloir me faire exploser en pleine nuit tel un feu d'artifice vivant ? Un jeu ? Une façon de montrer un avertissement ? Honnêtement, je souhaite éviter ça à tout le monde. Si ça me touche autant c'est parce que ça met mon entourage dans l'embarras dont ma maman. Jamais, je ne veux la faire souffrir plus que son anxiété fait déjà. Rien que d'y penser, les larmes me montent aux yeux. Sans elle, je n'existe plus. C'est plus que ma maman, elle est une partie de moi.
Installé sur ce toit depuis une demi heure déjà, les larmes coulent toutes seules le long de mes joues. J'ai l'impression que l'on me broie. Ma tête est lourde et embrumée. Si je suis autant touché par une situation, c'est bien parce que la Cascade modifie mes humeurs. Je deviens un ange plus puissant et donc je paye des conséquences de ces changements. Les larmes qui coulent sur les joues me les brûlent. Ce sont celles qui vous rendent la gorge sèche, vous noue l'estomac parce qu'elles sont douloureuses. Je réalise que tout ce que j'ai accumulé est en train de sortir de mon corps. Perdre pieds, tomber la tête la première, les plumes engluées et ne pas se relever. Lutter. Encore et encore lutter sans que personne ne puisse m'aider. On n'arrête pas le temps.
Je décide de quitter ce toit pour aller voler dans le ciel nocturne.
Quand j'atterris sur le toit du Refuge, personne ne semble actif. Les bébés sont plongés dans un profond sommeil. Qu'ils rêvent à des choses agréables en oubliant temporairement le chaos qui se propage et qui approche dans notre propre monde.
J'avance dans la pénombre de la veilleuse de nuit à l'accueil, ouvre la porte et je me trouve dans une atmosphère plus calme. Mon rythme cardiaque devient plus calme. Je me sens bien, comme protégé, c'est une bulle. Ils sont tous protégés du monde extérieur qui se révèle complexe et violent. Ici, les anges sont en sécurité. Je marche un peu jusqu'à l'accueil qui n'est éclairé que par une lumière tamisée. Personne dans les couloirs, j'imagine que tout se passe bien. Les bébés anges n'ont pas de soucis à ce faire pour cette nuit.
« Pourquoi tu pleures Illium ? ».
L'ange aux boucles noires ne dort pas encore. Il a surgit de nulle part, comme s'il était au courant qu'un ange de la Tour allait venir ici ce soir. Ses yeux sont fatigués, il se frotte le visage. Ses plumes se fondent dans la pénombre de la pièce. Je suis étonné qu'il ne dorme pas.
« Je ne pleure pas Sam ».
« Tu trembles un peu et ce n'est pas grave de pleurer ».
Je ne suis pas surpris par ce qu'il vient de me dire. Il a l'œil partout et sait comment s'adresser aux gens. On ne peut pas le lui reprocher. Il est spontané et je peux comprendre qu'il ait besoin de savoir. Comme il le dit lui-même « je ne suis plus un bébé ». Il a décidé de jouer les grands garçons sans perdre son innocence de petit ange. Il s'approche de moi et me tend quelque chose.
« On a eu des cookies aujourd'hui, tient. Mange le ».
Je prends le biscuit saveur chocolat d'après l'odeur agréable qu'il dégage. Je ne veux pas le vexer alors je croque un morceau. Ils sont faits maison.
« Qui les a fait ? ».
« Je ne sais pas. On a écouté de la musique classique aujourd'hui. On les a eu à ce moment-là ».
« Je ne savais pas que tu aimais la musique classique ».
« On s'y habitue ».
Sur ces mots, Sam laisse échapper un rire. Son innocence. Je ne suis pas spécialement fan de musique classique en règle générale mais mon meilleur ami oui. Il en écoutait souvent quand on était enfant.
« Tu ne dors pas ? ».
« Non, je t'ai entendu pleurer, j'ai voulu voir ».
« Désolé de t'avoir réveillé ».
« Ce n'est pas grave, je ne suis plus seul maintenant puisque tu es là ».
« Il est temps pour toi d'aller dormir ».
« Tu peux rester encore cinq minutes ? ».
Je m'installe sur un banc vide. Je me demande encore pour quelle raison venir ici m'a traversé l'esprit. Je n'ai rien à faire là. En fait, je me suis dit que jeter un coup d'œil ne peut pas faire de mal, histoire de vérifier si tout va bien. Sam ne veut pas dormir et je ne suis pas là pour le gronder à ce sujet sachant que je ne dors pas non plus. On dit que les adultes doivent montrer l'exemple mais parfois, on n'a pas envie de respecter certaines règles comme le fait de ne pas dormir. Le petit ange à côté de moi doit avoir des difficultés à trouver le sommeil. Je ne cherche pas à discuter davantage avec lui, il doit avoir simplement envie d'un peu de présence.
« D'accord » finis-je par dire. « Ne viens pas te plaindre si tu tombes de sommeil demain matin à l'écol».
« Ne t'inquiète pas pour ça ».
Il prononce cette phrase comme si tout allait bien se passer alors qu'il va se réveiller avec la marque de l'oreiller sur le visage. Je vais ensuite subir les représailles de Jessamy.
« Tu as fait un cauchemar ? ».
« Oui » prononce t-il doucement les larmes aux yeux.
Il a fait un cauchemar, voilà donc l'explication. Je ne peux pas le blâmer pour ça, j'en fais aussi. Les miens ont repris aussi depuis la semaine dernière alors que les médicaments les ont atténué. Je vais devoir faire renouveler l'ordonnance. À vrai dire, je pensais le faire ce soir en espérant croiser l'équipe de nuit pour en discuter. Je sais à quel point cela peut gâcher les nuits et il a besoin de sommeil, ce n'est qu'un enfant qui n'a rien demandé. Il se blotti contre moi. Auparavant, il me taquinait sur ma présence ici alors qu'il dissimulait un cauchemar qui a dû suffisamment l'effrayer pour me demander de rester encore cinq minutes à ses côtés. Je suppose que c'est pour le calmer. Je comprends mieux maintenant. Je frotte doucement son dos afin qu'il sèche ses larmes et pour l'aider à relativiser. Sam n'a pas à cacher ses émotions, avec nous il peut se montrer vulnérable sans aucun problème. Nous sommes là pour l'aider dans n'importe quelle situation. Je n'ai pas prévu de jouer les babysitter ce soir mais si je peux me rendre utile. Il se calme doucement, je lui murmure que ce n'est pas grave, que les cauchemars sont temporaires, qu'une fois calmé le sommeil viendra, que je vais rester jusqu'à ce que ses yeux se ferment. Nous sommes seuls assis sur ce banc, personne à l'horizon dans le couloir et de toute manière je prends la responsabilité auprès de Sam pour ce soir. Il recherche juste un peu de réconfort alors je me dis que passer la porte du refuge ne fut pas une si mauvaise idée que ça, je peux aider un petit ange triste. C'est au bout de quelques minutes que Sam plonge dans un sommeil profond et tant mieux, il a besoin de repos. Le pauvre n'a pas lutté longtemps, il m'a demande de rester un peu et j'ai tenu ma promesse. Je le porte tel une plume et le place au chaud dans son lit. Demain, il sera en forme pour suivre les cours.
Cette fois, je dois partir. Pas d'ordonnance pour ce soir.
« Illium ? ».
« Je suis venu voir si tout va bien » bafouillais-je avant d'ajouter « Sam a fait un cauchemar, il m'a entendu arriver ».
« Sam fait des cauchemars et je ne sais pas comment l'aider » souffle Nisia.
« On en a discuté cinq minutes ».
« Et toi, ça va ? ».
« Je me porte bien. Je voulais discuter de mon ordonnance ».
« Oh, d'accord je te fais ça maintenant si tu veux ».
Adossé à la porte de son bureau, je la regarde signer le document sans me regarder puis elle va à l'arrière et me rend le papier avec une nouvelle boîte ronde. Je vais bien dormir cette nuit.
« La dose te convient ? ».
« Oui c'est bien »
La guérisseuse me tend ma feuille de papier et je sens un soulagement, une boule qui disparait. Ce soir, ces prochains jours seront plus tranquilles. Je m'envole directement après avoir franchi la porte de sortie. Le vent froid sur le visage, le sentiment de liberté, l'euphorie du moment, toutes ces choses sont indescriptibles même si les siècles s'écoulent tels des heures pour nous, la notion du temps est différente pour les humains. Eux profitent du moment présent et ils ont raison. Moi je reste bloqué dans le passé par moment. On l'est tous étant donné que l'on s'y réfère beaucoup.
Le sommeil daigne à frapper à la porte et je me laisse emporter dans une bulle agréable. Au chaud dans mes draps, je me laisse sombrer dans le sommeil et au moins, j'ai ma nouvelle ordonnance.
« Tu veux te réincarner en canard Ellie ? ».
Son regard cerclé d'argent croise le mien et elle regarde à nouveau la mare aux canards. Ils pataugent dans l'eau de la fontaine du parc et recherche des morceaux de pain à se mettre sous le bec, même si ce n'est pas conseillé pour eux. Je l'ai aperçue pendant que je le survolais.
« Ils ont la belle vie. Ils prennent soin de leur canetons. Eux au moins ne sont pas concernés par la Cascade ».
« Ils n'ont pas ce soucis là en effet » dis-je doucement en remettant une mèche de mes cheveux en place à cause du vent.
La Cascade plane sur le monde et il a fallu qu'elle vienne jusqu'à moi et je n'arrive pas à m'y habituer. Puis-je m'y habituer un jour ? Jamais. Je n'en ai pas la moindre idée. Tout ce que je sais, c'est que je ne brille plus autant comme une luciole, mes cauchemars me laissent tranquille la nuit grâce aux médicaments et je ne me coupe plus non plus. J'ai l'impression de retrouver une partie de ma vie. Ma vie n'a pas spécialement pris un autre tournent depuis, si ? Un peu quand même, le nier serait encore une fois me voiler la face, ce qui n'est pas juste, cet événement me reste sur la conscience. En principe, je ne suis pas rancunier sur la vie mais là, c'est différent et je suis le premier attristé dans l'histoire. Le regard d'Ellie semble pris d'une once de culpabilité. Elle sait que je ne vis pas bien cette période. Son amitié est importante mais ce problème me concerne d'abord et le fait de ne pas vouloir inquiéter personne est un échec. En parler est toujours très difficile. Elle goûte à l'immortalité angélique depuis si peu de temps, les années humaines sont comme un clignement de paupière à mes yeux d'anges. Alors je peux imaginer que ce soit compliqué de me voir aussi triste et perdu.
« Désolée, je ne veux pas être maladroite ».
Je ris face à sa réaction spontanément car son visage affiche un air inquiet. Ce n'est pas méchant de sa part. Mon rire peut sembler étrange dans ce type de moment mais c'est ma manière de dédramatiser un peu la situation. Je ne veux pas que cette situation m'échappe des mains. Le fait de rire me fait du bien et je ne veux en aucun cas émaner une once de culpabilité auprès des autres, surtout pas. Si mon entourage s'inquiète on ne s'en sortira jamais. De toute façon, je dois subir les futurs changements liés à cette Cascade qui menace le monde depuis des millénaires. Le problème est que l'Archange de Chine est folle, elle est en Sommeil et le jour où sa période de repos sera terminée, tous vont payer les répercussions. D'ici là, il faut se préparer au pire certes mais à affronter son armée. On ne sait pas quand ça se produira mais des éléments étranges font que le compte à rebours se réduit fortement.
« Je ne vais pas m'éteindre demain Ellie ».
Je m'assois à côté d'elle sur le banc. Ce parc est d'habitude fréquenté et comme il est tôt, il n'y a que nous deux. Je ne prête pas attention aux éventuels humains présents. De toute façon, ils ont déjà vu des anges dans leur vie. Je ne veux pas être dur envers mon entourage mais cette histoire de chute, de pouvoir, de changements physiologiques dans mon corps est personnel, tellement intime qu'en parler me donne des frissons. L'ange joyeux a bien changé. Je ne sais pas pourquoi on dit que les gens qui sourient sont ceux qui cachent le plus de secrets, de mystères. On dit aussi que les gens dits « en retraits » sont ceux qui répondent le plus de positif. Comme si c'était une définition affirmée depuis des lustres. Je ne cache pas de secrets, même si j'en ai. On en a tous. Le fait de sourire n'est pas forcément un signe de protection (dans mon cas non puisque ma personnalité est positive et je ne cherche pas à cacher quelque chose ou à donner une image différente suivant les gens qui m'entourent). Après la chute, je n'ai plus eu envie d'arborer un sourire alors que mon cœur était en miette. Je manquais de devenir un feu d'artifice vivant. Sourire est comme une bouée de survie dans ces cas là. D'un côté, ça donne une illusion aux gens mais ça sauve les meubles. M'apitoyer sur mon sort d'ange, non merci. Le fait de montrer ma personnalité joyeuse est un élément important, limite une question de survie, c'est quelque chose de naturel chez moi alors pourquoi en faire quelque chose d'autre ? Je ne veux pas paraitre différent, la Cascade s'en chargera.
« Un jour, tu deviendras un Arch... ».
« Ce n'est pas prévu » la coupais-je. « Je suis au courant de ce qui me plane au-dessus de la tête et de ce qui plane sur le monde en général. Je...remonte la pente ».
Je me montre flou car j'en ai assez que l'on s'inquiète, que l'on pense que je suis une poupée de chiffon, que je vais faire une croix sur ma vie en attendant gentiment les prochains effets secondaires de la Cascade. Je ne vais pas m'asseoir sur mes lauriers. J'ai cinq siècles. Ellie n'a que quelques années en tant qu'ange Fait. Elle n'a aucune idée de la suite des événements. Personne ne le sait et je ne lui en veux en aucun cas. Notre Archange a déjà dû lui expliquer beaucoup de choses sur sa nouvelle Nature. Rien n'est comparable à la nôtre. J'ai cinq cent ans, de l'expérience et des siècles de recul sur les choses, qui représentent un battement de cils au final. Je n'ai pas besoin de sa compassion. J'aime l'amitié qu'Ellie me porte, j'y tiens mais par pitié, je n'ai pas envie de me sentir victime. Beaucoup de choses me hantent l'esprit. D'autres diront que c'est facile de rejeter une sorte de « faute » sur une prophétie qui menace le monde et des anges qui y sont sensibles. Si des Archanges ont vu une évolution de leur pouvoir, des changements physiques, moi je me suis prise la puissance en pleine face, elle a failli me tuer. Ma colère est justifiée.
En survolant le parc tout à l'heure, j'ai aperçu des vendeurs de journaux. Les gros titres font la une avec les trafics d'instruments qui perdurent. Ces objets sont anciens et des cambriolages se multiplient. Le trafic prend de plus en plus d'importance. C'est le problème, ils valent une véritable fortune pour certains. Résultat, les systèmes de sécurité se multiplient aussi et je crois que Ash et Janvier sont sur l'affaire justement, je n'en ai pas entendu beaucoup d'écho. Si Janvier a besoin d'aide, il sait comment me joindre. La valeur de ces biens est grande. Ce sont des morceaux d'histoire. Ce mot me reste en travers de la gorge. Les mots de Dmitri aussi: « Tu en prends », sous-entendu de la valeur. Ironique encore une fois.
Le visage d'Ellie prend une autre émotion, je devine que je l'ai vexée. Mes mots sont secs et je ne veux pas m'emporter ainsi, je n'ai pas à être aussi dur. Ellie est une amie. La seule ayant un cœur humain parmi nous, sa partie mortelle me fascine un peu. Il est logique je ne me comporte bien avec elle. Au fur et à mesure des siècles, on oublie des choses. Je sais que je suis le seul ange parmi les Sept à avoir une fascination pour les humains, à prendre en considération l'attention que l'on me porte. Avec elle je peux parler sans craindre un jugement. Elle m'a écouté quand j'en ai eu besoin, surtout au sujet de mon chagrin d'amour qui perdure alors que cela date d'il y a quelques siècles, il faut croire que cela me fait encore mal au cœur. Ellie n'a pas pris peur quand je lui ai raconté les circonstances, elle est au courant pour mes plumes perdues à cause de ce secret trahie à l'époque.
« Je suis désolé Ellie ».
Sa main prend la mienne sans que je m'en rende compte.
« Je... Je n'ai pas conscience de ce changement qui te hante l'esprit. Si je pose des questions indiscrètes ce n'est pas une curiosité malsaine, c'est parce que je m'inquiète ».
« Je sais mais je n'ai pas à être sec envers les autres ».
« J'ai entendu pire et ne t'excuse pas, je peux entendre beaucoup de choses. Tu es courageux. Tu vis quelque chose de difficile avec la Cascade. Tu sais quoi ? On l'emmerde cette Cascade ».
« Je suis d'accord » riais-je. « Malheureusement, on ne peut qu'attendre. Je ne suis pas seul dans cette spirale, si on peut l'appeler ainsi. D'autres sont concernés ».
« D'après Raphaël tu menaces de battre son record ».
« Je serai au moins dans un livre des records » riais-je de façon ironique.
« Ce n'est pas drôle » répond t-elle en me donnant un coup de coude.
« La Cascade ne me broiera pas Ellie. Je suis bien entouré ».
Je sais que cela est difficile à entendre mais les dés sont jetés. Personne ne peut contrer les intentions de cette prophétie. Bien sûr que j'ai envie de la mettre au tapis. Seulement c'est plus complexe. En attendant la sortie de son Sommeil, j'ai une vie à vivre. Durant toutes ces années, j'ai évolué. Je ne suis plus le même ange. Rien que depuis la chute, je ne suis déjà plus le même. Je suppose que c'est ce que l'on appelle « remonter à la surface » et je veux y arriver. Aodhan revient de loin, il a besoin de temps. Il a eu besoin de ce temps quand j'ai évolué de mon côté sans lui. C'est à son tour de reprendre le cours de sa vie.
« Illium ».
« Dm... ».
« Je t'attends dans mon bureau ».
C'est sur cette conversation silencieuse avec Dmitri que je dois quitter Ellie au parc. Je décolle d'un coup pour disparaitre en un éclair bleu dans le ciel de la même teinte. Je ne pense à rien d'autre que la sensation en vol que cela me procure. Une définition indéfinissable au fond. J'espère la connaitre encore longtemps.
En atterrissant sur le toit de la Tour, je suis surpris de trouver Izak qui contemple la vue.
La porte du bureau de notre Second préféré est entrouverte, comme la dernière fois et cette fois-ci il est seul.
« Ça ne va pas ? ».
« Si, je préfère te voir seul ».
Les choses sont claires. Autant ne pas rester sur un long silence de sa part ou de la mienne. Les malentendus n'ont pas lieu d'être. Je me demande quel genre d'analyses a pu être effectué, mis à part un relevé d'empreintes. On n'a pas affaire à un tueur en série quand même ? Je doute qu'il y ait des précautions particulières à prendre, on va le traquer s'il le faut et je m'en chargerais personnellement.
« Des empreintes ont été trouvées ? ».
« Il s'agit d'un dessin banal d'un dessinateur doué attention mais rassure toi aucune menace en vue ».
« Tout ça pour ça ? ».
« C'est mon côté théâtral » annonce Dmitri un sourire en coin collé au visage.
Ce vampire millénaire ne changera jamais.
« Je peux respirer maintenant ? ».
« Campanule, je ne suis pas le premier à te le dire mais tu es libre comme l'air et tu sais que chacun d'entre nous est là pour toi. Je ne suis pas doué pour les grands et longs discours alors je ne le dirais qu'une fois ici. Tu es un ange incroyable. Je te connais depuis pas mal de temps et la puissance qui grandit en toi ne fera que s'accroitre. Tu as une âme unique et humaine. Tu as toutes les capacités pour devenir un ange plus puissant que tu ne l'es déjà, ta seule faiblesse est ta part d'humanité. Tu as une sensibilité propre Illium. C'est mon cœur millénaire sec qui s'exprime alors ne va pas raconter aux autres notre conversation ».
« Tu n'as pas « un cœur millénaire sec » » dis-je en le coupant.
Dmitri a fait preuve de plus d'humanité que la plupart des Archanges que je connaisse. Il cache une faille au fond de lui. Nous le savons tous. Seul Raphaël connait l'exacte explication de sa carapace. Le jour où nous le saurons c'est que nous pourrons lui apporter notre confiance de manière complète. Quand on voit Dmitri, on comprend qu'il n'y a que lui pour surveiller cette ville. Il a le charisme nécessaire et même s'il me connait depuis le plus jeune âge je suppose qu'il a peur de mon avenir, tous sont au courant qu'un destin d'Archange se profile à mon sujet. Loin d'idée d'y croire dur comme fer mais c'est un destin effrayant et je ne veux pas me focaliser là-dessus. Je ne suis pas fait pour diriger une garde ou je ne sais qui d'autre. Faire partie du Cadre est encore plus effrayant. J'y rentrerai en tremblant alors qu'il faut se tenir droit, avoir un charisme à couper le souffle, des connaissances politiques. Tous ces points ne me correspondent pas. Je ne suis pas fait pour être dans un monde de pouvoir, là où tout est imprévisible. De toute façon aux yeux des autres membres du Cadre je fais déjà tâche. Cette pensée me fait peur. Personne ne me voit parmi eux, excepté la Cascade qui elle a déjà décidé de mon avenir en tant que futur Archange. Honnêtement, je n'y crois pas. En fait, c'est vraiment effrayant.
« C'est ce que tu penses mais merci quand même. Le fait est que ton destin de futur Archange se dessine à l'horizon mon cher Campanule ».
« Je... Je ne suis pas... ».
« Prêt ? Je le sais. Seulement, c'est en prévision. Tu es bien trop jeune. Pour l'aspect politique, tu n'es pas prêt. Pour le reste oui ».
Je ne sais pas quoi répondre. Cette discussion m'en rappelle une autre. Ironique encore une fois, je ne veux pas présager quelque chose qui ne se réalisera pas, du moins pas maintenant. À présent, j'ai envie de m'envoler jusqu'à chez moi ou alors de proposer une partie de baseball dans les airs à mon meilleur ami. L'idée me ressemble plus. J'espère qu'il est disponible.
« Tu m'apprendras ».
« Ce n'est pas l'envie qui me manque mais le temps, j'ai une ville à surveiller » répond t-il à ma remarque. « Raphaël serait sûrement un meilleur professeur que moi ».
« Tu ne rentres pas chez toi ? ».
Ma question est spontanée. Je m'éloigne du sujet de discussion principal.
« Tu changes de sujet ? Non, j'ai des devoirs à faire ».
Le travail passe toujours avant. Ce sera à chaque fois le cas. Nous le savons tous. Le fait est que je passe pour le fêtard de la bande, celui qui prend la vie comme un cadeau, celui qui ne se préoccupe pas du passé (alors que celui-ci me colle à la peau), celui qui aime s'amuser et sortir. J'ai l'impression d'avoir une étiquette collée sur le front. À quoi bon me préoccuper d'autre chose, je vais terminer dans la même mélancolie aussi. Et ce n'est pas non plus pour me voiler la face, histoire de ne pas me confronter à une réalité improbable pour un ange de mon âge. Beaucoup se seraient réfugiés au creux d'une montagne pour ne plus en bouger. Affronter les choses est difficile pour tout le monde: vampires, humains, anges, Archanges.
Une tête blonde connue de tous, protégée de notre maitre d'armes numéro un fait son apparition dans la pièce. D'habitude, il n'entre pas dans le bureau sans demander la permission. Moi-même je me sens un intrus parfois car c'est l'entre de Dmitri et le lieu est sacré pour lui. Je ne peux pas entrer sans demander la permission non plus même s'il a beau me dire que ce n'est pas nécessaire. Notre ange blond affiche un sourire heureux au visage, comme d'habitude car le jour où vous le voyez déprimer il faut m'appeler à la minute. Il exhibe fièrement le dessin que la petite fille - Inès - a dessiné pour lui. Son sourire se fane directement quand le regard de Dmitri se pose dessus. Il semble reconnaître quelque chose que notre Cupidon ne perçoit pas au premier abord.
Je me trouve donc en train d'entrainer l'ange de la veille qui a réussi à sortir du lit, je ne sais pas comment mais il se tient debout dans la salle d'entrainement. Il ne daigne pas à exécuter les exercices demandés un peu plus tôt.
Son regard croise le mien et je devine qu'une pause est nécessaire. Le pauvre, j'ai l'impression qu'il va tomber dans les pommes d'ici peu.
« Une pause s'avère nécessaire je crois. Mon pauvre Izak, tu vas tomber dans les pommes ».
« Je ne suis pas un bébé ».
« Izak » insistais-je.
Il s'arrête enfin, pose les couteaux sur la première marche du gradin et s'y assoit aussi.
« Qu'ai-je fait hier soir ? » me demande t-il.
« Je t'ai ramené dans ta chambre ».
« Merci Campanule. Je n'ai aucun souvenir. J'ai trouvé ton mot et avalé les médicaments, ça m'a fait du bien » rougit-il.
« J'ai fait ce qui doit être fait en circonstance ».
« Tu as pris soin de moi. Tu ne m'as pas laissé tout seul. Tu m'as ramené ici et je te dois une fière chandelle de l'avoir fait ».
« Izak, pas besoin de me dire merci pour ça, c'est normal. Tu as passé la soirée à boire alors j'ai envie de te demander pourquoi, c'est inhabituel chez toi ».
Cupidon m'explique pendant quelques minutes que son cœur est brisé. Il a rencontré une personne depuis peu de temps et il vient de s'apercevoir que ses espoirs s'envolent. Il a eu espoir d'un quelque chose, que cette histoire puisse durer un peu plus qu'un mois en tout cas et le pauvre en souffre. Il n'a pas encore dévoilé l'identité de la personne en question mais peu importe, il n'a pas à avoir autant d'amertume envers lui-même. Izak est un ange adorable, respectueux et drôle. Il ne mérite en aucun cas d'être manipulé comme un pantin par quelqu'un qui joue avec lui. Il mérite de l'attention. Il mérite que l'on s'intéresse à lui pour ce qu'il est, un ange attentionné et gentil et non pas à son statut d'ange travaillant à la Tour (beaucoup de gens fantasment sur ce point, je ne comprends pas pourquoi mais c'est une autre histoire que je n'ai pas le temps de développer). Je ne peut pas l'aider à changer les choses mais je peux l'aider en l'écoutant et je pense qu'il a besoin d'une oreille attentive. Ça me fait mal de l'entendre me raconter toutes ces choses douloureuses. Évidemment, il est jeune et il va connaitre d'autres histoires, d'autres douleurs.
« Dans ce cas, cette fille ne te mérite absolument pas » dis-je en le regardant. « Tu es un ange issu de la Tour, tu seras dans la futures garde d'Ellie. Tu mérites bien mieux qu'une fille qui ne voit pas qui tu es, qui ne t'estimes pas ».
Un moment de silence s'installe entre nous et je ne veux pas qu'il prenne mal le fait d'en discuter avec moi. Je ne suis vraiment pas le meilleur exemple pour ce sujet-là. Je n'ai pas eu beaucoup de relations (contrairement à ce qu'écrit la presse) et celles que j'ai eu n'ont jamais duré, jusqu'à ce que je la rencontre. Cette humaine qui a tout changé dans ma vie pendant un temps trop court à mon goût. Une belle histoire que je suis incapable d'oublier malgré les siècles passés. En y pensant je me sens un peu pathétique. Je dois faire le chemin du deuil parce que s'en est un. J'ai vraiment vécu cette histoire avec cette humaine jusqu'au bout. En la perdant, j'ai eu un sentiment de vide. Encore aujourd'hui, quand je vois que la plupart d'entre nous est dans une relation stable, réciproque et de longue durée, je ne me l'avoue pas directement mais mon cœur se serre à chaque fois. Je pense à elle forcément. Nos cœurs étaient connectés. Au final, je me mets à penser, si ce fut le cas ? Si je ne me suis pas bercé d'illusions tout seul ? Je sais ce que j'ai ressenti. À mes yeux d'anges, ce fut de l'amour. Alors je ne sais pas si c'est le vrai comme le prône la littérature et les films mais c'était un début, un échantillon. J'ai aimé cet échantillon.
Quand je croise le regard de Cupidon, j'imagine que ses sentiments envers cette personne ont été sincères. Il a au moins connu ça. Ensuite, la douleur de la séparation prend le dessus et je ne veux pas qu'il pense que ça se passe ainsi à chaque fois. Izak est encore jeune pour connaitre la douleur d'une rupture. C'est sans doute mon côté protecteur qui parle, personne ne souhaite voir souffrir notre Cupidon préféré.
« Merci Illium, j'ai eu besoin d'oublier un peu hier soir mais je pense que ça va ».
« J'espère que tu ne dis pas ça pour me faire plaisir ».
Il a le droit d'oublier cette personne à sa manière. Si en parler un peu lui allège un peu le moral alors tant mieux. Nous reprenons les mouvements montrés au début de la séance. L'ange les réussi très bien. Avec l'âge, il deviendra redoutable. Il n'a pas à s'en vouloir car pour une séance que je pensais difficile, il s'en sort bien et sans se plaindre.
Une odeur de champagne entre dans la pièce. Le vampire millénaire approche du terrain sans prononcer un mot. Je me doute que ce n'est pas une simple visite de courtoisie quand je rencontre son regard dur. Je ne sais pas ce dont il veut parler. D'habitude, il envoie un message. Ou alors il débarque dans la salle d'entrainement si besoin, comme aujourd'hui. Alors je pose les couteaux sur la première marche des gradins et pars rejoindre notre Second préféré. Son visage s'attarde une seconde sur celui d'Izak. Je pense que les traces de fatigue de la journée, ajoutées à celles de la veille font que cela se voit vraiment. L'ange continue l'exercice que l'on a commencé avec les couteaux.
« Il est malade ? ».
« Fatigué » répondis-je en le regardant.
Heureusement, il ne me pose pas davantage de questions à son sujet. Je n'ai pas envie d'y répondre; chacun respecte la vie privée des autres ici. Sauf quand cela risque d'affecter la Tour. Mais avant ça, il y a de la marge.
« On a eu des appels inquiétants, trois écoles de musiques ont été cambriolées hier soir ».
« Des traces d'effractions ? ».
« Non, c'est le problème. Les instruments volés sont des violons, des violoncelles et un piano. Tous d'une grande valeur. J'ai contacté Ash pour mener l'enquête sur le terrain ».
« Pourquoi tu sembles inquiets, des cambriolages il y en a tous les jours ».
« Pour quelqu'un qui aime l'Art, je suis surpris de ta réaction » dit-il en croisant les mains derrière son dos.
« Il y a des assurances spéciales pour les vols de ce type ».
« Elles vont payer une fortune » conclue t-il.
« Tu as besoin de mon aide ? ».
« Bientôt. Je voulais t'avertir ».
Je reste silencieux, sans doute attend t-il une réponse de ma part mais je n'en ai aucune à lui donner. Les instruments de musique ne sont pas ma première passion dans la vie. Alors oui, j'aime l'Art, j'y suis sensible (merci maman pour ça) mais je ne sais pas comment prendre la remarque du Second de notre Archange. Elle semblait s'adresser à moi. Une penser une seconde pour mon meilleur ami qui chérit absolument tout ce qui concerne l'Art et je suppose qu'un violon en fait partie. Je souffle et reporte mon regard sur l'ange blond que j'entraine depuis plusieurs heures. Le pauvre est fatigué, il est temps de clore cet entrainement.
« Izak, on a terminé pour aujourd'hui. Tu peux partir te reposer dans ta chambre ».
« Tu es sûr qu'il n'est « que » fatigué ? » dit-il en penchant la tête.
La voix du Sombre Suzerain me ramène à la réalité. Non Izak a eu une peine de cœur et il est triste. De plus, il a voulu faire passer son chagrin dans un bar hier soir. Je me doute que le dire à Dmitri ne suffise à résoudre la situation.
« Oui, il m'a dit ne pas être en forme depuis ce matin ».
« Pense à ce que t'ai dit et si Ash te contacte, aide là dans l'enquête. On doit en savoir plus avant que d'autres cambriolages ne se perpétuent ».
Je ne pense pas que d'autres vampires ou anges cambrioleurs puissent continuer à voler des instruments de valeur sachant toute la sécurité renforcée dans certaines boutiques très connues. Je suis un peu loin de toute cette enquête pour le moment. Le vampire millénaire me tient informé mais je n'ai pas appelé Ash pour en apprendre davantage. C'est la partie des chasseurs de vampires. Pour l'instant, le cas de notre Cupidon me reste en tête et le cauchemar de Sam. Eux sont plus vulnérables.
En rentrant chez moi, à l'Enclave je me surprends à saisir mon ordinateur pour y faire des recherches sur un outil magique dont on ne peut plus se passer et sur lequel on passe des heures: Internet. Cette encyclopédie infinie où l'on trouve absolument tout va sans doute m'éclairer. Quand j'ai proposé à Dmitri de s'y mettre, autant dire que j'ai vu dans ses yeux la peur et un mélange d'inconnu. Vivek a été de mon côté et a approuvé qu'utiliser la technologie moderne humaine. Heureusement je tente de contaminer les autres au fur et à mesure à cet outil moderne, indispensable de nos jours. En tout cas, je ne m'en passe plus et il faut vivre avec son temps.
Il faut une seconde à ce merveilleux outil pour m'apporter toutes les informations nécessaires liées à ces cambriolages surprises récurrents depuis la nuit dernière. En parcourant rapidement les liens des médias qui se sont saisis de l'affaire, je lis des informations plus ou moins contradictoires (la magie de cet outil). Je clique sur un premier lien qui est la page d'un journal indépendant de la ville, l'article expose les faits: une première école de musique a été cambriolée la nuit dernière, des pièces d'une grande valeurs ont disparu. Là est le problème, où sont-elles ? Aucun prix n'a été indiqué dans l'article pour évaluer les pertes. Les dégâts n'ont pas encore été évalués par les assurances. Le second lien annonce plus de précisons, l'heure du cambriolage d'une seconde école puis une troisième école et la nature historique des instruments, ceux-ci datent d'une période de l'Histoire dont le monde se souvient encore. J'allume la télévision pour vérifier si c'est encore à la une et en effet, l'affaire est en circulation sur les ondes. Les gens vont spéculer sur l'histoire. Rien ne va permettre d'avoir les idées claires pour le bon déroulement de l'enquête.
Je parcours encore un peu le monde d'internet pour en apprendre un peu plus mais visiblement il faut aller à la pêche aux détails. Et ce soir, je n'ai pas le temps pour ça. J'ai encore des heures de sommeil à rattraper. Pour être honnête, je pense que c'est le moment de la journée que je préfère. Ne plus penser au quotidien, pouvoir dormir des heures sans être perturbé par quelque chose d'effrayant. Avoir la tête dans les rêves, dans un monde parallèle sans que rien ne puisse y accéder sans permission. S'y perdre. La tête dans les étoiles. On les a tous les soirs au-dessus de nos têtes sans y prêter attention. Nous vivons dans une grande ville, on est plus habités aux grattes-ciels de verre et d'acier que des étoiles que l'on peut regarder sans la lumière artificielle qu'ils reflètent.
Coucou !
J'espère que vos vacances se sont bien passées, qu'elles se passent bien aussi. Pour ma part, j'en ai profité. Je n'ai pas touché à mon ordinateur pour écrire et ça fait du bien. Maintenant que je suis de retour, je vais reprendre l'écriture et vous proposer de la lecture hihi.
On se retrouve donc avec le chapitre 14 d'En haut de l'immeuble, soit l'avant dernier chapitre de la première partie, je rappelle qu'il y en a plusieurs. J'ai prévu 15 chapitres par partie.
Merci beaucoup d'être encore au rendez-vous pour cette histoire et bonne lecture !
