Chapitre 9
La douleur n'était pas insupportable mais lancinante. Sansa pensa d'abord, en se réveillant, qu'elle avait dû manger quelque chose qui lui restait sur l'estomac. Elle releva ses draps et mit quelques instants à comprendre ce qu'il se passait :
Entre ses jambes, un filet de sang et sur son drap, quelques taches rouges.
Elle releva sa robe de nuit, passa ses doigts entre ses cuisses, réalisa d'où cela s'écoulait. Un immense sourire éclaira son visage alors qu'une vague de bonheur l'envahissait.
Elle avait fleuri.
Elle était une femme.
Elle allait enfin pouvoir épouser Joffrey.
Elle se leva aussitôt, se lava les mains, protégea son intimité comme elle le put, consciente qu'elle risquait de laisser un fil d'Ariane pour la retrouver. Elle enfila une robe de chambre, ne se soucia pas de ses pieds nus, et courut alors jusqu'aux appartements de son promis. Les gardes, surpris, la laissèrent passer.
-Votre Grâce ! Sourit-elle, échevelée, les joues rouges mais radieuse
-Sansa ?
Il était étonné, elle ne l'en blâmait pas. Il était encore dans sa tenue de nuit, la voix et les yeux encore plein de sommeil. Le roi n'était pas du matin.
-Je suis désolée de débarquer ainsi à l'improviste, si ma septa le savait…
Il lui sourit.
-Elle n'en saura rien et vous êtes une charmante surprise mais… que se passe-t-il ?
Elle s'approcha, s'agenouilla devant lui, lui prenant les mains.
-J'ai fleuri, Votre Grâce.
-Vous avez… fleuri ?
Il ne comprenait pas.
-Le conseil ne pourra plus nous dire d'attendre. J'ai fleuri.
-Fleu… Par les Sept ! Sansa, êtes-vous en train de me dire que vous…
Elle acquiesça.
-Vous êtes désormais une femme de corps ?
-Oui ! Oui, je suis une femme de corps !
Joffrey caressa sa joue.
-J'en parlerai au conseil dès que possible. Chaque jour passé sans pouvoir vous appeler mon épouse est une torture pour moi. Gardes.
Ils entrèrent.
-Veuillez informer Septa Mordane que j'ai convié Lady Sansa à prendre son petit-déjeuner avec moi. Qu'elle ne s'inquiète pas de cette disparition soudaine. Mettez cela sur le compte d'une lubie romantique.
-Bien, Votre Grâce.
Rien n'était jamais bien secret à Port-Réal et Cersei se félicitait d'avoir des espions dans la maison de l'ancienne Main. Ce matin, elle brûlait de rage.
La petite colombe avait ses règles.
Ah, si seulement cette peste avait pu être moins précoce !
Elle aurait minaudé, prétexté son inquiétude pour la succession, le bien du royaume et suggéré, planté l'idée que Joffrey rompe ses fiançailles et prenne une femme déjà capable d'être engrossée. Des chattes fertiles, ce n'était pas ce qu'il manquait dans les Sept Royaumes et son fils aurait pu garder sa rousse comme catin de secours s'il l'aimait tant. Mais non, Sansa avait fleuri, Sansa pouvait avoir des enfants.
Restait l'espoir de Daenerys Targaryen.
Joffrey, le nouveau roi, seconde génération d'une dynastie royale toute jeune, épousant la dernière héritière de l'ancienne famille régnante, calmant ainsi les guerres entre les factions. Nul doute que le conseil avait déjà dû lui en faire part. Tuer sa promise n'était pas envisageable : elle serait la première suspecte aux yeux de son fils, ce qui était inacceptable.
Il lui fallait encore réfléchir.
La partie ne pouvait déjà pas être perdue.
-Lord Stark, Votre Grâce.
Joffrey leva les yeux de ses documents : diverses pétitions, notamment de maisons éloignées. Le jeune lord Lyman Darry demandait de l'aide face aux pillards qui s'en prenaient à son domaine, profitant de son âge tendre. En temps normal, il n'en aurait eu que faire. Mais Darry était un fief loyal aux Targaryen et avec la venue de Daenerys, il ne valait mieux pas négliger ce point de détail.
-Lord Stark, que puis-je pour vous ? Demanda-t-il
-Votre Grâce, je viens prendre congé de vous.
Eddard l'admit, il ne s'était pas attendu à cet éclat de peine dans le regard de l'adolescent. Ils échangeaient assez peu depuis son accession au trône, sans doute gardait-il en travers de la gorge les révélations qu'il lui avait faites, mais leurs conversations semblaient toujours le consoler de la perte de sa figure paternelle.
-J'ai abusé de votre hospitalité. Notre accord était que je reste à l'écart le temps de votre enquête. Une nouvelle Main a été nommée, votre conseil est constitué et solide. Il me faut donc partir.
-Cela serait vous causer une fatigue inutile.
L'adulte ne comprit pas.
-Sansa vous l'évoquera elle-même. Mais je pense que d'ici quelques mois, vous devrez redescendre pour le mariage. Car je doute qu'elle ait envie de monter vers l'autel sans son père pour lui tenir le bras.
Il se sentit vieux, très vieux. Sa fille, qui serait toujours son bébé, n'était plus une enfant.
-Comment vont les leçons d'Arya avec ce Syrio ?
-Vous connaissez l'existence de ses leçons ?
-Pourquoi pensez-vous que je m'arrange pour qu'aucune garde ne traverse cette pièce à ces jours et heures ?
Il le faisait pour Sansa. Joffrey n'aimait pas Arya. Mais il adorait sa sœur. Alors, pour elle, il essayait de rendre la cohabitation aisée.
-Ecrivez aux vôtres pour qu'ils descendent à Port-Réal. Tous les vôtres, même Lady Catelyn. Il est temps que les gens voient qu'il n'y a aucune inimitié entre mes deux maisons racines et la maison de ma promise. Que je puisse apprendre à les connaître. Et amenez Lady.
Le souverain souriait.
-Mais n'en dites rien à Sansa. C'est une surprise, un premier cadeau de mariage.
-Lady était punie.
-C'était avant tout pour calmer ma mère et sortir l'écharde de la main de mon père. Mais s'il faut un pardon royal pour cette bête, je la lui octroye.
Si avec ça, Sansa ne l'aimait pas un peu plus !
-Non. Asseyez-vous à mes côtés.
La cour eut un hoquet de stupeur : Sansa Stark sur le siège réservé à l'épouse royale ! Alors qu'elle n'était pas encore mariée ! C'était là la preuve que le roi était épris. Cersei serrait les dents. Dehors, les tambours résonnaient : la princesse déchue marchait, sous bonne escorte, vers la salle du trône. Elle avait été accueillie à Peyredragon par Stannis, le Régent, et sa femme Lady Selyse. Ils lui avaient fait visiter le lieu de sa naissance. Lady Amerei Frey avait été choisie comme dame de compagnie car si elle était accompagnée de ses dames, elles n'en restaient pas moins dothrakis. Amerei étant la cousine de l'actuel Lord Darry, elle était aussi apparentée à Ser Willem, ce chevalier qui lui avait sauvé la vie et qui avait pris soin d'elle enfant à Braavos.
-J'espère que nous avons de quoi nourrir les dragons… Ils sont jeunes mais peut-être voraces…
-Hautjardin nous a envoyés divers animaux. La femme de mon oncle Renly a été formidable.
-Lady Margaery est un grand atout pour toute famille. Je l'admire.
Les portes s'ouvrirent. Joffrey tendit la main à sa promise, laquelle y posa alors ses phalanges. Leurs cœurs battaient à se rompre : il ne fallait pas rater cela ! C'était un tournant du règne !
Daenerys leur apparut, vêtue de sa tenue dothrak, les cheveux tressés, ses trois dragonneaux sur les épaules. Sa suite était composée de ses hommes et femmes restés fidèles à la mort de Khal Drogo, ceux non décimés par le désert rouge.
-Son Altesse Royale : la princesse Daenerys Targaryen, née du Typhon, veuve de Khal Drogo ! Annonça une voix
Elle était royale. Son charisme les faisait se sentir bien petit.
-Votre Altesse ! Clama Joffrey. Bienvenue à Port-Réal.
Si Daenerys ne s'inclina pas, elle les salua de la tête.
-C'est un honneur pour ma promise comme pour moi-même de faire votre connaissance.
-C'est un plaisir pour moi de voir la terre de mes parents.
La nuance ne leur échappa pas. Joffrey frappa dans ses mains et un page apporta alors une assiette contenant du pain et du sel. Daenerys le considéra un instant avant d'en consommer.
-Votre Altesse. Déclare le jeune roi. Sur mon honneur de souverain des Sept Couronnes, sur mon honneur de fils de Robert I de son nom, je jure devant cette cour vous accueillir en qualité d'invitée de marque. Par le pain et par le sel, vous êtes protégée sous mon toit au même titre qu'un membre de ma famille.
-Je vous en remercie.
-Nous avons beaucoup à discuter. Mais le voyage a dû vous fatiguer. Puisse le festin de ce soir vous rendre vos forces.
-Je me vois gâtée. Je suis touchée par tant de bienveillance. Avant de nous séparer, j'ai un présent, issu tout droit de Qarth, pour montrer ma gratitude et ma bonne volonté.
Cersei ne put retenir un hoquet de stupeur et Tywin dut prendre sur lui pour ne pas montrer les sentiments qui l'assaillaient : son petit frère Gerion n'était pas disparu pour rien et Joffrey était l'espoir de la maison des lions.
Daenerys Targaryen venait de leur rendre Rugissante.
