« Ça dit ici qu'utiliser « they » au singulier n'est pas grammaticalement correct », lut à haute voix un étudiant. L'autre grimaça et redressa son badge à pronom.

« Au contraire, intervint une voix masculine enthousiaste et chaleureuse. Son usage remonte au moins au moyen anglais. »

Les deux étudiants se tournèrent vers le Dr Fell. Avant qu'ils puissent ne serait-ce que le saluer, il se lança, rayonnant, dans une explication impromptue sur Chaucer, Shekespeare et les réactionnaires du 18ᵉ siècle. Eux échangèrent un regard et attendirent, conscients que rien n'arrêterait le flot d'informations jusqu'à son tarissement.

Une longue main se posa sur l'épaule du Dr Fell et, à leur grand étonnement, il s'interrompit pour respirer. La voix trainante du Dr Crowley prit le relais : « Tu noies les jeunes sous les informations et si je ne te kidnappe pas maintenant, on ne reviendra pas à temps pour les cours de l'après-midi. Viens. » Si les étudiants n'étaient pas aussi persuadés que ces deux-là étaient ennemis, ou que le Dr Crowley était horrible et malveillant, ils auraient pris son expression pour de l'amusement complice.

Le Dr Fell bredouilla de rapides excuses que les deux jeunes étaient trop stupéfaits pour enregistrer et se dépêcha de rattraper l'autre professeur.

Le duo échangea un regard. « Personne ne va jamais croire ça », déclara cellui avec le badge, presque mélancolique.

L'autre étudiant se frotta les yeux. « Je ne suis même pas sûr d'y croire moi-même. On a été sauvés d'un flot d'infos du Dr Fell ? Par le Dr Crowley ? Qui semble avoir la capacité miraculeuse d'arrêter le Dr Fell en pleine lancée ? Est-ce qu'on peut, juste, ne jamais en reparler ?


Les semaines suivantes, les rumeurs enflèrent et retombèrent comme la marée. Heureusement pour le Dr Fell, après quelques semaines ses étudiants cessèrent de l'attendre à la fin des cours (malgré une brève résurgence quand le bruit courut que le Dr Crowley avait été entendu planifier le kidnapping du pauvre Dr Fell). Mais, en dépit des anecdotes qu'il racontait sur son cher époux (la fois où il avait prit Anthony sous son aile, la pluie qui semblait tomber à chacune de leurs premières rencontres, les Pommes qui se retrouvèrent sujet de désaccord) personne ne semblait relier Anthony à Crowley.

Puis Halloween arriva en entrainant dans son sillage une multitude d'activités, dont une fête conviant les étudiants et le personnel.

Le Dr Fell y arriva habillé en ange, jusqu'à inclure un halo lumineux, et il était bien droit sur sa chaise pliante quand Crowley entra de sa démarche nonchalante. Il était clairement déguisé en démon, avec son gilet pourpre ressortant sur ses habituels vêtements moulants noirs et les cornes en plastique dans ses cheveux châtain. Les mains dans ses poches, il détailla les alentours et parcourut un océan de murmures jusqu'à atteindre le Dr Fell.

« Pousses-toi, mon ange » dit-il, et Aziraphale quitta avec plaisir la chaise qu'il lui avait réservé. Il en gardait toujours une pour sa moitié, s'il le pouvait.

Crowley s'y écroula avec soulagement sous une bonne quantité de regards désapprobateurs. Le reste des étudiants essayait de se remettre du choc de voir le Dr Crowley (le Dr Crowley !) plaisanter amicalement sur le costume de quelqu'un d'autre. « Maintenant, je t'ai volé ta place, en plus de t'avoir plaqué au mur et de t'avoir kidnappé pour le déjeuner », murmura-t-il. Un sourire adoucissait son expression habituelle alors qu'il regardait autour de lui. « Mais bon, à quoi tu pourrais t'attendre d'autre à fréquenter un démon comme moi ? »

Aziraphale posa sa main sur sa bedaine habillée de blanc. « Oh, je ne sais pas, mon cher. Une excellente tasse d'Earl Grey et quelques petits fours ? Un bon Merlot ?

— Ah ! » Crowley modifia sa position pour passer un bras sur le dossier de la chaise. Une poignée d'étudiants réalisèrent, bouche-bée, qu'il savait rire, et détalèrent. Il les regarda partir avec un regard morose derrière ses lunettes de soleil, puis se tourna vers Aziraphale. « Alors, mon ange, dit-il tout bas, est-ce que les blagues qui effraient les gamins comptent comme des plaisirs ou des mauvais tours ?