Chapitre 3

Depuis la fin du colloque, Drago pensait régulièrement à Thomas. Malgré le travail monumental pour répondre à toutes les commandes en souffrance, il avait tout de même pris le temps d'effectuer quelques recherches dans certains de ses documents pour écrire rapidement à Thomas à propos des deux sujets dont ils avaient parlé et sur lesquels ils n'étaient pas d'accord. Il appréciait la controverse. Il se sentait vivant quand il cherchait des arguments qui prouvaient ses points de vue. C'était tellement plus satisfaisant que de produire des potions à la chaîne.

Thomas lui avait répondu tout aussi vite. Le style de Thomas était fluide et concis, si différent de celui de Potter en septième année lors de la rédaction des travaux pratiques de potions. C'était la première analyse qu'il avait faite en lisant le début de l'email de Thomas. Drago en avait eu un hoquet lorsqu'il s'était aperçu de sa comparaison entre les deux hommes dès les premières lignes. Il se disputa avec lui-même ! Comment pouvait-il en arriver là ? Il avait rencontré une personne agréable et gentille avec lui, ce qui n'arrivait pas si souvent malgré la dizaine d'années écoulée depuis la guerre. En plus cet homme était brillant et très intelligent. Il avait pris le temps de converser avec lui sur des sujets passionnants sans la moindre allusion à qui il était dans le passé, sans la moindre question en rapport avec la guerre, ce qui n'arrivait…, jamais en fait ! Et lui au lieu de se jeter sur le contenu du message pour avoir l'avis de ce chercheur qu'il appréciait, examinait encore si l'homme pouvait être le fantôme de son passé. Qu'est-ce qui ne tournait pas rond chez lui !

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Au fil des semaines, le travail de Drago pour répondre aux commandes diminua et il reprit la rédaction de son article scientifique. Il passait de longues journées en communication avec son équipe à Amsterdam pour augmenter le nombre d'échantillons de potions, finaliser les expérimentations et s'assurer de la véracité des conclusions. Il aimait aussi écrire de longs emails à Thomas. Il lui soumettait ses idées sur de nouveaux tests, comment il pensait décrire certaines de ses expériences, Thomas devenait alors une caisse de résonnance pour Drago. En effet le chercheur avec son caractère plus pragmatique et son style concis permettait à Drago de ne pas s'enfouir dans les détails et d'améliorer l'écriture de certaines analyses et argumentations. Alors que l'article était presque clos, Drago avait l'impression que Thomas était juste à une portée de voix, une présence constante, les échanges d'emails étant assidus.

Enfin lorsque l'article fut soumis, les messages qui portaient jusque-là uniquement sur les détails de l'article et donc sur les recherches de Drago, s'orientèrent sur les recherches de Thomas qui portaient sur la magie ancienne. Drago qui avait récupéré une grande partie de la bibliothèque du manoir Malfoy, dans une pièce de son cottage, proposa son aide sur le sujet. Bien que les charmes ne soient pas la spécialité de Drago, il put apporter son aide et une riche bibliographie à Thomas. Leurs échanges épistolaires évoluèrent progressivement vers des études plus fondamentales et philosophiques de l'utilisation de la magie avec et sans baguette au cours des différentes époques.

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Drago pensait beaucoup à Thomas. Cette correspondance complexe et permanente d'une grande profondeur et intellectuellement riche permettait à Drago de ne plus se sentir seul. Il avait toujours quelque chose à penser, à dire, à défendre, à apprendre en discutant avec Thomas par email. Les mots de Thomas étaient comme des caresses pour son esprit. Réfléchir à certaines contradictions de Thomas étaient comme des chatouilles, recevoir des compliments étaient perçus comme des accolades.

Alors que les mois défilaient, Drago appréciait de plus en plus l'homme à qui il écrivait. Ils se confiaient assez peu sur eux-mêmes mais leurs mots étaient doux, confortables et ouverts. Tous leurs échanges étaient professionnels mais l'écriture de Thomas était bienveillante et affectueuse, presque douce et sucrée. Elle l'enveloppait dans un cocon de bien-être qui durait longtemps après la lecture des pages riches d'un dialogue honnête. L'homme qui lui écrivait, réussissait à lui transmettre exactement les mêmes sensations que lorsqu'ils avaient parlé lors du colloque. Une sorte de chaleur réconfortante, presque une étreinte alors que jamais ils n'avaient abordé des sujets personnels, ni là-bas, ni par écrit.

Drago ne savait pratiquement rien de lui, si ce n'est qu'il vivait quelque-part comme lui dans la Grande-Bretagne, loin du tumulte de Londres. Il ne savait même pas s'il avait une famille ou un travail et d'ailleurs Drago n'avait rien dit non plus, rien de sa solitude, rien de son travail de production de potion qui lui prenait énormément de temps pour gagner un peu d'argent, rien de sa vie vide et solitaire dans la campagne, sans ami excepté son voisin le plus proche et moldu. Rien de son absence de vie sociale dans le monde sorcier qui quand il y allait le regardait encore comme une bête de foire avec des moues de dégout. Non ils ne discutaient que de leurs recherches, échangeaient sur un article paru dans la dernière revue d'histoire de la magie, sur le dernier livre sur la théorie des charmes de Merlin publié en Irlande, sur la façon dont l'un et l'autre avait traduit le dernier article du Hongrois qui travaillait sur les runes découvertes sur un sarcophage, l'année dernière. Rien que leurs recherches. Ils correspondaient également sur des articles de revues scientifiques et historiques moldues auxquelles ils étaient tous les deux abonnés. Ces échanges étaient grisants et Drago passait plusieurs heures par jour à écrire à Thomas. C'était devenu une activité intégrée à son emploi du temps pourtant très chargé.

Le problème était que lorsque Drago écrivait, claquant les doigts sur son clavier à une vitesse vertigineuse, il ne voyait plus vraiment le visage de Thomas, mais de plus en plus celui de Harry !

Son visage aux traits grossiers mais chaleureux devenait flou, pour devenir au fil du temps un visage plus fin et plus jeune, une mâchoire carrée, les yeux bleus devenaient vert émeraude tout en restant aussi perçants que ceux de Thomas. Ils brillaient d'une intelligence et d'une gaîté comme celle de Thomas lorsqu'il construisait une théorie, excepté qu'ils étaient verts. La chaleur de la voix grave de Thomas devenait plus douce et légère, moins profonde et son rire raisonnait encore dans les souvenirs de Drago. Parfois Drago suspendait sa main au milieu d'un paragraphe pour se remémorer leurs discussions et leurs sourires échangés au milieu de leurs repas entre deux conférences et les souvenirs se superposaient alors à ceux de Poudlard en dernière année au cours de laquelle Drago regardait en direction de la table des Gryffondors et voyait Harry rire avec ses amis.

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Au bout de six mois d'échanges épistolaires intensifs, Drago devenait fou ! Ou plutôt, il se sentait tomber dans la dépression. Thomas lui manquait physiquement alors qu'ils s'écrivaient plusieurs fois par semaine. Et en même temps ce n'était pas Thomas qui lui manquait mais Harry. Les deux se superposaient et Drago avait créé une créature mixte, une chimère qui lui broyait le cœur, obnubilait sa pensée et prenait toute son énergie. Il avait maigri et dormait de plus en plus mal. Son travail l'épuisait et ses emails pour Thomas devenait de plus en plus difficiles à écrire car ses recherches piétinaient. Il n'arrivait plus à suivre le rythme et donc ne savait plus quoi écrire au chercheur. Et ça le minait car s'il n'avait plus rien à écrire alors leur correspondance s'arrêterait et Drago perdrait Thomas.

Il fallait qu'il éteigne le feu qui le consumait, qu'il clôture le passé avec Harry. Il fallait qu'il soit enfin serein pour tenter de construire quelque chose de personnel avec Thomas. En effet au fil des emails, ces dernières semaines, Thomas ajoutait à ses échanges sur ses travaux, des émotions plus personnelles. Des sentiments fleurissaient au détour de quelques phrases et surtout une inquiétude pointait derrière quelques questions anodines. Il y a quelques jours son interlocuteur avait semblé prendre conscience de ses difficultés et sans lui en tenir rigueur, avait proposé son aide, l'air de rien. Mais Drago ne voulait pas aller vers lui tant qu'il n'avait pas clarifié ses sentiments. Thomas et Harry étaient trop imbriqués dans son esprit pour les distinguer. Il ne pouvait pas revoir Thomas et approfondir son amitié voire peut-être construire une relation tant qu'il était dans cet état.

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Il finit par avoir le courage d'aller à Londres, au ministère pour tenter de rencontrer Harry au département des aurors. Il devait lui parler, savoir ce qu'il devenait et peut-être enfin séparer l'homme qu'il devait être en vrai par rapport à celui qui hantait ses pensées. Evidemment alors qu'il entrait dans le ministère, il se fit la réflexion que ce ne serait sans doute pas très facile de rencontrer le directeur adjoint des aurors simplement en toquant à la porte de son bureau. Aussi il se dirigea vers les archives pour aller consulter quelques grimoires, ce qui lui servait de prétexte puis attendit presque la fin des horaires de bureau pour monter au 7 ième étage. Il espérait échapper ainsi aux secrétaires et assistantes qui pourraient lui bloquer le chemin.

Cependant il était à peine sorti de l'ascenseur, qu'il se retrouva face à un bureau imposant avec une secrétaire à l'air sévère avec des courbes très plantureuses qui le regardait fixement.

« Bonjour monsieur, il est un peu tard, mais ma collègue m'a avertie que certains rendez-vous devaient encore arriver. Qui devez-vous rencontrer ?

Bonjour madame. Je suis désolée mais non, je n'ai pas rendez-vous, répondit aimablement Drago. Mais je voudrais voir monsieur Potter. C'est très important et je suis sûr que si vous lui dite mon nom, il acceptera de me recevoir ce soir. Je peux attendre qu'il soit disponible si nécessaire.

Monsieur Potter ? Je suis désolée monsieur, mais monsieur Potter ne travaille pas ici et cela depuis plusieurs années maintenant. Voulez-vous un rendez-vous urgent tout de même, monsieur ?

Il ne travaille plus ici ? Balbutia Drago. Vous êtes sûr ?

Oui monsieur, sourit-elle, j'en suis sûre. Je le saurais s'il travaillait encore ici. D'ailleurs tout le monde le saurait, rigola t'elle en insistant sur le mot « tout ».

Très bien, répondit-il les lèvres un peu pincées. Merci madame. Pouvez-vous me dire si madame Granger ou madame Weasley travaille dans ce département ?

Non madame Weasley ne travaille pas ici mais au département de Protection des Créatures Magiques, à l'étage en dessous. Mais si vous n'avez pas rendez-vous, je doute qu'elle vous reçoive, insista-t-elle.

Merci beaucoup madame, je ne vous dérange pas plus, alors. Bonne soirée. »

Drago retourna sur ses pas en direction de l'ascenseur d'un pas un peu plus lourd qu'à l'aller. Il descendit d'un étage avec peu d'espoir. Il doutait d'arriver à ses fins aujourd'hui. Son cerveau était bloqué sur l'information essentielle. Harry n'était plus auror depuis plusieurs années et il n'en savait rien !

L'ascenseur stoppa sa course très rapidement et Drago en sortit assez dépité. Le hall du département de Protection des Créatures Magiques présentait une belle exposition de photos de créatures de toutes sortes. Éclairées par une belle lumière, les photos étaient magnifiques et Drago les admira, marchant lentement. Son cœur reprit ainsi un peu de calme. Arrivé devant le bureau de la secrétaire, il constata qu'elle était absente. Une aubaine, surtout que la porte du bureau de Granger était ouverte. Il glissa un œil et la vit en train de travailler sur son ordinateur portable sur son bureau impeccablement rangé. Elle était presque comme dans ses souvenirs. Très concentrée, un chignon lâche sur le dessus de sa tête retenait ses boucles, une ride fortement marquée entre ses sourcils, ses lèvres fermées montrait sa rigueur et ses efforts. Elle portait un chemisier et sa robe de sorcière était ouverte. Drago frappa contre le chambranle de la porte. Granger leva les yeux et de surprise se leva de sa chaise.

« Ça alors ! Drago Malfoy, que fais-tu ici ?

Bonjour à toi aussi Granger. Dit-il de son ton trainant dont il abusait à l'école mais en souriant pour signifier qu'il plaisantait.

Oh, pardon ! répondit rapidement Hermione. Bonjour Malfoy. Je te prie de m'excuser, mais j'ai été tellement surprise en te voyant ici que ma politesse s'est enfuie en Australie. Entre, je t'en prie. Que deviens tu ?

Merci Granger. »

Il s'avança vers son bureau et s'assit sur la chaise faisant face.

« Je suis de passage en ville, reprit-il, car je voulais réaliser des recherches aux archives du ministère et en profiter pour rencontrer quelqu'un. Mais il s'avère que c'est plus difficile que je ne le pensais.

Qui souhaites tu rencontrer ? J'imagine que ce n'est pas moi, puisque tu es là.

Oui effectivement. Bien que je ne sois pas particulièrement étonné de te trouver là, et à ce niveau de la hiérarchie du département. Tu as toujours été sûre de tes convictions et plutôt brillante.

Merci c'est gentil, sourit-elle doucement.

Je constate que ce département est très fier de ceux qu'il défend. La galerie de photos est splendide, dit-il.

C'est Luna Scamander, anciennement Lovegood qui les a réalisées. Elle sera ravie si tu laisses un message dans le livre à la sortie du département. Alors que puis-je faire pour t'aider Malfoy ?

Je cherche Potter, répondit-il. Je suis allé au département des aurors, persuadé de le trouver là-bas mais parait-il qu'il n'y travaille plus. C'est pourquoi je suis venu te demander où je peux le trouver. C'est personnel et important, rajouta-t'il la voyant prête à répondre. »

Elle ferma les yeux une seconde et sembla mesurer ses mots. Drago senti son ventre se tordre. Ce n'était pas bon, il le sentait.

« Je suis désolée, Malfoy, mais je ne peux pas te donner l'adresse de Harry. Il ne veut plus être dérangé et je pense que tu peux le comprendre puisque toi aussi tu vis assez discrètement depuis plusieurs années.

Mais ce n'est pas du tout pareil, éclata Drago. Moi je suis le méchant, moi on me crache dessus dans la rue ou même pire, les gens me lancent des sortilèges dans le dos !

Pour Harry, c'est pareil mais l'inverse, souligna Hermione d'une voix un peu plus forte. Les gens se pressent vers lui, le prennent dans leurs bras, lui parlent n'importe où, n'importe quand et même lui arrachent des morceaux de ses vêtements, Ils crient après lui pour qu'ils les regardent, veulent des photos. C'est infernal.

Je dois lui parler, Granger. C'est important. S'il te plait, implora t'il.

Je… Je ne peux pas. Je suis désolée Malfoy, répondit Hermione dont le visage montrait vraiment qu'elle l'était. »

Drago baissa la tête et ses épaules se voutèrent un peu. Il pinça son nez pour essayer de reprendre contenance. Il en était arrivé à supplier Granger. Il était vraiment accablé. Peut-être devrait-il passer par Saint Mangouste et rencontrer un psycho-mage avant de rentrer chez lui.

Hermione n'avait pas perdu une miette de la posture de Malfoy car ce comportement était très surprenant. Elle se souvenait parfaitement du personnage hautain et vindicatif qu'il était à l'école. Bien que nettement plus discret et poli en dernière année, après la guerre. Mais là, il était stressé, très fatigué voire presque désespéré pour arriver à la supplier, elle. Alors elle reprit.

« Ecoute Malfoy, je peux lui parler, lui dire que tu le cherches. Si jamais il veut te contacter, où doit-il t'écrire ? »

Drago releva la tête brusquement et Hermione mesura encore plus ses cernes et sa fatigue intense.

« J'ai une chambre au Chaudron Baveur et j'y resterai jusqu'à demain soir car j'ai des rendez-vous professionnels, après je devrais rentrer chez moi. Mais je peux rester jusqu'à après-demain si Potter peut se libérer. »

Hermione esquissa un signe de tête.

« Merci pour ton aide, Granger. »

Il se leva et tendit sa main qu'Hermione serra lorsqu'elle se leva de son fauteuil. Elle l'accompagna jusqu'à l'entrée de son bureau. Drago s'aperçut alors qu'elle était enceinte.

« Félicitation Granger ! s'exclama t'il. J'espère que tout se passe bien pour toi et le bébé. »

Hermione lui adressa un large sourire qui monta jusqu'à ses yeux.

« Je te remercie Malfoy. Je vais très bien. Ron et moi sommes très heureux d'agrandir la famille. Nous avons déjà une fille et cette fois-ci c'est un garçon. Je vais parler à Harry dès que je peux mais je ne te promets rien. Reprit-t-elle d'un regard franc.

Oui je sais, merci pour ton aide, encore une fois, déclara t'il. Et bonne soirée, Granger ou Weasley, je ne sais plus maintenant, ajouta-t-'il d'un sourire.

Les deux sont bien, puisque j'ai accolé les deux noms. Toi aussi bonne soirée, sourit-elle. »

Drago sortit, il se força à se redresser mais il sentait l'abattement et la déception circuler dans tout son corps et l'engourdir. Il sortit du département en laissant trois mots élogieux dans le livre d'or, puis quitta le ministère pour rejoindre sa chambre où un diner l'attendait comme il l'avait commandé avant de partir. Il prit une douche rapide, mais ne mangea pratiquement rien. Il n'avait pas faim de toute façon et son estomac faisait des nœuds après trois fourchetées. Il se coucha rapidement pour essayer de dormir un peu et apaiser sa fatigue.

Le lendemain il avait prévu d'aller à la grande bibliothèque du British Museum puis dans les librairies Foyles, Watkins books et Hatchards dans Londres, coté Moldu. Puisqu'il était en ville autant profiter. Et puis selon ses découvertes, il pourrait en discuter dans son prochain email à Thomas. Penser à lui, redonna le sourire à Drago. Oui s'était agréable de savoir qu'il avait un ami quelque-part qui était peut-être en train de lui répondre en ce moment même et donc de penser à lui.

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A suivre ...