Cet OS n'est finalement pas écrit dans le cadre de la nuit du FoF, je n'ai visiblement pas assez d'une nuit par mois pour écrire toutes les idées qui me viennent à l'esprit sur Yuri on Ice.

Je suis toujours à la recherche d'inspiration pour des idées d'OS de plus ou moins cette longueur, n'hésitez pas à me proposer si vous avez envie de lire quelque chose en particulier !

Enjoy !


Appuyé contre la barrière de la patinoire, Victor regarda Yuri prendre de la vitesse et faire un demi-tour une seconde avant de sauter, faisant quatre tours sur lui-même. Avant même qu'il n'ait retouché le sol, le visage de Victor se ferma et il ne fut pas surpris lorsque Yuri chuta violemment par terre.

- Recommence.

Il vit son élève se relever, frotter légèrement ses mains aux endroits où elles avaient percuté le sol et repartir. Cependant, il ne prit pas suffisamment d'élan et ne fit que deux tours avant de retomber sur ses pieds.

- Recommence, répéta Victor.

Yuri acquiesça d'un hochement de tête et reprit de la vitesse. Depuis la fin de la coupe de Russie, où il s'était qualifié de justesse pour la finale du Grand Prix, il n'avait pas arrêté de s'entraîner au quadruple flip, la spécialité de Victor. Yuri mourrait d'envie de le faire aussi bien que lui mais il avait beau enchaîner les heures d'entraînement, il en venait parfois à penser qu'il n'arriverait jamais à en faire un seul convenablement. Il ne savait pas depuis combien de temps ils s'entraînaient, il avait l'impression qu'une éternité s'était écoulée depuis que Yuko était partie en leur laissant les clés de la patinoire. Il s'élança à nouveau en ligne droite mais trébucha légèrement au moment de faire un demi-tour et il lutta pour ne pas tomber avant même d'avoir sauté.

- Tu veux que je te le remontre ? proposa Victor.

Bien qu'il ait rejoint le bord de la piste pour laisser Yuri s'entraîner, Victor avait gardé dans les pieds ses patins qu'il avait mis au début de la séance, pour montrer la figure à son élève. Il s'apprêtait à revenir sur la glace quand Yuri répondit :

- Non, ne t'inquiète pas ! J'ai compris, c'est juste que… Je vais y arriver, je te le jure !

- Comme tu veux. Alors recommence.

Yuri fit un tour de patinoire un peu plus lentement pour détendre ses jambes avant de repartir plus vite. Les yeux de Victor s'écarquillèrent en voyant son demi-tour et son saut parfait, le japonais tournant impeccablement quatre fois sur lui-même. Au moment où ses patins retouchèrent la glace, ceux-ci dérapèrent violemment sur le côté et Yuri chuta lourdement en laissant échapper un gémissement de douleur. La déception de Victor se transforma en inquiétude en voyant que le japonais restait par terre, allongé à plat ventre, le front contre la glace, tremblant d'épuisement. D'un geste, Victor s'engagea sur la patinoire et glissa jusqu'à lui.

- Yuri ?

Yuri releva les yeux et sursauta en le voyant devant lui, le surplombant de toute sa hauteur. Visiblement, il ne l'avait pas entendu arriver. Une lueur de terreur illumina son regard avant qu'il ne se recroqueville en une courbette.

- Excuse-moi ! Je vais le refaire ! Je vais y arriver, je te le promets ! Je vais le refaire !

Victor resta muet de stupéfaction, surpris par la réaction de Yuri. Il avait toujours adoré le voir faire des courbettes typiquement japonaises mais ses excuses et son expression apeurée le choquaient. Yuri semblait littéralement terrorisé par sa réaction, restant prostré en répétant ses excuses. Lentement, Victor s'accroupit devant lui.

- C'est pas grave, Yuri. Calme-toi, ce n'est pas grave. Tu ne t'es pas fait mal ?

- Non. Ça va aller. Je vais recommencer.

Victor l'aida à se relever et dévisagea son élève. Yuri était plus pâle que d'habitude, ses yeux brillants de fatigue cerclés de cernes, son corps légèrement secoué de tremblements après sa dernière chute. Il voulut repartir sur la piste mais Victor ne le lâcha pas, gardant fermement sa main serrée sur son bras. Le japonais l'interrogea du regard et il répondit :

- Non, tu ne vas pas recommencer. Tu es épuisé et sur les nerfs. Si tu insistes maintenant, la seule chose que tu vas réussir à faire, c'est te blesser trop gravement pour participer à la finale. On verra ça plus tard, tu as encore largement le temps de le maîtriser.

Yuri acquiesça d'un hochement de tête, ce qui confirma sa fatigue à Victor. En temps normal, Yuri aurait insisté pour réessayer la figure jusqu'à y arriver parfaitement. Ils rejoignirent le bord de la patinoire et se laissèrent tomber sur un banc. Victor retira rapidement ses patins et, remarquant que les doigts de Yuri tremblaient tellement qu'il n'arrivait pas à défaire ses lacets, il s'accroupit devant lui et acheva de libérer les pieds de son élève, prenant le temps de les masser délicatement. Le japonais ferma les yeux et soupira de soulagement en sentant les mains de Victor détendre progressivement ses muscles. Quelques minutes plus tard, son coach l'aida à remettre ses chaussures et se rassit à côté de lui.

- Excuse-moi, souffla-t-il. C'est de ma faute, j'aurais dû voir beaucoup plus tôt que tu étais trop fatigué pour y arriver ce soir.

Yuri fit un simple signe de tête, lui signifiant qu'il ne lui en voulait pas. Son regard restait vers le sol, comme s'il ruminait son échec. D'habitude, Victor ne le laissait pas finir son entraînement sur une déception, lui faisant refaire sa chorégraphie sans les sauts ou d'autres figures plus faciles avant de mettre fin à la séance. Le russe remit rapidement ses propres chaussures et rangea leurs affaires avant de tendre la main vers Yuri, l'aidant à se relever et passant un bras autour de ses épaules alors qu'ils sortaient de la patinoire. La nuit était tombée depuis un bon moment et Victor renforça son étreinte pour protéger le japonais du froid. Yuri restait silencieux, le regard baissé, légèrement blotti contre son coach, semblant plongé dans ses pensées. Victor ne put s'empêcher de revoir son regard terrorisé au moment où il l'avait rejoint sur la patinoire. Qu'est-ce qui lui était arrivé ? Est-ce qu'il avait pensé qu'il allait s'impatienter et le réprimander parce qu'il n'arrivait pas à maîtriser un saut aussi difficile que le quadruple flip ? Est-ce qu'il s'inquiétait de ce qui arriverait s'il échouait à la finale ? Il avait beau lui avoir promis de rester avec lui jusqu'à la fin de sa carrière, il savait que le japonais s'inquiétait en permanence de le voir abandonner son poste de coach et rentrer à Saint-Pétersbourg. Ils atteignirent rapidement la maison des parents de Yuri, où sa mère les accueillit :

- Je ne savais pas pour combien de temps vous en aviez encore, je vous ai gardé vos repas au chaud !

Victor la remercia vivement mais Yuri se détacha légèrement de lui et murmura :

- Désolé, j'ai pas faim. Je vais me coucher.

Victor hésita à le rattraper, sachant qu'il n'y avait rien de pire pour un athlète que de sauter des repas. Mais il était bien placé pour savoir à quel point l'épuisement pouvait couper l'appétit, il ne comptait plus le nombre de fois où il s'était lui-même effondré sans être capable d'avaler quoi que ce soit après un entraînement avec Yakov.

- Bonne nuit, lui souffla-t-il. Repose-toi bien.

Yuri acquiesça d'un hochement de tête avant de rejoindre sa chambre et de se laisser tomber sur son lit. Regroupant le peu de forces qu'il lui restait, il se déshabilla rapidement avant de se glisser sous la couette. Il espérait que Victor ait mis sur le compte de la surprise la frayeur qui l'avait saisie quand il l'avait vu devant lui après sa chute. Il ne voyait même pas comment il pourrait lui avouer que le voir ainsi, le surplombant de toute sa hauteur, lui avait rappelé le pire entraînement de sa vie, avec son ancien coach. Yuri ne lui avait jamais parlé de lui. Victor avait supposé qu'il avait arrêté de s'entraîner avec Minako pour rejoindre Celestino à Détroit et il n'avait jamais eu le courage d'affronter ses souvenirs pour le contredire. Il avait dix ans lorsque Kenta l'avait repéré pendant une compétition locale et était venu voir ses parents pour leur proposer de l'entraîner. Yuri n'avait jamais envisagé l'idée de devenir patineur professionnel, jusqu'à ce moment là, il avait toujours vu le patinage comme une passion, un moyen de se détendre. Kenta l'avait fait rêver, il lui avait permis de se surpasser et d'accéder aux plus grandes compétitions. Mais à quel prix… Yuri secoua violemment la tête, tentant d'oublier l'image de son ancien coach. Il luttait depuis huit ans pour effacer les souvenirs de cette période de sa vie, il ne voulait pas replonger dedans à quelques semaines de la finale du Grand Prix. Se retournant dans son lit, ses yeux se fermèrent d'eux-mêmes et il laissa l'épuisement l'emporter.

Yuri entra sur la patinoire, sous le regard de Kenta et de tous les spectateurs venus assister au trophée junior du Japon. Il avait onze ans, sa première compétition depuis l'arrivée de son entraîneur allait commencer, lui permettant de prouver à tous à quel point il avait progressé, à quel point il était capable de devenir un jour l'un des meilleurs patineurs du monde. Il se mit en place et s'élança quand la musique commença à jouer. Kenta avait choisi sa musique et sa chorégraphie, lui faisant clairement comprendre qu'il n'avait pas son mot à dire sur la question. Il avait passé des journées entières à la répéter jusqu'à être capable de faire son morceau les yeux fermés. Il n'avait rien de compliqué, la figure la plus difficile étant une pirouette assise. Bien que Kenta ait catégoriquement refusé qu'il fasse des sauts avant d'avoir treize ans, ça ne l'avait pas empêché de se montrer particulièrement exigeant sur chaque composante du morceau, le faisant répéter encore et encore jusqu'à être satisfait de sa prestation. Quoi que, satisfait n'était pas le mot que Yuri aurait choisi. Il avait vite compris que Kenta n'était pas du genre à le complimenter, les reproches tombant inlassablement, critiquant continuellement le moindre détail de ses mouvements. Pourtant, ce jour-là, sa chorégraphie était parfaite, irréprochable, il en était persuadé. Il la termina sous les applaudissements du public et soupira de soulagement. C'était sa meilleure performance, même à l'entraînement il n'avait jamais aussi bien effectué ce programme. Il salua le public et le jury et se dirigea vers la sortie de la patinoire, où Kenta l'attendait. Le regard noir de son entraîneur fit disparaître son sourire de son visage. Au moment où il le rejoignait, celui-ci lança :

- C'était lamentable ! Je n'ai jamais vu des figures aussi bâclées ! C'est comme ça que tu comptais prouver que tu avais progressé ? Tu me fais honte !

Le décor autour de lui changea. Il était dans un vestiaire, seul face à Kenta. Il avait 13 ans et venait de remporter sa première médaille d'or dans une compétition internationale. Il écoutait le sermon de son entraîneur :

- Pitoyable. Je ne vois même pas pourquoi je perds encore mon temps avec toi. Ton interprétation ne ressemblait strictement à rien, aucune grâce, aucune émotion, rien !

Cela faisait trois ans qu'il s'entraînait avec lui, et autant de temps qu'il subissait les critiques permanentes de son coach. D'habitude, il l'écoutait, s'excusait et mettait les bouchées doubles sur ses entraînements suivants pour essayer de le satisfaire. Mais cette fois, il osa relever la tête vers lui :

- Qu'est-ce qu'il te faut de plus ?

- Je te demande pardon ?

- Qu'est-ce qu'il te faut de plus ? répéta-t-il plus fort. J'ai remporté le championnat, gagné la médaille d'or et battu mon propre record de plus de quinze points. Qu'est-ce qu'il te faut de plus ?

Kenta leva la main et Yuri ferma les yeux une seconde avant que la gifle ne le fauche violemment, faisant partir sa tête contre le mur du vestiaire.

Lorsqu'il rouvrit les yeux, il n'était plus dans le vestiaire mais sur la patinoire d'un autre complexe. Il avait quinze ans, il menait sa première compétition de la catégorie senior. Cela faisait six mois qu'il répétait ce programme, six mois que le rythme des entraînements s'intensifiait, que les reproches et les gifles tombaient de plus en plus fréquemment, de plus en plus violemment. Il avait arrêté depuis longtemps de répondre aux insultes de son entraîneur, le laissant lui répéter qu'il n'était pas assez doué, pas assez motivé, pas assez talentueux. Il s'avança sur la glace et se mit en place pour le début de sa chorégraphie. Il s'élança en même temps que la musique, savourant la sensation de la glace sous ses pieds. Souvent, après une énième série de reproches, il se demandait pourquoi il n'arrêtait simplement pas, pourquoi il ne rompait pas son contrat avec Kenta pour ne plus faire de patinage. Mais, quand il réalisait ses mouvements, il se souvenait de la raison pour laquelle il restait. Il se souvenait qu'il aimait trop patiner pour laisser qui que ce soit l'empêcher de le faire. Il prit de la vitesse pour son premier saut, un triple axel. Il tourna correctement mais trébucha légèrement en retombant et s'étala par terre. Dans un réflexe, il se releva rapidement et continua sa chorégraphie. Mais c'était trop tard. Peu importait sa performance par la suite, il avait chuté. Il savait déjà ce qui arriverait après, il entendait déjà les reproches, les insultes, il ressentait presque la douleur des coups se propager par vagues depuis son visage vers le reste de son corps. Fermant les yeux, il essaya de repousser la peur qui s'insinuait en lui et son envie de fondre en larmes pour continuer son programme.

Le complexe changea autour de lui, il était de retour à la patinoire d'Hasetsu, où il s'entraînait. Il avait seize ans et commençait à inclure des quadruples dans ses programmes. Cela faisait plusieurs heures qu'il s'entraînait au quadruple boucle piqué, sous la surveillance de Kenta. Au début de la séance, celui-ci lui avait montré la figure à plusieurs reprises et il était resté à coté de lui pendant qu'il essayait de la reproduire.

- Recommence.

Yuri reprit de l'élan avant de refaire le saut, sans parvenir à faire suffisamment de tours.

- Recommence.

Il enchaînait les sauts depuis des heures, tremblant violemment sur ses jambes. Il savait pertinemment qu'il était trop fatigué pour y arriver mais l'avouer à Kenta n'était même pas envisageable. N'importe quelle blessure qu'il pourrait se faire sous l'effet de la fatigue ou d'un faux mouvement serait moins douloureuse que la correction qu'il prendrait s'il demandait à son coach d'arrêter l'entraînement. Il s'était depuis longtemps fait à l'idée qu'il ne serait jamais un bon patineur, qu'il resterait toujours médiocre, il continuait juste à s'entraîner sans relâche pour essayer d'éviter quelques coups supplémentaires de la part de son coach. Il reprit de la vitesse et effectua son saut mais il dérapa en se réceptionnant et tomba à plat ventre par terre, son front heurtant violemment la glace. Il resta allongé quelques secondes, essayant de retrouver son souffle et ses forces. La voix de Kenta rugit au-dessus de lui :

- Yuri !

Il releva les yeux vers Kenta, debout face à lui, le dominant de toute sa hauteur, l'air visiblement furieux.

- Excuse-moi ! s'écria Yuri. Je vais le refaire ! Frappe pas, s'il te plaît, je vais le refaire !

Soudainement, ce n'était plus Kenta qui était devant lui, le visage déformé par la fureur. C'était Victor. Yuri eut juste le temps de fermer les yeux avant que le coup de pied de son coach ne le fauche en pleine mâchoire, la lame de son patin lui entaillant profondément la joue. Il resta recroquevillé sur le sol, essayant de se protéger des coups suivants, le sang sur son visage coulant doucement sur la glace. Au-dessus de lui, la voix de Victor l'appela :

- Yuri ? Yuri réveille-toi ! Yuri !

Il ouvrit les yeux en sursaut. Il était allongé sur le dos dans son lit, trempé de sueur, luttant pour reprendre sa respiration. La lumière de sa chambre était allumée – il se souvenait ne pas avoir eu le courage de l'éteindre la veille – et Victor était assis sur le bord de son lit, une main sur son épaule.

- Yuri, ça va ? s'inquiéta-t-il. Tu te débattais et hurlais dans ton sommeil…

Il acquiesça d'un hochement de tête tout en essayant de reprendre ses esprits. Ce n'était qu'un cauchemar. Un cauchemar, alimenté par des souvenirs lointains. Mais c'était terminé. Il s'entraînait avec Victor, il n'avait plus revu Kenta depuis près de huit ans… Tout en se forçant à respirer lentement, il répondit :

- Ça va, c'était un cauchemar. Excuse-moi de t'avoir réveillé…

- C'est pas grave, murmura Victor. Tu m'as fais peur.

- Désolé…

Yuri se redressa légèrement dans son lit et dévisagea Victor. Celui-ci avait gardé une main posée sur son épaule, le réconfortant doucement. Il était torse nu, ne portant qu'un boxer, ses cheveux en bataille prouvant que Yuri l'avait réveillé en sursaut. Mais le japonais fut surtout choqué par son regard. Victor semblait troublé, presque blessé, osant à peine le regarder dans les yeux.

- Quelque chose ne va pas ?

- Yuri… murmura-t-il lentement. Tu… Tu as vraiment cru que j'allais te frapper tout à l'heure ?

Yuri ne se demanda qu'une seconde ce qu'il avait pu hurler dans son sommeil. Il secoua la tête de droite à gauche.

- Non… Pas toi. Tu… Ça m'a rappelé un souvenir, c'est tout. C'était pas de ta faute.

- Tu veux m'en parler ?

Il hésita quelques secondes avant d'acquiescer. Après tout, Victor avait le droit de savoir et il était désormais trop tard pour essayer de repousser ses souvenirs. Lentement, il commença à raconter ses cinq années d'entraînement avec Kenta. Victor restait silencieux, n'osant pas l'interrompre, mais Yuri sentait ses mains se crisper légèrement lorsqu'il évoquait les fois où son entraîneur le battait. Il termina en lui racontant sa dernière séance avec lui, celle où son coach l'avait frappé à coups de pied dans le visage.

- C'était pas de ta faute, reprit-il. C'est juste que te voir, debout devant moi, avec tes patins dans les pieds… Ça m'a rappelé ce moment là. Je suis désolé, ça n'a rien à voir avec toi, je sais que tu ne seras jamais comme lui…

- Qu'est-ce qui s'est passé après ? demanda Victor.

- Je… Je voulais arrêter le patinage. J'en venais à avoir peur dès que je voyais une patinoire. Mais j'étais déjà inscrit à un camp d'été de Celestino, à Détroit, deux semaines plus tard. Celestino connaissait Kenta de réputation et j'avais encore le visage marqué, il n'a pas mis longtemps à comprendre. Il m'a proposé de rester m'entraîner avec lui. Je comptais refuser mais… Il a réussi à me redonner goût au patinage. En t'imitant. C'est lui qui m'a donné l'idée de reproduire tes chorégraphies pour me souvenir de pourquoi j'aimais patiner. J'ai passé un an à m'entraîner librement avec lui avant de recommencer les compétitions, il voulait attendre que je reprenne confiance en moi. Mais… Enfin, tu connais la suite. Même s'il a fait un travail de dingue, il a jamais vraiment réussi.

- Et tes parents n'ont jamais rien dit ? s'étonna Victor.

- Ils ne l'ont jamais su. Kenta… Il savait comment frapper sans laisser de marques. Ce coup de pied, c'était la première fois en cinq ans qu'il laissait une marque visible, j'ai réussi à inventer une histoire bidon. Je savais qu'ils m'interdiraient de patiner s'ils se doutaient de ce qui se passait. Et… J'étais obligé de reconnaître que Kenta était un bon entraîneur.

- Un bon entraîneur ? s'écria Victor, les poings à nouveau serrés.

- Oui. C'est pour ça que je n'ai jamais réussi à me remettre de cette période. Parce que… Parce que je sais que je ne serais jamais arrivé là sans lui. Il m'a obligé à repousser mes limites, à me surpasser. Tu l'as dis toi-même quand tu as commencé à m'entraîner, j'ai plus d'endurance que la plupart des patineurs. Tu crois franchement que je serais capable de caser tous mes sauts en deuxième partie ou de finir un programme sur un quadruple flip comme je l'ai fait en Chine si je n'avais pas passé des heures à m'entraîner alors que je ne tenais plus sur mes jambes ? Tu crois que le triple axel serait ma spécialité si je n'avais pas été habitué à avoir peur de ce qui arriverait si je le ratais ?

- Il y a d'autres méthodes, Yuri… Yakov n'a jamais levé la main sur moi. Ce type te détruisait. C'est même un miracle que tu ne te sois jamais blessé gravement quand tu étais épuisé.

- Je sais. Mais j'étais forcé de reconnaître que ça marchait. Je n'aurais jamais été aussi loin si j'avais continué à m'entraîner avec Minako. Et… Et j'aurais peut-être réussi à partager le podium avec toi l'année dernière si j'étais resté avec lui.

- C'est faux, coupa Victor. Tu ne peux pas gagner en ayant peur, Yuri. Tu aurais perdu tes moyens au moindre faux pas, surtout à la finale du Grand Prix. Il t'aurait complètement brisé, tu ne patinerais sûrement même plus aujourd'hui. Tu aurais dû me parler de lui plus tôt…

- Je sais. Excuse-moi. J'ai souvent hésité mais… Je ne voulais pas que tu me regardes comme un chien battu, murmura-t-il en baissant les yeux.

- Et maintenant que je le sais, tu as l'impression que c'est comme ça que je te regarde ?

Yuri releva la tête, surpris par la réponse de Victor qui reprit :

- J'ai passé vingt ans à m'entraîner avec Yakov et autant de temps à voir des jeunes abandonner le patinage parce qu'ils ne supportaient plus ses réprimandes permanentes. Et tu voudrais que je te trouve faible parce que tu es resté cinq ans avec un type qui te battait ?

Victor tendit la main vers le visage de Yuri, dégageant ses mèches noires et lui souriant avec tout l'amour et l'affection qu'il éprouvait pour lui.

- Tu ne peux même pas imaginer à quel point je suis fier de toi et fier d'être ton entraîneur, Yuri. Tu es le patineur le plus courageux et le plus talentueux que j'ai jamais rencontré. Je t'emmènerai sur le podium du Grand Prix et je te prouverai que ce n'est pas avec de la peur ou des menaces qu'on gagne une compétition. Et si quelqu'un veut te persuader du contraire, il aura affaire à moi.

Yuri lui rendit son sourire et tendit la main vers lui, enlaçant tendrement ses doigts avec les siens avant de murmurer :

- Merci. Merci pour tout ce que tu fais pour moi.

- Tu le mérites, assura Victor.

Ils restèrent silencieux quelques instants, les doigts de Victor continuant à jouer avec ceux de Yuri, avant que le russe ne reprenne :

- Tu devrais essayer de te rendormir, tu as encore besoin de repos.

Yuri acquiesça d'un hochement de tête. Inconsciemment, sa main se resserra sur celle de son coach. Même si parler de cette période lui avait fait du bien, il se sentait incapable de rester seul sans recommencer à être assailli par ses souvenirs, encore plus violemment maintenant qu'ils étaient tous remontés à la surface.

- Tu veux que je reste avec toi ? proposa Victor.

- Je… S'il te plaît. Enfin, si ça te dérange pas.

- Bien sûr que non.

-O-O-O-O-O-O-O-O-O-O-O-O-O-O-O-O-O-O-O

Yuri fut réveillé par la lumière du soleil qui passait dans sa chambre. Il se souvenait vaguement d'avoir entendu son réveil sonner mais Victor l'avait éteint quasiment aussitôt en lui soufflant de se rendormir. Fronçant les sourcils, il tendit la main vers son téléphone et constata qu'il était déjà plus de midi. Victor n'était plus avec lui. Se levant péniblement, il s'habilla et descendit dans le salon où sa mère se trouvait.

- Tu as vu Victor ? demanda-t-il, la voix encore ensommeillée.

- Il est parti à la patinoire, il t'y attend. Mais il m'a interdit de te laisser sortir avant que tu n'aies mangé quelque chose.

Yuri acquiesça d'un hochement de tête. Ayant sauté le repas de la veille au soir, il n'avait rien avalé depuis près de 24 heures et il mourrait de faim. Tout en mangeant, il ne put s'empêcher de repenser aux événements de la nuit. Même après qu'il se soit rendormi, il avait continué à faire des cauchemars qui le réveillaient en sursaut. Mais Victor était là. Avant même qu'il n'émerge complètement, le russe le serrait dans ses bras, le calmant et le réconfortant jusqu'à ce qu'il se rendorme, blotti contre lui. Il n'avait pas beaucoup dormi mais se sentait bien plus reposé que la veille au soir, lorsqu'il était seul pour affronter les souvenirs que la séance d'entraînement avait fait ressurgir. Jusqu'à présent, personne d'autre que Celestino n'avait jamais soupçonné ce qu'il vivait avec son ancien coach et il était soulagé d'avoir enfin réussi à en parler à Victor. Il espérait juste que le russe n'allait pas revoir ses méthodes d'entraînement en sachant cela. Victor avait beau être patient, il n'en restait pas moins incroyablement exigeant, lui faisant faire et refaire chaque figure jusqu'à ce qu'elle soit irréprochable. C'était cette précision qui lui avait permis de collectionner les points et d'arriver jusqu'à la finale. Est-ce que Victor allait vouloir réduire l'intensité de leurs entraînements par peur de le brusquer ?

Il termina de manger en ruminant ses pensées et attrapa ses affaires avant de partir vers la patinoire. Il entra à côté de la piste et haussa les sourcils en reconnaissant la musique qui résonnait dans le complexe. Il s'accouda à la balustrade en regardant Victor reproduire sa chorégraphie sur Stay close to me. Il avait toujours adoré le regarder patiner, mais le voir refaire son programme en entier était juste envoûtant. Ses mouvements étaient amples, fluides, il ne semblait pas patiner mais voler sur la glace. Il resta appuyé à la barrière à l'admirer pendant un moment avant que Victor ne se tourne vers lui et, sans interrompre sa danse, lui fasse signe de le rejoindre. Il enfila rapidement ses patins et le rejoignit au moment où la musique s'arrêtait.

- Je te la remets au début ? proposa Victor.

- Quoi, tu veux que je fasse ta chorégraphie ?

- Oui. Tu la connais, il me semble. Et tu n'as pas couru ce matin, ça te fera une bonne mise en jambes. Ne fais pas les sauts de la première partie, prends le temps de bien t'échauffer.

- D'accord.

Victor relança la musique et le rejoignit, effectuant la chorégraphie en même temps que lui. Yuri avait l'impression qu'une éternité s'était écoulée depuis qu'il avait reproduit cette danse devant Yuko sans savoir que les triplées le filmaient. Victor se plaça à côté de lui et lui prit la main, l'obligeant à se calquer sur ses mouvements. Ce n'était pas difficile, en soi, il l'avait suffisamment vu patiner pour connaître son rythme et chacun de ses gestes. Ils passèrent quelques minutes à danser ensemble avant que la deuxième partie ne commence. Victor le lâcha et prit de la vitesse pour sauter, faisant un impeccable quadruple flip. Yuri n'avait pas sauté pour le regarder faire, observant chacun de ses mouvements. Ils continuèrent la chorégraphie ensemble jusqu'au dernier saut, quelques secondes avant la fin de la musique. Victor prit à nouveau de la vitesse mais, cette fois, Yuri le suivit. Dans le programme officiel du russe, ce saut était un quadruple boucle piqué mais Yuri voulait essayer de le surprendre. Partant en ligne droite, il fit un demi-tour et effectua un quadruple flip, contractant ses muscles pour rester debout au moment où il atterrissait. Il soupira légèrement, satisfait et soulagé de l'avoir réussi, et chercha Victor du regard. Celui-ci s'était arrêté à côté de lui, les bras croisés, un sourire amusé planté sur son visage. En le voyant parfaitement immobile, Yuri devina qu'il n'avait finalement pas effectué le dernier saut. Il l'interrogea du regard en se rapprochant de lui et le sourire de Victor s'élargit :

- Je me doutais que ton flip allait être parfait, je ne voulais pas rater ça.

- Quoi, tu… Tu…

- Je savais qu'une fois que tu serais reposé et détendu par un programme que tu aimes danser, tu n'aurais aucun mal à le réussir à la perfection ? compléta Victor. C'est vrai, je te l'avoue.

Yuri laissa échapper un léger rire. Dire qu'il avait pensé surprendre Victor… Le russe se rapprocha de lui, le dévisageant avec un regard rempli de tendresse et de fierté. Il lui prit la main et murmura :

- Yuri…

- Oui ?

Victor tira fermement sur sa main, le faisant glisser et l'attirant contre lui.

- Tu es vraiment le meilleur élève qu'un coach puisse rêver d'avoir.


Une reviews me permet de savoir ce que vous en avez pensé et fait toujours énormément plaisir !