Cette fic est écrite dans le cadre de la 83ème nuit écriture du FoF (Forum Francophone) pour le thème "Empire". Le FoF est un forum regroupant tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou s'amuser entre nous. Le lien se trouve dans mes favoris. Rejoignez-nous !


Quand il était jeune et qu'il essayait de dénicher la moindre information sur Victor, Yuri s'était beaucoup renseigné sur son pays, la Russie. Il se souvenait de ces soirées entières passées à lire des livres d'histoire et de géographie sur cet empire, passionné par l'idée d'en apprendre un peu plus sur le pays et les origines de son idole. Il en avait appris les principales villes, les événements, les dates historiques et avait même commencé à s'intéresser à la langue au cas – qu'il jugeait très improbable à l'époque – où il rencontrerait Victor en chair et en os et pourrait avoir une conversation avec lui. Sans jamais y être allé en dehors des compétitions trop courtes pour faire du tourisme, il avait l'impression de connaître ce pays aussi bien que ceux qu'il avait visités au cours de ses escales plus longues.

Alors pourquoi avait-il cette sensation étrange, cette sensation d'avoir plongé dans l'inconnu, dans un monde trop grand et trop différent pour qu'il arrive à y avoir des repères ? Il n'avait pas éprouvé cette sensation lorsqu'il avait quitté toutes les personnes qu'il connaissait pour aller s'entraîner à Détroit, avec Celestino. Les États-Unis avaient beau être un pays complètement différent du Japon, il s'y était tout de suite senti à l'aise, prenant rapidement ses marques. Peut-être parce que Phichit aussi débarquait tout juste de Thaïlande et qu'ils s'étaient entraidés ? Ou bien parce qu'il parlait suffisamment bien anglais pour s'en sortir ? Ce n'était pourtant pas comme s'il était seul, en Russie.

Victor faisait tout pour qu'il s'y sente comme chez lui. Depuis un mois qu'il était revenu du Japon pour s'installer chez son coach, celui-ci avait été aux petits soins pour lui, l'aidant à emménager dans son appartement, le conduisant partout où il avait besoin d'aller et restant à ses côtés pour lui servir d'interprète. Et pourtant, il demeurait incapable de s'y retrouver. Les rues étaient à la fois trop grandes et trop semblables pour qu'il s'y repère, les immeubles trop hauts lui donnaient l'impression de l'écraser. Et le Japon lui manquait. Le calme et la sérénité des japonais contrastaient trop sévèrement avec l'attitude pressée et impatiente des russes dans la rue, les cerisiers en fleurs n'étaient remplacés que par des rangées de bâtiments et de béton, même la nourriture japonaise lui manquait cruellement – même si Victor ne désespérait pas de trouver une boutique où ils trouveraient tous les ingrédients de la sauce pour faire du katsudon.

Yuri soupira de désespoir en tournant à l'angle d'une rue pour découvrir une autre allée toute aussi inconnue. Il n'était pas si tard que ça mais, au mois de janvier, la nuit était tout de même tombée depuis un bon moment et le froid glacial commençait à l'atteindre à travers son manteau. Après être rentrés de leur entraînement, Victor et lui avaient constaté qu'ils n'avaient absolument plus rien à manger et, Victor ayant déjà pris sa douche, Yuri lui avait proposé d'aller lui-même faire quelques courses pour lui éviter d'avoir à se rhabiller. Victor avait eu l'air surpris mais soulagé de sa proposition et lui avait indiqué le chemin vers une boutique qui ne fermait pas avant minuit. Il l'avait trouvée sans difficultés mais, en repartant plongé dans ses pensées, il avait probablement raté un croisement. Et, à présent, il n'avait plus la moindre idée de l'endroit où il se trouvait. Il avait essayé de revenir sur ses pas mais reconnaissait de moins en moins les rues qu'il empruntait. Il s'appuya contre un mur, posant le sac de courses à ses pieds, et essaya de retrouver son calme. Il ne retrouverait pas le chemin de chez eux en s'énervant ou en paniquant. Pourtant, l'angoisse s'insinuait progressivement en lui, brouillant son regard et l'empêchant de réfléchir à une solution. Il avait bien pensé à utiliser le GPS de son téléphone mais, malgré ses quelques apprentissages des années plus tôt, l'alphabet russe restait encore un véritable mystère à ses yeux et il avait été incapable de retrouver comment orthographier la rue de l'appartement de Victor. Il devait bien se rendre à l'évidence, il était complètement perdu. Les doigts tremblants, mortifié de honte et de désespoir, il composa le numéro de téléphone de Victor. Celui-ci décrocha avant la fin de la première sonnerie et s'exclama :

- Yuri ? Je commençais à m'inquiéter… Qu'est-ce qui se passe ?

- Victor, je… Je suis désolé, je… Je crois que je me suis perdu sur le retour…

Son coach parut déceler l'angoisse et la panique dans sa voix et murmura doucement :

- Calme-toi, Yuri. Tu es où ?

- Si je le savais, je n'aurais pas eu besoin de t'appeler.

Il entendit Victor étouffer un léger rire devant sa réponse. Étonnamment, même si son coach semblait s'amuser de la situation, Yuri ne s'en vexait pas, le calme de sa voix le réconfortait presque. Le russe reprit :

- Tu as un panneau avec le nom d'une rue à proximité ?

Yuri leva les yeux et répondit :

- Oui mais… J'ai pas la moindre idée de comment ça se prononce…

- Alors prends le panneau en photo et envoie-la moi. Ne bouge pas, j'arrive.

- OK…

- A tout de suite, souffla Victor.

Victor raccrocha et Yuri lui envoya la photo avant de ranger son téléphone en s'efforçant de maîtriser ses tremblements. Si la voix de son petit ami l'avait légèrement calmé, la honte et le désespoir recommençaient à l'assaillir, encore plus violemment maintenant qu'il n'avait plus rien d'autre à faire que d'attendre.

Quelques minutes – qui lui parurent être une éternité – plus tard, la voiture de Victor se gara à côté de lui et il monta côté passager, posant le sac de courses à ses pieds, n'osant pas croiser le regard de son coach. Celui-ci passa tendrement une main dans ses cheveux.

- Ça va ? s'inquiéta-t-il.

Yuri acquiesça d'un hochement de tête, les yeux toujours fixés sur le plancher de la voiture.

- Je suis désolé… murmura-t-il. J'y étais allé exprès pour t'empêcher de ressortir…

- Ce n'est pas grave, Yuri, sourit tendrement Victor. Tu n'étais pas loin. Et je préfère que tu m'appelles plutôt que tu tournes en rond en pleine nuit.

Victor s'engagea sur la route et les ramena rapidement au pied de leur immeuble. Il avait raison, il n'était qu'à trois ou quatre rues de chez eux… Si seulement il avait insisté un peu au lieu de paniquer bêtement… Ils remontèrent rapidement dans l'appartement, Yuri évitant toujours soigneusement de croiser le regard de Victor. Ce ne fut que lorsque ce dernier eut refermé la porte d'entrée derrière eux qu'il l'attira contre lui, l'incitant à poser sa tête contre son torse et lui caressant doucement les cheveux.

- C'est un peu de ma faute aussi, murmura Victor de sa voix douce. Je ne t'ai pas fait visiter grand-chose d'autre que le chemin entre ici et la patinoire…

- Ça n'aurait rien changé… souffla Yuri. Je… Je n'arrive pas à m'y retrouver, pas à prendre de repères… J'ai l'impression que c'est tout le pays qui ne veut pas de moi.

Victor resta silencieux quelques secondes avant de demander :

- Tu veux qu'on reparte au Japon ?

La proposition de Victor et la spontanéité avec laquelle il l'avait faite le firent sursauter. Son coach lui avait posé la question de manière tellement naturelle, comme s'il se fichait complètement du fait que repartir au Japon marquerait la fin définitive de sa carrière.

- Bien sûr que non ! s'exclama-t-il en se redressant pour lui faire face. Ce n'est pas ce que je voulais dire ! Je suis heureux d'être avec toi et qu'on patine ensemble mais… Je me sens perdu. A tous les sens du terme, grommela-t-il en se remémorant son expérience.

- Tu veux un coup de main pour t'y retrouver ? proposa Victor. Je peux nous dégager plus de temps libre pour te faire visiter et t'aider à connaître la ville et même le pays. Sans que ça ne perturbe nos entraînements, rajouta-t-il en voyant l'hésitation de Yuri.

- Ça ne te dérange pas ?

- Bien sûr que non. Je veux que tu sois à l'aise ici.

Victor l'attira à nouveau contre lui, resserrant ses bras autour de son protégé qui ferma les yeux, se laissant aller.

La Russie lui paraissait toujours être un empire trop grand, trop vaste et trop effrayant pour qu'il s'y retrouve. Mais il était avec Victor et, à ce moment là, il avait la certitude qu'il réussirait à tout affronter tant qu'il resterait dans ses bras.


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