Cette fic est écrite dans le cadre de la 83ème nuit écriture du FoF (Forum Francophone) pour le thème "Objectif". Le FoF est un forum regroupant tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou s'amuser entre nous. Le lien se trouve dans mes favoris. Rejoignez-nous !
Yuri releva le visage vers le miroir, face à lui. Il était pâle, très pâle. Ses yeux étaient cerclés d'énormes cernes mais il ne les remarquait même plus – cela faisait trois mois qu'ils s'étaient définitivement installés sous ses yeux. Le programme long des championnats du monde était sur le point de commencer. Les mondiaux… Cet objectif ultime, la dernière compétition de la saison, celle pour laquelle il se tuait de fatigue à l'entraînement depuis trois mois… Il n'était pas en état de le remporter, il le savait pertinemment. Il soupira et, l'espace d'une seconde, une question traversa son esprit. Comment en était-il arrivé là ? Comment en était-il arrivé à disputer une compétition perdue d'avance, dans laquelle il espérait juste faire un score un minimum correct, alors qu'il était brisé d'épuisement ? Il ferma les yeux et essaya de maîtriser le tremblement de ses mains.
Tout avait commencé trois mois auparavant, lorsqu'il avait emménagé chez Victor pour s'entraîner avec lui, à Saint-Pétersbourg. Un déménagement à des milliers de kilomètres, des dizaines de kilos de bagages à traîner et à déballer, avec les heures d'entraînements qui s'étalaient toute la journée, six jours par semaine. Il passait ses journées à patiner et ses nuits éveillé, incapable de dormir à cause du décalage horaire. Petit à petit, ses cernes s'étaient installés, ses bâillements étaient devenus plus fréquents, ses chutes lors de ses figures ratées plus douloureuses. Il s'était habitué au changement d'horaire et dormait de plus en plus mais récupérait de moins en moins, s'effondrant d'épuisement avant même la moitié de sa semaine d'entraînement.
Sa fatigue avait bien sûr rapidement inquiété Victor, qui avait tout fait pour l'aider à récupérer. Il restait auprès de lui lors de leurs journées de repos pour l'aider à s'endormir, s'occupait de tout dans leur appartement, lui préparant ses petits-déjeuners pour qu'il puisse rester au lit le plus longtemps possible. Il avait même fini par demander conseil à Yakov pour aménager l'entraînement de Yuri de façon à ce que celui-ci se fatigue le moins possible. Ses efforts pour l'aider à aller mieux avaient un peu eu l'effet escompté, il avait mieux supporté les heures de patinage et ne se sentait plus sur le point de s'effondrer à tout moment. Mais, en parallèle, il commençait à avoir des vertiges, d'abord légers à la fin d'une séance d'entraînement chargée, puis plus violents, plus nombreux, plus imprévisibles.
Il n'avait pas pu se permettre d'en parler à Victor, les championnats des quatre continents commençaient seulement quelques jours plus tard et il savait que son coach ne l'aurait jamais laissé y participer s'il avait soupçonné son état. Bien sûr, Victor soupçonnait son état. Il le voyait clairement à son regard de plus en plus inquiet et impuissant et en avait eu la confirmation quand son coach lui avait suggéré de finir sa saison après les quatre continents et de déclarer forfait pour les mondiaux. A la réflexion, il aurait peut-être mieux valu qu'il accepte à ce moment là. Mais ils avaient décidé d'en reparler après le championnat des quatre continents.
Il n'avait pas connu de tel fiasco depuis la finale du Grand Prix, deux ans auparavant. Il avait raté son premier saut et la proposition de Victor l'avait hantée. Sous l'effet de la fatigue et du stress, il s'était demandé si cette idée d'arrêter la saison ne cachait pas autre chose, une volonté de Victor de le voir prendre sa retraite pour que lui-même puisse se consacrer entièrement à sa carrière. Bien sûr, s'il avait été un peu moins fatigué, il aurait su que cette idée était absurde, que Victor ne renoncerait à son poste de coach pour rien au monde. Mais sur le coup, ses interrogations lui avaient fait perdre ses moyens et il avait complètement échoué au libre, se plantant encore plus qu'à la Coupe de Russie l'année précédente.
Et il avait voulu prendre sa revanche. Il avait dissimulé ses vertiges et ses pertes d'équilibre à Victor, avait rechaussé ses patins pour reprendre l'entraînement six jours par semaine et avait promis à son coach de lui ramener la médaille d'or des mondiaux.
Plus les jours avaient passé, plus il avait réalisé que cet objectif n'était juste pas atteignable. Il ne remporterait pas l'or dans son état, c'était une certitude. Victor lui avait à nouveau proposé d'arrêter mais il s'entraînait depuis trop longtemps. Cela faisait trois mois qu'il se détruisait de fatigue et qu'il rêvait de la semaine de repos que Victor lui avait promise à la fin des mondiaux, il ne voulait pas que tous ses efforts aient été complètement inutiles. Tant pis si l'or était devenu impossible à atteindre, il espérait juste faire un score correct qui rattraperait le fiasco des quatre continents.
Deux bras l'enserrèrent doucement et il releva la tête vers l'image de Victor dans le miroir. Comme d'habitude depuis trois mois, son regard trahissait une inquiétude profonde.
- Tu es sûr que ça va aller ?
- Oui ! assura-t-il avec l'ombre d'un sourire. C'est bientôt fini de toute façon…
Il se retourna pour lui faire face et Victor l'attira dans ses bras. Yuri posa sa tête contre le torse de son coach et ferma les yeux. Il aurait presque été capable de s'endormir comme ça, debout contre lui, tellement il était épuisé. Victor soupira :
- Je ne devrais pas te laisser faire ça.
- Ce n'est qu'un dernier programme long, Vic… Je l'ai fait des dizaines de fois à l'entraînement. Et cette fois, je n'ai même pas la pression du résultat que je vais obtenir, je sais que je ne pourrais pas faire de miracle… Ça va aller, je te jure !
Victor le lâcha et ils se dirigèrent ensemble vers la piste. Une fois au bord de la piste, en attendant le tour de Yuri, son coach lui souffla ses derniers conseils d'une voix douce.
- Ménage-toi, d'accord ? Tu sais gérer ton effort alors place tes sauts en conséquence. Si tu sens que tu fatigues trop, ne les fais pas et garde tes forces pour ton interprétation et tes autres figures, c'est compris ?
Yuri acquiesça et s'engagea sur la piste au moment où son nom fut appelé. Alors qu'il patinait vers le centre de la patinoire pour se mettre en place, il se sentait soudainement plus seul et épuisé que jamais. La présence réconfortante de Victor à ses côtés lui avait redonné un peu d'énergie qui s'était envolée dès qu'il avait lâché la main de son coach. Tremblant légèrement, il embrassa la bague dorée à son annulaire avant de s'immobiliser sur la piste. Il pouvait le faire, il pouvait obtenir un score plus que correct pour cette dernière compétition. Il s'élança au moment où la musique résonnait, laissant ses bras glisser le long de son corps pour marquer le début de sa chorégraphie. L'avantage de ce programme était qu'il le connaissait désormais par cœur, étant capable de le réaliser sans même y penser. Il devait repousser sa fatigue encore un moment, encore quelques minutes avant de pouvoir s'effondrer, encore quelques minutes pour que les trois derniers mois n'aient pas servi à rien. Il prit de la vitesse pour sa première combinaison, quadruple boucle piqué suivi d'un double boucle piqué. La combinaison la plus difficile de son programme, volontairement laissée en tout début de chorégraphie pour être sûr qu'il ait la force de la réaliser. Il effectua ses sauts correctement mais, à la réception de son double, dérapa et chuta, sa tête heurtant violemment la glace. Le choc se propagea comme une vague dans tout son corps mais il se releva par automatisme. Il continua ses mouvements, essayant d'ignorer la douleur qui lui martelait la tempe par à coups violents. Sa vue se troublait, il sentait son corps réaliser sa chorégraphie mécaniquement mais était incapable de se concentrer sur ce qu'il faisait. Le choc avait fait renaître les migraines et les sensations de vertiges qui l'assaillaient continuellement, la patinoire tournait en même temps que lui, lui donnant envie de s'effondrer sur la glace en se tenant la tête. Mais il ne pouvait pas se le permettre. Dans un effort surhumain de volonté, il reprit de la vitesse pour préparer son saut suivant, un quadruple flip. La signature de Victor qu'il s'était appropriée pour lui signifier sa volonté de continuer à patiner avec lui. Il devait le réussir, absolument. Il s'élança en ligne droite avant d'effectuer un pas de trois qui lui donna le tournis. Il ferma légèrement les yeux et sauta, tournant sur lui-même. Une fois. Son tournis s'amplifia, lui faisant perdre le peu de repères qu'il avait encore. Deux fois. Il n'arrivait plus à ouvrir les yeux. Trois fois. Ou plutôt des dizaines de fois. Les yeux fermés, il se sentait tourner à l'infini tout en tombant dans un trou sans fond, son corps rendu incontrôlable. Une voix horrifiée – celle de Victor, il en était persuadé – hurla son prénom. Il percuta de plein fouet une surface dure et glacée. Noir.
Il était étendu sur la glace, il le sentait au froid glacial contre son visage. Il ne mit que quelques secondes à comprendre ce qui s'était passé, mais il ne voulait pas l'admettre. Il s'était évanoui. Il avait fait un malaise en pleins championnats du monde, devant une foule de gens et de caméras. Des larmes d'épuisement et de regrets lui montèrent aux yeux. Comment cela avait-il pu arriver ? Comment avait-il pu échouer à réaliser une dernière fois cette chorégraphie qu'il avait faite des dizaines de fois sans aucun problème ? La voix au micro demandait une équipe médicale sur la patinoire, comme pour lui confirmer qu'il ne rêvait pas. Deux mains le prirent par les épaules et le retournèrent sur le dos, appuyant sa tête et ses épaules contre une surface bien plus douce et chaude que la glace. Il ouvrit lentement les yeux. Victor était agenouillé à côté de lui et lui avait posé le haut du corps contre ses propres jambes pour le protéger du contact de la patinoire. Le bras de Victor passé autour de ses épaules tremblait violemment, ses yeux embués de larmes.
- Yuri ! Tu m'entends ? Comment tu te sens ?
- Je… Ça va… Je suis désolé, je… J'ai essayé de tenir, je te le jure… Je suis désolé… bafouilla-t-il.
- C'est pas grave, Yuri. Ne t'inquiète pas pour ça. Tu m'as fait tellement peur… Comment tu vas ? Tu as mal quelque part ?
Yuri fit légèrement bouger ses bras et ses jambes avant de répondre :
- Ça devrait aller… Je peux me relever…
- Non, ne bouge pas. Tu as pris deux chocs d'affilés sur la tête, tu ne te relèves pas. Les secours arrivent.
Victor resta à côté de lui, continuant à lui parler et à le réconforter, jusqu'à ce que l'équipe médicale arrive. Un médecin lui posa plusieurs questions avant d'aider Victor à le soulever légèrement pour le poser sur un brancard, laissant l'équipe de secours le faire sortir de la piste.
Yuri gardait les yeux baissés. Un silence de mort était tombé sur la pièce du complexe qui servait d'infirmerie, où il avait été amené et installé sur l'un des fauteuils médicalisés. Après avoir été ausculté pendant ce qui lui avait paru être une éternité, les médecins lui avaient ordonné de se reposer, lui laissant juste un appareil autour du bras pour contrôler sa tension régulièrement et automatiquement. Victor était resté avec lui, sa main serrée sur la sienne. Dès que les médecins avaient affirmé qu'il était hors de danger, l'inquiétude sur le visage de son coach avait disparu et son visage était devenu plus fermé, plus grave. Même avec cette impression d'être complètement déboussolé, Yuri en était persuadé : Victor était furieux. A cet instant présent, il se fichait du championnat, de cet objectif qu'il n'avait pas réussi à atteindre, de cette médaille qu'il ne pourrait pas lui rapporter. Il avait juste envie que son coach et petit-ami arrête d'être en colère contre lui.
- Vic… Je suis désolé, sincèrement. Je t'en supplie, excuse-moi.
Victor ne le regarda même pas et sa voix était sèche lorsqu'il répondit :
- Tu n'as pas à t'excuser. Tu n'es pas responsable de ce qui s'est passé.
Sa réponse surprit Yuri qui hasarda une question :
- Alors… Pourquoi tu m'en veux autant ? Tu es en colère, ça se voit…
Cette fois, Victor releva les yeux vers lui, également surpris par sa question, et il le regarda en répondant :
- C'est contre moi-même que je suis en colère, Yuri… Je te l'ai dit, tu n'es pas responsable de ce qui est arrivé, mais moi je le suis ! Ça fait trois mois, Yuri ! Trois mois que je te regarde crever de fatigue et te détruire d'épuisement uniquement pour que tu puisses faire ces championnats ! Tu n'étais pas en état de participer, ça crevait les yeux, mais je t'ai quand même laissé y aller juste pour que tu me ramènes une médaille de plus ! J'ai fait passer tes résultats avant ta santé et ta sécurité !
- C'est moi qui ai insisté… Tu as voulu m'obliger à arrêter après les quatre continents, c'est moi qui t'ai supplié de me laisser partir aux mondiaux…
- Bien sûr que tu as insisté ! s'exclama Victor. Aucun patineur ne veut s'être entraîné pour rien, aucun patineur ne veut renoncer à une compétition mais c'était mon devoir de coach de t'y obliger ! J'ai failli à toutes mes responsabilités envers toi et j'ai joué avec ta vie !
Un médecin les interrompit :
- Monsieur, s'il vous plaît, ne lui criez pas dessus ou je vous fais sortir d'ici, il a besoin de calme !
Victor grommela des excuses et Yuri répondit :
- Tu n'as pas joué avec ma vie, tu exagères… Ce n'était qu'un malaise, je me suis réveillé en quelques secondes et je n'ai rien de grave…
- Parce que tu as eu une chance inouïe ! reprit Victor plus doucement. Tu ne t'es pas vu tomber… Une chute comme celle que tu as faite, en plein milieu d'un saut, et les chocs que tu as pris sur la tête… Ça aurait pu, ça aurait dû être beaucoup plus grave ! C'est un miracle que tu n'aies pas fait de traumatisme crânien…
- Mais je vais bien. Ça ne sert à rien de réfléchir à ce qui aurait pu arriver…
- Si. Ce qui est arrivé est beaucoup trop grave. Tu es l'un des meilleurs patineurs au monde et tu mérites de t'entraîner en sécurité avec un véritable entraîneur, pas avec un autre patineur inconscient qui s'est autoproclamé coach.
Sa réponse scotcha Yuri. Il ne voulait pas comprendre ce que Victor était en train de lui dire. Ou, du moins, il avait peur de trop bien comprendre.
- Vic, tu… Tu ne penses pas à…
Victor secoua la tête de droite à gauche.
- Je suis désolé Yuri. Ça ne changera rien au reste, tu peux continuer à vivre avec moi et à t'entraîner avec Yakov si tu le souhaites, il sera d'accord. Et j'ai sincèrement envie que tu le fasses. J'ai envie que tu restes avec moi et qu'on patine ensemble. Mais je ne peux pas t'entraîner, pas après ça. C'est trop grave et je dois en assumer les responsabilités pour être sûr que ça ne se reproduira pas.
Victor marqua une seconde de silence, comme s'il avait du mal à continuer sa phrase, avant de reprendre :
- Je… Je démissionne, Yuri.
Note de l'auteur : Cet OS devait être écrit en une heure, vous devinerez à sa longueur que j'ai lamentablement échoué à respecter cette consigne. A la base, j'étais même partie pour quelque chose de beaucoup plus long décrivant en détail les trois mois d'entraînement de Yuri. Il n'était écrit qu'aux trois quarts et faisait déjà le double de cet OS quand j'ai décidé de le reprendre depuis le début en changeant de cap. Mais je n'exclus pas de finir et poster la "version longue" prochainement... N'hésitez pas à me dire si celle-ci vous intéresse, ça me motivera à la finir :)
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