Cette fic est écrite dans le cadre de la 83ème nuit écriture du FoF (Forum Francophone) pour le thème "Entretien". Le FoF est un forum regroupant tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou s'amuser entre nous. Le lien se trouve dans mes favoris. Rejoignez-nous !
Note de l'auteur : Cet OS fait directement suite au précédent sur le thème "Objectif". Même si j'ai essayé de rendre les choses le plus clair possible, il est quand même conseillé d'avoir lu "Objectif" pour se remettre tout de suite dans l'ambiance.
Victor gara sa voiture en bas de leur immeuble. L'atmosphère était pesante entre Yuri et lui. Après le malaise du patineur aux championnats du monde, puis la démission de son coach, ils avaient passé deux jours à se reposer à l'hôtel d'Helsinki avant que Yuri ne jure à Victor qu'il était en état de prendre l'avion pour rentrer à Saint-Pétersbourg. Son coach – non, son ancien coach – avait rapidement accepté, convenant du fait qu'il récupérerait bien plus facilement chez eux. Yuri n'avait plus osé aborder le sujet depuis que Victor lui avait annoncé sa démission, il sentait que le russe était encore trop sous le choc de ce qui s'était passé pour accepter d'en parler. Pourtant, ils devraient bien avoir cet entretien tôt ou tard, cette ultime chance de convaincre Victor qu'il n'était pas responsable de ce qui lui était arrivé. Cette ultime chance de le convaincre de recommencer à l'entraîner.
Ils descendirent de la voiture et Yuri se rapprocha du coffre pour saisir leurs valises.
- Laisse, ordonna Victor d'une voix ferme.
Son expression était tellement grave que Yuri stoppa immédiatement son mouvement, laissant Victor prendre leurs bagages. Ils remontèrent dans leur appartement et, une fois la porte refermée derrière eux, Victor ordonna :
- Tu files au lit. Tu as encore besoin de repos, surtout après le voyage.
- Je… Je peux juste prendre une douche avant, s'il te plaît ?
Victor le dévisagea quelques secondes, visiblement surpris qu'il lui demande l'autorisation pour une chose aussi banale. Son visage se radoucit légèrement et il laissa ses doigts filer sur sa joue.
- Je vais te faire couler un bain. Ça te reposera un peu plus et ça ne te fera pas de mal de détendre tes muscles. Va au moins t'asseoir en attendant.
Il acquiesça sans discuter, laissant juste échapper un "Merci". Il connaissait Victor, il savait qu'il ne pourrait pas avoir la moindre conversation avec lui s'il l'énervait. Il se laissa tomber dans le canapé et son petit-ami le rejoignit après être allé mettre son bain à couler. Victor annonça :
- J'ai eu Yakov au téléphone, quand on était à l'aéroport. Il est d'accord pour t'entraîner quand tu seras remis.
Un pincement au cœur saisit Yuri à cette annonce. Il releva les yeux vers Victor et commença :
- A ce propos…
- Non. Ce n'est pas discutable.
- S'il te plaît, écoute-moi au moins ! rugit Yuri.
Victor haussa les sourcils, surpris par le ton employé par Yuri.
- OK je t'écoute.
- Vic… Quoi qu'il arrive, je ne recommencerais pas à patiner tout de suite, j'en ai pour au moins deux semaines avant que le médecin de l'équipe ne m'autorise à reprendre l'entraînement. Minimum. Alors, s'il te plaît… Est-ce que tu pourrais me promettre que ta décision ne sera pas définitive tant que je ne serai pas sur pieds ? Peut-être que tu ne changeras pas d'avis et je respecterai ta décision finale, je te jure ! Mais s'il te plaît… Promets-moi juste d'y réfléchir.
Victor l'avait écouté en silence et, à la fin de sa demande, hésita quelques secondes avant d'acquiescer lentement.
- OK. Oui, je suppose que je peux faire ça. Je ne vois franchement pas ce qui pourrait me faire changer d'avis… Mais c'est d'accord, je te promets d'y réfléchir.
- Merci…
-O-O-O-O-O-O-O
Victor ouvrit le plus silencieusement possible la porte de la chambre. Yuri dormait déjà profondément. Il était soulagé que son élève n'ait pas plus discuté à l'ordre de se reposer, allant docilement se coucher après son bain. Lentement, en faisant attention à ne pas le réveiller, il s'assit sur le lit à côté de lui et laissa ses doigts passer dans ses cheveux encore humides. La culpabilité et le remord l'écrasaient toujours autant, il était incapable de fermer les yeux sans revoir son corps inconscient s'effondrer sur la glace dans un claquement sinistre. Comment Yuri voulait-il qu'il arrive à se le pardonner un jour et à recommencer à l'entraîner comme si de rien n'était ? Il lui avait promis d'essayer mais ne voyait absolument pas comment il pourrait passer par-dessus ça. Il soupira légèrement. C'était fini, de toute façon. Ils étaient rentrés chez eux, n'avaient plus de compétition avant six mois et Yuri pourrait enfin prendre le repos qu'il aurait déjà dû s'accorder deux mois auparavant. La sonnette de son appartement le tira de ses pensées. Il jeta un regard inquiet à son élève mais celui-ci n'avait pas bougé, le bruit ne le réveillant absolument pas. Il se releva et sortit silencieusement de la chambre avant d'aller ouvrir.
- Yakov ?
Victor s'écarta pour laisser son coach entrer. Ils s'assirent dans le canapé du salon avant que Yakov n'annonce :
- Je suis passé voir comment vous alliez.
- Ça va mieux. Il dort. Il va pouvoir mieux récupérer maintenant qu'on est rentrés.
- Et toi ?
Victor haussa les sourcils de surprise.
- Quoi, moi ? Pourquoi veux-tu que j'aille mal ?
- Parce que tu as vu ton élève et ton petit ami faire un malaise et que tu t'en sens responsable. Je commence à te connaître, Victor. Tu ne m'aurais pas demandé de l'entraîner si tu n'étais pas effondré de culpabilité.
- Tu l'as dis toi-même l'année dernière, je n'ai jamais été coach. Et il a fallu que je mette sa santé en danger pour que je m'en rende compte. Il sera en sécurité avec toi.
- Et toi, qu'est-ce que tu veux ? C'est vraiment ce que tu souhaites, renoncer à l'entraîner ?
- Ce que je veux, c'est être sûr qu'une chose pareille ne se reproduira pas ! rugit Victor.
- Peu importe ta décision, ça ne se reproduira pas, assura Yakov. Je… Je suis passé par là, aussi.
- Quoi ?
- C'était bien avant que tu n'arrives. J'avais eu un élève, incroyablement doué, prometteur. Même toi, tu ne lui arrivais pas à la cheville. Il avait neuf ans quand j'ai commencé à l'entraîner. Il avait un talent fou, ça crevait les yeux, et une fièvre de victoire que je n'avais encore jamais vue avant… A partir de douze ans, il m'a demandé de le laisser mettre des quadruples dans ses programmes. Je connaissais les recommandations officielles, je savais que je n'aurais pas dû accepter avant qu'il n'ait fini sa croissance… Mais il avait un potentiel énorme. Un talent comme le sien, avec des quadruples à son âge, ça le rendait capable de battre tous les records du monde jamais fixés auparavant. Il m'a supplié de le laisser faire, il m'a promis qu'il ferait attention, qu'il n'en mettrait qu'un seul par programme. Et j'ai fini par céder.
- Qu'est-ce qui s'est passé ?
- Lors de son arrivée chez les séniors, il a commencé à se plaindre de maux de dos. Au début ce n'était pas grand-chose, et il voulait finir la saison avant de s'en occuper. Il a insisté, a fini toutes les compétitions et s'est décidé à en parler à un médecin. La moitié de ses vertèbres étaient complètement tassées. Sa colonne vertébrale était en miettes et irrécupérable. Tout le monde m'a affirmé qu'il pouvait y avoir plein de raisons, que je n'étais pas forcément responsable… Mais on ne se tasse pas des vertèbres comme ça et il ne faisait rien d'autre que de patiner. Sa carrière était finie à seize ans.
Victor resta silencieux. Il avait lui-même essayé de faire un quadruple quand il avait treize ans et Yakov l'avait incendié, allant jusqu'à l'interdire de patiner pendant une semaine entière pour le dissuader de recommencer. Il ne l'avait jamais vu dans une fureur pareille. Il comprenait mieux pourquoi, à présent. Yakov reprit :
- Victor, ce que j'essaye de te dire, c'est que ce qui s'est passé dans les mondiaux ne se reproduira pas. Ta culpabilité est trop grande pour disparaître complètement et, si tu décides de continuer, je peux t'affirmer que plus jamais tu ne laisseras Yuri prendre le moindre risque. On n'oublie pas ces choses là, je te le jure.
Victor acquiesça lentement.
- Tu… Tu as dit toi-même que ça te dégoûtait de me voir comme coach, l'année dernière…
- Tu es meilleur patineur que coach, c'est indéniable, assura Yakov. Mais ta relation avec Yuri est particulière. Tu as été le seul entraîneur à être capable de lui donner confiance en lui, de lui donner la force de surmonter ses angoisses, personne d'autre n'avait réussi à le faire depuis vingt-trois ans ! La décision te revient, Victor, je ne te forcerai à rien et j'accepterai de l'entraîner si tu décides d'arrêter ton contrat avec lui. Mais, très honnêtement… Je ne sais pas si j'arriverai à le motiver et à le faire briller autant que tu l'as fait lors de cette saison.
Yakov se leva et pressa l'épaule de Victor d'un geste amical.
- Réfléchis-y, conseilla-t-il.
- Merci, murmura Victor, la gorge serrée.
Il le raccompagna à la porte et Victor se laissa retomber sur le canapé. Il ne pensait pas que quoi que ce soit pourrait le faire revenir sur sa décision, mais son entretien avec Yakov l'avait tout de même fait réfléchir. A ce moment-là, il se sentait capable d'honorer la promesse qu'il avait faite à Yuri et, peut-être, dans quelques jours ou quelques semaines, de changer d'avis.
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