Cette fic est écrite dans le cadre de la 84ème nuit écriture du FoF (Forum Francophone) pour le thème "Tarte". Le FoF est un forum regroupant tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou s'amuser entre nous. Le lien se trouve dans mes favoris. Rejoignez-nous !


- Et maintenant, place au représentant du Japon, Yuri Katsuki ! annonça le présentateur. Il est exceptionnellement coaché par Yakov Feltsman.

Yuri sentit le pincement au cœur qui le saisissait régulièrement ces derniers temps s'accentuer en entendant l'annonce. Yakov avait beau l'entraîner depuis deux semaines, l'absence de Victor à Helsinki pour les championnats du monde le dérangeait plus qu'il ne voulait l'admettre. Sa solitude dans sa chambre d'hôtel, le fait de devoir se préparer et se coiffer seul, chaque détail insignifiant lui rappelait son absence et les raisons de leur éloignement.

- Yuri.

La voix grave de Yakov le tira de ses pensées et il accrocha le regard du coach qui reprit :

- Tu n'as pas besoin de lui pour patiner. Prouve-le lui.

D'abord surpris par ses paroles, Yuri sentit sa détermination remonter en flèche et il acquiesça d'un hochement de tête. Yakov n'aurait pas pu trouver de meilleurs mots pour le motiver et lui donner la force d'affronter ces derniers championnats. Il partit vers le centre de la patinoire et se mit en place pendant que le présentateur reprenait :

- Yuri Katsuki, sur De l'amour : Eros. Chorégraphie de Victor Nikiforov.

La musique résonna et il laissa ses mains glisser le long de son corps dans le mouvement sensuel qu'il avait été habitué à faire. Il tourna la tête vers le jury sur la dernière note de l'introduction mais ne parvint pas à reproduire ce regard captivant, déterminé et légèrement aguicheur qu'il envoyait d'habitude à Victor. Pourquoi n'était-il pas là aujourd'hui ? Il le savait très bien. Pire, il avait beau en vouloir à son coach, il savait que c'était en partie de sa faute si leur relation s'était brutalement détériorée, en l'espace de quelques secondes. Il prit de la vitesse pour réaliser un quadruple flip mais chuta violemment sur la réception. La douleur cuisante qui le parcourut le força à reprendre ses esprits, à se concentrer sur cette chorégraphie qu'il connaissait désormais par cœur. Il se releva rapidement et reprit ses mouvements, cherchant à reproduire la sensualité et l'attirance qu'il avait toujours tâché de mettre dans chacun de ses pas. Pourquoi est-ce qu'il n'y arrivait pas, pourquoi est-ce qu'il avait l'impression de ne pas pouvoir, de ne pas vouloir réaliser cette chorégraphie en l'absence de Victor ? Prouve-lui que tu n'as pas besoin de lui. Les mots de Yakov résonnèrent dans sa tête et le motivèrent à se concentrer sur son triple axel. Il parvint à se réceptionner mais sans aucune grâce, sa jambe tremblant violemment. Un sentiment de découragement l'envahit en constatant qu'il était même incapable de réussir correctement ce saut qui était devenu sa spécialité. Il ne pouvait pas le faire. Il ne pouvait pas patiner sans lui. Il ne pouvait pas vivre sans lui. Le reste de sa chorégraphie fut semblable au début. Ses gestes étaient hésitants, mécaniques, reproduisant des mouvements sans aucune grâce ni émotion derrière, chutant sur quasiment tous ses sauts. Lorsque la musique s'arrêta enfin, il se laissa tomber sur la glace, dévasté par la honte d'avoir lamentablement échoué et l'amertume de ne pas avoir réussi ce pari, de ne pas avoir pu lui prouver qu'il n'avait pas besoin de lui.

- Tu vas devoir apprendre à t'en sortir sans lui, gamin, il ne sera pas toujours là ! Tu es capable de bien mieux que ça, il serait temps que tu t'actives pour nous le prouver !

Les réprimandes de Yakov l'atteignaient à peine. Assis dans l'espace presse, attendant les résultats sans beaucoup d'espoir, Yuri gardait sa tête dans ses mains, ruminant sa défaite. Comment en étaient-ils arrivés là ? Comment en était-il arrivé à ne plus vouloir adresser la parole à Victor, tout en sachant qu'il ne pouvait pas se passer de lui ?

Tout avait commencé deux semaines avant, à la fin d'une semaine d'entraînement chargée pour eux deux. Victor lui faisait travailler sa technique du quadruple flip, sa spécialité qu'il s'était appropriée. Ils étaient tous les deux épuisés et Yuri sentait clairement la lassitude apparaître dans la voix de son coach pendant qu'il lui répétait les erreurs qu'il faisait à chaque fois sur ses mouvements. Après un énième saut qui n'avait toujours pas satisfait le russe, Yuri avait fini par répondre à ses reproches. Il se souvenait à peine de la conversation en elle-même, des mots qu'ils avaient utilisés sous le coup de la fatigue et de l'énervement. Il se souvenait à peine de la dernière phrase qu'il avait dite à Victor sur un ton provocant, exprès pour le faire réagir alors que son coach lui tournait le dos pour s'éloigner. Il se souvenait juste de la réaction de Victor. En une seconde, celui-ci s'était retourné et Yuri avait juste eu le temps de voir son bras se lever avant que la gifle ne le fauche violemment, résonnant dans tout le Palais des Glaces. La main collée sur sa joue pour essayer d'atténuer la douleur, Yuri avait relevé les yeux vers Victor. Son coach avait clairement paru choqué par son propre geste, ses yeux écarquillés d'horreur et de regrets lui laissant voir qu'il s'en voulait d'avoir pu faire ça. Avant qu'aucun d'eux deux n'ait pu dire quoi que ce soit, Yakov était arrivé et avait fait sortir Victor du complexe. Celui-ci n'avait pas discuté et était parti aussitôt.

Il n'avait plus reparlé à Victor depuis. Après s'être assuré qu'il n'était pas blessé, Yakov avait continué à l'entraîner. Le soir même, avant qu'il n'ait pu envisager l'idée de devoir rentrer chez Victor, Yurio lui avait proposé de l'héberger et l'envie de repousser au maximum la confrontation avec son coach avait été tellement grande qu'il avait accepté. Il se doutait de ce qu'avait pensé la plupart des patineurs présents à ce moment-là. Leur regard rempli de pitié lui laissait clairement comprendre qu'ils ne voyaient plus qu'un patineur battu par son coach – ou un homme battu par son futur mari, au choix. Seul Yurio avait pris l'épisode avec du recul et l'avait aidé à croire que Victor regrettait bel et bien son geste. Victor n'est pas du genre à coller des tartes à tour de bras, avait-il assuré, surtout après celle-là, tu peux être sûr qu'il n'osera pas recommencer. Seulement, pour savoir s'il recommencerait ou non, il fallait qu'il lui parle et il n'y était pas arrivé depuis deux semaines. Victor non plus ne semblait pas avoir envie d'essayer, s'entraînant dans son coin sans même lui adresser la parole – bien que Yuri remarque parfois les regards qu'il lui envoyait, sans pouvoir les déchiffrer.

Sa chambre d'hôtel lui paraissait à nouveau trop grande pour lui tout seul. Il savait qu'il devrait dormir s'il voulait se rattraper sur le programme long du lendemain mais il savait également qu'il n'y arriverait pas. Son échec au court avait ranimé ses réflexions et ses angoisses sur sa relation avec Victor. Allongé sur son lit, il regardait l'anneau doré qu'il portait à l'annulaire. Il n'avait pas pu se résoudre à l'enlever et il avait remarqué, lors des entraînements, que Victor avait également gardé le sien. Est-ce que c'était un signe qu'il ne voulait pas s'arrêter là ? Ou l'avait-il gardé juste par habitude, oubliant ce que cet anneau représentait ?

Quelques coups furent frappés à sa porte. Yuri soupira d'exaspération. A cette heure-là, ça ne pouvait être que le room service qui s'était trompé de chambre. Il se leva et traîna les pieds jusqu'à la porte qu'il ouvrit. Ses yeux s'écarquillèrent.

- Victor ? s'exclama-t-il. Qu'est-ce que tu fais là ?

Le regard hésitant du russe lui indiquait clairement qu'il appréhendait sa réaction.

- Il fallait que je te parle.

- Et tu…

Tu as traversé la moitié de l'Europe juste pour me parler ? C'était ce qu'il avait l'intention de dire avant de réaliser que ce serait une question purement rhétorique. Oui, Victor était parfaitement du genre à traverser l'Europe s'il avait une idée en tête.

- Je peux entrer ? demanda timidement son coach.

Sans un mot, Yuri s'écarta et le laissa passer. Victor tira une chaise pendant que Yuri se rasseyait sur son lit. Il interrogea son coach du regard et celui-ci prit une lente inspiration. Il était persuadé que Victor avait préparé ce qu'il voulait lui dire mais il était évident qu'il craignait sa réaction.

- Yuri… Si je ne t'ai plus adressé la parole depuis deux semaines, c'est parce que j'attendais que tu le fasses. J'attendais que tu acceptes de me pardonner pour ce que j'ai fait et je… J'ai mis un peu de temps à réaliser que ce n'était pas possible. Je suis impardonnable et inexcusable, j'en ai parfaitement conscience. Rien ne peut justifier et excuser ce que j'ai fait, rien. Alors je ne te demanderai pas d'oublier ce qui s'est passé et de faire comme si de rien n'était, je sais que tu ne le pourras pas. Je comprendrais parfaitement que tu ne veuilles plus me voir, tu n'as qu'un mot à dire pour que je sorte définitivement de ta vie. Mais…

Victor sembla hésiter à nouveau avant de reprendre lentement :

- Mais vu ta performance d'aujourd'hui, je peux pas m'empêcher de m'inquiéter. C'était évident que ce qui s'est passé entre nous t'a empêché de patiner comme d'habitude et je refuse d'être responsable de l'échec de ta carrière. Alors… Je voulais savoir s'il y avait quoi que ce soit que je pouvais faire pour t'aider à te ressaisir et à assurer le libre de demain ?

Yuri resta silencieux. Il savait parfaitement ce qu'il avait envie de répondre à Victor. Il savait parfaitement que la seule chose qui pouvait l'aider était que son fiancé reste avec lui, qu'il le prenne dans ses bras et qu'il lui murmure les encouragements qu'il savait si bien trouver à chaque fois, les mots qui calmaient ses angoisses et l'aidaient à donner le meilleur de lui-même sur la patinoire. Mais une partie de lui refusait de le lui dire. Une partie de lui refusait de simplement lui pardonner aussi facilement et donc de prendre le risque que cela se répète, de plus en plus souvent et de plus en plus violemment. Il avait trop souvent vu les parents de Yûko s'enfermer dans cette violence quand il était enfant et il refusait de subir le même genre de relation.

- Tu saurais faire en sorte que je sois capable de patiner sans toi ? demanda-t-il sur un ton amer.

- Je peux essayer, mais ça risque d'être compliqué d'ici demain, avoua Victor.

- Je sais. Je… Désolé, murmura-t-il. C'est aussi de ma faute, je n'avais pas à te parler comme ça.

- Ça ne change rien. Je n'avais pas à te frapper.

L'image de Victor juste après la gifle lui revint à l'esprit. Même avec la pire mauvaise foi au monde, il était forcé de reconnaître que Victor s'en était voulu instantanément. Depuis qu'il l'avait giflé, l'exemple des parents de Yûko était souvent revenu dans sa tête. Il s'était souvenu des nuits qu'il passait chez elle et pendant lesquelles ils essayaient d'ignorer les cris qui résonnaient dans leur salon, des larmes de son amie quand elle pensait être la cause des coups de colère de son père. Il réalisa soudainement que ça n'avait absolument rien à voir, qu'il ne pouvait pas comparer ce qui s'était passé à leur relation. Ce n'était pas comme si Victor l'avait battu pendant des heures, pas comme s'il avait prémédité son geste et cherché à lui faire le plus mal possible. Son geste avait été instinctif et poussé uniquement par l'épuisement et l'énervement dans lesquels ils se trouvaient tous les deux. A ce moment-là, il était forcé de reconnaître que la personne la plus sensée avait été Yurio. Victor n'est pas du genre à coller des tartes à tour de bras, tu peux être sûr qu'il n'osera pas recommencer. A cet instant, il mourrait d'envie de croire le jeune patineur et d'accorder une deuxième chance à Victor. Si seulement il était capable de regarder les mains de son coach en se souvenant de tous les gestes remplis de tendresse qu'il lui réservait habituellement et non de la gifle qu'il lui avait mise…

- Je… J'ai envie de passer par-dessus ça, je te jure ! assura Yuri. J'ai envie d'oublier et de recommencer à m'entraîner et à vivre avec toi. Mais je sais pas si j'y arriverais…

- Pas tout de suite, confirma Victor. J'ai brisé la confiance que tu me portais de la plus violente des manières, je sais que tu auras besoin de temps pour que tu me l'accordes à nouveau.

Yuri resta silencieux quelques instants avant de demander :

- Tu seras là pour le libre de demain ?

Victor acquiesça avec un sourire.

- Je ne serai pas encore reparti. Je te laisse décider si tu veux que je sois dans les gradins, près de la patinoire ou même en dehors du complexe.

Un silence tomba à nouveau, finalement rompu par Yuri.

- J'ai besoin de toi, avoua-t-il. Je ne sais pas ce que tu peux faire pour que je sois capable de patiner sans toi, je ne suis même pas sûr que ce soit possible. Alors reste avec moi, s'il te plaît.

- Aussi longtemps que tu le voudras, assura Victor.

Le russe regarda sa montre et se leva.

- Je te laisse te reposer, tu as besoin d'être en forme demain.

Il se dirigea vers la porte mais Yuri l'arrêta :

- Attends ! Tu dors où ? L'hôtel est complet à cause des mondiaux…

- Je pensais réussir à en trouver un autre dans le coin qui ait une chambre libre.

Yuri eut une seconde d'hésitation. S'il aurait préféré repousser encore un peu le moment où il recommencerait à vivre et à dormir avec Victor, il était forcé de constater qu'il n'aimait pas du tout l'idée de le savoir dehors en pleine nuit sans savoir s'il trouverait facilement un hôtel.

- Reste, proposa-t-il. Avec le monde qu'il y a pour les mondiaux tu vas mettre des heures à trouver.

- Ça ne te dérange pas ? s'étonna Victor.

- Si je te le propose.

Le lit était suffisamment grand pour qu'ils puissent s'allonger sans se toucher, mais Yuri ne résista que quelques secondes avant de tendre la main vers Victor, enlaçant leurs doigts.

- Je veux pas te perdre, avoua Yuri en murmurant à peine. Jamais.

Victor lui répondit par un sourire tendre mais teinté de tristesse. Il était évident qu'il peinait encore à se pardonner à lui-même. Il resserra sa main sur celle de Yuri.

- Jamais, confirma-t-il.


Ce texte devait être écrit en une heure, inutile de préciser que j'ai lamentablement échoué à respecter cette consigne. Il m'en a fallu pas moins de deux.

En espérant que ça vous ait plu quand même !

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