Cette fic est écrite dans le cadre de la 85ème nuit écriture du FoF (Forum Francophone) pour le thème "Pile". Le FoF est un forum regroupant tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou s'amuser entre nous. Le lien se trouve dans mes favoris. Rejoignez-nous !
Il y a eu ce moment où Yûko a dû faire un choix. Le choix de l'amour ou de la passion, de la vie rangée et tranquille ou trépidante et pleine d'imprévus. Le choix de rester à Hasetsu avec Takeshi ou de partir en France avec l'entraîneur de patinage qui l'avait repérée. Takeshi avait eu beau lui dire qu'elle seule devait choisir et qu'il respecterait sa décision, quelle qu'elle soit, elle avait décelé cette lueur de tristesse et de résignation au fond de ses yeux. Cette lueur qui lui avait fait comprendre qu'il l'aimait trop pour l'empêcher de vivre sa vie. Cette lueur qui lui avait fait comprendre qu'elle ne retrouverait jamais un homme qui l'aimerait plus que lui. Et elle avait choisi. Elle était restée.
Il y a eu ce moment où Yûko a su qu'elle avait fait le bon choix. Sa décision était définitive, elle le savait, et elle l'avait annoncée à Takeshi. Celui-ci avait paru infiniment surpris et heureux, la serrant contre lui jusqu'à l'étouffer, avant de se ressaisir. Devenant soudainement plus grave, il lui avait demandé de l'attendre cinq minutes, était parti en courant vers sa chambre et, en revenant, avait posé un genou à terre en sortant de sa poche la bague la plus magnifique que Yûko n'ait jamais vue. Et il lui avait demandé de l'épouser. Depuis quand avait-il prévu cette demande ? L'aurait-il faite également si elle avait choisi de partir ? Elle ne le savait pas et ne voulait pas le savoir. La seule chose qu'elle savait, c'est qu'elle avait fait le bon choix.
Il y a eu ce moment où elle a appris qu'elle était enceinte. Est-ce qu'elle s'y était attendue ? Pas vraiment. Takeshi et elle n'avaient plus pris de précautions depuis qu'ils étaient mariés mais ne pensaient pas non plus que cela arriverait si tôt. Combien de couples passaient des années à essayer d'avoir un enfant sans y arriver ? Ils ne s'y attendaient pas si tôt, mais ça ne les empêchaient pas d'être prêts. Leur maison était assez grande pour accueillir un enfant et ils travaillaient tous les deux à la patinoire d'Hasetsu qui leur rapportait suffisamment d'argent. Oui, ils étaient prêts, ils en étaient certains. Ils en furent un peu moins certains après la première échographie, après la révélation du médecin. Elle n'attendait pas un enfant. Elle en attendait trois.
Il y a eu ce moment où elle ne pouvait plus faire un geste sans avoir l'impression qu'un combat de boxe acharné se déroulait dans son ventre. Beaucoup de mères lui avaient dit qu'il fallait profiter des moments où le bébé dormait pour se reposer, pour profiter de ces moments de calme où son ventre ne faisait plus de bonds impressionnants et presque effrayants. Mais les personnes qui lui avaient dit ça n'avaient pas attendu de triplées. Impossible qu'elles dorment toutes les trois en même temps, impossible d'avoir une seule seconde sans qu'un coup de poing ou de pied venant de l'intérieur de son ventre ne la fasse sursauter. A partir de ce moment là, elle avait trouvé un surnom pour ces triplées, pour ces trois petits êtres qui faisaient déjà partie intégrante de sa vie : Mes trois petites piles électriques.
Il y a eu ce moment où elle eut l'impression d'être vidée de ses forces et déconnectée de la réalité. Combien de temps avait-elle passé dans cette salle d'accouchement ? Combien d'heures, de jours peut-être ? Elle n'en savait rien et s'en fichait. L'épuisement et les produits contre la douleur avaient eu raison d'elle et, maintenant que tout était redevenu calme et silencieux, elle avait presque l'impression que tout ça n'avait été qu'un rêve. Elle aurait dû être comblée et admirative devant les trois petites puces qu'elle aurait tenu dans ses bras… Au lieu de ça, elle les avait vues pendant une fraction de seconde avant qu'un médecin ne lui explique que les pédiatres allaient devoir les emmener pour s'assurer qu'elles allaient bien. Elle avait compris que c'était nécessaire et avait réquisitionné ses dernières forces pour ordonner à Takeshi de les suivre et de ne pas lâcher leurs filles des yeux. Et maintenant, elle était là, à savourer ce qu'elle savait être ses dernières minutes de silence pour les vingt prochaines années, écoutant à peine la sage-femme restée avec elle qui lui assurait qu'on lui ramènerait bientôt ses trois filles. Ses trois petites piles électriques.
Il y a eu ce moment où ils avaient dû leur trouver des prénoms. Ils y avaient longuement réfléchi pendant la grossesse de Yûko, bien sûr, mais aucun des noms qu'ils avaient évoqué ne leur avait paru être le bon, celui par lequel ils appelleraient une de leurs filles pour le reste de leur vie. Alors, en trouver trois… C'était Takeshi qui avait fini par trouver. Personne n'avait voulu les croire, mais c'était bien lui qui, à force d'entendre Yûko se plaindre des mouvements de ses piles électriques, avait suggéré qu'elles s'entraînaient à faire des sauts de patinage artistique dans son ventre. Yûko avait été emballée par l'idée de ne jamais oublier sa passion malgré son choix, de laisser la possibilité à ses filles de vivre le rêve qu'elle n'atteindrait jamais. Et ils leur avaient donné trois noms, trois références aux sauts qu'elles avaient passé neuf mois à faire : Lutz, Axel et Loop.
Il y a eu ce moment où elle s'était dit qu'elle s'en sortirait très bien, que ses filles ne méritaient pas ce surnom de petites piles électriques. Takeshi avait recommencé à travailler à la patinoire, la laissant seule avec elles. Mais ça ne la dérangeait pas. Elles passaient un temps incroyable à dormir, ne se réveillant que pour manger avant d'accepter sans problèmes d'être recouchées. Et en décalé, qui plus est. Aucune des trois ne se réveillait en même temps qu'une autre, aucune des trois ne pleurait des heures sans raison. Ses triplées étaient mignonnes à souhait, déclenchant des exclamations d'adoration de la part de toutes les personnes qui les voyaient, et même Yûko s'était surprise plus d'une fois à arrêter ce qu'elle faisait uniquement pour les regarder dormir, attendrie. Amoureuse de ses trois petites piles électriques.
Il y a eu ce moment où elle avait su qu'elle ne s'en sortirait pas. Après trois semaines à ne faire que manger et dormir, ses petites piles électriques avaient commencé à se manifester. A dormir moins et nécessiter plus de présence, plus d'attention. A dormir en même temps et à se réveiller en même temps, à pleurer en même temps, à avoir besoin de manger et d'être câlinées en même temps. A nécessiter trois bras alors qu'elle n'en avait que deux, à avoir besoin de l'amour, de la tendresse et de la patience que Yûko perdait au fil des nuits blanches et des heures entières à les entendre pleurer sans être capable de les calmer.
Il y a eu ce moment où elle avait trouvé le moyen infaillible de les calmer. Après avoir tenté de les prendre contre elle dans toutes les positions possibles, de les bercer, de les laisser pleurer dans leur lit avant de revenir les chercher, elle s'était mise à chanter. Enfin, pas à chanter, à fredonner. Elle ne connaissait pas de chanson mais, quand elle avait entrepris de leur fredonner quelque chose, les notes étaient venues d'elle-même, déroulant une mélodie douce et calme. Au bout de quelques secondes, ses petites piles électriques s'étaient tues pour pouvoir entendre leur mère chanter cette mélodie et, épuisées d'avoir trop pleuré, s'étaient endormies rapidement. Yûko avait tout de même continué à fredonner cette chanson, elle-même apaisée par ces notes. D'où sortaient-elles ? Où avait-elle entendu, appris cette mélodie qui la faisait elle-même se sentir bien, se sentir dans son élément, sentir qu'elle était à la place qu'elle n'aurait jamais dû quitter ? Elle avait dû y réfléchir quelques minutes, mais avait fini par retrouver. Elle avait entendu cette musique quand elle était enceinte et clouée à son canapé, quand elle regardait le Grand Prix à la télévision. Cette musique qui avait calmé ses petites piles électriques en quelques secondes, c'était la musique du programme long que Victor Nikiforov avait produit à la saison précédente.
Il y a eu ce moment où elle avait culpabilisé. Même si chantonner des musiques de patinage avait toujours réussi à calmer ses filles, cela n'empêchait pas qu'elle ne s'en sortait plus. Elle n'avait toujours que deux bras pour trois filles et devait en plus reprendre le travail à la patinoire. Takeshi lui avait assuré qu'ils pourraient les emmener avec eux, qu'ils n'auraient pas de mal à aménager l'un des bureaux avec des lits et un parc pour pouvoir les surveiller tout en travaillant. Et Yûko avait réalisé qu'elle adorait cette idée, qu'elle mourrait d'envie de retrouver la patinoire, de ressentir le froid mordant de la piste, de revoir les visages souriants et enthousiastes des personnes qui venaient lui louer les patins, d'entendre d'autres conversations et d'autres bruits que des hurlements stridents qu'elle était censée calmer. Ce moment où elle avait réalisé qu'elle mourrait d'envie de faire autre chose que de s'occuper de ses petites piles électriques et où elle s'en était immédiatement voulu pour cela. Est-ce que cela faisait d'elle une mauvaise mère ? Peut-être. Elle n'en savait rien – et ne voulait pas savoir.
Il y a eu ce moment où elle avait désespéré. Ses petites piles électriques se déplaçaient à présent à quatre pattes. Quatre pattes, multipliées par trois. Douze possibilités de multiplier les bêtises, d'aller mettre les doigts dans les prises de courant pendant qu'une autre poussait violemment une porte laissée ouverte qui se refermait sur la main de la troisième. Quatre pattes multipliées par trois, pour seulement deux jambes. Quatre quand Takeshi décidait de l'aider. Ce qui, elle devait le reconnaître, arrivait de moins en moins souvent. Petit à petit, sans même qu'elle s'en rende compte, son mari avait commencé à prendre de plus en plus de distance, à toujours jouer et être gaga de ses petites piles électriques, mais à s'occuper d'elles de moins en moins. A profiter des bons moments en laissant les pires à Yûko. Elle avait plus d'une fois songé à lui en parler, mais les nuits blanches et l'énervement n'aidaient pas à la conversation. Si elle avait essayé d'avoir cette conversation avec lui, elle se serait énervée, c'était une certitude, et elle refusait de le faire devant les filles. Ce qui réduisait considérablement le temps disponible pour en discuter. Et même s'ils parvenaient à avoir cette conversation, que se passerait-il si Takeshi n'acceptait pas ses reproches ? Que se passerait-il s'il décidait juste de partir ? Elle galérait à s'en sortir à ses petites piles électriques, mais elle savait qu'elle craquerait si Takeshi n'était plus là, si elle se retrouvait définitivement seule avec elles.
Il y a eu ce moment où Yuri était rentré. Son ami d'enfance était revenu de Détroit où il patinait à haut niveau depuis plusieurs années. Il était passé la voir avec un cadeau pour chacune de ses petites piles électriques et s'était attendri devant leurs bouilles d'ange. Il lui avait proposé de venir patiner avec lui le temps qu'il était là, si elle en avait la possibilité. Bien sûr que non, ce n'était pas possible, elle n'avait plus eu une seconde pour enfiler des patins depuis la naissance de ses trois piles. Mais l'idée avait été trop tentante, trop attirante. Elle avait insisté pour que Takeshi les garde une matinée pendant qu'elle allait patiner avec Yuri. Pendant trois heures, elle s'était sentie revivre. Pendant trois heures, elle avait admiré le talent de son ami et profité de ses enseignements, pendant qu'il tentait de lui apprendre à réaliser certaines figures. Puis elle était rentrée. Takeshi avait couché les filles avant de l'incendier, lui reprochant de l'avoir laissé seul trop longtemps, de ne pas avoir décroché au téléphone, de ne pas avoir eu la moindre considération pour ses petites piles électriques pendant toute la matinée. Oui, pendant trois heures, elle s'était sentie revivre, mais avait passé la semaine suivante à pleurer et à ne plus adresser la parole à son mari. Est-ce qu'elle était tout de même heureuse de son choix, est-ce que ça avait valu la peine de revivre pendant trois heures pour subir tout ça par la suite ? Peut-être. Pas sûr.
Il y a eu ce moment où elle s'était questionnée. Les nuits blanches s'étaient intensifiées après le premier anniversaire de ses petites piles électriques, quand leurs dents avaient commencé à pousser. Des nuits entières de pleurs, de hurlements, de fièvre et de désespoir, des nuits entières à compter les minutes et les secondes qui les séparaient de la prochaine prise de doliprane qui lui permettrait d'atténuer la douleur pendant la prochaine demi-heure. Des nuits entières à chantonner les musiques de Victor. Ça n'atténuait pas la douleur de ses filles, mais ça atténuait la sienne. Quand elle fredonnait ces musiques en fermant les yeux, elle arrivait à partir, à rêver. Elle n'était plus dans son canapé à tenir dans ses bras deux bébés qui hurlaient tout en utilisant son pied pour faire rouler la poussette dans laquelle elle avait posé la troisième, elle était sur la glace, en France, où elle avait eu une proposition de contrat professionnel, où elle aurait pu vivre une autre vie, une vie sans ce Takeshi qu'elle reconnaissait de moins en moins, une vie sans ses trois petites piles électriques. Est-ce qu'elle aurait préféré cette vie là ? Est-ce que sincèrement elle regrettait d'avoir mis au monde ses trois petites piles, ses trois princesses ? Une fois encore, elle avait refusé de trouver la réponse à cette question. Une réponse qu'elle connaissait au fond d'elle mais qu'elle refusait d'avouer. On n'avoue pas ces choses-là.
Il y a eu ce moment où elle s'était effondrée. Ses trois petites piles électriques avaient deux ans et fourmillaient dans tous les sens, ne dormant jamais en même temps et babillant des paroles de plus en plus compréhensibles. Yûko n'avait plus fermé l'œil depuis près de trois jours et trois nuits, et sa fatigue et ses bâillements avaient été remplacés par de violents vertiges et des pertes d'équilibre. Loop venait de se rendormir dans ses bras. La dernière petite pile électrique qui ne dormait pas encore. Le calme était retombé dans la maison et elle savoura ces quelques secondes de silence avant de se relever pour aller la coucher. Au moment où elle s'était remise debout, la maison s'était mise à tourner autour d'elle. Elle avait fermé les yeux pour atténuer la sensation de tournis mais celle-ci s'était intensifiée. La dernière chose dont elle se souvenait était d'avoir réussi à hurler le prénom de Takeshi pour l'appeler. Ses bras s'étaient resserrés par réflexe sur le corps endormi de Loop pour la protéger du choc pendant qu'elle s'effondrait en la tenant dans ses bras.
Il y a eu ce moment où elle avait été attendrie. Elle s'était réveillée sur leur canapé, quelques secondes après qu'elle soit tombée, entendant Takeshi lui jurer que Loop n'avait rien et qu'il avait appelé un médecin pour elle-même. Elle était restée allongée, incapable de se relever, incapable d'arrêter de culpabiliser pour cette chute qui aurait pu blesser ou tuer sa fille, incapable d'arrêter de pleurer d'épuisement et de frayeur à l'idée de ce qui aurait pu arriver. Du coin de l'œil, elle avait vu ses trois petites piles électriques traverser le salon en courant pour la rejoindre le canapé et se hisser sur elle pour la consoler. Elles étaient restées allongées sur elle à lui faire des câlins jusqu'à ce que le médecin arrive et que Takeshi n'ordonne aux filles de laisser leur mère tranquille. Avant de partir, Loop s'était rapprochée de son oreille et avait murmuré, de sa voix encore hésitante : « 'aman… Eh bah même que… Si ze pouvais ssoisir n'import'quel' 'aman… C'est toi que ze ssoisirais… »
Il y a eu ce moment où elle s'était sentie bien. Le médecin l'avait envoyée voir un psychiatre qui avait réussi à la convaincre que tout ce qu'elle ressentait depuis deux ans était normal. Que tous les parents avaient leurs moments de doute et de faiblesse et qu'il était même étonnant qu'elle ait tenu plus de deux ans avant de s'effondrer. Que le plus dur était passé et qu'elle connaitrait de plus en plus de moments de tendresse et d'amour avec ses trois petites piles électriques. Ce moment où elle avait eu envie d'y croire et où elle avait trouvé le moyen de s'en souvenir. Tous les soirs, alors que ses filles dormaient profondément, elle se glissait dans leur chambre sur la pointe des pieds, attendait que ses yeux s'habituent à l'obscurité et détaillait leurs visages calmes et endormis. Elle détaillait leurs petits yeux fermés, leurs petits poings serrés dans leur sommeil, leurs petits cheveux ébouriffés, leurs petits visages d'anges. Elle ne savait pas combien de temps elle restait ici à les regarder, mais, quand elle ressortait en refermant silencieusement la porte, elle était sûre d'une chose : Elle avait fait le bon choix. Pour rien au monde, elle n'aurait voulu d'une vie sans ses trois petites piles électriques.
J'avoue avoir mis une demi-heure de plus que le temps imparti pour boucler cet OS. J'espère quand même qu'il vous a plu !
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