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Yuri sortit de la douche en bâillant. Depuis qu'il avait rejoint Victor à Saint-Pétersbourg, ses journées de patinage s'étaient intensifiées, rythmées par son propre entraînement et celui de Victor. Celui-ci venait de faire un retour des plus remarqués, raflant la médaille d'argent des nationaux russes et lui assurant ainsi sa qualification pour le Grand Prix suivant. Malgré le fait que Yurio l'ait vaincu de quelques points, Victor n'avait pas paru lui en vouloir, accueillant avec une pointe d'amusement les moqueries de son cadet.

Le japonais rejoignit son coach dans la pièce principale de l'appartement. Appuyé contre le canapé, Victor regardait sur son ordinateur la rediffusion des nationaux féminins. Il se rapprocha et s'assit à côté de lui. A l'évidence, son petit-ami avait choisi le passage à regarder, n'étant intéressé que par la prestation d'une patineuse en particulier. Yuri ne connaissait que de vue la femme d'une vingtaine d'années. Quelques jours après avoir emménagé chez son coach, il était tombé par hasard sur une photo de Victor en compagnie de cette femme, même s'ils étaient tous les deux beaucoup plus jeunes. Il n'avait pas osé poser de question à son petit-ami au sujet de cette femme, mais ses yeux bleus-verts en amande si caractéristiques lui avaient indiqué qu'elle était de sa famille.

Il regarda la chorégraphie de la patineuse. Elle était douée, indubitablement. Elle ne semblait pas patiner mais voler sur la glace, exécutant chacune de ses figures avec une perfection et une précision indéniable. Yuri resta silencieux, aussi captivé que Victor par sa prestation. Lorsqu'elle acheva sa chorégraphie sur un sans-fautes, déclenchant des tonnerres d'applaudissements dans le public, Yuri esquissa un sourire mais il remarqua que le visage de Victor s'était fermé, comme si la représentation n'était pas terminée. Comme si le moment qu'il redoutait le plus allait arriver à ce moment là. Les caméras passèrent rapidement sur la jeune femme en train d'attendre ses résultats et Yuri put découvrir son nom : Anna Anissimov. Comme il s'y était attendu, elle remporta la première place temporairement, dépassant de près de dix points la deuxième au classement. A ce moment là, Victor esquissa un sourire dans lequel se mélangeait du soulagement mais également de l'amertume. Il coupa la vidéo sans regarder les chorégraphies des autres patineuses mais ne fit pas un geste. Son regard était resté troublé, presque coupable, comme si la prestation de la patineuse avait fait ressortir en lui de vieux souvenirs douloureux. Ne sachant pas comment aborder la question, Yuri murmura prudemment :

- Elle est de ta famille, pas vrai ? Vous avez les mêmes yeux…

Victor acquiesça d'un hochement de tête.

- Eva est ma petite sœur.

- Je croyais qu'elle s'appelait Anna ?

Le regard de Victor se ferma un peu plus mais il répondit tout de même :

- Elle a dû… Choisir entre sa carrière et son identité. Eva Nikiforov a disparu de la circulation il y a cinq ans, et personne n'a fait attention à l'émergence de cette patineuse, Anna Anissimov. C'est son deuxième prénom et le nom de jeune fille de notre mère.

- Pourquoi ? s'étonna Yuri. Pourquoi elle a fait ça ?

- A cause de moi.

Yuri ne sut pas comment répondre à cette dernière phrase. Il aurait juré que Victor était sur le point de pleurer de regrets et de culpabilité. Lentement, avant que le japonais n'ait trouvé quoi dire, Victor reprit lentement :

- Elle avait sept ans quand elle a commencé à patiner. Moi j'en avais déjà quatorze et je venais de gagner mon deuxième Grand Prix Junior. J'avais déjà mis dans la tête de tout le monde mon aptitude à choquer, à surprendre le public à chaque nouvelle chorégraphie. Eva voulait juste patiner en loisir, mais son coach l'a rapidement convaincue de faire de la compétition. Elle était douée. Très douée. Elle l'est toujours. Elle a remporté plusieurs petites compétitions locales avant d'arriver à un niveau national. Et là…

La voix de Victor se brisa légèrement et il inspira lentement avant de reprendre :

- Elle a stagné. Elle a passé cinq ans à échouer aux nationaux. Personne ne comprenait pourquoi. Elle n'arrivait jamais plus loin que la septième ou huitième place. Au début ça n'a inquiété personne, elle débutait juste, c'était normal que d'autres soient meilleurs qu'elle. Elle s'est entraînée pendant des mois, des années, elle passait sa vie à patiner ou à danser, à travailler autant sa technique que son interprétation. Mais ça ne payait pas. Ses notes techniques étaient toujours très honorables, mais celles d'interprétation lamentables. Je ne savais pas que c'était possible d'avoir des notes aussi basses. Pendant cinq ans, elle a tout sacrifié pour s'améliorer, sans résultat en compétition.

- Qu'est-ce qui n'allait pas ? s'étonna Yuri.

- C'était bien ça la question ! rugit Victor avec colère. Personne ne comprenait ! Elle était excellente, ses chorégraphies étaient parfaites, son interprétation sublime ! Et… Seuls les jurys y étaient insensibles. On pouvait comprendre que, dans ses premières années, elle avait encore besoin de s'améliorer mais ce n'était plus le cas ! Lors de son premier passage aux nationaux séniors, j'étais avec elle, ma propre compétition avait fini la veille et j'étais resté l'encourager. Elle était… Parfaite. Talentueuse, douée, aérienne, juste… Sublime. Elle a fini à la quinzième place. Même une fille qui n'avait pas réussi un seul saut a fini devant elle.

Victor semblait s'obliger à garder son calme, à ne pas laisser la colère et l'énervement de l'époque transparaître dans sa voix. Yuri posa doucement sa main sur la sienne dans un mouvement apaisant et le russe parvint à reprendre plus doucement :

- J'ai… Pêté un plomb à l'annonce de ses résultats. Je suis parti en trombe – même Yakov n'a pas pu me retenir – et j'ai rejoint le jury. Je crois que j'aurais été prêt à leur coller mon poing dans la gueule, je ne sais même pas comment j'ai finalement réussi à ne pas le faire. Je leur ai hurlé dessus, par contre. Je ne me souviens plus des mots exacts, mais entre les séries d'insultes, je crois leur avoir précisé que son interprétation était exceptionnelle et son niveau général, tout à fait correct.

- Qu'est-ce qu'ils ont répondu ? Ils ont mal pris que tu te sois énervé ?

- Non, ils sont restés très calmes. L'un d'eux m'a regardé avec un air surpris mais amusé, et il m'a donné ma réponse. Je n'avais pas vu qu'Eva m'avait rejoint et qu'elle nous écoutait. Leur réponse… Elle était on ne peut plus claire. Tellement claire qu'Eva ne m'a plus adressé la parole après ça.

Yuri resta silencieux, attendant la suite avec appréhension – même s'il en avait une petite idée. Sur la vidéo qu'il avait vue, Eva était douée, impressionnante, talentueuse… Mais pas surprenante. Elle n'avait pas ce côté éblouissant qui l'avait toujours ébahi chez Victor, ce petit plus qui faisait que tout le monde – que ce soit le public ou le jury – restait incapable de détacher son regard de lui, que tout le monde voulait le voir danser encore et encore. Lentement, le russe reprit en citant :

- « Quand on s'appelle Nikiforov, avoir un niveau correct, ça ne suffit pas. »


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