Cette fic est écrite dans le cadre de la 88ème nuit écriture du FoF (Forum Francophone) pour le thème "Place". Le FoF est un forum regroupant tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou s'amuser entre nous. Le lien se trouve dans mes favoris. Rejoignez-nous !


J'ai beau connaître cette sensation, elle n'en reste pas moins horriblement désagréable. Cette boule dans la gorge, ces larmes que j'arrive à retenir – pour l'instant. Ce n'est pas la première fois que je la ressens, j'y suis presque habitué. C'est comme un cauchemar. En pire, parce que je sais que c'est bien réel. Un cauchemar, on peut s'en réveiller et réaliser que rien de tout ça n'est arrivé. Là, à part prier pour un miracle ou un retour dans le passé, il ne reste pas grand-chose. Il ne reste rien, à part le constat que je me suis planté – encore.

Pourquoi c'est toujours comme ça ? Mon incompétence me paraît comme un cercle vicieux, un cercle que je connais par cœur mais dont je ne réussis pour autant pas à sortir.

D'abord, je me plante. En compétition, dans ma vie, dans mes relations, dans n'importe quel domaine, en fait. Ce n'est pas nouveau, que je n'ai jamais réussi quoi que ce soit dans ma vie. Mais ce nouvel échec me laisse cette boule dans la gorge et le moral au fond des chaussettes. Je me demande ce que je fais là, pourquoi j'ai fait ça, comment j'ai pu croire que je pourrais seulement réussir quelque chose.

Je finis par m'en remettre, bien sûr. Peu importe le temps que ça prend, je finis par réussir à laisser cet épisode de côté, à ne plus y penser et me concentrer sur mes objectifs suivants. Avoir autre chose à penser m'a toujours aidé à aller de l'avant et à ne plus ruminer mon échec. Et la plupart du temps, ça marche. J'avance prudemment, encore secoué par mon plantage, mais sûrement, et j'arrive à remonter la pente. A remporter une compétition, à remonter dans l'estime de mes proches, à me sentir un peu moins incompétent et inutile. Et j'adore cette sensation. J'ai beau savoir qu'elle est éphémère, et que plus elle durera longtemps, plus la chute fera mal, je ne peux jamais m'empêcher d'en profiter. Parce que j'aime ça, j'aime croire que tout ça est fini, que je vais devenir doué en patinage, aimé par mon entourage. Alors je savoure cette sensation et ces rêves et je me mets en tête que l'échec précédent sera le dernier.

Et puis la claque tombe. Un nouvel échec, une nouvelle déception. Au moment où tout le monde, y compris – et surtout – moi-même, commençait à croire en moi, je fais une nouvelle boulette. Un nouveau plantage en compétition, une remarque, un mot ou une phrase en trop que je n'aurais pas dû dire, une phrase que quelqu'un me dit et que je me demande comment interpréter. Et le constat amer est toujours le même : Je n'aurais pas dû prendre autant confiance en moi. Si l'échec précédent m'avait fait comprendre la leçon, si je n'avais pas pris autant d'assurance, la claque aurait moins douloureuse, plus… Naturelle ? Si je m'étais persuadé que je n'étais pas à ma place, alors ça ne m'aurait rien fait qu'on me le rappelle encore une nouvelle fois.

Mes résultats sont annoncés et je fais rapidement le calcul. Quinzième. Provisoirement, parce que d'autres patineurs ne sont pas encore passés. J'avais beau savoir que je m'étais planté, ce résultat sur un écran beaucoup trop brillant me le rappelle trop brutalement et je n'arrive plus à retenir mes larmes. J'enfonce ma tête dans mes mains, mes coudes sur les genoux, pour essayer de les dissimuler. Pourquoi j'ai cru que ma période d'échecs était finie ? Pourquoi j'ai cru, ne serait-ce qu'une seule seconde, que ma médaille d'argent au Grand Prix était due à autre chose que de la chance ou le plantage des autres patineurs ? Pourquoi j'ai cru pouvoir réussir ces championnats du monde aussi bien que le Grand Prix ? Pourquoi j'ai cru mériter un entraîneur aussi talentueux que Victor ?

Il est resté à côté de moi. Je n'ose même pas le regarder. Je ne veux pas affronter sa déception, affronter le constat qu'il n'a rien à faire avec un élève comme moi. Je le sens à peine me passer sur les épaules ma veste de l'équipe du Japon – comme si je la méritais encore. Sa main se referme sur mon épaule et m'incite à me lever. Je me laisse faire. Je ne regarde même pas où il m'emmène, mes yeux restent rivés sur le sol. Je n'ose affronter ni son regard, ni celui des journalistes et encore moins celui du public. Une porte se ferme et tout devient silencieux. Le banc sur lequel il me fait asseoir me fait comprendre qu'il m'a emmené dans un vestiaire vide. Il ne dit toujours rien mais un mouchoir essuie doucement mes joues trempées de larmes. Après encore quelques secondes de silence, il finit par souffler :

- Yuri… Ce n'est pas grave.

Je ne prends même pas la peine de répondre. Pas grave ? Je viens de planter complètement ma chorégraphie – sa chorégraphie – et de réduire en miettes nos deux réputations.

- Ce n'était que ton programme court, reprend-t-il. Tu peux encore te rattraper sur le long.

Cette fois, je ne peux pas m'empêcher de répondre :

- Tu sais bien que non.

- Pourquoi ?

Sa question et l'air surpris sur lequel il l'a posée m'arrache un soupir.

- Parce que je n'ai rien à faire sur la glace. C'est ta place, pas la mienne. Je… Je suis désolé. De m'être planté, d'avoir cru que je pourrais être un jour aussi doué que toi, de t'avoir fait prendre une pause dans ta carrière alors que je ne le mérite pas… Désolé.

- Tu finis deuxième au Grand Prix et premier à tes nationaux et tu penses n'avoir rien à faire sur la glace ?

- C'était de la chance. Tout le monde a vu ce que je valais vraiment aujourd'hui.

- Ne dis pas ça.

Il glisse sa main sous mon visage et m'oblige à le regarder. Son regard me surprend. Je m'attendais à y voir de la déception, de l'amertume, des regrets, mais il n'y a rien de tout ça. Son regard est doux, assuré et empli de détermination.

- Yuri. Si tu te mets en tête que tu n'as rien à faire sur la glace, alors c'est vrai, tu n'arriveras pas à grand-chose. Mais je veux que tu saches que si j'ai tout lâché pour t'entraîner, c'est parce que je savais ce que tu valais. Je savais que tu étais capable de te hisser parmi les meilleurs. Et tu vas le prouver à tout le monde demain.

Il s'assoit à côté de moi et m'attire contre lui. Je ne résiste que quelques secondes avant de me laisser aller à son étreinte. Je commence à me sentir mieux pendant qu'il me caresse le dos en me murmurant des paroles réconfortantes. Mes yeux se ferment d'eux-mêmes. C'est vrai, peut-être que je n'ai rien à faire sur la glace, peut-être que je resterai incapable de rendre qui que ce soit fier de moi. Mais là, maintenant, tout de suite, je sens que j'ai trouvé ma place, celle où je me sens à l'aise et que je ne veux quitter pour rien au monde : Dans ses bras. Je veux mériter éternellement cette place, ne jamais avoir à la quitter à cause de mon incompétence ou de ma maladresse. Et pour ça, je suis prêt à me battre. A donner un dernier effort pour rattraper le fiasco d'aujourd'hui et sentir, au moins quelques instants, au moins jusqu'à la prochaine claque, que je mérite ma place à ses côtés.


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