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Depuis qu'il s'entraînait dans l'équipe de Yakov, Victor avait fait énormément de rencontres au Palais des Glaces de Saint-Pétersbourg. Certaines intéressantes, d'autres moins, des personnes âgées, moins âgées, bien habillées ou en survêtement de sport. Il aurait été incapable de compter toutes ces rencontres. Cependant, il était forcé de le reconnaître, certaines avaient été plus mémorables que d'autres.
(Flash-back)
Victor bâilla ostensiblement en sortant du vestiaire. L'entraînement d'aujourd'hui avait fini plus tôt car Yakov devait faire passer des sélections pour intégrer son équipe de juniors de la saison prochaine. Même si ces entretiens et essais avaient de quoi être passionnant, Yakov avait été clair : Sa présence ne ferait que renforcer la pression et le stress des jeunes pendant les épreuves. Le pire, c'est qu'au départ, cette explication l'avait surpris. Pourquoi la présence d'autres patineurs influencerait-elle les prestations des jeunes ? Puis il avait compris. Ou plutôt, il s'était souvenu. Il n'était pas un patineur quelconque, il était Victor Nikiforov et, du haut de ses 18 ans, il avait déjà ramené en Russie plus de médailles que beaucoup de patineurs en une carrière entière. Il s'était donc résigné à quitter le complexe plus tôt et à rentrer chez lui profiter de Makkachin.
Il allait atteindre le hall d'entrée quand une tornade rousse le frappa de plein fouet au niveau des hanches, le faisant tituber légèrement. Il chercha quelques instants à comprendre ce qui s'était passé avant de voir une petite fille par terre, visiblement tombée en le percutant.
- Désolée ! Je suis désolée, c'est de ma faute, j'étais en retard et…
- C'est pas grave, murmura Victor. Tu ne t'es pas fait mal ?
Victor l'aida à se relever et la dévisagea. Son sac de sport et ses vêtements de patinage prouvaient qu'elle venait ici pour les sélections, et donc, qu'elle avait au minimum neuf ans. Pourtant, il lui en aurait donné à peine six. Ses longs cheveux roux étaient attachés en une queue de cheval qui dégageait son visage fin. Ses yeux bleus paraissaient trop grands par rapport à sa tête et lui donnaient un air enfantin mais captivant. Victor était sûr d'une chose : peu importe le résultat des sélections, le simple fait de se présenter sur la glace devant un jury suffirait à lui faire remporter des points. La fillette parut le reconnaître et ses joues s'empourprèrent encore davantage.
- Non, je… Merci, enfin désolée… J'étais en retard pour les sélections…
- Alors ne traîne pas. Tu sais où c'est ?
- On m'a juste dit de rejoindre le bord de la piste…
- Suis ce couloir, indiqua Victor, la patinoire est au bout. Yakov doit t'attendre.
- Merci beaucoup !
- Je t'en prie. Bon courage pour les sélections ! Au fait, je m'appelle Victor.
- Je sais ! Enfin, je veux dire, je vous connais et… Enfin merci ! bafouilla la petite fille, visiblement intimidée.
Elle hésita quelques secondes avant de rajouter :
- Moi c'est Mila.
(Fin du flash-back)
Comme il l'avait supposé, le charme et le talent de Mila avaient rapidement convaincus Yakov et elle était restée s'entraîner avec eux depuis neuf ans. Victor avait toujours gardé un œil sur elle, l'accompagnant même parfois en compétition pour l'encourager. Aujourd'hui, elle n'avait plus grand-chose à voir avec la fillette trop intimidée pour parler sans bafouiller, et elle avait conquis le public d'une dizaine de pays différents.
Quelques années plus tard, il avait fait la rencontre la plus mémorable de sa carrière, celle dont il était sûr qu'il s'en souviendrait éternellement.
Il avait à présent 21 ans et s'était habitué aux rencontres en tout genre au Palais des Glaces. Des juniors venus passer des sélections, des séniors ayant changé de lieu d'entraînement, des officiels de la fédération… Mais, quand il arriva ce matin là à la patinoire, il entendit deux voix se disputer violemment près de la piste. L'une d'elle ne le surprit pas, il était courant que Yakov invective plus ou moins férocement ses élèves. Mais l'autre ? Non seulement elle était inconnue, mais en plus elle était enfantine, ce qui ne pouvait signifier qu'une seule chose : Il s'agissait d'un des jeunes récemment recrutés. Depuis quand des enfants de neuf ou dix ans tenaient tête à Yakov ? Lui-même avait dû mettre trois ans à craindre les réprimandes de son coach au point qu'il lui demandait l'autorisation de faire tout et n'importe quoi…
Il se rapprocha de la piste et constata qu'en effet, l'élève devant Yakov ne devait pas avoir plus de neuf ans. Ses cheveux blonds coupés au carré lui donnaient un air d'ange, démenti par la rage dans sa voix :
- Mais je dois rafler un maximum de points si je veux être le meilleur ! Et je veux être le meilleur !
- Tu as d'autres manières de rafler des points qu'en sautant ! Il est hors de question que tu fasses des sauts avant d'avoir 12 ans, et des quadruples avant d'avoir fini ta croissance ! C'est beaucoup trop dangereux !
- C'est dangereux pour les autres, pas pour moi !
- Tu tiens tant que ça à ce que le public se souvienne de toi comme le gamin qui a stoppé sa carrière à 16 ans parce qu'il avait le dos en miettes ?
Le dernier argument de Yakov parut faire mouche et le jeune ne répondit rien, son air boudeur laissant clairement comprendre qu'il n'en pensait pas moins. Victor se rapprocha de Yakov pendant que le jeune repartait au milieu de la piste pour reprendre une de ses figures.
- C'est qui ?
- Un junior recruté cette année. Yuri Plisetsky. Heureusement qu'il est doué, sinon je regretterai déjà de l'avoir gardé…
Si, au fil des années, il s'était rapproché de Yurio et avait appris à le connaître, il n'avait pas oublié que, à ses yeux, le jeune patineur était avant tout le premier à avoir osé tenir tête à Yakov. Et, pour ça, le blond avait gardé son respect éternel. Mais ce n'était pas le cas de tout le monde…
Victor passa devant le bureau de Yakov au moment où celui-ci en sortait, accompagné par un homme habillé en costume-cravate. Le patineur se figea légèrement et, avant d'avoir pu se poser la moindre question sur l'identité de la personne devant lui, Yakov le renseigna :
- Victor, je te présente monsieur Belinski, de la fédération de patinage. Il est ici pour discuter des subventions accordées à l'équipe et constater autrement que par les compétitions le comportement et le talent des patineurs qui représentent la Russie à l'international.
- Bonjour, salua Victor, légèrement intimidé.
- Victor Nikiforov, n'est-ce pas ? sourit l'homme devant lui. En ce qui vous concerne, votre réputation n'est plus à faire, vous représentez à vous seul le talent et la fierté russes !
Victor bafouilla des remerciements et, après quelques formalités, Yakov proposa au dénommé Belinski de venir voir l'entraînement des autres patineurs. Avant de s'éloigner, le coach russe se rapprocha de Victor et souffla, suffisamment discrètement pour que l'autre homme ne soupçonne rien :
- Rends-moi un service. Assure-toi que Yuri ne mette pas les pieds à la patinoire aujourd'hui.
Victor esquissa un sourire en se remémorant ce moment là. En soi, il ne pouvait même pas en vouloir à Yakov, ils étaient tous conscients qu'il y avait des gens qu'il valait mieux ne pas mettre en présence de Yurio. Alors c'était vrai, sa carrière avait été longue, parfois pénible, souvent glorieuse, parfois ennuyante ou solitaire… Mais il avait trouvé le moyen de tenir le coup. Dès que la lassitude le menaçait trop sévèrement, il se souvenait de toutes les rencontres qu'il avait faites au cours de sa carrière. Et il se souvenait que pour rien au monde, il n'aurait voulu d'une autre vie.
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