Cette fic est écrite dans le cadre de la 90ème nuit écriture du FoF (Forum Francophone) pour le thème "Hôpital". Le FoF est un forum regroupant tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou s'amuser entre nous. Le lien se trouve dans mes favoris. Rejoignez-nous !


Victor n'avait jamais aimé les hôpitaux. Que ce soit pour aller rendre visite à des proches qui y étaient ou pour y passer des examens, il avait toujours trouvé ces bâtiments trop blancs, trop froids, trop impersonnels. Il réalisait aujourd'hui qu'il ne les aimait pas non plus quand il était lui-même hospitalisé.

Les antidouleurs avaient fini par faire effet et par endormir les pics insoutenables qui vrillaient dans sa jambe – mais par réveiller l'amertume de l'échec. Sur le coup, il ne s'était même pas rendu compte de ce qui se passait. Ce n'était qu'une épreuve du Grand Prix, celle du Trophée de France, qui aurait dû valider sa qualification à la finale. Ce n'était qu'un saut de son programme long, un double flip – loin d'être le plus compliqué. Où s'était-il raté ? Il ne savait pas. Il se souvenait juste de sa réception. Sa jambe qui avait violemment tremblé et qui s'était dérobée sous son poids. La douleur qui avait envahi son corps par vagues violentes partant de son genou lorsqu'il était tombé. Pendant une fraction de seconde, il avait pensé que ce n'était qu'une chute comme une autre, qu'il ne perdrait rien d'autre qu'un point de malus, qu'il n'avait qu'à se relever et continuer sa chorégraphie.

Sa musique s'était interrompue une seconde avant qu'il n'ait réalisé que la douleur était beaucoup trop forte pour qu'il se relève – et encore moins pour qu'il reprenne ses mouvements. Il était resté allongé sur la glace, les dents serrées par les pics de douleur qui devenaient de plus en plus insoutenables et lui faisaient monter les larmes aux yeux. Au moment où il avait cru ne plus pouvoir en supporter davantage, la main de Yakov s'était refermée sur la sienne et son coach lui avait soufflé des mots réconfortants. Il n'avait même pas fait attention à ce qu'il disait exactement, sa présence et sa voix lui avaient donné quelque chose à quoi se raccrocher pour supporter la douleur et il avait à peine senti les secouristes le faire glisser sur un brancard et le faire sortir de la piste sous les applaudissements polis du public.

Et maintenant, il était là. Dans une chambre d'hôpital française, trop blanche, trop impersonnelle, où il se sentait trop seul. Il ne pouvait bien sûr pas en vouloir à Yakov d'avoir dû rester coacher Georgi pour la suite du trophée. La perfusion fixée dans son bras y faisait couler un liquide transparent qui, en quelques minutes, avait rendu la douleur de sa jambe supportable – tant qu'il n'essayait pas de la bouger. Est-ce qu'il s'était fracturé quelque chose ? Il n'en savait rien. On lui avait fait passer des radios en arrivant mais il n'avait pas compris le moindre mot de ce que les médecins lui avaient expliqué en français par la suite. Ceux-ci avaient bien essayé de lui faire comprendre par gestes ce qu'ils lui disaient, mais c'était une peine perdue et il avait fini par acquiescer juste pour avoir un peu de répit. Pour combien de temps était-il ici ? Qu'est-ce qu'il s'était fait ? Est-ce qu'il pourrait patiner à nouveau un jour ou est-ce que sa carrière devrait s'arrêter ici ? Il n'avait que vingt ans, il ne pouvait pas s'arrêter maintenant, n'est-ce pas ? Combien de carrières s'étaient finies sur une blessure comme celle-ci ?

Quelqu'un frappa à la porte de sa chambre et il releva les yeux sans beaucoup d'espoirs. A cet instant, il se sentait trop épuisé pour affronter une autre tentative de communication avec des médecins français qui lutteraient pour s'exprimer en anglais et lui faire comprendre ce qu'ils tentaient de lui expliquer.

- Hey, salua sobrement Chris. Comment ça va ?

Ses yeux s'écarquillèrent en reconnaissant le suisse et il aurait eu envie de se jeter dans ses bras pour le remercier d'être venu – s'il n'avait pas été cloué à son lit.

- Un peu mieux, avoua Victor. Le trophée est fini ? Tu t'en es tiré comment ?

Chris parut surpris que Victor s'inquiète plus de son classement que de sa propre santé mais il devina aisément que le russe n'avait pas franchement envie de s'attarder encore plus sur ce qui lui était arrivé.

- Deuxième, annonça Chris.

- Qualifié pour la finale, donc ? conclut Victor. C'est cool.

- Une finale sans toi, ce ne sera pas cool, non… Tu sais pour combien de temps tu en as avant de reprendre ?

- Aucune idée. Je comprends rien à ce qu'ils me racontent.

- Il fallait le dire ! s'exclama Chris.

Avant de lui laisser le temps de protester, Chris disparut vers le couloir et revint quelques secondes plus tard. Une infirmière le suivit rapidement et expliqua quelque chose à Chris qui traduisit :

- Tu n'as rien de visible aux examens qu'ils t'ont fait passer, la douleur est juste liée à une grosse contracture due au choc. Ils vont te maintenir sous antidouleurs pour la nuit et ils te laisseront sortir demain si tu arrives à marcher.

- Quand est-ce que je pourrais recommencer à patiner ?

Chris traduisit la question et lui retransmit rapidement la réponse de l'infirmière :

- C'est ton médecin à Saint-Pétersbourg qui décidera. Mais si tu te remets correctement et sans forcer, tu devrais pouvoir reprendre d'ici un mois.

Il acquiesça lentement et l'infirmière dit à nouveau quelque chose auquel Chris répondit directement. Elle ressortit de la chambre et Chris reprit :

- Elle te dit de ne pas hésiter si tu as besoin de quoi que ce soit.

- OK. Merci d'avoir traduit. Et… D'être venu.

- Je t'en prie. C'était la moindre des choses, je n'allais pas te laisser seul ici…

Chris avait lancé cette dernière phrase sur un ton anodin mais Victor se fit la réflexion qu'elle décrivait à elle seule toute la relation entre eux. Chris le connaissait mieux que personne, peut-être encore mieux que Yakov. Il savait qu'il n'aimait pas les hôpitaux, qu'il n'aimait pas la solitude, qu'il n'aimait pas perdre une compétition et il s'était douté qu'il ne supporterait pas d'affronter tout ça à la fois. Alors il était venu le rejoindre. Parce que c'était Chris, parce qu'ils n'avaient pas besoin de mots pour comprendre ce que l'autre pouvait ressentir, parce que malgré la distance qui les éloignait la majeure partie de l'année, ils étaient toujours là l'un pour l'autre. Parce que, malgré les plaisanteries qu'ils faisaient habituellement, ils savaient être sérieux quand l'autre en avait besoin, parce qu'ils savaient toujours trouver quels mots le rassureraient et l'apaiseraient. Parce qu'ils étaient amis, tout simplement, et qu'aucun d'eux deux n'imaginait plus mener une carrière sans retrouver l'autre sur la glace.

Victor étouffa un bâillement et Chris souffla :

- Tu devrais te reposer. Les médicaments doivent t'assommer, ça te fera du bien de dormir.

Victor acquiesça d'un hochement de tête, sentant la fatigue lui piquer les yeux, mais eut une seconde d'hésitation pendant laquelle il chercha ses mots. Il n'eut pas besoin de les trouver. Chris tira une chaise à côté de son lit et s'assit dessus.

- Oui, je reste ici, souffla-t-il doucement. Ma qualité d'interprète devrait les convaincre de me laisser passer la nuit ici.

Une bouffée de gratitude envahit soudainement Victor et il cessa de lutter contre la fatigue. Il n'aimait toujours pas les hôpitaux. Mais, pendant qu'il sombrait dans le sommeil en sentant la main du suisse posée sur la sienne, il se fit la remarque qu'y être en présence de Chris rendait presque la situation supportable.


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