Cette fic est écrite dans le cadre de la 93ème nuit écriture du FoF (Forum Francophone) pour le thème "Lundi". Le FoF est un forum regroupant tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou s'amuser entre nous. Le lien se trouve dans mes favoris. Rejoignez-nous !
Note de l'auteur : Pas grand-chose de cette histoire ne m'appartient. Je relate ici ce qui est arrivé cette saison à la prodigieuse Evguenia Medvedeva, que j'espère revoir en pleine forme aux JO.
Tenir jusqu'à lundi. Formulé ainsi, cet objectif lui paraissait ridicule, dérisoire. Pourtant, Victor n'avait jamais trouvé une semaine aussi insurmontable que celle-ci. Il avisa du regard son réveil. 19h30. Il était censé attendre encore une heure et demie avant de pouvoir reprendre des antidouleurs. Même cette durée lui paraissait infiniment trop longue, alors une semaine entière ? Il n'hésita que quelques secondes avant de craquer, de tendre la main vers la plaquette de médicaments sur sa table de chevet et d'en avaler deux. Tant pis s'il n'était pas censé en reprendre aussi tôt. Il n'était pas non plus censé patiner avec une fracture du pied, pourtant, c'est ce qu'il faisait depuis maintenant un mois et demi.
La saison venait de reprendre quand il avait commencé à sentir une douleur dans son pied. Rien de grave, une tension à la fin d'un entraînement chargé, une douleur qui le faisait boiter à la fin de la semaine et qui passait en restant sur son canapé pendant sa journée de repos. De toute façon, il n'avait pas le temps de s'en occuper, la Coupe de Russie, sa première épreuve du Grand Prix, n'était que dans deux semaines. Peu importe ce qu'il avait, il savait que très peu de médicaments n'étaient pas considérés comme dopants et que le médecin de l'équipe ne pourrait rien lui donner sans l'empêcher de participer au Grand Prix. Alors il avait participé à cette première épreuve et l'avait remportée. Il avait réussi à berner le public, mais pas Yakov. Après un programme court et un libre en deux jours, en plus du gala de clôture et du bal de fin de compétition, il avait été incapable de marcher sans boiter ostensiblement à l'aéroport. C'était son coach qui l'avait traîné chez le médecin à leur retour à Saint-Pétersbourg, et son verdict était tombé après lui avoir fait passer une radio : Fracture du métatarse. Plâtre obligatoire, pour au moins deux semaines. Victor avait protesté avec forces. Il ne pouvait pas se le permettre, cela lui ferait rater sa prochaine épreuve, le trophée NHK, et donc sa qualification pour la finale. Ils en avaient discuté, longuement, puis avaient passé un accord. Le médecin le mettait sous anti-inflammatoires et antidouleurs jusqu'à la fin du Grand Prix. Victor ne faisait aucun effort inutile en dehors de la patinoire, restant cloué à son canapé ou à son lit quand il ne s'entraînait pas. Et dès que ses compétitions lui permettaient de s'arrêter trois semaines, il le plâtrait pour lui permettre de guérir complètement.
Sur le coup, cette suggestion lui avait parue raisonnable : Il avait remporté la Coupe de Russie sans médicaments, alors avec, le reste du Grand Prix devrait être un jeu d'enfant. Sauf que sa blessure avait empiré. La douleur était devenue de plus en plus forte, ses boiteries de plus en plus fréquentes. Le médecin lui avait donné une coque de protection pour son pied qui lui permettait de patiner à peu près tranquillement, et avait progressivement changé ses médicaments pour des effets plus forts et plus longs. Le trophée NHK était passé. Malgré une chute lors de son programme libre, il avait réussi à devancer tous ses concurrents et avait décroché haut la main sa qualification pour la finale. Il avait réalisé à ce moment-là qu'une part de lui-même espérait se planter, espérait que le Grand Prix soit fini pour lui après cette épreuve et qu'il puisse se permettre d'être immobilisé. Mais non. Il lui restait encore la finale, dans cinq jours. Le programme court vendredi soir, le libre samedi, le gala de clôture s'il l'emportait - bien sûr qu'il allait l'emporter - le dimanche. Et le retour lundi. Lundi. Dans six jours, tout sera fini, il sera plâtré et immobilisé le temps qu'il faudra.
Il bâilla longuement et s'appuya plus confortablement sur son oreiller. Ses médicaments l'assommaient. Et ce n'était pas comme s'il avait autre chose à faire que dormir. Il aurait pu essayer de se traîner jusqu'à son canapé, ou même jusqu'à sa cuisine pour manger quelque chose, mais la douleur de son pied recommençait tout juste à devenir supportable, il ne voulait pas forcer dessus. Il se cala en peu plus dans son lit et tomba dans le sommeil en quelques secondes.
Yakov fronça les sourcils en le voyant arriver près de la patinoire. Il n'avait que cinq minutes de marche à faire pour aller de chez lui jusqu'au Palais des Glaces, pourtant, il commençait déjà à boiter quand il s'effondra sur un banc pour enfiler ses patins.
- Je n'aurais jamais pensé dire ça un jour, grommela Yakov, mais… Tu sais que ce n'est pas grave si tu ne participes pas à la finale ?
- Bien sûr que si. Je n'ai jamais raté une seule compétition pour blessure, ce n'est pas aujourd'hui que je vais commencer. Il ne reste plus rien désormais, je dois juste tenir jusqu'à lundi.
- Détrompe-toi, Victor, ce n'est pas jusqu'à lundi.
Victor releva un regard étonné vers son coach qui reprit :
- Il va falloir que tu regardes un peu plus loin que le bout de ton nez. Oui, la finale du Grand Prix sera finie lundi. Mais après ça, il ne restera que dix jours avant les championnats nationaux. C'est trop court pour t'immobiliser. Et les Jeux Olympiques sont dans deux mois, la fédération n'acceptera jamais d'y envoyer un patineur qui n'a pas passé les nationaux.
Victor resta dubitatif. Il avait été tellement obnubilé par la date de la fin du Grand Prix qu'il avait complètement zappé qu'il n'y avait ensuite que dix jours avant les nationaux. Yakov parut comprendre qu'il avait touché un point sensible et reprit :
- Tu veux t'obstiner à patiner en étant blessé ? Libre à toi de faire ce que tu veux. Mais si tu le fais, ce n'est pas cinq jours, c'est trois semaines qu'il te reste à tenir. Et si tu échoues, ta saison est finie. Pas de championnats d'Europe, pas de mondiaux, et encore moins de Jeux Olympiques.
Pas de Jeux Olympiques. Ces derniers mots résonnaient dans sa tête. Il avait cet objectif ultime depuis le jour où il avait signé le contrat d'entraînement de Yakov. Des Grand Prix ou des championnats du monde, il y en avait tous les ans. Mais les JO… Une telle occasion ne se reproduirait pas avant quatre ans, rien ne dit qu'il patinerait encore à ce moment-là. Et si vraiment c'était cette année sa seule chance d'y participer…
- Victor. Tout le monde sait que tu es blessé depuis que tu as patiné avec des protections au trophée NHK. Personne ne t'en voudra de déclarer forfait pour la finale. Abandonne, cède ta qualification au premier réserviste. Et reviens en pleine forme aux nationaux et aux JO.
Victor resta silencieux. Il voulait croire qu'il réfléchissait encore à ce que Yakov venait de lui dire, mais il savait au fond de lui qu'il avait déjà pris sa décision. Depuis qu'il savait qu'il avait une fracture, il avait toujours affirmé que déclarer forfait pour le Grand Prix serait le pire des scénarios. C'était toujours vrai. Mais aujourd'hui, il réalisait que ce serait peut-être aussi la meilleure décision. Tenir jusqu'à lundi lui paraissait encore insurmontable. Il ne s'imaginait pas tenir encore trois semaines de plus.
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