Cette fic est écrite dans le cadre de la 93ème nuit écriture du FoF (Forum Francophone) pour le thème "Douceur". Le FoF est un forum regroupant tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou s'amuser entre nous. Le lien se trouve dans mes favoris. Rejoignez-nous !

Note de l'auteur : Ce texte est un hommage à la talentueuse patineuse russe Julia Lipnitskaia, qui vient d'annoncer sa retraite. Pour ceux qui ne la connaissent pas, elle est très probablement la patineuse qui, par son talent précoce, sa fièvre de victoire et son rapport aux autres patineurs, a inspiré aux auteures de l'anime le personnage de Yuri Plisetsky. Je tenais à rendre, avec le peu de moyens dont je dispose, un hommage à cette "petite étoile russe du patinage" qui, selon ses propres termes dans une interview de 2014, va maintenant pouvoir commencer à vivre. Et je vous invite très fortement à aller regarder les vidéos de ses chorégraphies, en particulièrement son programme libre aux JO de Sotchi sur la musique du film "La liste de Schindler".

- Ça ne va pas ? s'étonna Victor.

- Si si, assura Yuri en relevant les yeux. J'ai pas très faim, c'est tout.

Victor fronça les sourcils. Après l'entraînement intensif que Yuri avait eu aujourd'hui, il était impossible qu'il n'ait pas faim. Depuis qu'ils étaient rentrés à Saint-Pétersbourg pour s'entraîner ensemble, aucun d'eux deux n'avait le temps de souffler de la journée. Ils étaient tous les deux décidés à remporter les plus grandes compétitions et ils patinaient pendant des heures pour s'y préparer. La nuit était déjà tombée quand ils étaient rentrés dans l'appartement de Victor et ils s'étaient effondrés dans la cuisine devant deux assiettes fumantes de légumes. Si Victor avait dévoré les trois quarts de son assiette en quelques bouchées, Yuri avait à peine touché sa propre part du bout de la fourchette.

- Tu n'aimes pas ça ? demanda Victor. Tu veux que je te prépare autre chose ?

Yuri hésita une fraction de seconde avant de répondre :

- Non merci. C'est gentil.

Victor ne parut pas convaincu par sa réponse mais n'insista pas. Yuri rebaissa les yeux sur son assiette. Il mentirait en disant qu'il n'aimait pas ça. Il avait juste envie d'autre chose, de plein d'autres choses qui figuraient toutes en bonne place sur la liste des aliments interdits en tant que sportif professionnel. Il aurait donné n'importe quoi pour du katsudon, des pirojkis ou même un simple carré de chocolat. Mais il ne pouvait pas se le permettre. L'accord avec Victor était clair : Il n'y avait le droit que s'il remportait une compétition. Victor lui avait bien proposé d'en manger après la finale du Grand Prix, ou après les quatre continents ou les championnats du monde. Mais il n'avait pas gagné. Il avait toujours fini sur le podium avec une médaille d'argent ou de bronze, et il était satisfait de ce résultat. Mais ce n'était pas l'or. Ce n'était pas assez pour se permettre de faire des écarts. Et maintenant, la saison était finie et il n'aurait plus d'occasion de gagner une compétition avant encore six mois. Parfois, quand il se sentait sur le point de craquer, il se remémorait le nombre de kilos qu'il avait pris après son plantage au Grand Prix un an et demi auparavant et la remarque de Victor qui l'avait alors traité de porcelet le convainquait de tenir le coup. Il ne voulait pas craquer, il ne voulait pas le décevoir. Mais il parvenait de moins en moins, à chaque repas, à cacher le fait qu'il mourrait d'envie de manger autre chose que des légumes ou des viandes blanches qui lui paraissaient trop fades et sans goût.

- Yuri… reprit Victor. Si tu veux manger autre chose, tu peux.

- Tu sais bien que non, répondit-il mécaniquement.

Victor parut comprendre le problème à sa réponse et se leva sans un mot de plus. Il revint de l'arrière-cuisine en déposant devant lui une tablette de chocolat qui attira aussitôt le regard du japonais. Rapidement, il la coupa en plusieurs carrés et en tendit un à Yuri.

- Mange.

- J'ai pas le droit de…

- Ordre de ton coach !

L'air sévère de Victor acheva de le convaincre - il en mourrait d'envie de toute façon. Il s'empara du carré qu'il enfourna avant d'avoir trop de regrets. Il ferma les yeux de plaisir en sentant le chocolat au lait fondre sous sa langue. Est-ce que celui-ci était encore meilleur que la plupart des chocolats ou est-ce que c'était juste le fait d'en avoir été privé trop longtemps ? Sans l'avoir demandé, Victor lui donna sa réponse :

- S'il y a bien une chose que les suisses n'ont pas à nous envier, c'est bien le chocolat… Chris est mon fournisseur personnel, il m'envoie des colis sortis tout droit de l'usine de chocolat de Zurich.

- Je crois que j'en ai jamais mangé d'aussi bon… confirma Yuri. Mais je n'étais pas censé…

- Pas censé quoi ? T'autoriser un écart sur toute une saison ? Manger du sucre que tu auras éliminé dès la première heure d'entraînement demain ?

- Je grossis vite, grommela Yuri. J'ai peur de ne pas pouvoir m'arrêter si je craque.

- Et moi j'ai peur de te voir arrêter à force de t'interdire de craquer. Yuri… Oui, le patinage - comme tous les sports - a des règles strictes. Trop strictes pour qu'on les respecte toutes. Ton comportement me fait penser à celui de Julia, une ancienne patineuse, et… Ce qui lui est arrivé est juste trop dommage.

Yuri l'interrogea du regard et Victor expliqua :

- Elle patinait dans l'équipe de Russie avec nous il y a quelques années. Elle était douée. Douée, prometteuse, et elle en voulait. Elle a été la junior la plus prodigieuse jamais vue en Russie, et elle avait un mental d'enfer. Yurio me fait un peu penser à elle, et je pense sincèrement qu'il s'est inspiré d'elle dans sa fièvre de victoire. Elle a toujours été douée, mais c'est aux Jeux Olympiques de Sotchi que le regard du monde entier s'est posé sur elle. Elle a juste été prodigieuse et c'est sa performance qui nous a fait gagner la médaille d'or par équipe. Elle avait beaucoup de fans, mais aussi beaucoup de détracteurs. Les principales remarques qui revenaient étaient qu'elle était trop grosse pour patiner. C'était des conneries, et elle les rembarrait publiquement, mais ça la touchait. Elle ne s'autorisait tellement aucun écart que Yakov a plusieurs fois rembarré des journalistes qui voulaient lui offrir des chocolats en leur disant qu'elle n'en voudra jamais. On la voyait manger de moins en moins, refuser de plus en plus la moindre douceur parce qu'elle voulait maigrir et qu'elle n'y arrivait pas, parce qu'elle n'avait aucun kilo en trop à perdre. A dix-huit ans, quand elle est apparue pour la première fois dans son costume de la saison, les médias à scandale se sont déchaînés sur elle, la principale interrogation était de savoir si elle était enceinte. Alors qu'elle avait encore perdu du poids. Après ça, elle est partie trois mois en Europe. On ne savait pas pourquoi elle arrêtait si brusquement, ni si elle reprendrait après, on s'est juste doutés que si Yakov l'avait laissée faire, c'est qu'il savait que c'était pour une bonne raison. Elle nous a expliqué en revenant. Elle avait passé trois mois en soins pour anorexie et c'est là-bas qu'elle a compris qu'elle ne pourrait plus patiner. Qu'elle ne réussirait jamais à ignorer suffisamment l'avis de ceux qui l'insultaient pour patiner sans se soucier de son poids et de son image. Sa carrière s'est clôturée à dix-neuf ans. J'ai beau savoir qu'elle n'a jamais été aussi bien, qu'à présent elle est heureuse et débarrassée de toutes les contraintes qu'elle avait et qui lui ont bouffé son enfance… Je continue à trouver que c'est avant tout un incroyable gâchis.

Yuri devinait l'émotion de Victor au travers de son récit. Il était évident que cette histoire et cette patineuse l'avaient touché, peut-être plus qu'il ne l'a jamais avoué. Victor poussa vers lui un deuxième carré de chocolat et reprit :

- Yuri… Bien sûr qu'on ne peut pas se permettre de s'empiffrer, mais… Il y a un juste milieu. Notre vie de sportif est suffisamment dure comme ça. Tu ne tiendras pas le coup sans t'autoriser une douceur une fois de temps en temps. J'aurais aimé que Julia l'admette et le comprenne. Parce qu'elle avait encore trop de chorégraphies à danser et de victoires à remporter.

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