Cette fic est écrite dans le cadre de la 96ème nuit écriture du FoF (Forum Francophone) pour le thème "Jongler". Le FoF est un forum regroupant tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou s'amuser entre nous. Le lien se trouve dans mes favoris. Rejoignez-nous !


- Relève-toi ! Refais-le !

La voix de Yakov avait violemment claqué dans le Palais des Glaces et fait sursauter les patineurs qui s'entraînaient un peu plus loin. Devant lui, Victor était resté assis par terre après sa dernière chute, reprenant lentement son souffle. Ses cheveux longs se balançaient devant son visage et il les repoussa dans son dos avant de se relever et de regarder Yakov.

- Je peux pas, souffla-t-il. Je n'y arriverai pas.

Le regard de Yakov s'éclaira de fureur et il répondit encore plus furieusement :

- Tu te fiches de moi ? Victor, je ne te demande pas de me donner ton avis, je te demande de faire ce que je te dis ! Il va falloir que tu t'actives sérieusement si tu espères rester dans la compétition ! Tu prétends être l'un des meilleurs patineurs russes et tu es incapable de me passer un quadruple ? Tu es plus que décevant, tu es désespérant ! Reviens me voir quand tu auras décidé de te bouger et de travailler pour obtenir des résultats ! D'ici là je ne vois même pas pourquoi je perdrais du temps avec toi !

Sans attendre de réponse, Yakov se détourna pour partir surveiller l'entraînement de Georgi. Victor s'appuya à la balustrade en se forçant à respirer lentement. Quelques patineurs autour de lui lui lançaient des regards inquiets, mais aucun ne paraissait choqué par la violence des propos de Yakov. Lui non plus ne l'était pas. Il savait que c'était la manière de son coach de les motiver, il avait trop souvent entendu cette phrase type : Je ne te demande pas si tu veux le faire, je te demande de le faire. Il devait admettre que cela fonctionnait. L'amertume des réprimandes le dévorait et, l'espace d'un instant, il se demanda si son coach n'avait pas raison. S'il n'était pas réellement incapable de devenir meilleur que les autres, incapable de passer un quadruple flip dans ses chorégraphies.

Il se redressa légèrement et repartit sur la piste en serrant les poings. Il n'avait qu'une seule façon de le savoir, qu'une seule façon de prouver à Yakov qu'il en était capable. D'une impulsion de la jambe, il reprit de l'élan pour préparer son saut.


Victor s'élança quand sa musique résonna dans le complexe. Il avait remporté ses deux étapes du Grand Prix, cette finale était la dernière étape. Il l'avait déjà fait plusieurs fois, il pouvait le faire. Il se laissa entraîner par sa musique et ses mouvements qu'il connaissait désormais par cœur. Il avait l'impression qu'une éternité s'était écoulée depuis cette journée où Yakov l'avait incendié parce qu'il n'arrivait pas à faire son quadruple flip. Depuis il s'était entraîné, plus dur que jamais, et avait finalement réussi à le faire. D'abord une fois, avant de rechuter à nouveau et de recevoir de nouvelles réprimandes, de nouveaux reproches sur son manque de sérieux et de motivation. Puis il l'avait réussi au trophée NHK, puis systématiquement à chaque entraînement. Il était rodé désormais, et savait qu'il pouvait le faire. Quand les notes de musique caractéristiques du début de son saut résonnèrent, il prit de l'élan, pivota en un pas de trois avant de planter la pointe de son patin dans la glace et de s'élancer en sautant et en tournant. Il sut avant même la fin de son dernier tour qu'il n'arriverait pas à se réceptionner. Sa lame dérapa violemment au moment où elle toucha la glace et les exclamations déçues du public résonnèrent en même temps que l'impact du choc.

Aussitôt, les exclamations de Yakov lui revinrent en tête. Trop fainéant, trop décevant, trop impertinent. Pas assez sérieux, pas assez travailleur, pas assez motivé. Il se força à se ressaisir et à continuer sa chorégraphie, mais le doute s'était déjà insinué en lui et sa jambe trembla une seconde de trop au moment où il amorça son triple boucle. Une nouvelle chute. De nouvelles réprimandes en perspective. Le reste de sa danse fut semblable au début, il parvint à peine à réussir ses sauts les plus simples et, quand les dernières notes résonnèrent enfin, il s'effondra sur la glace en laissant couler les larmes qui montaient dans ses yeux depuis déjà plusieurs minutes. Les applaudissements polis et encourageants du public l'incitèrent à se relever rapidement et à saluer avec un sourire de façade avant de se diriger vers la sortie de la piste. Yakov avait un regard déçu et réprobateur et Victor sentit ses larmes couler de plus belle. Il le rejoignit en attendant avec appréhension les réprimandes qui allaient forcément tomber et ferma les yeux en sortant de la piste. Il sentit Yakov passer un bras autour de ses épaules et l'attirer contre lui dans une étreinte réconfortante.

- Ce n'est pas grave, Victor. Tu as fait ce que tu as pu.

Ses mots le surprirent. Depuis quand Yakov le consolait-il, depuis quand lui assurait-il que ses échecs n'étaient pas graves ? Pendant qu'il le conduisait vers le kiss and cry en continuant à lui souffler des mots réconfortants, Victor se fit la remarque qu'il n'aurait pas supporté que Yakov l'incendie. Et que son coach le savait. Il savait qu'il avait besoin d'autorité et de fermeté à l'entraînement pour inciter ses patineurs à donner le meilleur d'eux-mêmes et atteindre le plus haut niveau. Il savait qu'il était nécessaire qu'il relâche la pression quand la compétition était finie et que rien ne pouvait plus changer leur résultat, parce qu'il ne pouvait pas se permettre de briser ses élèves. Yakov savait qu'un bon coach devait nécessairement savoir jongler entre la fermeté et l'attention, et que seul ce mélange délicat permettait à ses patineurs d'atteindre les plus hauts niveaux. Il savait que, à cet instant présent, Victor se serait littéralement effondré s'il avait dû subir d'autres réprimandes et reproches, alors il ne l'avait pas fait. Parce que c'était Yakov et qu'il ne voulait pas briser Victor, que son seul objectif restait de le faire aller toujours plus haut et qu'il serait toujours à ses côtés, son bras refermé autour de ses épaules, pour s'assurer qu'il ne s'effondrerait jamais.


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