Cette fic est écrite dans le cadre de la 97ème nuit écriture du FoF (Forum Francophone) pour les thèmes "Tituber" et "Bleu". Le FoF est un forum regroupant tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou s'amuser entre nous. Le lien se trouve dans mes favoris. Rejoignez-nous !


Yuri n'avait pas encore ouvert les yeux, mais il avait déjà l'impression qu'un marteau et un burin s'acharnaient à détruire son cerveau en mille morceaux. Quelle heure était-il ? Où était-il, d'ailleurs ? Allongé dans un lit d'hôtel, pour sûr – le sien était beaucoup plus petit que celui-ci – mais il ne se souvenait pas s'être couché. Il bascula sur le côté et, d'un léger geste du bras, eut la confirmation qu'il était seul dans ce lit. Où était Victor ?

Cette question-là, il y trouva assez vite une réponse. Le trophée de France, la première étape du Grand Prix de Yuri, s'était conclu la veille au soir par le gala d'exhibition et le bal de fin de compétition, mais Yuri y avait participé seul. Être à la fois coach et patineur obligeait Victor à courir littéralement entre toutes ses obligations et, dès l'annonce de la victoire de Yuri, il avait dû sauter dans un avion qui l'avait ramené à Tokyo pour le trophée NHK, sa propre étape. Celui-ci ne commençait que deux jours plus tard mais Yakov avait insisté pour que Victor soit sur place le plus tôt possible pour s'habituer au décalage horaire et avoir le temps de se consacrer uniquement à ses derniers entraînements. La pression de la compétition étant déjà retombée, Yuri avait assuré à Victor qu'il ne voyait pas de soucis à affronter seul le gala et la soirée de clôture. Il n'avait à la base même pas l'intention de participer à la soirée, mais sa médaille d'or l'obligeait à y faire au moins une apparition. Il avait donc enfilé le costume cravate que Victor lui avait acheté à Barcelone et s'était présenté dans cette salle des fêtes. Ses souvenirs n'allaient pas plus loin. Que s'était-il passé après ?

Son mal au crâne commençait à devenir presque supportable et il put ouvrir les yeux. La chambre était à moitié éclairée par le jour qui filtrait à travers ses volets et il trouva sans mal l'interrupteur de la plus petite lampe, au-dessus de son lit. Malgré la luminosité toute relative qu'elle diffusait, Yuri sentit ce flash de lumière achever de faire exploser sa tête et il replongea la tête dans le coussin en laissant échapper un gémissement de douleur. La soirée de clôture. Qu'est-ce qu'il s'y était passé ? Il n'avait pas eu l'intention de boire plus que de raison, pourtant tout dans son état actuel lui criait qu'il avait failli à cet objectif. Pourtant… Au fur et à mesure qu'il s'efforçait de retrouver ses souvenirs, ceux-ci revenaient par flashs. Son arrivée couverte par les flashs et les questions des journalistes auxquelles il avait répondu. Les questions sur l'absence de Victor, sur son ressenti après cette victoire, sur ses espoirs pour le reste de la saison. Il était persuadé de ne pas avoir fait de vagues et d'avoir répondu à peu près ce qu'on attendait de lui. Il connaissait trop bien la boule au ventre qui se formait à cause des regrets de ce qu'il aurait pu dire ou faire, avant même qu'il n'identifie le moment exact qui lui procurait cette sensation, pour savoir qu'elle était définitivement absente. Le début de la soirée s'était très bien passé, c'était une certitude. Mais après ?

A travers ses paupières closes, la lumière de la chambre était devenue supportable et il rouvrit lentement les yeux. Un coup d'œil vers sa valise et ses affaires lui confirma qu'il était bien dans sa propre chambre – peu importe la façon dont il y était arrivé. Il balaya la pièce du regard et tomba sur sa table de chevet, sur laquelle une plaquette de comprimés et une bouteille d'eau étaient posées. Une chose était sûre, elles n'y étaient pas la veille. Il se redressa légèrement dans son lit et remarqua également un bout de papier dont il se saisit pour le déchiffrer : Ce sont des anti-migraines, n'hésite pas à les prendre et à boire en te réveillant. J'ai prévenu Victor que tu risquais de te réveiller tard pour qu'il ne s'inquiète pas. Je te retrouve au petit-déjeuner. Chris.

Chris… Celui-ci avait également participé au trophée – et donc, à la soirée de clôture – et ce message expliquait pas mal de choses. Le fait que Victor n'ait pas essayé de l'appeler avant son entraînement. Le fait qu'il ait fini dans sa chambre une soirée dont il ne se souvenait plus tellement il était saoul. La présence bienvenue de la bouteille d'eau. Il but de longues gorgées, puis eut une seconde d'hésitation en regardant les médicaments. Un nom français qu'il était incapable de déchiffrer était écrit sur la plaquette. Comment être sûr de ce que Chris lui avait laissé ? Il secoua légèrement la tête en réalisant à quel point ses doutes étaient idiots. Si Chris avait voulu le droguer, il en aurait visiblement eu tout le loisir la veille au soir. De plus, il n'avait jamais fait d'allergie au moindre médicament anti-migraines. Il examina la situation encore quelques secondes avant de se convaincre qu'il devait pouvoir prendre un de ces médicaments en toute confiance. D'un geste, il en avala un avec un peu d'eau, et décida de se traîner à la salle de bains pour achever de se réveiller.

Vingt minutes plus tard, il en ressortit avec les idées bien plus au clair. Il ne se souvenait toujours pas des événements de la veille – quoi que, il se revoyait passer la majorité de la soirée de clôture assis à une table avec Chris à discuter – mais la douche, le médicament et l'eau avaient commencé à apaiser ses doutes. Peu importe ce qu'il s'était passé, Chris saurait lui répondre. Pourtant, l'angoisse commençait à s'insinuer dans son esprit. La dernière fois qu'il avait été aussi bourré, c'était au bal du Grand Prix de l'année précédente, quand il avait appris plusieurs mois après qu'il avait dansé à moitié nu avec Victor, qu'il connaissait alors à peine. Mais hier, Victor n'était pas là. Que s'était-il passé ? Qu'est-ce qu'il avait pu faire ? Est-ce qu'il aurait pu avoir des paroles ou des actes susceptibles de déplaire à son petit-ami ? Il hésita à l'appeler dès maintenant, mais un coup d'œil sur l'horloge et un calcul du décalage horaire lui indiqua qu'il serait en train de patiner. Il ne doutait pas qu'il aurait décroché quand même – sa capacité à tout lâcher pour répondre à son téléphone avait toujours fait hurler Yakov – mais la honte et l'absence de souvenirs et donc d'explications à lui donner le dissuadaient de le déranger. Mieux valait trouver Chris pour finir d'éclaircir les choses.

Il descendit dans le restaurant de l'hôtel et repéra rapidement le suisse assis à une table. Les couverts sales devant lui laissaient entendre qu'il avait fini de manger depuis un petit moment, et il s'était appuyé contre le mur à côté de sa table pour lire une revue de patinage. Plongé dans sa lecture, Chris ne l'avait pas vu arriver et Yuri murmura doucement :

- Salut… Je peux m'asseoir ?

- Yuri ! Bien sûr, installe-toi ! Ça va mieux ?

Le sourire et le naturel de Chris étaient toujours aussi déconcertants que d'habitude, mais ses yeux cachaient tout de même une inquiétude réelle. Yuri remercia d'un sourire le serveur qui lui remplissait un bol de café et répondit :

- Tout dépend de ce qu'on appelle aller mieux… Il s'est passé quoi hier soir ?

- Tu étais bourré.

Yuri faillit s'étouffer en ricanant tout en buvant une gorgée de café, et il reprit :

- Jusque-là, j'avais deviné tout seul… Mais je me souviens juste d'avoir discuté avec toi pendant le bal…

- C'est à peu près ça. Sauf que pendant qu'on discutait, tu avais une coupe de champagne que les serveurs te remplissaient automatiquement dès qu'elle était finie. Je ne suis même pas sûr que tu te sois rendu compte toi-même de la quantité que tu as bue, tu te contentais de siroter un verre qui ne se vidait jamais. Je ne m'étais pas inquiété parce que tu avais l'air d'avoir encore les idées au clair, mais quand on s'est relevés, tu as titubé et tu t'es effondré par terre.

Yuri laissa échapper un gémissement plaintif en imaginant la honte qu'il s'était infligée, mais devina :

- Ça ne s'est pas arrêté là, hein ?

- Hmm, non. Enfin, j'ai essayé. Les autres patineurs du trophée proposaient qu'on aille se boire une bière en ville. Je t'ai proposé de te ramener à l'hôtel, mais tu as insisté en disant que tu allais très bien et que tu voulais venir avec nous. C'est tellement rare de te voir sortir quand Victor ne te traîne pas, je n'ai pas eu le cœur à t'empêcher de t'amuser. Et puis, malgré ta chute, en te relevant, tu marchais encore droit à ce moment-là. Donc on est allés dans un bar d'ambiance et, après quelques verres supplémentaires, tu t'es mis à danser. Je ne suis pas sûr que le champagne et la bière aient fait bon ménage.

Yuri était devenu pâle lors des dernières révélations de Chris et il demanda avec appréhension :

- Je… Quand tu dis que j'ai dansé…

- Je te rassure, tu as gardé tous tes vêtements ! assura Chris avec un clin d'œil. Tu as été loin de ce que tu nous avais montré au Grand Prix de l'an dernier. Tu as quand même attiré quelques regards, mais rien de plus.

- Donc je… Je n'ai vraiment rien fait de susceptible de déplaire à Victor ? demanda-t-il, submergé par le doute.

Chris éclata d'un rire surpris avant de répondre :

- Quand on voit l'état dans lequel lui-même finit quand il est bourré, Victor serait sacrément culotté de te faire la moindre réflexion ! Je te jure que tu as été mille fois plus gérable que lui. Même quand on est rentrés à l'hôtel, je ne pensais pas que ce serait si simple de te ramener. A côté de ce crétin qui s'acharne à partir en courant dans la direction opposée, un poids plume comme toi qui se contente de tituber tous les deux mètres, c'est de la rigolade ! Donc voilà. Je t'ai ramené jusqu'à ton lit, j'ai envoyé un message à Victor pour qu'il ne s'inquiète pas, et je t'ai laissé l'eau et les médicaments.

- Merci, murmura-t-il avec reconnaissance. C'était la meilleure idée au monde.

- Je me suis douté que tu apprécierais.

Yuri finissait son bol de café, l'esprit plus apaisé maintenant qu'il était persuadé de n'avoir rien fait de répréhensible. Il releva les yeux vers le suisse et son regard s'arrêta sur un bleu sur sa tempe. Il n'était pas particulièrement marqué mais ressortait quand même sur la peau pâle de Chris, et Yuri était persuadé qu'il ne l'avait pas la veille.

- Tu t'es blessé pendant la soirée ?

- Oh ça, c'est rien ! Oublie, répondit Chris précipitamment.

Trop précipitamment. Ses doutes revenaient de plus belle, renforcés par la certitude que Chris n'était pas censé avoir de raison de lui cacher une telle blessure – sauf s'il en était responsable.

- Chris… Ce n'est quand même pas moi qui t'ai frappé ?

- N… Bon, enfin si, mais ce n'était pas de ta faute. Tu étais bourré, je t'en veux pas.

- Tu as vu l'espèce de bleu que tu as ? s'écria Yuri, horrifié. Tu m'avais dit que je n'avais rien fait de répréhensible !

- Ah mais c'était on ne peut plus honorable de ta part ! assura Chris. C'est bien pour ça que je ne t'en veux pas…

- Comment est-ce qu'on peut frapper honorablement quelqu'un ? insista le japonais.

Chris sembla hésiter avant de céder face au regard noir insistant face à lui.

- Eh bien… commença-t-il. Quand on est partis du bar… Je te l'ai dit, je suis habitué à ramener Victor qui est insupportable quand il est bourré. Donc par habitude, je t'ai passé un bras autour des épaules, à la fois pour te maintenir et pour être sûr que tu ne t'enfuirais pas.

- Et ? demanda Yuri avec appréhension.

- Et tu m'as repoussé et collé un poing dans la gueule en me criant « Me touche pas connard, je suis fiancé ! ». On ne peut plus honorable, comme je te le dis !


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