Cette fic est écrite dans le cadre de la 99ème nuit écriture du FoF (Forum Francophone) pour le thème "Corps". Le FoF est un forum regroupant tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou s'amuser entre nous. Le lien se trouve dans mes favoris. Rejoignez-nous !
- Je peux patiner sans amour, et je vais trouver un mec !
Sara avait eu beau préparer cette conversation depuis la veille, à la fin du programme court de Michele, prononcer ces mots n'en restait pas moins douloureux. Et la réaction de son frère n'arrangeait rien. Son visage décomposé, son corps tremblant, ses yeux qui l'imploraient silencieusement, tout en lui suppliait Sara de faire machine arrière. Elle mourrait d'envie de le faire, bien sûr, mais elle y avait trop réfléchi pour savoir qu'aucun d'eux deux ne pouvait se le permettre. Micky devait apprendre à patiner sans qu'elle soit là pour l'encourager, ce défaut serait tôt ou tard fatal à sa carrière. Elle aussi devait se dissocier de lui. Elle aimait son frère, profondément, seulement elle avait grandi, elle n'était plus la petite fille martyrisée par les garçons de sa classe et qui avait besoin de sa protection. Elle n'était plus non plus l'adolescente qui se servait de la jalousie de son frère comme excuse pour refuser les rencards proposés par d'autres garçons trop envahissants à son goût. Elle avait grandi, tout simplement, et avait besoin de vivre sa vie, avec ses propres rencontres.
Elle en avait pris conscience la veille, dans l'ascenseur de l'hôtel, quand Micky s'était emballé parce qu'Emile avait osé discuter un peu avec elle. Elle comprenait sa réaction, bien sûr, il avait toujours été comme ça. Mais cette conversation l'avait tout de même intéressée et elle aurait bien eu envie de la continuer, tout simplement. Il y avait aussi eu le Yuri japonais, dont l'air timide et presque embarrassé de se trouver avec eux lui avait arraché un sourire attendri et encourageant. Il y avait eu d'autres hommes, tout simplement, avec qui elle aurait bien eu envie de tenter sa chance sans que l'ombre de son frère ne plane au-dessus d'elle.
Monter les gradins pour s'asseoir en haut des tribunes, au lieu de s'installer à côté de la patinoire comme elle le faisait d'habitude, fut moins dur qu'elle ne l'avait imaginé. Sa décision était prise, et elle savait que c'était la bonne. Elle se laissa tomber sur un siège à côté de Mila qui s'étonna de sa présence ici. Ce n'était pas non plus comme si elle était partie de la patinoire. Elle encourageait tout de même son frère, elle savourait autant que d'habitude le programme libre qu'elle connaissait désormais par cœur. Pourtant, aujourd'hui, ce n'était pas son programme de d'habitude. La danse et les sauts étaient les mêmes, mais l'émotion qui résonnait dans chacun de ses gestes sublimait sa chorégraphie, chaque pas, chaque saut était un hymne à l'amour qu'elle venait de briser en mille morceaux. Elle n'arrivait plus à retenir ses larmes devant le cri déchirant que son frère était en train de produire sur la glace, et ses mains se joignirent au niveau de sa bouche pour tenter d'étouffer ses sanglots.
- Sara ? s'inquiéta Mila à côté d'elle.
Lentement, la russe passa un bras autour de son épaule pour la réconforter et une décharge électrique la traversa à ce contact. Elle releva les yeux vers Mila. Elles se connaissaient depuis longtemps, elles appréciaient même de se retrouver à chaque compétition, et ce n'était probablement même pas leur premier contact physique. Alors pourquoi ce bras passé autour de ses épaules lui faisait-il cet effet ? Il lui donnait envie de se rapprocher encore plus d'elle, d'enfouir sa tête dans le creux de son cou, de passer ses propres bras autour de son dos pour sangloter jusqu'à ce que l'étreinte achève de la réconforter. Elle savait d'où lui venait cette idée, c'était la réaction qu'elle avait toujours eue avec Micky lorsqu'il faisait ce geste. Mais ce n'était pas Micky, ce n'était même pas un homme, alors d'où lui venait cette envie ? A cet instant, faire cela lui aurait paru naturel, presque normal, et seul le fait d'imaginer le regard choqué de Mila si elle osait le faire l'en dissuada.
La compétition s'était terminée sur la victoire de JJ et la qualification in extremis de Yuri à la finale. Elle savait que Micky s'en voulait d'avoir laissé passer cette qualification aussi proche du but, mais elle savait également qu'il avait fait de son mieux, son programme avait été magnifique et il n'aurait jamais pu rafler un seul centième de point en plus. Pendant le reste de la journée, elle avait laissé de côté cette sensation ressentie au contact de Mila. Après tout, cette envie subite d'avoir avec elle la même intimité qu'elle avait toujours eue avec son frère ou qu'elle s'était imaginée avoir avec un petit-ami avait disparu aussi vite qu'elle était apparue. Et puis, elle était bouleversée et Micky n'était pas à côté d'elle à ce moment-là. Ça pouvait expliquer cette envie, une simple envie d'avoir du réconfort, d'où qu'il vienne. Ça devait être ça. Ça ne pouvait qu'être ça.
Deux jours s'étaient écoulés depuis le programme libre de Micky et, aujourd'hui, ce serait à elle de se battre pour sa qualification. Elle avait retrouvé Mila dans le vestiaire, alors que celle-ci ne portait que son collant couleur peau et un soutien-gorge assorti. Aucune d'elles deux ne s'en formalisa. Elles étaient toutes les deux habituées aux vestiaires dans lesquels elles revêtaient leurs robes de compétition, et voir des concurrentes en sous-vêtements était bien la dernière chose qui l'interpellait. Pourtant, alors qu'elle s'asseyait sur un banc, son regard s'accrocha au décolleté de Mila, penchée en avant pour prendre sa jupe dans sa valise. Elle avait déjà vu cette image des dizaines de fois au cours de sa carrière, alors pourquoi ressentait-elle maintenant la même décharge électrique que lorsque Mila l'avait touchée deux jours plus tôt ? Elle n'était pas lesbienne, elle n'avait jamais imaginé sa vie avec une femme, elle ne s'était même jamais imaginée embrasser une femme. Alors pourquoi, bon sang, pourquoi son regard ne pouvait-il pas se détacher d'elle ? Cette sensation l'énervait, elle enrageait contre elle-même et contre toutes ces sensations qu'elle n'était pas censée avoir parce que Mila était une femme et que jamais auparavant elle n'avait été attirée par le corps d'une femme. Elle n'était pas lesbienne. Elle avait beaucoup plus reluqué discrètement les corps des hommes dans la rue ou à la patinoire, c'était une certitude. Alors pourquoi ?
- Ça va ? demanda Mila.
Plongée dans ses pensées, elle n'avait même pas remarqué que son regard avait lâché la russe pour se fixer dans le vide lorsque celle-ci avait relevé la tête vers elle. Mila s'était rapprochée, elle était près, beaucoup trop près d'elle. Pile à la distance qu'il fallait pour se redresser légèrement et déposer un baiser sur sa joue. Elle se gifla mentalement à cette idée. C'était une femme, c'était une concurrente, et ce n'était pas censé l'intéresser. Point. C'était aussi simple que ça.
- Oui oui ! assura-t-elle en dessinant un sourire sur son visage.
- Ne stresse pas, sourit Mila. On se retrouve sur le podium.
Elle lui adressa un clin d'œil entendu et sortit du vestiaire. Sara en aurait presque soupiré de soulagement. Tant pis si elle n'avait pu que bafouiller une réponse. Elle n'avait pas cédé à cette envie de plus en plus irrésistible de passer ses bras autour de son cou et de l'attirer contre elle, et elle considérait déjà cela comme une victoire. La colère contre elle-même ne mit que quelques secondes à revenir. Elle avait toujours été intéressée par les hommes, seuls eux avaient jusqu'à présent réussi à attirer ses regards. Elle l'avait même dit à Micky deux jours plus tôt : Je vais me trouver un mec. Alors pourquoi, bon sang ? Pourquoi ressentait-elle tout cela en présence de Mila ?
Elles s'étaient retrouvées, d'abord dans la salle d'échauffement hors glace, où elle avait pu laisser son regard glisser à nouveau sur le corps de Mila pendant que celle-ci faisait des séries de corde à sauter sous le regard inquisiteur de Yakov. C'était le seul coach à être ici – seuls les coachs russes étaient suffisamment psychorigides pour vouloir surveiller jusqu'à l'échauffement de leurs élèves. Pendant qu'elle s'étirait, elle put savourer les jambes de Mila qui rebondissaient avec force sur le sol, sa poitrine droite et gainée, ses épaules qui roulaient au fur et à mesure des mouvements qu'elle donnait à la corde. La présence de Yakov rendit son attraction un peu plus supportable que dans le vestiaire – elle n'avait pas besoin d'être accusée d'avoir voulu déstabiliser une concurrente de manière déloyale. Elle secoua légèrement la tête. Elle non plus n'avait pas besoin d'être déconcentrée.
Comme Mila l'avait prédit, elles s'étaient retrouvées sur le podium, la russe au milieu avec sa médaille d'or, Sara à ses côtés avec sa médaille d'argent. Elle n'était pas déçue, elle savait que l'entraînement de Yakov, aussi violent soit-il, restait le meilleur au monde et, malgré les espoirs qu'elle pouvait avoir à chaque compétition, elle savait que Mila restait beaucoup plus forte techniquement qu'elle. Cette deuxième place lui convenait très bien. Les flashs des appareils photos réussissaient à la dissuader de tourner les yeux vers la russe et donc d'être perturbée à nouveau par cette proximité. A vrai dire, elle ne ressentait presque plus le besoin de garder aussi intensément son regard sur elle. Ça devrait aller mieux, à partir de maintenant. La pression de la compétition lui avait probablement fait perdre les pédales, voilà tout. Il ne pouvait pas y avoir d'autre explication.
Elles s'étaient retrouvées au bal de fin de compétition. Si la tenue légère de patinage de Mila avait attiré le regard de Sara, elle constata que l'effet était encore pire avec sa robe de soirée, noire, moulante, et fendue sur le côté pour dévoiler ses jambes de temps en temps. Ça n'irait clairement pas mieux à partir de maintenant. C'était même pire. Le maquillage de Mila, sa coiffure sophistiquée, son décolleté plongeant, ses jambes qui se dévoilaient au moindre courant d'air, tout en elle l'attirait irrésistiblement. Et elle ne savait toujours pas pourquoi et elle ne pouvait toujours pas à cause de la foule autour d'elles et elle n'était toujours pas censée être attirée par ce corps trop féminin. Mais trop magnifique. Trop attirant. Elle était figée devant elle, hypnotisée, et ce ne fut que lorsque sa main se leva par automatisme dans l'intention de se poser sur son épaule dénudée qu'elle réussit à se gifler mentalement et à partir d'un pas précipité vers les toilettes. Elle n'avait pas besoin de déraper, et encore moins devant l'élite des patineurs et la totalité des reporters sportifs du monde.
Le soulagement s'empara d'elle lorsque la porte de toilettes se referma et elle s'appuya contre les lavabos en respirant doucement. Ici, au moins, elle ne risquerait pas de gaffer et de faire plonger leurs deux réputations à cause d'impulsions sorties d'on-ne-sait-où. Elle ferma les yeux pendant que les battements de son cœur se calmaient lentement. Elle aurait payé cher pour pouvoir rester ici pendant tout le reste du bal, mais elle savait qu'elle devrait réapparaître un jour. Dès que les journalistes se désintéresseraient de Mila et de JJ, ils s'attaqueraient aux médaillés d'argent, et le Yuri russe ne les occuperait pas éternellement. Tôt ou tard, ils chercheraient celle qui avait fini deuxième, et son absence ferait jaser autant que si elle avait embrassé Mila quelques minutes plus tôt. Elle prit une inspiration, se résolut à revenir dans la salle du banquet et ouvrit les yeux, avant de sursauter violemment. Mila était debout face à elle. Elle ne l'avait même pas entendu rentrer. Les yeux de la russe brillaient d'inquiétude et elle souffla :
- Tout va bien, Sara ? Tu as l'air bizarre…
- Ça va aller…
Elle avait encore plus bafouillé que lors de leur dernière conversation, et sa réponse fit clairement comprendre à Mila que non, ça n'irait pas.
- Tu sais que tu peux m'en parler, si tu veux ? lança prudemment Mila. Je le répéterai pas.
La phrase de Mila l'intrigua et, en même temps, lui fit comprendre à quel point elle avait été stupide d'essayer de lui cacher quoi que ce soit. Elles étaient concurrentes depuis des années, elles étaient amies, et Mila restait la première concernée par ce qui lui arrivait. Elle chercha quelques secondes comment formuler sa phrase sans risquer d'écorcher leur amitié, puis hasarda un regard vers elle.
- Ça te dérange si je fais quelque chose d'un peu bizarre ?
Si Mila fut surprise par sa question, elle ne le laissa pas voir. Elle se contenta de hausser les épaules en répondant :
- Vas-y. Au pire, je te dirai d'arrêter.
Mila n'aurait pas pu lui apporter de réponse plus convaincante. Parce qu'elle avait raison, peu importe ses envies, peu importe ses pulsions, elle savait pertinemment que celles-ci disparaîtraient à l'instant où Mila prononcerait le mot « Non ». Parce qu'elles étaient amies et qu'elles se respectaient beaucoup trop pour blesser l'autre et que le décolleté et l'invitation de Mila étaient beaucoup trop tentantes pour qu'elle puisse encore y résister. Lentement, elle leva la main et ses doigts effleurèrent la joue de Mila en une caresse tendre qui lui fit fermer les yeux d'un air apaisé. La main de Mila se tendit vers elle en réponse et, lorsque leurs lèvres se touchèrent, Sara ne sut pas ce qu'elle savourait le plus : La proximité de leurs corps collés l'un à l'autre, ses propres mains autour du cou de Mila, celles de la russe posées sur ses hanches. Elle savourait ce contact, elle constatait à sa réaction que Mila aussi l'appréciait, et rien d'autre n'avait d'importance. Tant pis si elle avait dit deux jours plus tôt qu'elle trouverait un mec, tant pis si elle n'avait jamais imaginé auparavant sortir avec une fille. A cet instant précis, elle avait la certitude absolue qu'elle ne voulait contre elle aucun autre corps que celui de Mila.
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