Cette fic est écrite dans le cadre de la 113ème nuit écriture du Forum francophone pour le thème "Mignon". Le forum est un forum regroupant tous les francophones de ffnet où on peut discuter, demander de ou s'amuser entre nous. Le lien se trouve dans mes favoris. Rejoignez-nous !

Note de l'auteur : Bon, oubliez la contrainte de un texte en une heure, hein. Il m'a fallu la moitié de la Nuit pour l'écrire. Un gros merci à Cat, Milou et Océ pour m'avoir aidée à trouver les musiques et les noms exacts de certaines figures !


(2016 – Yurio a 15 ans - Agapé)

- Yuri Plisetsky, vous avez réussi ce pari fou de devenir le premier patineur au monde à remporter le Grand Prix à 15 ans, l'année de votre entrée chez les séniors ! Félicitations pour cette performance extraordinaire ! Quand vous avez commencé à danser ces chorégraphies, pensiez-vous qu'elles vous amèneraient aussi loin ?

Yuri prit le temps de réfléchir quelques secondes à cette question avant de répondre :

- C'est une bonne question. L'Agapé n'était clairement pas une chorégraphie pour moi, j'ai mis beaucoup trop de temps à réussir à me l'approprier et ça m'a pénalisé au début du Grand Prix. Mais… Je dirais que je faisais confiance à Victor. Il a toujours été un excellent chorégraphe et c'est la raison pour laquelle je me suis accroché. Il avait écrit cette chorégraphie, donc ça me suffisait pour être sûr qu'elle était capable de me faire gagner.

- Votre prestation à la finale sur cette musique a été magnifique ! A présent que vous avez réussi, pensez-vous recommencer à danser sur ce genre de musique ? A nous reproduire des chorégraphies aussi belles, aussi émouvantes… Clairement, aussi mignonnes que celle de l'Agapé ?

- Non, répondit-il sans réfléchir cette fois-ci. Sortir de mes sentiers battus était une bonne expérience, mais je ne recommencerai pas de sitôt. Le mignon, ce n'est pas pour moi, j'ai un autre style à imposer. Vous ne me verrez plus danser un thème mignon d'ici la fin de ma carrière.


(2017 – Yurio a 16 ans – Welcome to the madness)

La musique rock résonne et enflamme la piste au moment où il se met à bouger en rythme. Le chaton sauvage qui dansait l'Agapé a disparu, et il ne reviendra plus. Son costume rock, sa coiffure, ses lunettes de soleil, tout en lui hurle qu'il n'est plus le champion Junior pour lequel il était connu. Pour ceux qui en doutaient encore, sa mise en scène avec Otabek les achève. Il s'élance, il saute plus haut, plus vite et plus fort qu'il ne l'a jamais fait auparavant, il termine sa pirouette sautée en faisant voler sa veste à l'autre bout de la piste, il s'immobilise en une fente glissée et, quand la lumière s'éteint, que la musique s'arrête, mais que les cris hystériques du public continuent de résonner, il sait qu'il a atteint son but. Il ne sera plus jamais quelqu'un de mignon sur la glace.


(2018 – Yurio a 17 ans – Unstoppable)

I'm unstoppable. Les paroles de cette chanson ont juste été écrites pour lui. Personne ne peut le stopper, personne ne peut le rattraper, personne ne peut l'égaler. Il était double champion du monde Junior, il est maintenant double champion du monde sénior. Devant Victor, devant l'autre Yuri, devant Otabek. Devant tout le monde. Il s'est élancé et personne n'a plus jamais réussi à le rattraper. Même Otabek, qui a été le premier au monde à passer un quadruple axel, n'a pas pu rivaliser avec ses combinaisons quadruple-triple-triple. Il a de la puissance dans ses sauts, de la souplesse dans ses pirouettes et ses figures, et il est le meilleur patineur au monde parce qu'aucun autre patineur n'a jamais réussi à allier ces deux atouts. Otabek n'a pas de grâce, Yuri n'a pas de puissance, et c'est pour cela qu'ils sont deuxième ou troisième. Lui, il a les deux, toujours, et il tourne plus vite que personne, il saute par-dessus tous ses concurrents, et il compte bien rester encore longtemps au sommet du monde. Inarrêtable. Instoppable.


(2019 – Yurio a 18 ans – Nocturne)

Il n'a plus dansé sur du classique depuis le programme libre de ses quinze ans, mais il tient à surprendre. Son maquillage noir souligne et allonge ses yeux, son costume teinté de bleu nuit et de noir assombrit sa danse et renforce la lassitude et la tristesse de ses mouvements trop amples. Il patine lentement. Il a toujours la même puissance dans ses sauts, la même souplesse dans ses pirouettes, mais il les utilise pour raconter une toute autre histoire que l'an dernier. Une histoire de lutte puis d'abandon, d'espoir trop vite remplacé par de la tristesse, d'une nuit sans fin qui ne verra jamais le soleil se lever. Il sait que le public est choqué, mais pas surpris. Ou plutôt si. Sa chorégraphie est lente, triste, mais pas mignonne. C'est la seule chose qu'il s'est juré de ne jamais patiner, et il tiendra sa promesse. Il peut surprendre avec sa musique classique, il peut danser sur du classique sans être mignon, alors il le fait pour explorer toutes les possibilités que le répertoire de musique lui offre. Et, quand les dernières notes s'estompent dans la patinoire et qu'il se laisse glisser au sol, les spectateurs ont besoin de plusieurs secondes pour se remettre de l'émotion qu'il a répandue autour de lui – et pour l'applaudir comme il le mérite.


(2020 – Yurio a 19 ans – Manchuria Express)

La musique est grave, rapide. Elle évoque des scènes de combat féroce à l'issue incertaine, et elle ne peut mieux représenter ce qu'il vit en ce moment. Il est toujours l'un des meilleurs patineurs au monde, il a parfois encaissé une ou deux défaites, mais son palmarès se rapproche doucement de celui de Victor. Il va devenir l'un des meilleurs patineurs au monde, l'un des plus titrés jamais vus. Tant pis si d'autres gosses de 15 ans arrivent chez les séniors avec plus de souplesse et de rage de vaincre que lui, tant pis s'il lui arrive de se contenter de la médaille de bronze. Il va remonter, il va gagner, ce n'est qu'une question de temps – et d'acharnement à l'entraînement.


(2021 – Yurio a 20 ans – You should see me in a crown)

Effrayant. Lent comme Nocturne, mais le style n'aurait pas pu être plus différent. Les notes beaucoup trop saccadées s'accordent sur ses mouvements brusques et imprévisibles. Ses cheveux teints en noir pour l'occasion contrastent avec son costume blanc fantomatique. Certains avaient dit que son costume ressemblait à celui de l'Agapé, les premières notes de sa musique ont suffi à démentir. Il ne dansera plus jamais l'Agapé. L'aspect effrayant de la musique l'a définitivement fait comprendre à tous ceux qui espéraient encore. Il se cambre dans un Cantilever irréprochable, son corps adopte une posture défiant l'entendement et toutes les lois de la physique et de la médecine réunies, et, quand il s'immobilise après sa pirouette cambrée, il sait qu'il a réussi. Il sera surprenant. Il sera énergique, avide de revanche, triste, déprimant, combattant, fantomatique. Mais plus personne ne s'attendra jamais à le voir mignon. Ce n'est pas lui. Ce n'est plus lui.


(2022 – Yurio a 21 ans – Oi Va Voi)

Enjouée. Rythmée. Joyeuse. Son costume multicolore brille sous les projecteurs pendant qu'il enchaîne les double-trois. Il tourne, tourbillonne, sautille sur la pointe de ses patins en dessinant de ses bras des mouvements de danse que seule Lilia pouvait trouver tellement ils subliment la musique et l'accompagnent. Ses combinaisons quadruple-triple surprennent peut-être de par leur simplicité – il les a habitués à mieux, beaucoup mieux, beaucoup plus complexe. Tant pis. Il compense avec sa danse rythmée et recherchée, avec ses pirouettes Biellman qui n'ont rien perdu de la souplesse qu'il avait à 15 ans – ou presque, avec ses fentes glissées qui restent sa signature. Il atteint le podium, difficilement, surtout grâce à sa note artistique. Tant mieux. Il sait qu'il est sur une pente descendante, qu'il n'arrivera plus jamais à avoir la force et la fougue de passer des combinaisons de deux quadruples, qu'il ne fait pas partie de la course que les meilleurs patineurs du monde se livrent pour être le premier à passer un quintuple. Mais il est toujours là, souvent avec une médaille autour du cou, toujours avec les mêmes félicitations et les mêmes fans qui l'encouragent, et cela le console, un peu.


(2023 – Yurio a 22 ans – Dernière Danse)

Je veux juste une dernière danse, avant l'ombre et l'indifférence. Il est impossible que les organisateurs de l'ISU ait connu sa musique avant les assignations du Grand Prix. C'est donc un hasard si c'est au trophée de France qu'il produit cette chorégraphie pour la première fois. Bien sûr, les spectateurs étaient enthousiastes de le voir danser sur une chanson française. Mais, quand il a commencé à danser, ils ont constaté que quelque chose n'allait pas. Ses quadruples – hors combinaisons – étaient toujours irréprochables, ses mouvements toujours aussi amples, sa danse toujours aussi accordée à sa musique. Non, c'est son apparence qui interpelle. Ses cheveux blonds sont soigneusement coupés au carré, son costume ajusté et son nœud papillon renforcent cette impression enfantine. Il aurait pu danser une histoire d'amour perdu, une histoire triste, déchirante. C'est ce que tout le monde imaginait en découvrant sa musique. Mais son visage dépourvu de maquillage met juste en valeur ses yeux ronds qui regardent dans le vague, ses mouvements et ses expressions imitent ceux d'un enfant qui court après des rêves perdus. Et, petit à petit, quand le refrain résonne dans la patinoire et que Yurio se plie en une pirouette assise qui le rend minuscule, ils comprennent. Ils mettent un mot sur ce qu'ils voient, sur le spectacle que Yurio est en train de leur offrir. C'est mignon. Il est mignon. Il a retrouvé ses expressions d'enfant qui l'ont emmené au sommet du monde avec l'Agapé. Pourquoi ? Il avait juré qu'il ne le ferait plus. Ils se remémorent cette interview datant d'il y a sept ans – si longtemps ?, certains sortent un téléphone pour ressortir la vidéo sur Youtube et retrouver ses termes exacts. Vous ne me verrez plus danser un thème mignon d'ici la fin de ma carrière. Le temps qu'ils assimilent ces mots, le refrain résonne à nouveau. Une dernière danse avant l'ombre et l'indifférence. Et ils comprennent. Yurio était sur une pente descendante, il ne fait plus le poids. Ses danses sont toujours émouvantes, mais lui-même a perdu sa rage, son envie, son inspiration. Et il s'arrête ici. Cette danse est la dernière, il n'aura jamais besoin de le confirmer en interview, le monde entier a déjà compris le message. Il ne dansera pas de mignon avant la fin de sa carrière, et il y est arrivé. Ça n'aurait pas pu être plus explicite. Il laisse la place à d'autres patineurs, peut-être plus doués, en tout cas plus jeunes et plus avides de victoire qu'il ne l'est devenu. Et cette chorégraphie mignonne est diffusée en direct dans le monde entier et le monde comprend en même temps que le public français. Avait-il anticipé cette manière d'annoncer son départ il y a sept ans ? Probablement pas, il n'imaginait pas arrêter un jour à ce moment-là. Toujours est-il que cette dernière danse est la plus belle façon de le faire comprendre et de s'en aller. Il ne veut pas s'acharner trop longtemps jusqu'à faire oublier qui il a été, il ne veut pas se contenter de places hors-podium, il veut marquer les esprits et il a besoin de partir maintenant sur cet unique rappel. Sur le rappel de la chorégraphie mignonne que Victor lui avait écrite et qui l'a propulsé au sommet du monde.


J'espère que ça vous a plu ! Je me suis brisée trois fois le cœur toute seule en l'écrivant, je vous laisse me dire si ça en valait la peine !

N'oubliez pas que seules les reviews permettent de savoir ce que vous en avez pensé !