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Victor bâilla longuement et s'accouda un peu plus confortablement contre la rambarde de la patinoire. Il cala son menton sur ses deux mains posées sur la barrière et souffla :

- En fait, les entraînements officiels sont super cools à voir de ce côté-là de la glace !

- Si tu tiens à te la couler douce tu peux tout de suite rentrer à Saint-Pétersbourg pour tes vacances ! grommela Yakov à côté de lui.

Les championnats du monde s'étaient terminés la veille sur la victoire du russe, clôturant ainsi sa saison de patinage. En temps normal, il aurait sauté dans un avion dès le lendemain du gala de clôture pour profiter des deux mois de vacances bien méritées qu'il avait à cette période, avant de reprendre son entraînement pour la saison suivante. Mais cette année était la première participation de Mila aux championnats du monde junior et une part de lui avait trouvé dommage de prendre un avion du retour la veille de sa propre compétition. Quand Chris et lui avaient convenu que Victor le rejoindrait à Zurich pour leurs vacances seulement une semaine après les mondiaux, Victor s'était définitivement convaincu de prendre le temps d'assister à la compétition de la fillette pour laquelle il s'était pris d'affection avant de s'envoler pour la Suisse. Il était donc installé à côté de Yakov et de tous les autres entraîneurs, assistant à la dernière journée d'entraînement sur place de Mila avant le début de la compétition, pour le plus grand déplaisir de Yakov qui ne voyait en lui qu'une charge supplémentaire à gérer tant bien que mal. Un Victor sans la pression de la compétition était un Victor en électron libre, et Yakov redoutait le moment où ses actes ou ses paroles feraient définitivement exclure la Russie de toutes les compétitions mondiales.

- Eeeh ! protesta Victor. Je peux en profiter pour t'aider tu sais ? Je ferai un super assistant coach, je suis sûr !

- Avec toi comme assistant, nul besoin de concurrents sur la glace, mes patineurs se couleront tous seuls ! Tâche au moins de ne pas perturber l'entraînement de Mila, tu veux ?

Victor se renfrogna dans le silence et le regard de Yakov revint vers la jeune fille qui exécutait sa pirouette cambrée.

- Ton regard, plus en arrière ! claqua la voix de Yakov. Ton dos doit se creuser au moins deux fois plus que ça !

Mila acheva sa pirouette et le rejoignit.

- Mais je ne peux pas plus !

- Parce que tu ne fais pas ce que je te dis ! protesta le coach.

Avant que Mila n'ait pu répondre, le téléphone de Yakov sonna. Fronçant les sourcils, il décrocha et devint de plus en plus pâle au fur et à mesure de la conversation. Lorsqu'il raccrocha, son teint cadavérique effrayait même Victor qui s'était redressé.

- Yakov ? Qu'est-ce qui se passe ?

Yakov resta silencieux quelques secondes avant de répondre lentement :

- C'était l'hôpital de Saint-Pétersbourg. Lilia a eu un accident de voiture. Elle n'est pas en danger de mort mais c'est tout de même grave, elle a des dizaines de fractures.

- Qu'est-ce que tu attends dans ce cas ? s'écria Victor. Rentre à Saint-Pétersbourg, va la retrouver ! Tu dois être à ses côtés !

- Elle n'est pas en danger, répéta Yakov qui paraissait douter de ses propos. La compétition…

- Yakov… souffla Mila. Victor a raison, vous devez rentrer. Ne vous inquiétez pas pour moi, je vais m'en sortir. La compétition est demain, vous m'avez donné tout ce que vous pouviez pendant toute l'année dernière. Malgré le caractère officiel de ces entraînements, on sait bien que ce n'est pas aujourd'hui que ça se joue. Rentrez, vraiment.

- Tu… Tu es sûre ?

A son ton, Mila et Victor comprirent que la réaction de la patineuse était la principale chose qui l'empêchait d'être déjà à l'aéroport. Mila acquiesça d'un hochement de tête déterminé et Yakov soupira :

- Très bien. Merci beaucoup. Et… Bonne chance à toi.

- Ça va bien se passer, assura-t-elle. Foncez.

Il acquiesça, remit autour du cou de Mila son badge d'accès aux compétitions qu'il lui portait et disparut de la patinoire en marchant rapidement. Quand la porte du complexe se fut refermée derrière lui, le regard de Victor revint vers Mila et il comprit que son air assuré n'était qu'une carapace pour convaincre Yakov de partir. A présent qu'il avait disparu, elle était pâle et semblait se retenir de trembler d'effroi.

- Ça va choupette ? s'inquiéta-t-il. Lilia va s'en sortir, il l'a dit et…

- Je le sais, approuva Mila. Sa place était à ses côtés mais… Enfin je sais que j'avais raison, que ce n'est plus aujourd'hui que je vais apprendre quoi que ce soit… Mais quand même. Comment je suis censée survivre à la journée de demain si je n'ai pas de coach ?

Mila semblait terrorisée et Victor imagina rapidement le déroulement d'une compétition sans coach à ses côtés. L'avancée vers la piste, seul. L'attente de l'appel de son nom, seul, sans personne à qui parler ou pour le rassurer pendant ces secondes beaucoup trop longues. La sortie de la piste, seul, sans aucun coach pour le débrieffer et lui donner un avis objectif sur sa prestation. Le kiss and cry, seul, sans personne à ses côtés pour supporter l'attente des résultats, sans personne sur qui sauter de joie ou s'effondrer en larmes. Lui-même aurait trouvé ça horriblement difficile mais aurait probablement trouvé les ressources pour le supporter. Mais Mila, du haut de ses douze ans, qui s'apprêtait à affronter ses premiers championnats du monde ? N'importe quelle patineuse dans sa situation se serait effondrée. Il soupira lentement et enleva délicatement de son cou son badge d'accès pour l'enfiler lui-même.

- Tu as un coach, assura-t-il d'une voix douce. Je ne suis pas Yakov, je n'ai ni son expérience ni son talent pour entraîner mais… Tu l'as dit toi-même, à la veille de la compétition, ça ne compte plus. Tu n'as plus besoin que d'une épaule à tes côtés et je peux assurer ce rôle. Si tu veux bien de moi ?

Le regard de Mila s'éclaira lentement, comme si elle n'osait pas croire à ce qu'il venait de dire, mais elle finit par approuver :

- Bien sûr que je veux bien de toi ! C'est adorable de ta part ! Tu es sûr que ça ne te dérange pas ?

- Yakov m'a souvent traité de salopard de la pire espèce et, sachant que je dois de toute façon rester ici, l'insulte serait méritée si je te laissais gérer seule cette compétition alors que je suis juste à côté. Ça ne me dérange pas, choupette.

L'appellation acheva d'arracher un franc sourire à Mila et elle demanda :

- Tu as une idée de ce qui n'allait pas sur ma pirouette cambrée ? Du coup j'ai même pas compris ce qu'il me reprochait.

- De ne pas être assez cambrée justement. Laisse-moi deux secondes.

Victor enfila rapidement ses patins et la rejoignit sur la glace.

- Tu creuses ton dos et c'est très bien. Mais pour aller encore plus loin, c'est ton regard qui doit jouer. Tu dois tendre ta tête et ton cou comme si tu voulais regarder derrière toi, et c'est ce mouvement qui va achever de cambrer ton dos et donner de la grâce à ta posture. Regarde.

Victor s'élança dans une pirouette cambrée impeccable et, en détaillant son visage qui se tendait en arrière, Mila parut comprendre. Pour autant, quand il revint vers elle, elle fronça les sourcils :

- Comment tu arrives à en faire une aussi parfaite ? Les pirouettes cambrées sont des figures féminines, quand est-ce que tu as appris ça ?

- Oui, Yakov m'avait un jour fait un speech sur les figures soi-disant réservées aux hommes ou aux femmes. J'avais trouvé ça naze et pour mon programme de l'année suivante, j'avais casé autant de figures féminines que j'avais pu. Rien que pour sa tête quand je lui ai présenté le programme pour la première fois, ça en valait la peine. Bref, vas-y, réessaie !

Mila avait légèrement rigolé à l'anecdote mais elle redevint sérieuse en s'élançant et Victor approuva :

- Beaucoup mieux !

Il ressortit de la glace en continuant à la guider pour ses entraînements et, quand un speaker annonça la fin de celui-ci, Victor déclara :

- Allez, maintenant, à table et au lit ! Tu as une compétition à gagner demain !


Les résultats de Sara furent annoncés sous une foule d'applaudissements. Victor pouvait sentir que le rythme cardiaque de Mila s'accélérait nettement sous l'angoisse et l'adrénaline. Lentement, il lui prit la main, mêlant ses doigts aux siens et l'obligeant à plonger son regard dans le sien.

- Ne les écoute pas, choupette. Ils applaudiront deux fois plus quand c'est toi qui sortira de cette glace. Tu sais ce que tu as à faire, ton programme tu le connais. Alors tu le fais. Comme aux entraînements, comme tu l'as fait des milliers de fois, ni plus ni moins. Et je te jure que ça suffira à te faire gagner.

Mila s'apprêta à répondre mais un speaker l'interrompit.

- Et nous accueillons maintenant notre prochaine patineuse, représentant la Russie, mademoiselle Mila Babicheva !

Victor serra une dernière fois sa main avant de la lâcher avec un sourire confiant que Mila lui rendit. Elle n'aurait pas osé imaginer à quel point ces secondes avant l'appel de son nom auraient été une éternité sans Victor qui avait accaparé son attention pour qu'elle ne pense à rien d'autre. Elle se détourna et s'élança sur la piste, les bras levés pour saluer le public qui l'acclamait.


Les doigts de Mila étaient crispés sur l'ours en peluche qu'un spectateur lui avait jeté sur la glace et qu'elle avait ramassé avec un geste de remerciement à la fin de son programme. A ses côtés, Victor avait passé un bras autour de ses épaules pour la rassurer.

- Tu n'as pas à t'inquiéter, assura-t-il. Ton programme était parfait, tu vas avoir une très bonne note.

Entendre le meilleur patineur au monde lui parler de perfection de son propre programme avait quelque chose de rassurant, mais elle ne pouvait pas s'empêcher de douter. Victor avait beau être Victor, il n'était pas neutre et les juges ne seraient peut-être pas aussi catégoriques que lui.

- Les scores s'il vous plaît !

Ses doigts se crispèrent sur le nounours et le bras de Victor se resserra légèrement.

- Mila Babicheva, pour la Russie, obtient pour son programme libre 175,25 points, pour un score total de 220,58 points ! Elle bat ainsi le record du monde du score total chez les juniors !

Mila avait lâché l'ours pour plaquer les mains sur sa joue devant les résultats affichés sur les écrans en même temps que dans les enceintes de la patinoire. Un tonnerre de cris de joie et d'applaudissements firent trembler la structure entière, et Mila fondit en larmes pendant que Victor l'attirait contre lui en manifestant aussi sa joie.

- Tu le mérites ma choupette ! souffla-t-il. Tu étais parfaite !

Elle continua à pleurer toutes les larmes de son corps, autant de joie que de soulagement avec la disparition totale de toute la pression qu'elle avait pu ressentir et, pendant que Victor la serrait dans ses bras en lâchant des cris de joie réguliers, elle se fit la remarque que c'était définitivement lui, avec son étreinte et sa joie qui explosait et ses félicitations, qu'elle voulait auprès d'elle en ce moment.


Yakov était venu les chercher à l'aéroport et Mila salua timidement de la main ses fans venus l'accueillir et la féliciter avant de le rejoindre. Plusieurs d'entre eux lui demandèrent un autographe et Victor souffla :

- Profites-en ! Tu le mérites. Je t'attends avec Yakov.

Victor rejoignit son coach et s'inquiéta :

- Comment va Lilia ?

- Mieux. Elle est définitivement tirée d'affaire et n'aura pas de séquelles. Elle reste encore en observation à l'hôpital mais elle ne devrait pas tarder à sortir.

- Cool, soupira Victor. Tu as pris la bonne décision, ta place était à ses côtés.

- Je m'en suis convaincu en regardant la compétition, en effet, approuva Yakov.

Il parut hésiter un moment, comme s'il pesait ses mots, avant de reprendre :

- Tu t'en es bien sorti pour une première fois. Dans quelques années, quand tu auras pris ta retraite, tu feras peut-être un coach pas si médiocre et irresponsable que ça.


Cette idée me trottait dans la tête depuis tellement longtemps, je suis contente d'avoir enfin pu l'écrire !

En espérant que ça vous ait plu !

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