Cette fic est écrite dans le cadre de la 162ème nuit écriture du FoF (Forum Francophone) pour le thème "Désenchanter". Le FoF est un forum regroupant tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou s'amuser entre nous. Le lien se trouve dans mes favoris. Rejoignez-nous !

- Alors c'est vrai ? s'écria Victor en déboulant dans le bureau de son coach.

- Bonjour à toi aussi Victor, j'espère que tu es déjà échauffé à la vue de tes dix minutes de retard à l'entraînement de ce matin.

- Mais oui, j'ai couru dans tout St Pétersbourg quand j'ai appris la nouvelle, ça m'a fait mon échauffement ! Mais c'est vrai ? L'ISU vient officiellement d'autoriser les musiques avec paroles pour les programmes courts et longs ? On pourra patiner sur de vraies chansons, pas toujours les mêmes vieux morceaux classiques ou bandes-originales de films ?

Yakov leva le regard de ses dossiers pour poser ses yeux sur son élève.

- Que ce soit vrai ou non, je garde un droit de véto total sur chacun de tes programmes, ne l'oublie pas. Si tu me présentes quelque chose qui a le moindre risque de te faire stupidement perdre des points car trop mal vu par les juges, je suis prêt à te désinscrire moi-même de la sélection nationale russe de cette année !

- Donc c'est vrai ! Oh c'est génial ! J'ai trop hâte de travailler dessus, je ne sais même pas par quelle chanson je vais commencer ! Tu ne le regretteras pas !

Victor ressortit tout aussi rapidement du bureau, rapidement suivi par Yakov qui se planta devant les élèves qui enfilaient leurs patins.

- QUI lui a parlé de ça ?! J'avais interdit qu'on le lui dise, une telle nouvelle entre ses mains pourrait causer notre perte à tous ?!

- Aucune idée monsieur, avoua Mila face à lui, il a déboulé dans la patinoire ce matin en le sachant déjà…

Le regard assassin de Yakov balaya l'assemblée, scrutant tour à tour les visages dubitatifs de chacun de ses élèves qui semblaient tous n'en avoir sincèrement aucune idée, avant de s'arrêter sur Yuri qui grommela :

- Je t'avais dit que je te ferais payer les cinquante pompes en plus que tu m'as fait faire hier soir.

- Et c'est donc pour ça que je me suis arrêté sur de la chanson française ! conclut Victor. La France, c'est l'un des pays étapes du Grand Prix, un grand partenaire historique du patinage, et un patrimoine culturel inégalable ! Même les juges les plus vieux et les plus traditionnels vont forcément approuver !

Yakov ne confirma que par un grognement.

- Trêve de bavardages, tu me la montres ton ébauche de programme, oui ou non ?

Victor acquiesça et alla se mettre en place au milieu de la piste en attendant que Yakov enclenche la musique pré-sélectionnée. Il surveilla ses mouvements lents et son expression teintée de désespoir pendant que les premières paroles résonnaient.

Nager dans les eaux troubles…

Des lendemains,

Attendre ici la fin…

Flotter dans l'air trop lourd…

La musique s'accéléra et les mouvements de Victor aussi pendant que la chanson approchait du refrain et Yakov soupira grandement quand celui-ci résonna dans la salle :

Je cherche une âme qui

Pourra m'aider, je suis

D'une génération désenchantée…

Désenchantée.

Yakov aurait eu besoin d'une traduction des paroles pour pouvoir les vérifier, pourtant la danse de Victor sur la glace pendant qu'il s'élançait dans un quadruple flip impeccable parlait d'elle-même. Une histoire de désespoir, de recherche d'aide, d'une porte de sortie introuvable. Une histoire de quête de sens, d'espoir, sans que rien autour du protagoniste de son histoire ne lui donne ne serait-ce que le moindre indice sur la façon dont il pourrait s'en sortir. Quand il acheva sa pirouette assise et resta recroquevillé sur lui-même sur les dernières notes, symbolisant l'absence totale d'espoir pour son personnage et l'attente d'une mort salvatrice, Yakov resta à nouveau silencieux. Il ne pouvait que se souvenir de la raison pour laquelle Victor était et resterait encore longtemps le meilleur patineur artistique que la Russie et le monde n'aient jamais connu. Il ne faisait pas que danser sur une musique, pas qu'interpréter une chorégraphie raccordée sur des notes, il donnait vie à une histoire, à un personnage avec lequel tout son public ne pouvait que vibrer à un tel point que celui-ci se sentait délaissé et orphelin lorsque la musique et son programme s'achevaient et que Victor saluait. Et le répertoire de chansons françaises lui donnait la pleine capacité d'exposer ce talent mieux qu'il ne l'avait jamais fait, de pousser les émotions à leur paroxysme pour atteindre des notes d'interprétation qui resteraient dans les annales du sport.

- Alors ? demanda Victor en le rejoignant au bord de la piste. Tu en as pensé quoi ?

L'air impatient et fier de lui de son élève acheva de le faire soupirer d'agacement plus fortement que jamais et il se contenta de tourner les talons sans un mot pour retourner s'enfermer dans son bureau.

- Cool ! s'exclama le patineur. Il a aimé !

- Quoi ? s'étonna Mila qui l'avait également observé. Comment tu peux savoir ça, il n'a juste rien dit ?

- C'est mon baromètre des humeurs de Yakov. Quand je lui présente un programme, soit il m'insulte en hurlant pendant cinq minutes que je suis la plus grande honte de la Russie depuis la chute de l'URSS et qu'il me foutra à la porte plutôt que de me laisser patiner ça devant le reste du monde et c'est que c'est mauvais. Soit il grommelle que c'est lamentable et que je le désespère, là j'ai une chance d'améliorer le truc pour que ça passe. Mais quand il part en boudant sans rien dire d'autre, c'est que c'est déjà parfait !

En espérant que ça vous ait plu !

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