Les regards étaient tous tournés vers lui, sans exception et Stiles remercia intérieurement Deaton pour lui avoir fourni des lentilles de couleur de secours lorsqu'il était venu le soigner. Ainsi, il conservait au moins ses yeux si particuliers secrets, arborant les iris whisky que tout le monde avait connu. Maintenant, après huit bonnes heures d'un sommeil forcé, le voilà confronté à ce qu'il craignait : les membres de sa meute. Sa future ex-meute. Vêtu d'un pantalon de jogging trop grand et d'un marcel large prêtés par Derek, Stiles essayait de rester digne, chose peu aisée du fait de son malaise intérieur. Il avait beau aller mieux de par son action dans la salle de bain, c'était loin d'être ça. Au moins, il arrivait à mettre sa fatigue de côté. Parfois, le repos – même forcé – avait du bon.
- Je crois que tu nous dois quelques explications, commença Derek.
Stiles tourna la tête vers lui et essaya de ne pas laisser paraître son trouble. Alors comme ça, c'était l'ancien alpha qui se chargeait d'ouvrir les hostilités. L'hyperactif faillit se crisper mais évita tout mouvement ainsi que toute contraction inutile. De lointains effets du sédatif se faisaient toujours ressentir et l'adolescent devait lutter pour se donner l'impression de ne pas être fatigué. Il en était conscient, mais son côté « j'évite les problèmes jusqu'à ce qu'ils disparaissent » le poussait à cette extrémité. De toute manière, il aurait sans doute l'occasion de se reposer plus tard, hors du loft. Il attendait qu'on le mette dehors, qu'on le chasse à jamais, parce que c'était ce qui allait arriver, il le savait.
- Tu nous as menti, avança Jackson, voyant que Stiles n'avait pas encore ouvert la bouche. Inutile de nier, ton père et Deaton nous ont…
- Je sais, le coupa Stiles.
Il était au courant de la discussion que la meute avait eue avec son père et le vétérinaire et il considérait que ce n'était pas la peine pour le kanima d'en rajouter. Stiles se garda de préciser qu'il avait déjà bien assez de choses à penser et c'était réel. Son cerveau tournait à plein régime et ne pas devoir utiliser sa télékinésie lui faisait du bien. En fait, sa position assise sur le canapé lui permettait de relâcher complètement son corps. Pour le moment, ça allait. Ce qui allait moins, c'était cette impression de lourdeur qui s'abattait sur ses épaules. La responsabilité de ses mensonges était écrasante, étouffante, oppressante.
- Ils vont l'ont dit, je suis un Psi, commença-t-il après une longue hésitation. Un humain… Avec des capacités psychiques.
- Pourquoi tu nous as jamais aidé ? L'agressa sans le vouloir Liam.
Ses sens empathiques presque sans arrêt déployés, Stiles sentit son ressentiment, ce sentiment d'injustice qui étreignait le plus jeune. Il n'était pas le seul loup à ressentir cela et l'hyperactif en était un peu trop conscient.
- Liam, sois patient, j'imagine qu'il va y venir, tempéra Lydia.
Le manque de conviction dans son ton blessa un peu Stiles. Néanmoins, il comprenait. C'était lui qui était en faute, pas eux. Toutefois, une partie de lui se lamentait : jamais ils n'auraient dû être au courant. Dans quelques semaines ou mois, tout aurait été fini, la meute n'aurait jamais rien su de sa situation. Jusqu'ici, tout s'était bien passé et les efforts de Stiles avait porté leurs fruits. Il ne s'était jamais trahi. Personne ne s'était douté une seule fois qu'il mentait, pas même durant les épreuves les plus dangereuses contre lesquelles ils s'étaient retrouvés confrontés. Et voilà que tout s'effondrait. Stiles pensa avec amertume à tout ce qu'il était déjà en train de perdre. Que pouvait-il leur dire ? Des raisons, il en avait, mais la moitié était égoïste.
- Je l'ai fait, dit-il cependant, mais d'une autre manière.
- Ton père nous a sorti que t'étais puissant alors si tu l'es tant que ça, pourquoi tu nous l'as jamais montré ? Lui demanda Scott d'une petite voix.
Stiles tourna la tête vers lui et son visage défait lui fendit le cœur. Scott n'était pas en colère, mais ce qu'il put lire dans ses yeux et sentir tout autour de lui était encore pire qu'une ire quelconque. Déçu. Scott était déçu. La respiration de Stiles se coupa un instant tant la douleur provoquée par l'émotion de son meilleur ami l'étreignait.
- Parce que ça vous aurait mis en danger, souffla-t-il après quelques secondes.
Et c'était vrai. Stiles garda ses raisons égoïstes pour lui. Tout serait bientôt fini et il ne pensait pas que la meute accueillerait d'un bon œil ses dernières volontés ainsi que ses ultimes secrets. Le pire qui puisse arriver serait qu'il leur fasse part de sa future fin, mais que ses amis lui crachent à la gueule, pensant qu'il voulait les attendrir, susciter leur pitié pour « pardonner » ses mensonges. Et ça, c'était hors de question. Ils ne sauraient rien. Stiles mourrait seul, sans mettre un seul membre au courant.
- Quand je… Quand j'utilise certaines de mes facultés, je suis dangereux. Pour vous. Pour ceux qui m'entourent.
Dangereux pour moi aussi.
- On est des loups, Stiles, nous aussi, on est dangereux pour tout le monde, lui rappela Derek.
Stiles essaya de faire abstraction de son ton froid et son regard un tantinet accusateur.
- C'est pas la même chose, rétorqua Stiles d'une voix fatiguée. Vous, vous pouvez apprendre à vous contrôler. Vous, c'est avec un animal que vous partagez votre esprit, quelque chose de vivant qui a une volonté propre. Moi c'est… C'est pas pareil. C'est tout ou rien.
Stiles fit une petite pause. Il n'aimait vraiment pas la tournure que prenait cette conversation, qu'il aurait bien aimé éviter de base. Il était le centre de l'attention. Il devait se révéler partiellement. Et tout ça, c'était horrible, ses intestins lui faisaient mal, une espèce de douleur sourde pulsait dans son crâne. Il était stressé, angoissé. Et ses blessures qu'il avait cautérisées avec ses flammes lui faisaient un mal de chien.
- Si vous me demandiez maintenant de montrer de quoi je suis réellement capable, je ne le pourrais pas, dit-il à contrecœur. Comme je vous l'ai dit, la différence entre vous et moi, c'est le fait que vous pouvez apprendre à vous contrôler, votre part animale partage votre force avec vous, et vous développez ainsi un équilibre qui vous permet de vivre comme bon vous semble.
- Viens-en au fait, Stiles, sembla l'implorer Lydia d'une voix toutefois un peu sèche.
Il lui lança un regard qu'il ne contrôla pas : un regard désespéré. Il l'adorait, sa petite banshee, et fit de son mieux pour ne pas penser à la douleur croissante qui le tuait à petit feu. Il était en train de la perdre, comme tous les autres. Pour se protéger, il ne se demanda pas comment il allait faire sans eux, sa meute, ses amis, sa famille. Des choses, ils en avaient partagées : des mauvaises et des bonnes. Des aventures, ils en avaient vécu. Et ça le déchirait parce que les meilleures années de sa vie, il les avait passées avec eux. Retour à l'enfer, la solitude, la fuite, la mort. Elle n'était pas loin, elle l'attendait, il le savait.
- Moi, je… Je porte des inhibiteurs. En permanence, avoua-t-il en baissant le regard. Parce que je ne peux pas vraiment contrôler l'un de mes pouvoirs. Mais comme c'est une technologie compliquée et encore peu connue, elle n'inhibe pas seulement celui-là, mais aussi les autres. Elle inhibe au point de… De m'empêcher d'utiliser quoi que ce soit, à part deux-trois trucs essentiels pas vraiment utiles pour la meute. Parce que ce qu'il y a en moi, ça grandit sans arrêt, je peux pas le contrôler. Pas vraiment en tout cas. Et pour le reste… Vous savez déjà.
Le silence qui suivit sa tirade lui plomba l'estomac. Il savait que la meute allait le rejeter, il en était clairement conscient. Et c'était dur bordel, c'était dur.
- En fait, toutes ces années n'étaient qu'un mensonge.
Stiles releva son faux regard whisky vers Scott, qui venait de lâcher cette bombe.
- Non, s'empressa-t-il de dire.
- Tu m'as menti. Depuis qu'on se connaît, tu as toujours fait comme si t'étais juste un humain, souffla douloureusement l'alpha.
- Parce que c'est ce que je voulais être, avoua l'hyperactif avec empressement.
Malgré lui, il voulait retarder ce moment, qui marquait un point de non-retour dans sa vie. Scott, c'était l'une des plus belles rencontres de sa vie. C'était ce garçon toujours souriant, une flamme de vie, une étoile de bonheur, rayonnante de bonté. C'était celui qui était toujours là en cas de besoin et qui cherchait toujours à l'aider, même lorsqu'il n'était qu'un loser.
C'était son ancien meilleur ami. Comme tous ceux autour de lui. Il était déjà en train de tous les perdre.
- Menteur, souffla Scott, le regard baissé.
Stiles savait que son rythme cardiaque avait été régulier. Il était sincère, mais Scott était tellement déçu qu'il ne voulait plus le croire. L'hyperactif avait beau le comprendre, il dut faire son maximum pour garder une expression faciale plus ou moins stable. Au fond, il n'avait qu'une envie : pleurer toutes les larmes de son corps.
Il avait tout perdu.
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Stiles regardait le plafond de cette chambre sans vraiment le voir. On l'avait fait remonter à l'étage, on l'avait allongé dans ce lit. Il aurait pu le faire lui-même, sans aide, mais on avait tenu à l'y accompagner, en fermant la porte à clé pour être sûr qu'il ne sortirait pas, cette fois. Parce que même si on ne l'avait pas encore totalement chassé, on le mettait d'ores et déjà à l'écart.
Stiles pourrait très bien défoncer cette porte, ou bien simplement la faire fondre. Il lui suffirait de retirer ne serait-ce que l'une de ses lentilles, laisser son pouvoir émerger et l'affaire serait rondement menée. Mais il n'en ferait rien. Voilà déjà une bonne heure qu'il était là, acceptant les conséquences de ses mensonges. Il avait encore du mal à réaliser qu'il avait tout perdu, que ses amis ne l'étaient plus. Les personnes en bas étaient des connaissances qui étaient en train de statuer sur son sort. Stiles ne se faisait aucune illusion : il savait qu'il ne faisait plus partie de la meute. C'était clair, limpide. Il n'y avait aucun doute, aucune autre issue possible. Il les avait tous déçus, trahis et il en était un peu trop conscient. Plus aucun membre de la meute n'avait confiance en lui et c'était tout à fait normal. Et même s'il leur disait tout, qu'il leur faisait part de l'entière vérité, nul doute qu'aucun ne le croirait. Stiles ne leur en voudrait même pas.
Et bordel, ça le tuait. Parce qu'il avait mal. Outre la douleur de ses blessures grossièrement cautérisées, c'était la douleur mentale qui prédominait. Là, dans cette chambre qui était provisoirement la sienne, il pourrait se laisser aller, on ne viendrait pas le voir. Cependant, il n'en fit rien, parce que l'étage en-dessous était rempli de loups, qui sentiraient inévitablement son désarroi s'il était trop intense. Alors Stiles se contenait, puisait dans une partie du conditionnement qu'on avait essayé de lui inculquer, même si c'était difficile pour lui, un empathe. Il allait mal, mais ne se laissait pas submerger par ses émotions, qu'il contrôlait autant que possible. Pour le moment, la mesure était de mise. Les larmes couleraient lorsqu'il serait seul, chassé de ce loft, mais aussi de la vie de ces gens qui comptaient tant pour lui.
Ces gens qui étaient potentiellement en danger.
Pour le temps qu'il lui restait, il veillerait sur eux. Parce que depuis le début et malgré ses mensonges, il les aimait. Parce qu'ils étaient devenus, au fil du temps, sa famille. Parce qu'il avait appris à affectionner sa condition humaine auprès d'eux. Parce qu'il avait fait la connaissance de gens formidables qui méritaient le bonheur.
Alors oui, il garderait un œil sur la meute, dans l'ombre, en se raccrochant aux nombreux souvenirs heureux qu'il avait acquis à leurs côtés. Puis il disparaîtrait, quitterait ce monde sans laisser de trace et sans que son ancienne famille ne se doute de quoi que ce soit. Aucun n'assisterait à sa déchéance progressive, déchéance qui avait déjà commencé.
