- Je ne peux pas lui demander ça. Il ne va pas bien, Alan.

Les yeux bleus du shérif étaient ancrés dans ceux, ébènes du vétérinaire. C'était sa quatrième sortie depuis l'exclusion de Stiles par la meute. Si chacune desdites sorties était justifiée, celle-ci était la plus alarmante. Deaton lui avait envoyé un message inquiétant dans la matinée et c'était l'unique raison de sa présence au cabinet alors que ce dernier était ouvert. Il prenait des risques, parce que c'était de son fils dont il était question.

- Je sais bien, soupira le vétérinaire. J'aimerais vraiment ne pas avoir à vous demander ça mais les meurtres d'E-Psis continuent et chaque cadavre est trouvé par un membre de la meute. Forcément, ils ont envie que ça s'arrête, tout comme moi. Ce massacre dure depuis trop longtemps.

- Je comprends, mais je ne peux rien faire et Stiles a manqué de peu de faire partie des victimes. Il est hors de question de l'impliquer à nouveau dans une affaire en commun avec la meute.

- Mais il pourrait faire quelque chose, insista Deaton.

Bien sûr, le vétérinaire était au courant de la réaction de la meute et de son comportement envers Stiles. S'il était l'un des seuls à avoir accepté la nature du mensonge des deux Stilinski, ce n'était pas le cas de tout le monde. En tant que pseudo-émissaire, Alan Deaton se devait d'avoir une grande ouverture d'esprit. Connaissant fort bien le monde Psi, il comprenait la nécessité du secret entretenu par les déserteurs comme le shérif et son fils. Refuser de vivre sans émotions équivalait à se faire rejeter et prendre le risque de se faire poursuivre par les autorités. Chez le peuple Psi, la différence n'était pas tolérée. Il fallait rentrer dans le moule et si ce n'était pas le cas, on vous y enfonçait de force et si ça ne marchait toujours pas, on vous tuait.

L'espèce Psi voulait garder une image lisse, parfaite. C'était cruel, pire encore que la loi de la jungle ou de la sélection naturelle.

Alors oui, Alan Deaton comprenait fort bien le besoin ressenti par les deux Stilinski de garder le secret concernant leur nature. Si la meute pensait toujours que l'éclat de la vérité était une trahison, c'était parce qu'elle ne connaissait pas encore bien le monde Psi. Le secret était une nécessité pour la survie. Le révéler à quelqu'un poussait à user de ses capacités et, par conséquent, à se faire repérer. Le problème pouvait éventuellement ne pas se poser pour des Psis aux facultés dites « ordinaires ». Pour des cas comme celui de Stiles, le secret était on ne peut plus nécessaire.

Mais la situation à Beacon Hills commençait à déborder. Les « cadavres E », comme on les appelait, défrayaient la chronique et si le commun des mortels ne comprenait pas, la meute, si. Et elle commençait à voir la nécessité de trouver un moyen de stopper ces meurtres, ce massacre. Mais comment ? En faisant appel à un Psi dit « puissant ».

Stiles.

Alan n'était pas foncièrement d'accord mais il avait juré qu'il essaierait d'ouvrir le dialogue avec le shérif, même s'il pensait que c'était à Stiles qu'il fallait parler directement. Deaton avait essayé de le contacter, mais Noah avait refusé et lui avait parlé de son état mental catastrophique on ne peut plus compréhensible.

- Il est hors de question que mon fils se mette en danger de cette manière. Il est mourant, Alan. Et je ne vois pas pourquoi il donnerait de sa personne pour des gens qui l'ont lâchement abandonné sans même essayer de comprendre pourquoi il ne leur a rien dit.

- Je pense qu'ils n'imaginent pas la portée du danger qui le menaçait et en soi, je vous comprends. Le problème, c'est que je ne sais pas si on peut se permettre de ne pas envisager son implication dans cette histoire. Le massacre prend de l'ampleur et dans une ville comme Beacon Hills, c'est dangereux. Je ne sais pas si ne rien faire ne condamnerait pas chacun de nous.

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De toute manière, Stiles avait déjà pris sa décision. Si son père avait bel et bien choisi de ne pas lui parler de son entrevue avec le vétérinaire, l'hyperactif ne s'était pas gêné pour l'espionner. Autant de sorties alors qu'ils devaient tous deux rester cachés, c'était étrange. Craignant pour sa vie, Stiles était sorti du bunker pour utiliser ses facultés télépathiques et avait usé de tout son talent pour ne pas se faire remarquer par son père. Ecouter la conversation s'était donc avéré être un jeu d'enfant. Noah serait furieux lorsqu'il l'apprendrait, mais qu'importe. Stiles était sur une pente dangereuse et il comptait bien la descendre en ignorant sciemment les risques qu'il encourrait. Quitte à mourir dans peu de temps, autant précipiter la chose tout en faisant quelque chose de bien pour la meute. Pour la ville. Pour les E. Peu importe qu'on le considère comme un lâche qui ne se réveillait qu'en ce jour. Il n'avait plus rien à perdre.

Il avait attendu toute la journée et maintenant que la nuit commençait à tomber, pourquoi ne pas mettre son plan à exécution ? Il ne s'agissait pas de quelque chose de bien recherché : Stiles comptait simplement se purger près de Beacon Hills. De quoi faire savoir aux milices Psis qu'un X-Psi se trouvait dans le coin. Une arme vivante. Une machine à tuer. Une tempête de feu. Peut-être cela pousserait ces assassins à fuir ? Un X, ce n'était pas anodin. En fait, ce n'était pas le genre de Psi que l'on affrontait comme ça. Leur dangerosité et leur puissance croissant sans arrêt faisait d'eux des êtres que l'on redoutait, si bien que les attaquer sans être nombreux était une mission suicide. Pour mettre un X-Psi à terre, il fallait une petite armée de ses semblables ou bien un regroupement de puissants télépathes. Le combat direct était impossible. Alors voilà, Stiles comptait faire gagner un peu de temps à la meute, parce qu'une petite démonstration de sa présence ferait hésiter ses ennemis déjà présents à Beacon Hills. C'était tout ce qu'il pouvait faire pour eux sans leur parler. S'étant déjà purgé récemment, il fatiguait son corps déjà affaibli par ses blessures récemment guéries. Mais ce n'était pas grave. Personne ne le savait à part son père, alors que risquait-il à part de raccourcir un peu son temps de vie ? Stiles était comme une bougie. Plus elle était allumée, plus elle se consumait.

Pour que son père ne s'inquiète pas lorsqu'il rentrerait, Stiles lui envoya un court message lui expliquant qu'il faisait un tour dans la forêt, histoire de se changer les idées. Dans le même temps, il consolida ses boucliers mentaux, histoire d'éviter que son père ne l'espionne comme il l'avait lui-même fait, tout comme il ferma son esprit à toute tentative de communication télépathique.

Stiles mit un peu de temps, mais finit par atteindre le point le plus haut de la forêt de Beacon Hills, qui lui permettait non seulement de risquer de ne pas brûler trop d'arbres alentour, mais également et surtout d'être vu. Dans le silence relatif de la forêt seulement entrecoupé par les gazouillis de certains oiseaux et quelques grillons, il se déshabilla lentement et laissa tomber ses vêtements qu'il plia soigneusement et entreposa derrière un rocher, histoire de pouvoir les retrouver en bon état en partant. Il retira ses lentilles qu'il rangea dans la boîte prévue à cet effet. Après l'avoir posée sur ses affaires, il marcha pieds nus jusqu'à cette falaise sur laquelle il était déjà allée. Nu comme un ver, il ressentait le froid de ce début de soirée et la légère brise qui fit naître de petits frissons sur sa peau. Ne ressentant pas le besoin de faire un scan télépathique, il ferma simplement les yeux, profitant de ce moment de calme qu'il aurait aimé partager avec la meute. Sans pouvoir lutter, il laissa échapper une larme avant de rouvrir les yeux quelques secondes plus tard. Ses paupières laissèrent alors apparaître ses iris tricolores si rares, si particuliers… Ses iris qui faisaient de lui un Psi d'exception. Un double cardinal, même si la troisième couleur laissait penser à une dernière classification à la puissance latente mais ça, il s'en fichait royalement. Regarder cet horizon, celui de la ville qui l'avait vu grandir après sa désertion du monde Psi lui faisait penser à toutes ces personnes qui s'étaient fait une place dans son cœur et qui laissaient désormais un grand vide en lui. Un vide impossible à combler. Un vide qui faisait couler ces quelques larmes traîtresses sur ses joues.

Lentement, l'hyperactif se laissa tomber à genoux et laissa la puissance de ses flammes monter en lui, doucement. Il n'était pas pressé. Une ligne enflammée se mit à courir en cercle autour de lui, à un deux mètres de distance. Sa colonne ne serait pas des plus grosses par rapport aux autres fois, puisque cette fois, se purger n'était pas vital. D'ici quelques pauvres secondes, son pauvre père saurait qu'il lui aurait menti tout autant qu'il l'aurait espionné, mais Stiles n'en avait cure. Noah aurait beau lui dire ce qu'il voulait, c'était des pouvoirs et du corps de l'hyperactif donc il était question et non les siens. Qui pourrait l'empêcher de mener sa quête personnelle à bien ? Personne. Sa main droite se posa sur le sol, la paume à plat tandis que l'hyperactif leva son autre bras vers le ciel, paume aussi ouverte. Il eut une fugace pensée pour Derek qui lui avait envoyé d'étranges messages de remerciements avant de ne plus lui répondre, quelques jours plus tôt. Il pensa à lui, aux autres – mais surtout à lui – et son cœur se serra. Il avait espéré malgré lui recevoir quelque chose, un petit mot gentil qui disait qu'il ne le haïssait pas tant que ça, qu'il le remerciait sans aucune arrière-pensée. Quelques larmes s'écrasèrent sur le sol. En fait, Stiles aimerait compter encore un peu pour lui et les autres membres de la meute. Mais dans la vie, on ne pouvait pas avoir tout ce qu'on voulait

Heureusement que la sienne s'achevait bientôt, que tout serait fini d'ici quelques mois. Quelle bonne décision avait-il prise en choisissant de les aider. Ainsi, il se rapprochait un peu plus rapidement de sa tombe ou plutôt, son urne. Il n'en pouvait plus de sentir son cœur et son esprit se tordre de douleur à chaque fois qu'il se rappelait de sa solitude forcée. Il les aimait. Tous. Bordel, il les aimait à en crever.

D'un coup, le feu domina et l'on vit très vite une colonne enflammée s'élever haut dans le ciel, depuis ce qui semblait être la falaise de Beacon Hills. Les gens se pressèrent à leur fenêtre, certains sortirent dans la rue et l'on s'appela pour observer le phénomène exceptionnel. La colonne grossit un peu et l'orangé incandescent se para de bleu cyan, preuve que la chaleur sur place était extrême. Noah, qui avait passé l'après-midi et le début de soirée en compagnie d'Alan Deaton pour trouver une alternative à la présence de Stiles, sortit précipitamment du cabinet et resta figé, les yeux rivés vers la colonne révélatrice. Sous le choc, il ne sentit même pas ses genoux toucher le sol à cause de ses jambes qui avaient cédé sous son poids. Parce qu'à la simple vue du X-feu qu'il reconnaîtrait entre mille, il avait compris. Tout compris. Le vétérinaire l'aida à se relever mais fut tout aussi estomaqué que lui. Au loft, la meute était sur le balcon et Scott était déjà en train de donner des ordres concernant la marche à suivre. De par son expérience, il choisit l'un des membres les plus vieux de sa meute pour aller voir ce phénomène de plus près en lui précisant toutefois de faire attention. Mais au fond, il paniquait parce que, bordel, c'était quoi ça ? Le surnaturel, il y était habitué mais ça… C'était différent, totalement autre chose, flippant et absolument pas naturel pour un sou.

La colonne de feu continua de s'élever dans le ciel durant de longues minutes et le bleuté en disparut légèrement, comme s'il avait été partiellement évacué, aspiré par les astres déjà présents, mouchetant le ciel déjà sombre. Puis, l'apparition disparut aussi vit qu'elle était apparue, d'un coup, s'évapora sans la moindre explication. Dans la forêt, un calme absolu régnait.