Angrboda gardait les yeux fixés sur la minuscule silhouette bleue qu'examinait minutieusement Mengloth. Le prince perdu. La progéniture retrouvée de Laufey Roi.
L'enfant de Farbauti.
C'est tout le portrait de sa mère.
Oh, les pommettes et la ligne de la mâchoire venaient de Laufey Roi, ça sautait aux yeux, mais tout le reste, le visage anguleux, le corps gracile, les boucles noires brillantes… tout ça, c'était Farbauti.
Le capitaine en avait envie de pleurer – de joie ou de désespoir, ça, il ne savait pas. L'essentiel, c'était l'enfant. L'enfant auquel il refusait de faillir comme il avait failli à l'auteur de ses jours.
« LOKI ! »
Angrboda réagit d'instinct en voyant le mastard blond à moitié dénudé se ruer vers la couchette du prince perdu : une vague de verglas jaillit sous son talon, couvrant le carrelage de l'infirmerie d'une plaque blanche scintillante et faisant tomber l'intrus en plein sur son nez.
« Faites-moi disparaître ça » grinça l'Asgardienne en robe verte qui régentait l'endroit.
« Il allait s'en prendre au prince » rétorqua le capitaine, prêt à former une stalactite bien pointue dans sa main.
« C'est le prince Thor » siffla l'Asgardienne. « Et si vous savez ce qui est bon pour vous, vous allez me laisser voir s'il a le nez intact ! »
Ah, le fiancé. Angrboda renifla avec mépris tandis que la glace s'évaporait : c'était à ce gamin que Laufey Roi avait accordé l'honneur de faire des enfants à la progéniture de Farbauti ?
Si le capitaine avait eu son mot à dire, les noces auraient été hors de question. Une vierge des glaces royale donnée en mariage à un Asgardien de la lignée de l'Agent du Mal, c'était un sacrilège, rien de moins. Laufey Roi et le Haut Conseil pouvaient disserter à loisir sur les avantages politiques, un sacrilège restait un sacrilège.
« Mon frère ! » s'écria l'Asgardien en se soustrayant à l'examen de la guérisseuse en vert. « Comment va mon frère ? »
Angrboda haussa le sourcil devant le mon frère mais se tourna vers la couchette.
« Mengloth ? »
Le guérisseur redressa l'échine et dirigea ses yeux rouge vineux vers le prince blond.
« C'est toi, le boucher Asgardien ? »
Les narines du blond se dilatèrent et une odeur d'ozone se répandit dans la pièce.
« Je suis Thor Odinson, Prince héritier d'Asgard » gronda-t-il, « et tu t'adresseras à moi avec respect. »
Angrboda sentit un sourire lui démanger la commissure des lèvres. Oh, tu ne sais pas à qui tu as affaire, morveux.
« Du respect pour toi ? » laissa tomber Mengloth d'un ton écœuré. « Et pourquoi donc, boucher ? »
L'Asgardien tourna au rose soutenu.
« Je suis un prince ! » rugit-il.
« Ça ne te dispense pas de chier et roter comme nous autres » renifla le guérisseur.
Choqué par la vulgarité de ces propos, l'Asgardien ouvrit la bouche et resta coi. Mengloth se détourna et promena le doigt sur la poitrine de l'enfant perdu.
« Vous vous êtes donné un mal fou pour tuer ce petit, dites-moi. »
La guérisseuse plaqua la main sur la bouche du blond pour l'empêcher de commettre une insulte diplomatique.
« Qu'est-ce qui vous fait dire cela ? »
Mengloth ricana.
« Vous avez regardé ses os ? Ses muscles ? Son cerveau ? Je ne connaîtrais pas le contexte, je dirais qu'on l'a affamé avant de l'empoisonner à répétition. »
Cette fois, le blond réussit à se libérer de la main de la guérisseuse.
« Empoisonné ? Loki a été empoisonné ? Qui a osé ? Dis-moi qui ! »
Le regard de Mengloth était vide de toute compassion.
« Et bien, il y a toi, ta mère, ton père, les cuisines, et tous ceux qui ont trouvé que ce serait une bonne idée de donner de la nourriture asgardienne à un jotunn ! »
Le blond n'aurait pas eu l'air plus assommé s'il s'était flanqué un coup de son propre marteau entre les deux yeux.
« Vous dites que l'organisme du prince Loki est incapable de digérer les plats que nous lui proposons ? » voulut clarifier la guérisseuse.
« Tout comme un loup géant est incapable de manger de l'herbe » asséna Mengloth. « Un miracle d'Audhumla qu'il ait survécu, la malnutrition à ce degré aurait dû le tuer avant qu'il n'atteigne trois siècles ! Sans parler de ce que la puberté a fait à ses taux d'hormones… »
« Pardon ? » articula le blond qui venait de retrouver sa voix.
« Le prince Loki a atteint la fin de son développement il y a déjà un siècle » intervint la guérisseuse.
Mengloth se mit à rire.
« C'est un jotunn ! Et vous prétendez savoir comment son corps change pour se préparer à remplir son office ? »
Le guérisseur pointa sur la tête de l'enfant un doigt vindicatif.
« Le déséquilibre chimique lui a mis la tête complètement à l'envers ! S'il arrive à tenir une conversation cohérente à son réveil, je veux bien aller me faire soldat. Vous auriez voulu le tuer, félicitations. Dans son état actuel, il pourrait tout aussi bien être mort. »
Si la guérisseuse faisait grise mine, le blond paraissait véritablement horrifié. Comme si Mengloth venait de lui annoncer qu'il avait déclenché Ragnarök en avance. Angrboda en aurait éprouvé une délectation perverse si l'état du prince perdu n'avait pas été si sérieux.
« Tu… Tu peux arranger ça ? » finit par bégayer l'Asgardien. « Tu… tu dois bien pouvoir faire quelque chose… »
La lèvre supérieure du guérisseur se retroussa, dévoilant ses crocs jaunis par l'âge.
« Pour la malnutrition, on a des provisions dans les bagages. Quand on en verra la fin, il faudra réapprovisionner, Capitaine. »
« Je mettrais un de mes gardes de corvée de courses » fit Angrboda d'un ton absent, s'attirant un reniflement.
« Faites ça, oui. Pour le déséquilibre hormonal, il me faudra ton aide, le boucher, vu que ça ne peut se résoudre qu'avec un moyen extérieur… »
« Tout ce que tu veux ! » s'écria aussitôt le blond. « Je ferais tout ce que tu me demanderas ! Dis-moi ce que je dois faire ! »
Le sourire de Mengloth se fit franchement malveillant.
« Tu vas devoir grimper ton petit frère. »
