Sif avait grandi en entendant des contes où les valeureux héros d'Asgard s'en allaient protéger les Vanes ou les Ljosalfar – qui se trouvaient être de parfaites chiffes molles, c'était de notoriété publique – des Géants de tout poil, de feu comme de glace.

Si bien que lorsqu'elle avait vu les deux silhouettes bleues démesurées postées près de la porte, elle avait illico porté la main à sa ceinture, avant de se rappeler que son épée avait été confisquée – ce qui valait probablement mieux. Éviscérer un membre de l'ambassade jotunn n'aurait guère contribué à désamorcer les tensions entre les deux royaumes.

« C'est… que font-ils donc ? » souffla Fandral en fronçant les sourcils, perdu dans un abîme de perplexité.

Les deux géants avaient l'oreille plaquée contre le battant doré de la porte de l'infirmerie, et arboraient des expressions étrangement… réjouies.

« Ouh ! » siffla l'un d'eux – plus petit de trois ou quatre pouces que son congénère, avec un visage carré. « Tu l'as entendue, celle-là ? »

« Difficile de ne pas l'entendre » commenta l'autre. « On voit d'où il tient son coffre, le boucher ! »

Volstagg s'éclaircit la gorge.

« Que croyez-vous être en train de faire, au juste ? »

Les jotunn se raidirent et baissèrent les yeux sur le petit groupe.

« Tiens » renifla le plus grand, qui arborait un collier de perles d'os et de pierres noires, « les sbires du boucher. »

« L'Agent du Mal est en train de crier sur sa progéniture » annonça le plus mal dégrossi. « Et laissez-moi vous dire, ça fuse ! Vous voulez écouter ? »

Incompréhension générale chez les Asgardiens.

« Qui est l'Agent du Mal ? » interrogea Fandral, vaguement inquiet – il avait du mal à imaginer que le détenteur de ce nom passe son temps à faire des petits gâteaux et à distribuer des aumônes.

Le jotunn au collier haussa un sourcil.

« Votre tyran borgne de souverain, qui d'autre ? » lâcha-t-il.

« Tu oses insulter Odin Père de Toute Chose ? » s'écria Sif outragée.

Le sourcil resta haussé.

« De un, c'est pas le père de tout ce qui existe, parce qu'autrement, j'aurais deux mots à dire à ma mère. De deux, il a ravagé et ruiné Jotunheim, pas question que je respecte ce meurtrier. De trois, c'est le roi d'Asgard, pas de Jotunheim, alors pourquoi je lui ferais des courbettes ? »

Sif rougit de colère.

« C'est tout de même un roi » insista Fandral.

« Ouais, mais même si c'est sur un trône, il s'assoit tout de même sur son cul » rétorqua le jotunn.

Volstagg avala de travers.

« Et si c'était nous qui disions du mal de ton souverain ? » glissa Fandral.

« Beh, c'est le roi. Il est là pour ça. »

Un ange passa.

« Les jotunn sont décidément curieux » commenta le coureur de jupon, assez perturbé par cette conduite des plus subversives.

Le Géant tordit la bouche.

« Jötnar. »

« Quoi ? »

« Un jotunn, des jötnar. Audhumla, c'est donc vrai que les Asgardiens sont bêtes au point de ne pas savoir parler correctement ! »

« Les Ases ne sont pas stupides ! » se hérissa la vierge guerrière.

« Alors parlez comme il faut ! »

« Silence ! » siffla le jotunn aux trais épais. « Ça devient brutal ! »

« Quoi, ils en viennent aux mains ? » interrogea son congénère, oubliant son interlocutrice.

« Non, mais je sens que ça va être du bon ! »

A ces mots, le jotunn au collier retourna coller l'oreille à la porte, suivi par les Ases après un bref instant d'hésitation.


« Vous avez perdu la tête » mugissait Thor, « si vous croyez que je vais obéir à cet ordre ! »

« Il est hors de question que tu fuies tes responsabilités ! » aboya Odin, des étincelles crépitant autour de lui. « Ces noces auront lieu ! »

« Vous me demandez de violer Loki ! »

« Je te demande de sceller votre union et d'aider à le soigner ! »

« Il est mon frère ! Je refuse de poser un doigt sur lui ! »

« Je peux vous suggérer un de mes remèdes, Majesté ? » intervint Mengloth qui jubilait. « Il suffit d'une gorgée pour rendre le sujet d'une docilité parfaite, et prêt à obéir à tous les ordres que vous donnerez… »

« Pardon ? » rugit le prince, qui avait brusquement l'impression d'être un cerf acculé par une meute de loups.

« Bien sûr » poursuivit le guérisseur, « ça entrave un peu la performance sexuelle, mais là aussi, je peux pallier le problème… »

Le Tempétueux sentit l'ouragan se déchaîner sous son crâne.

« Comment oses-tu me menacer ! Père, vous l'avez entendu ? »

« Extrêmement bien » répliqua le Père de Tout, « et si tu continue de la sorte, je l'autoriserais à agir ! »

« Quoi ? » balbutia l'Ase blond. « Mais… Non ! Vous envisagez une telle horreur ?! »

« Tu vas t'unir à Loki » gronda Odin, « et si ce n'est pas de ton plein gré, qu'il en soit ainsi ! Un roi ne peut pas suivre ses caprices, il a un devoir à accomplir ! Tu as un devoir à accomplir ! »

« C'est un devoir de déshonorer mon frère ? J'ignorais cette obligation parmi toutes celles que vous m'avez apprises » siffla Thor.

Odin arborait un visage de marbre tel qu'on aurait pu en faire une pierre tombale.

« J'ai dit » asséna-t-il, « et ce sera fait ! »

Sur ces mots, il se tourna pour partir et ouvrit la porte d'une décharge de magie… dévoilant deux jotunns, le Trio Palatin et une dame Sif en flagrant délit d'indiscrétion.

« Oups ! » lâcha le plus courtaud des géants tandis que son congénère tournait au violet.

« Père de Tout ! » s'écria Fandral, la mine terrifiée. « Heum… Comment vous dire… »

Odin était si inexpressif que toute une tablée de joueurs de poker chevronnés auraient passé pour des amateurs à côté de lui.

« Ne dites rien » se contenta-il de lâcher. « En châtiment, vous êtes invité à la noce. »

Et sur ces mots, il sortit, laissant derrière l'assistance qui avait perdu le souffle.

« Niddhogg » gémit le jotunn courtaud, « comment on s'habille à un mariage royal ? »