Thor vivait un cauchemar. Un cauchemar horriblement, ignominieusement réel.

La cérémonie nuptiale avait été des plus courtes, et réservée à un comité très restreint, avec pour seuls assistants les souverains d'Asgard – Frigga n'avait cessé de lancer des regards noirs à son époux impassible – le Trio Palatin flanqué de dame Sif – tous l'air coincé et gênés par solidarité pour leur prince – et de l'escouade jotunn – tous plus ou moins goguenards.

Étant inconscient, Loki avait passé toute la procédure comateux dans les bras du capitaine jotunn, à peine vêtu de l'une des jupes de cuir tant prisées par les Géants. Il n'avait même pas remué quand le prêtre avait attaché son bras à celui de Thor avec le traditionnel ruban de soie.

Et maintenant… maintenant, le couple marié – mariés ! Deux frères ! Quelle obscénité – avait été conduit à une chambre ne contenant qu'un grand lit, où Loki avait été allongé. Il s'y trouvait également plusieurs membres du conseil, deux ou trois dames de la cour, et l'ambassadeur Vane.

Thor savait ce que ça voulait dire, et enrageait mentalement que son père ait éventé ses intentions : entailler son propre corps afin de répandre du sang sur les draps pour simuler une défloraison, mais laisser Loki intouché.

Mais devant un public qui verrait tout et s'empresserait de raconter tous les détails de la nuit de noces… Il n'avait pas d'issue, il allait devoir… monter son cadet, son petit frère… comme une jument en chaleur.

Il déglutit.

« Nous n'attendons plus que votre participation, votre Altesse » susurra le guérisseur jotunn avec un sourire haïssable.

Thor le foudroya du regard mais entreprit de déboutonner sa chemise.


« Deux chopes d'hydromel et trois de cervoise. Dame Sif, tentez-vous de devenir Volstagg ? » interrogea Fandral, tentant piteusement d'alléger l'atmosphère.

Après la cérémonie, le groupe d'aventuriers Asgardiens ainsi que les deux soldats jötnar avaient reçu congé, et tout le monde avait fini par se retrouver autour d'une table. Sif s'était aussitôt jetée sur l'alcool, s'attirant un regard surpris de ses camarades et un grognement désapprobateur d'un des Géants – celui au collier.

L'expression de la vierge guerrière donna la chair de poule au coureur de jupons.

« J'essaie de ne pas penser à ce que Thor inflige présentement à Loki » répondit-elle d'une voix caverneuse.

Un nouveau frisson saisit Fandral. En vérité, l'idée des princes d'Asgard… commettant l'acte… c'était à ce point inimaginable qu'il n'arrivait même pas à trouver de mots. A part peut-être malsain et contre nature.

« Pourquoi donc ? » demanda le plus mal dégrossi des Géants, d'un ton sincèrement étonné qui lui attira l'attention horrifiée des Asgardiens.

« Ils sont frères » rappela Sif.

« Faux » rétorqua le jotunn au collier, tripotant du bout de ses griffes noires une cuisse de volaille. « Votre boucher est un Asgardien, et son Altesse Laufeyson est une vierge des glaces. Ils ne sont pas frères. »

« Vous avez dit vierge des glaces » se hâta de dire Fandral en voyant Sif rougir de colère. « De quoi s'agit-il ? D'une variété de Géants ? »

Le mal dégrossi fit la moue.

« Je sais pas si on peut dire ça… Une vierge des glaces, c'est tout petit… »

« Disons que c'est une variété extrêmement rare » répondit celui au collier. « A part son Altesse Laufeyson, il ne doit en exister que six ou sept sur tout Jotunheim. Rien qu'en apercevoir une est une occasion unique, leurs familles les protègent comme la prunelle de leurs yeux. »

Fandral sentit ses sourcils se hausser.

« Rien que six ou sept ? » s'étonna Volstagg, interrompu dans la dégustation de son gigot de sanglier.

Le jotunn au collier émit un grognement de confirmation.

« Quand elles naissent, c'est généralement dans les familles nobles. Mais il n'y en avait plus dans la famille royale depuis l'arrière-grand-père de Laufey Roi. »

« Quand son Altesse Laufeyson est né, tout le monde l'a su » déclara le mal dégrossi. « Tout le monde a pensé que c'était le présage d'un renouveau pour Jotunheim, qu'on pourrait survivre à la guerre… Quand on a cru qu'il était mort, c'était comme si le soleil avait disparu. »

Mal à l'aise, Fandral remua sur son tabouret. Les jötnar étaient supposés n'être que des monstres, pour l'amour des Nornes ! Pas… pas des gens. Personne n'éprouvait de remords de voir des monstres réduits à des conditions exécrables…

« Vous avez survécu à la guerre » pointa Hogun.

Le jotun au collier pinça les lèvres.

« Avant l'invasion de Midgard, Jotunheim abritait cinq milliards d'âmes. Aujourd'hui, les Géants ne sont plus que deux millions. Tu appelles ça survivre, toi ? »

Fandral crut qu'il allait tomber de sa chaise. Le seul cataclysme qu'il pouvait comparer à la situation présente, c'était la chute de Svartalfeim, qui n'avait laissé la vie sauve qu'à environ cent mille elfes noirs, une goutte dans l'océan comparés aux sept milliards d'avant leur déclaration de guerre avec Asgard.

« C'est votre faute » finit par lâcher Sif, les joues cramoisies d'embarras ou de honte, c'était difficile à dire. « Vous avez cherché à détruire Midgard. »

« Et ton tyran de roi a jugé approprié de détruire un royaume pour en sauver un autre » cracha le jotunn au collier. « Est-ce que tu couperais la langue et les membres à un enfant pour avoir volé un jouet ? »

La vierge guerrière se mordit la lèvre inférieure. Ce fut le mal dégrossi qui la sauva.

« Jarnsaxa » fit-il d'une voix geignarde, « il commence à faire chaud. Tu pourrais pas me ramener dans notre couloir ? »

Le jotunn au collier – Jarnsaxa – adressa à son compagnon un regard excédé.

« Tu sais donc pas t'orienter tout seul, il faut encore que je te tienne la main ? »

« Mais c'est Asgard » protesta l'autre, « c'est doré de partout et comment veux-tu te repérer quand t'as mal aux yeux tellement ça brille… »

Jarnsaxa coupa court à ses jérémiades en l'empoignant par le bras pour le traîner dehors, laissant les Asgardiens entre eux.

« Et bien » commenta Volstagg, « voilà de drôles de Géants, si vous voulez mon avis. »

« Voilà seulement des gens, si vous voulez mon avis » rectifia Fandral qui sentait son estomac se soulever.

Sif s'agita.

« Tu ne peux pas dire ça » fit-elle, la bouche pincée comme si elle luttait pour ne pas fondre en larmes, et il y avait de quoi. Tuer un monstre était une bonne chose. Tuer une personne

Le charmeur la regarda.

« Tu les as vus et entendus comme moi, Sif. »

Elle baissa la tête.


Marinant dans ses remords, Thor réalisa à peine que les draps du lit étaient retirés du matelas et présentés à chaque témoin, preuve indubitable de la virginité de Loki. La virginité qu'il venait d'arracher à son frère, sans que celui-ci n'en soit conscient.

« Pas mal pour une première fois » commenta le guérisseur jotunn, s'attirant le regard haineux du prince.

« Il n'y aura pas de prochaine fois » gronda le Tempétueux.

Le sourire de crocs jaunes s'élargit.

« Oh mais si. Ça fait partie du traitement de ton frère, vois-tu. Pour rééquilibrer ses taux d'hormones et lui permettre de se réveiller, il faudra que tu le grimpes une fois par jour au minimum. Ou alors tu le préfères dans le coma ? »

Le cauchemar ne faisait que débuter, songea Thor avec horreur.