« Donc, la grossesse d'un jotunn dure un an et demi, et ce quelque soit l'identité du père » résuma Eir d'un ton songeur. « Voilà qui est plutôt long. »

Mengloth retroussa les lèvres sur ses crocs.

« Il faut bien ça pour faire les choses correctement. Regardez à quel type de rejeton aboutit une gestation d'un an à peine. »

En disant ces mots, il louchait sans discrétion aucune sur Thor – ce fut l'étincelle qui mit le feu aux poudres.

Le Tempétueux reconnaissait sans problème avoir un caractère franchement orageux, mais vraiment, il avait fait de son mieux pour rester poli envers l'ambassade jotunn. Ou du moins, pour les ignorer, ce qui paraissait leur convenir. Mais ce maudit guérisseur n'avait cessé de le dégrader et de l'insulter depuis leur première rencontre, et le prince blond avait ses limites.

« Je ne te permets pas ! » éclata-il, se levant brutalement de son siège – le banc où il avait été content d'attendre qu'Eir finisse de méditer sur les nouvelles qu'il lui apportait de Loki et le congédie.

La brute renifla, pas impressionnée du tout.

« Si tu crois que je me soucie de ta permission, le boucher, ton arrogance dépasse la décence. Attention à ne pas te retrouver dessus, ou tu mourrais étouffé. »

« Que t'ai-je fait ? » s'énerva le Tempétueux. « Que t'ai-je donc fait pour que tu m'insulte continuellement ? »

A l'instant où les mots quittèrent sa bouche, l'atmosphère se modifia violemment, comme chargé de glace. Quant à l'expression du jotunn, elle aurait suffi à faire mourir de terreur un homme au cœur faible.

« Ce que tu m'as FAIT ? Tu m'as TUE mon enfant, VOILA ce que tu m'as fait ! » cracha la brute, exhibant ses crocs tel un fauve prêt à mordre.

Thor ne s'attendait pas à une telle réponse et sentit sa bouche béer stupidement.

« Hein ? Quand ça ? »

« Oh, voyons voir » grinça Mengloth. « Environ le jour où tu es descendu sur Jotunheim, et que tu as commencé à massacrer les sujets de Laufey parce que l'un d'eux t'avait lancé une saillie ! »

Ah. Bien sûr. C'était la seule occasion où le prince blond avait directement confronté les Géants, après tout. Il sentit ses tripes se nouer bizarrement tandis que le guérisseur continuait à rager.

« J'ai dû l'identifier par ses marques tribales parce qu'il avait la tête complètement défoncée ! Par ton marteau infernal ! Ca te fait bander de broyer la tête des enfants des autres ? »

« C'était au combat » répondit le Tempétueux.

« Va te faire foutre » jeta Mengloth, son regard rouge étrangement brillant – était-ce des larmes ? « Puisses-tu finir dans la gueule du Niddhogg quand viendra ton heure de crever, c'est tout ce que tu mérites. »

Et sur cette malédiction, le jotunn quitta l'infirmerie à grands pas.

« Ma parole » commenta une tête bleue apparaissant dans l'embrasure de la porte – le jotunn au collier, « qu'est-ce qui a provoqué Mengloth ? Je ne l'avais plus vu aussi en colère depuis les problèmes de trolls de Vimur ! »

Eir aurait pu se faire passer pour la victime d'une indigestion de citrons.

« Son Altesse vient d'être informée de la rancœur personnelle de Mengloth contre lui » dit-elle d'un ton pincé.

Le jotunn au collier haussa un sourcil.

« Ben il aura pris son temps ! Encore un peu et je perdais mon pari avec Hrym, il était sûr que ça viendrait dans les deux semaines de notre arrivée… »

« Vous… saviez ? » laissa tomber Thor, incertain de ce qu'il ressentait présentement – l'enfant du guérisseur était tombé durant un combat, il n'avait pas de raison d'éprouver de la culpabilité… n'est-ce pas ?

« Tout le monde savait » rétorqua le Géant. « En fait, c'est aussi pour ça que Laufey Roi a envoyé Mengloth ici. En plus du fait que c'est un guérisseur de génie. »

« Voilà qui ne semble pas très délicat et aussi loin que possible de la diplomatie » commenta Eir, toujours grimaçante.

Le jotunn renifla.

« Toute action a ses conséquences. Que l'Odinson apprenne à vivre avec. Il croyait que la guerre était un jeu, et désormais il aura de quoi se rappeler que c'est loin d'être le cas. Une mère éplorée, c'est très efficace pour fixer les souvenirs. »

« Mais comment étais-je sensé savoir qui était son enfant ? » protesta le Tempétueux. « Ces jötnar se ressemblaient tous. »

Deux yeux rouges le considérèrent fixement.

« Alors c'est encore pire » décréta le Géant. « Parce que si pour toi, ils se ressemblent tous, ça veut dire que tu n'as même pas la décence de te soucier de tes victimes. Quand tu crèveras, profite bien des entrailles du Niddogg, veux-tu ? »

Et sur ces mots, le jotunn retira sa tête et referma le battant de la porte.

« Quelle injustice » décréta le prince blond, sans réussir à dissiper son malaise. « Il est tout aussi absurde de m'en vouloir pour cette mort que d'en vouloir au mort pour s'être engagé dans les gardes de Laufey. »

Eir se détourna.

« Que vous le vouliez ou non, c'est vous qui avez porté le coup fatal, votre Altesse. Les actions ont des conséquences. »

Cette leçon n'en finira donc jamais, songea sinistrement Thor, se remémorant le prix exigé par Laufey en échange de la paix avec Asgard.