Loki s'ennuyait.
La chose aurait dû être impossible, et pourtant, les faits étaient là : il s'ennuyait. Si seulement sa dépression avait duré plus longtemps, mais non, les potions infectes de la brute jotunn et les orgasmes forcés avaient joué leur rôle à la perfection et arraché son esprit aux marasmes noirs de la mélancolie.
Le fripon préférait de loin rêver lugubrement à s'ouvrir les veines que s'ennuyer. Quand il s'ennuyait, il avait tendance à commettre des sottises spectaculaires – du type laisser Thor insulter une caravane de nains pour se jeter dans la bagarre résultante…
Mais je doute pouvoir me changer les idées dans cet état, songea-t-il hargneusement, contemplant d'un œil noir son abdomen enflé. Il aurait pu jurer que la bosse grossissait sous son nez.
Un rire rocailleux se fit entendre dans l'atmosphère confinée de la chambre. Le fripon leva la tête pour foudroyer sa nounou bleue du regard.
« Quoi ? »
« Rien » répondit la brute en ayant l'audace de sourire. « C'est juste que tu es le portrait de ta mère avec cette expression. La seule différence, c'est que Farbauti se plaindrait à voix haute d'être confiné au lit. Il a maudit tes frères au moins un millier de fois avant de les mettre au monde. »
A sa grande rage, Loki sentit une pointe de curiosité lui asticoter l'esprit – vraiment, il était tombé bien bas, s'il acceptait de se laisser divertir par un monstre à peine plus évolué qu'un bilgsnipe.
« Oh ? »
La brute hocha la tête, le regard lointain.
« Même petit, un jotunn pèse son poids, surtout pour une vierge des glaces. Farbauti a été contraint de garder la chambre quand tes frères ont été assez gros pour remuer. Avec toi, bien sûr… c'était pas pareil. »
Loki se crispa sous ses couvertures.
« T'inquiète donc pas ! Le boucher, il est costaud pour un Asgardien, mais c'est pas un enfant d'Ymir. Tes prochains bébés ne t'empêcheront pas de te promener où tu veux, même s'il te faudra te ménager. »
« Il n'y aura pas d'autres bébés » cracha furieusement le sorcier, serrant les poings sur ses draps au point d'en faire pâlir ses jointures. « Je mettrais bas le morveux de Thor et ce sera tout. Il n'y aura pas d'autres bébés ! »
La brute haussa les épaules.
« Tu dis ça mais attends d'avoir le mioche dans les bras. Si tu es comme ta mère, tu t'émietteras comme du pain dans la soupe, et d'après ce que j'ai vu de toi, tu es le rejeton de Farbauti jusqu'à la moelle de tes os. »
La fureur envoya des éclairs noirs et argent dans le champ de vision de Loki, lequel rassembla ses maigres forces pour lancer un éclat de glace à la tête de la brute. Celle-ci n'eut même pas la décence d'esquiver et la reçut en plein sur le nez avec un éclat de rire, ce qui ne fit rien pour améliorer l'humeur du fripon.
L'un des aspects les plus inconvénients de cette maudite grossesse, c'était la sensibilité accrue de l'abdomen de Loki. Impossible de s'allonger sur le ventre, maintenant, sous peine d'une pique de douleur qui persistait jusqu'à ce qu'il se mette sur le dos ou sur le flanc.
La brute de guérisseur semblait savoir cela – il lui maniait les bras et les jambes sans délicatesse pour les exercices de rééducation, mais n'essayait jamais de lui toucher le ventre. Il se contentait de faire des passes au-dessus avec une petite pierre polie.
« Pour l'état général » avait-il grommelé, sans plus d'explications – de toute manière, Loki ne les lui aurait pas demandées.
Thor avait eu besoin d'un coup de poing sur le nez pour comprendre, hélas pas assez fort pour lui briser le cartilage mais bien assez pour le faire saigner. Bizarrement, cette démonstration de violence avait réjoui son indésirable nounou.
« Si tu réagis avec une telle force avant d'avoir mis bas, tu feras une excellente mère ! Personne n'osera regarder ton petit de travers, c'est certain. »
La phrase toute simple avait failli replonger Loki dans un désespoir violent. Il ne voulait pas de ce bébé. Il ne voulait pas donner le jour au bâtard à moitié monstrueux de son propre frère. Tout ce qu'il voulait, c'était la force de se traîner jusqu'au balcon de sa chambre et de sauter. Plus de problème, plus rien du tout.
Sauf que la brute bleue le surveillait constamment, s'assurant que la couveuse qu'il était devenue jouerait son rôle jusqu'au bout.
Les Nornes le haïssaient, pas d'autre explication.
Qu'il le veuille ou pas, il était contraint de vivre cette humiliation, contraint de porter l'enfant de Thor et de lui donner le jour. Mais il avait encore une porte de sortie.
Personne ne pouvait le forcer à aimer cette abomination se servant de lui comme d'un incubateur. Personne ne pouvait le forcer à l'élever.
Si Asgard voulait son héritier, Asgard aurait son héritier. Mais connaissant la mentalité Ase, il était peu probable que le royaume accepte de grand cœur le rejeton d'un jotunn. Oui, le royaume haïrait le morveux, comme Loki lui-même avait été haï pour avoir été si peu conforme à ses idéaux, à ses critères de perfection.
Mais Loki avait eu une mère, et le morveux n'aurait jamais cela. L'abomination souffrirait encore plus que Loki, serait encore moins aimé que Loki, ce n'était que justice, n'est-ce pas ?
Loki n'aimerait jamais la créature qui lui poussait dans les entrailles, et personne ne pourrait l'y contraindre. Ils finiraient tous par l'apprendre, que cela leur plaise ou non.
