Loki se sentait d'humeur particulièrement massacrante, et ce pour trois raisons. D'abord, il faisait chaud : Asgard jouissait d'un climat méditerranéen, presque aride, et la plupart de ses journées étaient aussi étouffantes que Nice en plein mois d'août. Loki n'avait jamais aimé la chaleur, et maintenant qu'il était coincé dans une peau de jotunn, il l'appréciait encore moins.

Ensuite, il n'y avait rien à faire : Thor s'était sauvé Nornes savent où plutôt que d'affronter son frère – autant pour sa réputation de bravoure insensée, il semblait avoir un instinct de survie après tout – la brute bleue faisait preuve d'un calme enrageant, tous les livres de la bibliothèque avaient été lus au moins deux fois, et il n'était pas en état de pratiquer la magie.

Cerise sur la chantilly, la magie. Loki la sentait s'agiter en lui, refusant de se plier à son contrôle, tournoyant à l'intérieur de son ventre tel une nausée insistante qui refusait de passer. A en croire Mengloth, le phénomène n'était rien que de très normal, le fœtus monopolisait toutes les ressources de l'organisme maternel pour se développer correctement. Si Loki avait été en bonne santé, cela n'aurait pas été si contrariant, mais voilà, le fripon était affaibli par des siècles et des siècles de négligence de la part de ses tuteurs…

Loki était donc d'humeur atroce. Une humeur si noire que seul le fond d'un tonneau de goudron pendant une panne d'électricité générale soutenait la comparaison.

« On dirait que ça ne va pas fort » commenta la voix rauque de la brute bleue.

Loki ne daigna pas lui accorder la grâce d'une réponse, préférant enfoncer son visage dans les coussins de son lit.

« Très bien, si c'est comme ça, j'ai bien fait de prendre des mesures. »

Le sorcier n'eut que le temps de froncer les sourcils avant que le monstre ne le saisisse et l'emporte dans ses bras comme une vulgaire poupée de chiffons. Pris au dépourvu, Loki se débattit sans grands résultats, sa magie refusant de lui venir en aide.

« Pose-moi ! »

« Ne t'inquiète pas, ça va te plaire » affirma la brute en quittant la chambre pour la salle de bains attenante.

A la vue de la baignoire remplie d'eau et de glaçons, Loki sentit une décharge électrique dans sa moelle épinière et s'agita de plus belle, réussissant à flanquer une claque à son bourreau qui ne la sentit même pas – salaud – et le plongea dans le liquide sans même lui retirer sa chemise.

Dans son état de panique, le fripon mit quelques secondes à intégrer que le bain n'était pas aussi froid qu'il s'y attendait. En fait, il était plutôt agréable.

Mais certainement pas assez pour qu'il s'endorme dedans, et si la brute bleue affirmait le contraire, c'était par pure méchanceté, forcément.


Comme la canicule refusait de prendre fin, les bains glacés n'avaient guère tardé à devenir une occurrence quotidienne. Loki en sortait toujours aux trois quarts somnolent, pour une raison qu'il ne s'expliquait pas – Mengloth avait raconté que le froid aidait son organisme à se détendre ou quelque chose du même goût, il n'avait pas fait très attention.

Il dormait donc à moitié lorsqu'il sentit le coup.

Thor ne recula pas assez vite pour éviter la décharge statique libérée par le sorcier paniqué, si bien qu'il se retrouva avec la barbe et les sourcils hérissés au point de le démanger atrocement.

Toutefois, son irritation s'évanouit dès qu'il vit l'expression de son frère.

« Que se passe-t-il ? »

Loki avait les mains sur l'abdomen, ses yeux rouges agrandis de frayeur.

« Je… Je ne sais pas… »

« Tu as mal ? »

« N-non… Je ne cois pas » hoqueta le prince brun avant de sursauter à nouveau : « Et ça recommence ! Nornes, c'est quoi ? Arrête ça ! THOR ! »

Le tempétueux voulait déguerpir – sérieusement, il n'était pas guérisseur, que pouvait-il faire ? – mais rassembla tout son courage – guère vaillant pour l'instant – et posa sa grande paluche sur le ventre gonflé de Loki pour examiner la situation.

Ses yeux bleus s'écarquillèrent.

« Ne reste pas les bras ballants ! » cracha le fripon. « Va chercher quelqu'un ! »

« Loki » souffla Thor d'un ton presque révérend, « l'enfant est en train de bouger. »

Le jotunn se raidit, semblable à une statue de marbre bleu. Son visage hésitait entre le dégoût et l'effroi.

« C'est… c'est… affreux » bafouilla-t-il.

« C'est merveilleux » protesta le prince blond, un sourire béat lui retroussant la commissure des lèvres – les coups contre sa paume lui annonçaient la force de son enfant à naître, comment ne pas s'émerveiller ?

Les yeux rouges lancèrent des éclairs – littéralement : il se produisait des phénomènes curieux autour d'un sorcier incapable de contrôler sa magie.

« On voit bien que ce n'est pas TOI qui es obligé de porter ça dans ton ventre » gronda-t-il.

Tout à son extase, Thor ne parut pas l'entendre, préférant caresser la peau bleue distendue. Loki envisagea brièvement de lui flanquer un coup de poing dans le nez et de le repousser avant d'y renoncer. Il était trop fatigué.

Ce n'était certainement pas car c'était calmant de sentir les grandes mains de Thor sur son ventre douloureux.