Loki n'avait jamais autant haï le fait d'attendre un enfant pendant sa léthargie. Oh, c'était déjà exaspérant avant cela, mais maintenant les choses avaient nettement empiré.

Apparemment, pendant la phase de croissance accrue d'un fœtus jotunn, les besoins énergétiques de celui-ci croissaient de manière absolument déraisonnable. Chez un Géant des Glaces ordinaire, cela causait simplement une fatigue sévère et l'obligation de rester au lit, mais le Géant moyen avait une endurance élevée et des réserves du même acabit. Chez une vierge des glaces – Nornes combien il abhorrait cette appellation – dont le métabolisme équivalent à celui d'un Ase avait bien moins de ressources à brûler, et bien…

Basiquement, le métabolisme de Loki avait tant ralenti qu'il arrivait à peine à remuer sous ses draps. Pire encore, il n'arrivait même plus à penser. Rien que le fait d'aligner deux mots l'un à la suite de l'autre lui coûtait un effort considérable et déclenchait une migraine violente, comme si un bataillon de piverts chacun armé de Mjolnir lui attaquait le cerveau.

Basiquement, le sorcier en était réduit à l'impotence la plus complète, au statut de poupée qu'on lave, qu'on nourrit et qu'on masse pour éviter que ses articulations se bloquent.

Et pendant ce temps-là, il pouvait sentir la créature à l'intérieur de son ventre qui s'agitait, le bourrait de coups de pied, grossissait, lui suçait toutes ses forces. Il aurait voulu la battre. Il aurait voulu la tuer.

Hélas, dans son état, il ne pouvait rien faire d'autre que grogner et gémir.


« Alors ? » s'enquit Angrboda tandis que Mengloth terminait son examen.

« Tout est normal » répondit le guérisseur en haussant les épaules. « Enfin, pour une vierge des glaces. Remarque, vu son délabrement, c'est surprenant qu'il s'en tire aussi bien. »

Le soldat glissa un coup d'œil à la silhouette couchée dans le lit. Son Altesse Laufeyson reposait parfaitement figé, un gisant peint en bleu cobalt. Sous sa chemise de nuit, un bedon impossible à ignorer pointait innocemment.

« Et l'enfant ? »

« Oh, il gigote, ça oui ! Il va faire grimper le boucher aux rideaux, je te dis que ça. Vu comment il part avant même que sa mère le mette bas… »

De sa grande main, Mengloth ramena les draps sur le corps inconscient.

« En parlant de la mise bas, ça risque d'être compliqué. »

Angrboda dressa les oreilles.

« Oh ? »

« C'est ce maudit déguisement imposé par l'Agent du Mal… Le prince n'a pas les hanches aussi larges qu'il devrait. Et à bassin étroit, tête qui a du mal à passer pendant l'accouchement. Donc risque de déchirure et d'hémorragie. »

Le vieux soldat sentit son cœur s'arrêter.

« Mais tu peux t'occuper de ça » lâcha-t-il la bouche sèche, s'attirant un reniflement de mépris de la part de son congénère.

« Bien sûr que je peux ! Mais il devra conserver le lit pendant minimum deux mois, tout ça pour un problème qui aurait pu être évité si seulement l'Agent du Mal avait eu assez de cervelle pour tenir dans un dé à coudre ! »

Le guérisseur crachait pratiquement des flammes, et Angrboda ne pouvait trouver en lui la force ou l'envie de lui en vouloir.

« Qu'est-ce que tu crois ? Le Parjure est un Asgardien. Ne lui demande pas de penser, ce serait trop pour lui. »

« Trop vrai » gronda Mengloth.

Sur ces mots, il s'éloigna, probablement pour descendre à l'infirmerie du palais et terroriser les guérisseuses. Angrboda ne tenta pas de le retenir. Il tenait à la vie, merci beaucoup.