Loki abhorrait les larmes, surtout quand c'était lui qui les versait. Les larmes étaient signe de faiblesse, des armes de femme. Un prince d'Asgard se devait de garder les yeux secs en toutes circonstances.
Seulement voilà, il souffrait trop pour s'en soucier.
Au fur et à mesure que la fin de la grossesse approchait, son corps s'était transformé en l'espace de quelques semaines, faisant mugir d'indignation Mengloth – apparemment, son corps aurait dû se féminiser progressivement dès son entrée dans la puberté, mais la fausse peau Asgardienne l'avait maintenu rigoureusement masculin, si bien que la métamorphose avait dû s'accomplir brutalement et rapidement pour lui donner une chance d'enfanter sans y laisser la vie.
Le résultat immédiat était que le peu de forces regagné par sa convalescence l'avait déserté, et que chaque pouce de son corps le tourmentait.
Sa poitrine était à présent bosselée, deux seins aux mamelons indigo pointant sous le tissu de sa chemise de nuit. Nornes merci, ils n'étaient pas bien gros pour l'instant, mais la brute guérisseuse affirmait que cela changerait avec le temps et d'autres grossesses – ça, jamais ! De temps à autre, ces seins laissaient échapper un liquide clair à l'odeur aigre, en préparation de l'allaitement – ça aussi, jamais.
Ses hanches s'étaient épaissies, contraignant son bassin à s'élargir, si bien que plus aucun de ses pantalons ne pourraient lui aller maintenant. Il fallait que la tête du fœtus puisse passer sans encombre, après tout, autrement la césarienne aurait été inévitable – à titre personnel, Loki n'aurait pas élevé d'objection contre la procédure, dans le maigre espoir que le couteau dérape et règle son compte à l'abomination qui trouvait jouissif de le bourrer de coups de pieds alors qu'il tentait désespérément de trouver une position confortable.
Il avait subi un tel déchaînement d'hormones qu'il avait cru que son sang se sublimait dans ses veines, passant directement de l'était solide à l'état gazeux. Il se sentait toujours fiévreux, toujours mou au point d'être traité comme une poupée de chiffons et de ne même plus s'en plaindre. Quand Loki n'avait plus la force d'ouvrir la bouche, c'était vraiment signe que ça n'allait pas du tout.
Il en était donc réduit à pleurer, enfoui sous ses couettes, sifflant occasionnellement de détresse lorsque le pied du petit monstre parvenait à trouver une de ses côtes – c'était bien l'engeance de Thor, pour faire souffrir Loki à ce point. Que pouvait-il faire d'autre ?
Mourir, ce serait bien. Avec un peu de chance, il finirait au Valhalla en dépit de son status d'aberration de la nature – mourir en enfantant n'était-elle pas l'une des conditions d'entrée dans le paradis des héros ?
Le front plissé, Thor considérait son frère, respirant à peine pour ne pas l'éveiller. Loki dormait si mal ces derniers temps, et il avait un tel besoin de chaque miette de force qu'il pourrait dénicher…
Loki ne méritait plus le terme d'ergi, à présent. Il pouvait de manière entièrement raisonnable être qualifié de femme à part entière, par vertu de son corps quasi méconnaissable. Et ce n'était pas dû à la seule coloration bleue.
Là où il n'y avait eu autrefois que lignes plates et droites, des courbes et des rondeurs s'étaient installées sans gêne. Rondeur des seins, à peine assez développés pour tenir dans la paume du tempétueux, mais néanmoins bien là. Courbe du ventre, frémissant de temps à autre sous l'effet d'un assaut interne. Courbe des hanches sur lesquelles commençait à se développer un peu de chair, conséquence obligatoire d'un an et demi d'alitement.
Pour l'heure étalés sur l'oreiller en longues vagues négligées, les cheveux de Loki lui tombaient désormais en dessous des épaules, assez longs pour que le sorcier puisse en faire davantage que les plaquer sur son crâne pour les garder hors du chemin.
Dans son sommeil, le brun fronça brièvement les sourcils. L'enfant venait-il de remuer ? Il semblait étrangement vigoureux à ce stade de la grossesse, alors que les nouveau-nés étaient sensés se calmer en préparation de la naissance. Loki ne perdait pas une occasion de s'en lamenter et de prendre la chose comme prétexte pour crier après Thor, déclarant que la progéniture du tempétueux avait hérité de son infatigable énergie.
Personnellement, Thor songeait que l'enfant tenait davantage de Loki en cela. Irriter les autres au point de les rendre incohérents de rage, c'était la spécialité du second prince d'Asgard.
Il hésita un instant avant de poser aussi délicatement que possible une main sur l'abdomen distendu de Loki.
« Ne pourrais-tu te calmer ? » souffla-t-il tout bas. « Ta mère a besoin de repos, tu sais. »
Pour toute réponse, il sentit un coup de pied contre sa paume et ne put retenir un sourire. Bel et bien l'enfant de Loki, après tout.
