« Arrête de rigoler, veux-tu ? » ronchonna Angrboda, occupé à entortiller une couche propre sur le marmot gigotant.

« Comment, rire ? Je ne ris pas » se défendit Loki, adossé à ses oreillers, arborant son expression la plus innocente.

« Le coin de tes lèvres remue. Ne mens pas, je le vois. La prochaine fois, c'est toi qui mets les mains dans le guano, compris ? »

Un chouïa de sourire espiègle apparut sur le visage du fripon.

« Obliger un pauvre malade à travailler ? Voilà qui ne plaira certainement ni à Eir ni à Mengloth. »

Le pire, c'était que le vaurien avait raison. Son altesse Laufeyson avait beau avoir récupéré des forces, sa convalescence était loin d'être finie, surtout après l'accouchement. De fait, à part nourrir le bambin, il préférait se décharger du soin de s'en occuper, et pour cela il jouissait de la bénédiction de ses médecins.

Exactement comme Farbauti. Non mais regardez-moi ces yeux qui brillent !

Au moins n'était-il pas en proie aux affres de la dépression post-partum – du moins pas encore – c'était toujours atrocement compliqué à gérer. Et puis, les contacts avaient beau être limités, il n'en avait pas moins des contacts avec le bébé. A la longue, il finirait bien par nouer un lien avec sa progéniture.

« Bon, et bien voilà. En espérant que celle-ci reste propre plus de deux heures » renifla le jotunn tout en enroulant le mouflet dans sa couverture avant de le déposer dans les bras de sa mère qui n'essaya pas de se dérober – sans doute par lassitude, mais bon signe !

« C'est l'engeance de Thor » rétorqua Loki en ajustant sa prise sur son paquet, tout en se laissant aller sur ses coussins. « Quand il était jeune, Thor trouvait toujours moyen de se couvrir de boue en vingt minutes au maximum. Il mettait les lavandières au désespoir. »

« Puisqu'on parle du boucher, est-ce qu'il met aussi longtemps pour revenir d'habitude ? »

La réflexion valut à Angrboda un regard méprisant.

« Trois jours, tu appelles ça longtemps ? »

« Il est parti pour Midgard. Sur Midgard, c'est vraiment pas difficile de gérer ses petites affaires. Et puis, si on croit le péquin moyen dans la rue, le boucher vous règle n'importe quel problème d'un bon coup de marteau. Ça prend que deux trois secondes, non ? »

Le sorcier ferma ses paupières bleutées et poussa un soupir.

« Sur Midgard, ce sont bien des envahisseurs étrangers à ce royaume le souci, n'est-ce pas ? »

« …Je vois. »

Le nourrisson s'agita dans son carcan de tissu, parvenant à libérer une main dodue pour en tapoter la poitrine de sa mère qui grimaça – mine de rien, la zone était sensible.

« C'est pas vrai, il en veut encore ? »

Le géant plissa les lèvres en une moue dubitative.

« Je pense pas qu'il veuille manger… Attendez un peu pour voir. S'il se met à pleurnicher, là on sera sûrs. »

Loki plissa le front, pas du tout enchanté par la perspective, mais se résigna à attendre confirmation ou négation de la chose.


Gjalp se retenait de son mieux pour ne pas sourire de tous ses crocs. Mais c'était si bon de sentir la victoire à portée de mains, il était presque tenté de se laisser aller.

« Alors, Majesté ? Avez-vous trouvé le temps de visiter votre petit-fils ? »

La question contenait un piège, et l'ambassadeur le savait parfaitement. Son contrôle fut sérieusement ébranlé lorsqu'il vit frémir le vieil homme – aha, il avait réussi à toucher un point sensible.

« J'ai connu quelques difficultés » se borna à répondre l'Agent du Mal, ce à quoi le jotunn répliqua en penchant la tête.

« Les jeunes mères sont toujours très protectrices, surtout lorsqu'elles ne se sentent pas en confiance. Mais le guérisseur Mengloth ne devrait avoir aucun mal à tranquilliser son altesse Laufeyson, ne vous inquiétez pas. »

Prends ça dans les dents, vieux décrépit. Tu n'as pas la confiance de son altesse, tu ne sais pas comment le soigner, alors reste à l'écart et tout le monde s'en portera beaucoup mieux. Tu as déjà fait bien assez de dégâts.

« En effet. Peut-être devrais-je approcher mon petit-fils dès qu'il pourra marcher, cela donnera à Loki le temps de se calmer. »

« Tout comme cela donnera à Jotunheim le temps de se préparer à sa venue » glissa sournoisement le diplomate. « Votre petit-fils mérite de voir son royaume maternel dans toute sa splendeur, après tout. »

Tu ne peux pas te dérober, vieux schnoque. Tu nous as promis le Cœur d'Ymir dès que le prince aurait conçu et mis au monde un héritier pour ton précieux trône. Maintenant il a joué son rôle, et tu va jouer le tien, si tu ne veux pas que l'hiver vienne se déchaîner contre toi.

Le Seigneur des Pendus s'affaissa, l'air brusquement accablé par le poids des siècles réunis de sa longue existence.

« C'est vrai. »

Et je te tiens.

Cette fois, Gjalp se laissa aller à sourire, dévoilant une rangée de crocs jaunâtres parfaitement acérés.