« Oh, il est absolument magnifique ! » s'extasia Volstagg – et n'était-ce pas un spectacle déroutant, l'un des plus féroces guerriers d'Asgard roucoulant sur le contenu potelé de la couverture qu'il tenait entre ses bras. « Toutes mes félicitations, mon prince ! »

Loki montra les dents, en proie à un malaise aussi soudain qu'irrationnel de voir le morveux qu'il avait expulsé de son corps câliné par la montagne de muscles.

« Pourquoi il est là, déjà ? » grommela-t-il à voix basse, hélas pas suffisamment pour ne pas être entendue de la brute bleue.

« Parce que tu as menacé de me faire bouillir le sang dans les veines si tu ne voyais pas une autre trogne que la mienne l'espace de cinq minutes ? » rétorqua le Géant d'un ton aussi léger que plume.

Le sorcier lui adressa un regard mauvais, seulement pour que le baryton de Volstagg réclame son attention ailleurs.

« Alors, comment s'appelle-t-il, le cher petit ? »

Loki ouvrit la bouche puis la referma, pris de court. Angrboda plissa le front.

« Même pas une petite idée ? »

« Ou bien vous attendez le retour de Thor ? » voulut savoir le guerrier. « Après tout, c'est lui le père. »

« Et sa seule contribution a été d'éjecter sa semence dans le ventre de son Altesse Laufeyson » gronda la brute. « Vous croyez vraiment qu'il ait son mot à dire là-dedans ? »

« C'est tout de même le père » insista Volstagg.

« Et même pas six heures après la naissance de son rejeton, il a décampé sur Midgard. Si ça laisse augurer de la suite, je présume le pire pour sa capacité à agir en tant que tel. »

« C'était sur ordre du Père de Tout ! »

« Oh, donc sacrifier sa famille à ses devoirs ? Il sera certainement un excellent roi, mais je répète que comme père, il repassera ! »

Loki commençait à sentir poindre la migraine. Son engeance devait subir les mêmes tourments, puisqu'il se mit à gigoter et geindre de manière pas très subtile.

« Oh, non » se lamenta Volstagg. « Pardonnez-moi, mon petit prince. »

« Rends-le à son Altesse » lui suggéra la brute, « tu verras que ça va le calmer. »

Le sorcier nierait jusqu'à son dernier souffle avoir senti une vague de soulagement se diffuser jusqu'à la pointe de ses orteils lorsqu'il reçut à nouveau dans ses bras le poids désormais familier du morveux qui s'apaisa sur-le-champ, ses piaulements cédant la place à un soupir de satisfaction.

« Ah, le fluide maternel » soupira l'Asgardien. « Un véritable miracle, vous ne trouvez pas ? »

« Je crèverais bien de jalousie si je ne me rappelais pas que ce n'est pas à moi de me lever la nuit parce que quelqu'un ne s'arrêtera de pleurer que pour moi » déclara la brute.

Il méritait totalement la boule de neige qui lui atterrit sur le nez.


D'accord, Gjalp savait que l'occasion méritait un peu plus de dignité, mais il ne pouvait pas s'empêcher de sourire comme un imbécile heureux : après tout, le Cœur d'Ymir revenait à Jotunheim ! Si ça n'était pas une raison de sourire, alors rien ne pouvait l'être.

« Et la transaction s'effectuera demain ? » voulut confirmer la voix de Laufey Roi, s'élevant de l'outil de communication.

« Au plus tard » confirma l'ambassadeur. « Le Parjure a bien essayé de traîner les pieds, mais il ne peut plus se dérober maintenant que le prince a enfanté un héritier, et un robuste avec ça. »

Il y eut une pause dans la conversation.

« Comment vont-ils ? »

« Le prince et son enfant, vous voulez dire ? Pas de complications, d'après Mengloth. Il ne dit pas qu'ils sont en parfaite santé, mais vous connaissez Mengloth, toujours à chercher la petite bête. Et quand il ne la trouve pas, il l'invente. »

« Oui… oui, c'est vrai. »

Le timbre du monarque avait pris des intonations étranges, et Gjalp ne put s'empêcher de ciller. Il fallait bien l'avouer, tout cet embrouillamini politique n'était probablement guère agréable pour le souverain, vu que c'était son enfant cru mort dont il était question, et qui resterait sur Asgard plutôt que de retourner parmi les siens.

Mais même si l'Agent du Mal avait consenti à relâcher sa proie, Loki Prince avait été trop brisé psychiquement par son existence au sein du Royaume d'Or pour trouver la paix au sein de sa véritable famille. Jamais il n'aurait accepté Laufey Roi pour parent.

Gjalp était prêt à parier que le monarque le savait pertinemment, et une fois n'est pas coutume, il plaignait son seigneur et maître. C'était le type de saga que tout le monde voulait voir s'achever sur un dénouement heureux, après tout – l'enfant perdu, le prince prisonnier sauvé et ramené à son père.

Mais cette saga-ci ne s'achèverait pas de la sorte.