Le vêtement était d'une simplicité austère très inhabituelle pour Asgard, habituellement si friande de fioritures et d'ornements. Manches longues, jupe tombant jusqu'au sol, col haut, l'habit était aussi chaste que dépouillé, une tenue digne d'une nonne.

Ça n'en restait pas moins une robe. Et rouge par-dessus le marché – la couleur de Thor ! Loki avait failli commettre un meurtre aussi sanglant que violent lorsqu'il avait vu la couleur des échantillons de tissu. Et la brute qui avait minaudé dessus, disant que ça s'accorderait à merveille avec ses yeux – le sorcier aurait bien voulu lui arracher les siens, tiens.

Ceci dit, la créature avait trouvé tout aussi ridicule que lui les essayages pour la brassière – même si Frigga avait eu le dernier mot là-dessus, se refusant à ce que Loki se présente à une cérémonie officielle avec des seins ballotant librement. Déjà qu'il refusait d'attirer l'attention sur lui, il n'allait pas essayer d'attirer ce genre-là, tout de même ?

« C'est absurde » grommela la brute, zyeutant le simple bandeau de coton avec méfiance. « Qu'est-ce que tu feras si le petit a faim ? Et ne va pas me dire que tu peux respirer là-dedans – ça doit t'écraser la poitrine ! »

« Et que préférerais-tu que je fasse ? » riposta le prince brun. « Que je me présente la poitrine dénudée devant toutes les âmes bien nées du royaume ? »

Peut-être qu'il oserait, au bout du compte, ça ne manquerait pas de faire exploser la tête de tous ces vieux croûtons du conseil royal – même celle du Père de Tout, avec un peu de chance.

A ces mots, la brute ricana de manière plutôt inattendue.

« Ça me rappelle le souk qu'a fait l'un de vos généraux lorsqu'il a fait une visite de courtoisie sur Alfheim. Soi-disant que les femmes du coin qu'il devait inspecter n'étaient pas assez décentes. »

Alfheim… C'était plausible, songea Loki. Avec deux soleils et un climat bien tropical, les elfes – du moins les classes travailleuses – ne portaient fréquemment que quelques amulettes et un sourire, slip optionnel dans les occasions les plus raffinées.

« Alors les oreilles pointues décident de le calmer, et déclarent que les femmes seront tout à fait modestes le jour où le général passera. Seulement quand il arrive, il se rend compte qu'elles ont mis des jupes et c'est tout. Il se met à leur gueuler dessus comme les Asgardiens savent si bien le faire, les nanas prennent l'air contrit et acceptent de se couvrir la poitrine… »

Loki commençait à renifler un piège, surtout que la créature arborait un sourire rempli de crocs jaunâtres.

« Et après ? »

« Et ben, les filles se sont toutes relevées la jupe sur la poitrine. Le type voulait qu'elles se couvrent les seins, alors elles l'ont fait. Il avait rien dit sur le reste. »

Il y eut un bref instant de silence avant que le sorcier ne pousse un tel hurlement de rire qu'il tomba à la renverse sur ses oreillers, imaginant sans mal l'expression du général tandis que les femmes elfes souriaient candidement derrière le tissu de leur jupe, qu'est-ce que vous avez, monsieur ? On vous a obéi à la lettre, pourtant !

Cette adhérence au pied de la lettre, il connaissait pour l'avoir pratiquée à quelques reprises. Surtout pour enquiquiner Thor. Il aurait adoré parler à ces femmes.

Surtout pour leur réclamer la description exacte de la réaction du visiteur Asgardien.


La robe seyait à ravir à Loki. Thor ne l'avouerait jamais, bien entendu : il préférait sa gorge et son membre viril intacts, merci beaucoup.

Tout de même, il fallait admirer la composition : le sorcier habillé et coiffé, installé dans une chaise flottante – ses jambes étant encore trop faibles pour supporter la marche – le tout nouvel héritier au trône dans les bras. Seule son expression maussade gâchait le tableau.

« Tu pourrais tout de même sourire » lui glissa le tempétueux, s'attirant un regard assassin.

« Je vais être exhibé devant la cour » siffla le sorcier, « et tu juges cela matière à sourire ? »

« C'est notre fils qui va être présenté » lui rappela Thor, « pas toi. »

Ce fut à cet instant qu'une servante choisit de faire son apparition dans un bruissement de jupe.

« C'est l'heure, vos Altesses. »

Le visage de Loki perdit aussitôt toute expression, lui donnant la semblance d'une statue de granite bleu. Dans ses bras, Jörmungard remua et gémit doucement. Thor posa une main sur l'épaule osseuse revêtue de soie rouge.

« Tout se passera bien. »

Loki ne répondit pas.


La cérémonie avait paru durer une éternité ainsi que l'espace d'un éclair : Loki ne pouvait pas expliquer comment le phénomène était possible, il savait seulement qu'il s'était produit. Tous ces yeux froids dans des visages hautains, ne daignant s'intéresser à Jörmungard qu'après avoir détaillé la catin jotunn qui l'avait mis bas…

Il ne s'était jamais senti aussi malade de toute sa vie, même pas alors qu'il était confiné dans son propre lit, en proie à ses hormones enragées. Si Thor ne l'avait pas ramené dans sa chambre dès qu'ils avaient pu s'éclipser sans que ça paraisse grossier, il aurait certainement défailli.

Là, il était juste en larmes alors que le bébé lui était retiré des bras et que Thor s'efforçait vainement de le consoler.

« Tout va bien, Loki… C'est fini, il ne s'est rien passé, tu as été impeccable. »

Rien passé ? voulait crier le sorcier. Tu n'as donc pas vu leur regard à tous ?

« Enlève-moi ça » supplia-t-il à la place. « J'en veux pas – enlève-moi ça… »

Ses doigts s'égaraient dans son dos sans parvenir à trouver la rangée de boutons en os qui refermaient la robe, l'emprisonnant dans le tissu. Toutes larges qu'elles étaient, les grandes paluches calleuses du tempétueux réussirent bien mieux et plus vite à l'extirper de l'habit qui tomba au sol telle une flaque de sang. Loki aurait voulu la jeter au feu.

Cependant Thor le soulevait de sa chaise et le serrait contre lui, l'obligeant à se cramponner à son cou pour ne pas dégringoler au sol – il fallait vraiment qu'il reprenne des forces, ne serait-ce que pour tenir debout sans soutien.

« C'est fini. C'est fini, je suis avec toi, c'était juste un mauvais moment à passer, maintenant c'est fini. Tout va bien. »

Loki ne se souvenait plus de la dernière fois que Thor lui avait paru si grand et inébranlable, un mur contre lequel se briseraient tous ses cauchemars, mais il pensait que ça remontait à très loin dans leur petite enfance. Quand c'était encore facile d'être consolé, protégé, aimé.

Ça n'était plus cette période, mais rien qu'un moment, Loki se laissa croire que ça l'était.