Quand Mengloth se mettait en colère – ce qui se produisait moins souvent qu'on ne l'aurait cru – c'était toujours pour une bonne raison, telle que stupidité trop criante pour qu'on la laisse passer ou mise en danger de l'un de ses patients.

C'était un sacré spectacle, même si Angrboda préférait de loin observer à distance plutôt que d'en être responsable. Pour l'heure, il n'avait pas d'autre choix que de serrer les fesses et prier pour ne pas se laisser aller à quelque chose d'aussi involontaire et instinctif qu'odorant.

« Tu. As. Emmené. Mon. Patient. Dehors » martela le guérisseur, les lèvres retroussées sur ses crocs, des cristaux de givre amorçant leur cristallisation sur son corps.

Angrboda s'obligea à se rappeler Farbauti pendant sa grossesse. S'il avait pu survivre à cela, survivre à la fureur de Mengloth serait un jeu d'enfant, les doigts dans le nez.

« Je ne sais pas pour vous, mais perso, j'aime prendre un peu l'air quand j'ai été enfermé à l'intérieur plus d'une semaine » déclara-t-il. « Sans compter que ça me fait passer les pulsions homicides qui me saisissent quand je vois tout le temps les mêmes têtes – le mal des blédards, ça existe, vous savez. »

Les yeux du guérisseur flamboyèrent, mais à sa façon de tordre la bouche, il reconnaissait la justesse de l'argument. Et ça ne lui plaisait pas du tout, vu qu'il perdait du terrain pour ce qui était d'arracher les yeux de son interlocuteur.

« Et s'il avait fait une hémorragie interne parce que le déplacement avait encore plus fragilisé ses tissus ? Tu aurais fait quoi ? »

Aïe. Bon argument aussi, ça. Angrboda serra les crocs.

« Est-ce que vous avez examiné son Altesse Laufeyson ? Vous ne le trouvez pas plus calme ? Un peu moins dépressif ? »

« Je le trouve dans un état d'épuisement nerveux violent » rétorqua Mengloth. « Il souffre d'anxiété sociale et de dysphorie corporelle prononcée. A quoi pensais-tu, l'exposer aux regards des Asgardiens alors que tu sais pertinemment à quel point va leur racisme ? »

« J'avais choisi le créneau horaire exprès » rétorqua le garde. « Personne ne va dans les jardins à ce moment de la journée, même pas le personnel. A aucun instant son Altesse n'a croisé quelqu'un. »

Et une autre touche pour lui. Cependant, le givre s'était pleinement formé sur la peau bleue de Mengloth, donnant l'impression que le guérisseur avait jeté une cape de fine dentelle sur ses épaules.

« Et tu comptes recommencer l'expérience ? » interrogea-t-il, d'une voix qui ressemblait davantage au grincement émis par des gonds si rouillés que le fer constituait moins d'un quart de l'objet.

« Si c'est possible. Ça ne peut que faire du bien à son Altesse – et je suis prêt à prendre toutes les précautions que vous recommanderez. »

Angrboda avait beau parler d'un ton égal, il sentait ses intestins tricoter vigoureusement à l'intérieur – non, il fallait qu'il contrôle ses sphincters. Quand le prédateur flaire – plutôt littéralement, dans ce cas de figure – la faiblesse, il n'hésite pas à sauter sur la proie.

« Nous verrons » finit par gronder Mengloth.

Au moins, ce n'était pas un refus franc et massif. Déjà ça.


« Loki ? J'ai entendu que tu étais sorti, aujourd'hui. »

En guise de réponse, le sorcier refusa sciemment de regarder du côté de Thor, préférant se concentrer – il était vraiment tombé bien bas – sur le morveux logé dans ses bras, occupé à tripoter les boutons en os de sa chemise de nuit.

« Je ne vais pas te critiquer, tu sais. C'est juste que ça fait longtemps depuis que tu es allé te promener. »

Depuis la dernière fois que j'ai eu une apparence assez convenable pour sortir, tu veux dire ? songea le prince brun. Encore un miracle que les jardins aient été vides, ou la présence de deux Géants des Glaces aurait assurément déchaîné une émeute et une panique générale.

« Est-ce que tu comptes recommencer ? Ce serait une bonne idée, si tu veux mon avis... »

Rien que l'éventualité de ressortir à l'air libre, s'exposer de nouveau à la vue du premier passant qui viendrait dans les parages, faisait accélérer le cœur de Loki – mais les jötnar n'étaient pas supposés avoir un cœur, n'est-ce pas ?

Bien sûr, il n'aurait probablement pas la chance de rester en sécurité dans sa chambre. Depuis quand se souciait-on de ce que lui voulait ?