A titre personnel, Angrboda ne voyait vraiment pas l'intérêt des pantalons. Comment les Asgardiens pouvaient-ils supporter pareil vêtement ? Les démangeaisons et frottements au niveau de l'entrejambe auraient dû les rendre fous ! Quoique, en y réfléchissant bien, cela devait expliquer beaucoup de choses sur leur mentalité.
Alors non, il ne comprenait pas pourquoi son Altesse Laufeyson avait insisté pour enfiler une chemise et un pantalon avant de se rendre à la bibliothèque – il y avait pourtant des robes dans son armoire, le haut du vêtement ne semblait pas vraiment utile (allez comprendre pourquoi les Asgardiens insistaient pour empêcher une mère allaitante de donner facilement le sein à son marmot) mais la jupe aurait été bien plus confortable.
Enfin, le prince n'en faisait qu'à sa tête – bel et bien l'engeance de Farbauti, lui alors – et Angrboda s'était soumis à sa décision. Il pouvait bien céder pour l'instant, il savait que tôt ou tard les chausses perdraient du terrain.
Il avait entendu les domestiques cancaner, alors c'était une certitude. Même au Royaume d'Or, on reconnaissait que les jupes étaient un vêtement de mère.
Loptr Prince était mère. Les jupes étaient moins une option qu'une inéluctabilité de l'avenir. Sans doute plus proche qu'éloigné.
Quand on parlait de la bibliothèque royale d'Asgard, il n'était pas question d'une pièce comme beaucoup s'imaginaient lorsqu'on évoquait un espace réservé aux livres, ou même d'un vulgaire meuble. Non, il s'agissait carrément d'un bâtiment à lui tout seul.
Inutile de le dire, lorsqu'on y cherchait quelque chose, mieux valait se plonger dans l'index d'abord, ou on n'en ressortirait plus avant un mois au minimum.
Loki n'avait pas un mois à perdre en recherches. C'était plutôt étrange, comparé à toutes les fois où il s'était éternisé entre ces étagères – la bibliothèque était l'un des rares lieux que fréquentaient si peu les Ases, probablement car on n'y trouvait rien à tuer et que le bruit était défendu sous peine de sévère punition.
En d'autres termes, cela avait été le Paradis pour le second prince d'Asgard, un lieu où il était en sécurité peu importe les circonstances.
Sauf que là, il revenait ignoblement bleu, défiguré et hermaphrodite. Rien que sa présence semblait salir le sanctuaire – il aurait pu jurer que la lumière filtrant par les hautes fenêtres était nettement plus terne que dans sa mémoire.
Heureusement que l'endroit n'était guère fréquenté, l'intrusion de deux jötnar dans le saint des saints de la connaissance devait constituer un spectacle blasphématoire au plus haut degré. Le sorcier en aurait presque pleuré.
Et ce n'avait pas été la fin de leurs peines. La Convergence se déroulant en cycles de cinq millénaires, les documents détaillant le phénomène avaient été égarés au fin fond des archives, ce qui signifiait réclamer l'aide des bibliothécaires pour extirper les papiers tant convoités de leur cachette – des documents aussi vieux étaient obligatoirement fragiles, si bien que seul un bibliothécaire agréé était autorisé à y toucher pour empêcher toute destruction intempestive.
Cela signifiait aussi que ces recherches prendraient du temps, ce qui n'allait guère dans le sens de l'agoraphobie fraîchement développée de Loki. Passer plus d'un an et demi reclus dans une pièce et souffrir d'une extrême dysphorie corporelle ne donnaient pas tellement envie de passer du temps dehors, après tout.
Sans oublier le morveux qui ne manquerait pas de faire une scène s'il n'était pas régulièrement nourri, et mieux valait éviter ça autant que possible.
Tout de même, le sorcier avait pu renouveler sa collection d'ouvrages – après un an et demi, il connaissait si bien tous les livres de sa suite qu'il aurait pu les réciter à l'envers. Et pas besoin de se déranger à monter à l'échelle pour accéder aux documents en hauteur, puisque la brute bleue était là pour lui éviter de se fatiguer.
Mine de rien, sa présence avait parfois des avantages.
